Blockchain en actions : usages et limites
Wednesday 03 August 2016 AEFRThibaut de Lajudie (Ailancy)
Le principe qui est au centre de la blockchain est la remise en cause du rôle traditionnel des tiers de confiance (l’Etat, qui délègue ce rôle aux notaires, les banques centrales…). La confiance n’est plus incarnée, elle est « dans la technique ».
Il ne s’agit désormais plus d’une passion pour geeks : de nombreux acteurs de la finance s’en saisissent, car ils y voient des sources d’économies et le moyen de réduire le risque de contrepartie, consommateur de fonds propres.
Les promesses :
Le protocole Open Source est gratuit et est utilisé dans une architecture publique
Le message porte le bénéficiaire final
La réécriture en arrière étant impossible sur une blockchain, la transaction est sécurisée et effectuée une seule fois
On diminue les risques de contrepartie et les coûts d’infrastructure de réseaux informatiques.
On fait disparaître la double dépense
On supprime les intermédiaires, et donc la menace de l’effet domino.
. dans un système traditionnel de compensation par exemple, il n’y a pas de certitude technique quant aux faits que les actifs sont parfaitement ségrégués (on peut tirer sur la masse)
On stocke les informations les plus fines, de façon décentralisée.
Les limites :
Elles peuvent être d’ordre réglementaire : KYC, antiblanchiment, identification des contreparties… car l’information est cryptée. Il n’y a pas de contrôle possible.
Ou liées à des coûts élevés : dans le dispositif du Bitcoin, les mineurs (valideurs du message) sont rémunérés.
Ou liées aux volumes traités, avec en particulier des latences dans l’exécution.
limites intrinsèques : à cause des mécanismes mêmes de contrôle et de validation décentralisés, les transactions mettent du temps à aboutir (seulement 7 par seconde), et sont bien loin des standards bancaires habituels (56 000 par seconde pour VISA).Par ailleurs, les acteurs qui pourraient investir ne seront pas forcément les bénéficiaires du développement de la blockchain.
De la théorie à la réalité :
Ce qui existe déjà : la cryptomonnaie (Bitcoin)
La Proof of Work (preuve de travail) et la Proof of Stake (preuve d’enjeu ou de possession) sont les deux manières de valider les blocs les plus connues. On est en train de passer du premier processus au second. Ces deux méthodes impliquent deux mécanismes de consensus très différents. Le processus pour résoudre un défi informatique imposé par une Proof of Work est appelé mining: on parle de mineurs. Le processus pour résoudre un défi informatique imposé par une Proof of Stake est appelé minting: on parle de forgeurs. Quant aux proof of concepts (étape de valdation concrète dans la mise en place d'un projet radicalement nouveau. Il faut, avant un déploiement plus large, faire "la preuve du concept") les premiers essais en entreprise ne sont pas suffisamment matures pour lancer des projets à grande échelle.
Ce qui peut exister à court terme : l’échange de données.
Ce qui peut exister à moyen terme : la cession des minibons (titre simple, assez aisé à modéliser).
Les grands domaines d’intervention : les commodities (livré/payé), paiements, KYC, acteurs qui proposeront, par exemple, une vue globale de leurs actifs (les informations sont extraites de multiples blockchains), acteurs qui faciliteront l’interface entre l’utilisateur et la blockchain…
Pierre Davoust
Le Trésor s’intéresse à la blockchain à plusieurs titres :
Elle est susceptible de répondre à des besoins exprimés par des entreprises et des investisseurs. Il y a de nombreux gisements d’efficacité à explorer (notamment dans le non coté).
Il faudra un jour ou l’autre modifier le cadre réglementaire : « Nous voulons être de ceux qui fixent les normes.»
La Place de Paris est en retrait dans les infrastructures de marché.
La blockchain est déjà présente dans la législation française.
Avec l’ordonnance du 29 avril 2016 sur les bons de caisse (leurs modalités de cession sont simplifiées et ils ne sont plus anonymes) : la blockchain peut être un moyen de structurer la circulation des minibons. Un décret fixera les détails.
A l’occasion de la discussion de la loi Sapin II, deux amendements visant à donner à la blockchain valeur d’acte authentique et visant à autoriser la circulation des titres non cotés ont été déposés (et refusés).
Mais il y a trop peu de projets en France à ce stade pour légiférer.
Dans le domaine du non coté, Paris peut devenir la place de référence.
Le marché primaire est un terrain de jeu idéal pour y appliquer la Blockchain car l’organisation interne de ce marché est encore artisanale et les volumes de transactions sont assez petits.
En conclusion, le Trésor est déterminé à faire émerger un cadre juridique favorable aux fintechs, tout en évitant les frottements avec la législation existante.
Pierre Porthaux (Blockchain Solutions, président et cofondateur)
La blockchain peut être utilisée de façon très pertinente dans certains usages, notamment les banques mutualistes pour traiter leur comptabilité en réseau interne, le trade finance (où il y a encore beaucoup d’intervention humaine et d’erreurs), les prêts syndiqués ou le KYC. Il y a en revanche des domaines où cela est tout à fait déconseillé.
Les avantages de la blockchain selon Pierre Porthaux :
- Base de données programmable
- Les comportements peuvent être intégrés à la chaîne (risques, règles de complinace)
- Cryptographie
- Traçabilité
- Auditabilité
Inconvénients de la blockchain selon Pierre Porthaux :
La blockchain est inadaptée au trading haute fréquence (rapidité/latence)
Le réseau par essence décentralisé peut se révéler moins efficace
La blockchain permet de multiplier les règles sur mesure (par exemple, ne jamais traiter avec telle contrepartie).
On distingue trois types de dispositifs :
Le réseau public, comme Bitcoin (le double des volumes de Western Union).
Le réseau fédéré : il faut être membre pour participer (équivalent d’une Bourse)
des initiatives intéressantes par le Nasdaq (compartiment pré-IPO) et par l’Australian Stock Exchange pour le règlement-livraison.
Le réseau privé (interne à une organisation).
Philippe Ruault (BP2S)
BNP Paribas Securities Services s’intéresse depuis 2011 à la blockchain et en mai 2016 le prestataire de titres a constitué une équipe de trente personnes tournée vers l’innovation, dont la blockchain.
En matière de blockchain, la direction a donné les directions suivantes :
Entrer dans des métiers non pratiqués, en particulier le non coté.
Passer du T+2 au T0
Supprimer des intermédiaires.
Réduire les coûts, par exemple dans le domaine du KYC.
Augmenter la transparence
BNP SS agit selon plusieurs axes :
En investissant dans des start-up (Digital Asset Holdings).
En participant à des consortiums : R3, Euronext…
En collaborant avec la Caisse des dépôts et consignations, en pointe dans ce domaine.
Le blockchain n’est pas la panacée : par exemple, pourquoi remplacer la plateforme unique partagée (24 banques centrales en Europe) Target 2 Securities, qui est récent (2007) et efficace ?
Pierre Storrer (Kramer Levin)
Tout d’abord on peut analyser juridiquement ses éléments, mais pas la blockchain elle-même. Les questions que soulèvent la blockchain
Faut-il vraiment remettre en cause le tiers de confiance, qui se trouve au cœur de notre civilisation ?
Il y a encore peu, la blockchain était un objet de fantasmes : on disait tout et son contraire à son propos. Cette technique a désormais un commencement de réalité juridique (ordonnance sur les bons de caisse) et une reconnaissance officielle (définition proposée par la Banque de France, discussion paper de l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma), étude de l’Autorité des marchés financiers sur le registre distribué).
Le développement des smart contrats
Parmi les nombreuses utilisations possibles de la blockchain, les développements les plus prometteurs résident dans les « smart contracts » (contrats intelligents). De quoi s’agit-il ? Ce sont des protocoles informatiques qui exécutent les termes d’un contrat (par exemple, un prêt d’argent, une émission obligataire ou d’action, mais aussi un vote, un mariage ou tout autre type de contrat !) dont les caractéristiques sont standardisées[2]. L’objectif est de satisfaire les conditions contractuelles, comme les termes du paiement, de la livraison, mais aussi de la confidentialité, et même de l’exécution des obligations réciproques. Le caractère numérique et automatisé du contrat permet donc en théorie à deux partenaires de nouer une relation commerciale sans qu’ils aient besoin de se faire confiance au préalable, sans autorité ou intervention centrale. C’est en effet le système lui-même, et non ses agents, qui garantissent l’honnêteté de la transaction. Tel est le sens du projet[3]Ethereum[4] qui permet la création des « smart contracts » à grande échelle[5] en mettant en place une méthode de vérification entièrement dématérialisée qui peut être effectuée directement par les pairs sans l’interférence d’outils juridiques
L’AMF se penche actuellement sur la définition du registre distribué.
L’enjeu du développement de la blockchain consiste à savoir comment lier les contrats « crypto » et les contrats « fiat », terme qui regroupe tout ce qui a trait à l’environnement juridique traditionnel[6]. C’est le problème de la cyberlaw et plus généralement de la relation entre cryptographie et opposabilité juridique[
Un thème majeur pour l’avenir : la protection des données et le droit à l’oubli.
Antoine Bargas (AMF)
L’Autorité des marchés financiers (AMF) dans un contexte international.
L’Organisation internationale des commissions de valeurs (Iosco en anglais) et le Financial Stability Board souhaitent se saisir du sujet. Mais il n’est pas encore question de dégager des principes à ce stade.
Au plan européen, l’Autorité européenne des marchés financiers propose un discussion paper (Distributed ledger technology applied to securities markets) : la consultation est ouverte jusqu’au 2 septembre 2016.
. parmi les thème soumis à discussion : quid de la protection des investisseurs ? la blockchain est-elle susceptible de contourner les règles européennes (Emir, MIF 2…) émises après la crise de 2008 ?
Pour une autorité de marché, la question centrale est le suivante : la blockchain nécessite-t-elle de nouvelles règles – ce qui nécessite d’ériger des principes - ou l’adaptation des règles existantes ?
L’AMF a la volonté d’avancer de façon concertée, notamment avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, de manière à accompagner l’industrie. L’AMF est en contact constant avec les acteurs.
Quid du DLT (Distributed Ledger Technologies) sur les marchés financiers ?
Richard Caetano
Parmi les questions auxquelles doivent répondre des acteurs comme Stratumn (start-up française qui vient de lever 600.000 euros auprès de Otium Venture et de business angels) : on est en présence d’asymétries d’informations : comment opérer les réconciliations ? comment faire face à l’inflation des données, notamment dans le domaine du KYC ?
Dans la blockchain, le protocole tient lieu de confiance.
Richard Caetano comment : « Ce que nous voulons donc, c’est enlever toutes les barrières à l’entrée de la blockchain, c’est à dire premièrement la “scalability”, la capacité à croître de manière exponentielle limitée par la taille des blocs, deuxièmement les ressources et le maintien de l’infrastructure, et enfin l’appréhension du sujet, qui évolue à une vitesse inimaginable. »
Les mots clés sont proof of process (dématérialisation de la preuve), rendue possible par la cryptologie, et la série de faits est source du réseau de confiance.
Les dix à quinze prochaines années seront critiques : il faudra se préparer, par exemple, à la disparition de nombreux intermédiaires. Mais à ce stade, il n’est plus possible de repousser l’échéance.
Pour Richard Caetano les points clés de la blockchain sont :
La question de la confiance
La synchronisation qui est complexe
Le droit à la Privacy des utilisateurs (notamment dans le KYC)
Les limites entrevues sont :
L’immuabilité du système versus la réalité changeante de la vie
L’absence de hiérarchie (peer to peer)
La dichotomie du système : d’un côté le « proover » (qui détient l’information= le secret) et de l’autre côté le « verifyer » (qui est convaincu que l’autre a le secret)
A propos de Stratumn : Créée en 2015 à Paris par l'ingénieur californien Richard Caetano, la plateforme de Stratumn opère en beta privé depuis le mois de février 2016 et a démarré des partenariats avec plusieurs grandes entreprises françaises dans la banque, la santé, la supply chain, ainsi qu'avec des cabinets de conseil et d'audit internationaux