Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

De MiFID I à MiFID II : les impacts pour les activités de négociation et d’intermédiation

Wednesday 14 February 2018 Revue Banque Visit source website

MiFID II a été lancée 10 ans après MiFID I pour corriger les biais qui ont suivi la mise en œuvre de cette dernière. Mais elle entraîne de nouvelles modifications profondes concernant les exigences de transparence ou l’évolution des modes de négociation. Les acteurs devront repenser leur modèle économique, opérationnel et technologique dans un environnement encore plus ouvert et concurrentiel.

Dans un objectif de libre concurrence à l’échelle européenne, MiFID I visait à supprimer le monopole des marchés réglementés nationaux sur les transactions boursières principalement actions en permettant le développement de places de négociation alternatives. Ainsi en plus des marchés réglementés (qui restent le point d’entrée pour les introductions en Bourse) et le gré à gré, une action peut être négociée sur :

  • les systèmes multilatéraux de négociations (SMN ou, en anglais, Multilateral Trading Facility – MTF) qui organisent la confrontation multilatérale des intérêts vendeur et acheteur ;
  • les « internalisateurs systématiques » (IS), le plus souvent des banques ou brokers qui, de façon organisée, fréquente et systématique, exécutent les ordres de leurs clients face à leur compte propre.

Pour contrebalancer le risque de fragmentation de la liquidité liée à la multiplication des lieux d’exécution et préserver la qualité du processus de formation des prix, MiFID I fixe des règles de transparence prénégociation, à savoir la publication au marché des cotations « bid » et « offer » et post-négociation (les prix, volumes et heures d’exécution).

Le bilan de cette première directive reste très mitigé, avec des conséquences non anticipées par le régulateur.

Un bilan mitigé de MiFID 1, 10 ans après sa mise en œuvre

Les dérogations aux règles de transparence ont ainsi permis l’émergence de nouveaux pools de liquidité :

  • les Dark Pools, MTF qui opèrent sans transparence prénégociation en application des dérogations prévues par la MIF (notamment en cas de négociation d’ordres dont la taille pourrait entraîner un décalage de cours s’il était rendu public) ;
  • les Brokers Crossing Networks (BCN) qui sont des systèmes d’appariement internes d’ordres clients. Ils sont opérés par les banques et les brokers qui exécutent les ordres des clients face à ceux d’autres clients. Non spécifiés par MiFID, ils tombent sous le régime des marchés OTC et échappent à l’obligation de transparence.

Sans garde-fou, ces derniers représentent un risque sur le mécanisme de formation des prix et altèrent le principe de meilleure exécution. Leur part de marché s’est accrue et ils représenteraient plus de 10 % des volumes négociés.

Par ailleurs, les participants de marché ont dû lancer des investissements coûteux pour intervenir sur ces multiples lieux d’exécution. La baisse observée des coûts unitaires d’exécution (environ 30 %) n’a pas profité aux investisseurs, le coût moyen final par transaction ayant augmenté de 12 % du fait de l’augmentation des « spreads » et l’obligation de fractionner les transactions sur plusieurs niches de liquidité [1].

Enfin, la baisse des coûts unitaires et la multiplication des lieux d’exécution (avec des pas de cotation parfois hétérogènes) ont facilité le développement du trading algorithmique à haute fréquence qui, en l’absence d’encadrement spécifique, a accru la volatilité des marchés. Selon une étude de l’ESMA il représente aujourd’hui près de 45 % des volumes et 75 % des ordres exécutés sur les marchés actions européens [2].

Le modèle économique de la négociation et de l’intermédiation sous pression avec MiFID II

Ce contexte a conduit les régulateurs à corriger le cadre de MiFID 10 ans après et à l’étendre à la quasi-totalité des classes d’actifs, en particulier obligataires et dérivés : la deuxième directive sur les marchés d’instruments financiers, dite MiFID II, est ainsi entrée en vigueur le 3 janvier 2018. Les exigences de transparence ont été refondues pour les actions et étendues aux autres classes d’actifs : taux, change, dérivés… (voir Tableau 1). Un dispositif a été défini pour organiser la diffusion des données d’exécution (prix, volume…) à l’ensemble du marché avec la création des APA [3] en charge de la publication pré- et postnégociation des prix et volumes et des CTP [4] en charge de la consolidation des données publiées par les marchés réglementés, MTF, OTF [5], APA… Le trading algorithmique à haute fréquence est mieux encadré par un cahier des charges organisationnel et technologique strict. Enfin, le périmètre des transactions à reporter est élargi pour améliorer les capacités de contrôle et de surveillance des autorités nationales.

Les coûts de mise en conformité ont été significatifs et représentent un réel défi pour l’ensemble des acteurs. Les clarifications tardives de l’ESMA [6], l’absence de solution de place pour répondre à certaines obligations comme les données de références des instruments financiers (les « ISIN »), imposent aux acteurs de continuer les travaux bien au-delà de l’entrée en vigueur de la Directive. Michael Kemmer, directeur général de l‘Association des banques allemandes, a ainsi déclaré que le coût de mise en œuvre, estimé à un milliard d‘euros [7] était devenu « hors de contrôle ». Rappelons que ce nouveau cadre réglementaire n’impose aucune méthodologie précise, en particulier concernant les informations à fournir aux investisseurs, l’ESMA estimant que la libre concurrence seule garantit la meilleure réponse. Les acteurs doivent fournir un effort de veille concurrentielle continu pour ajuster la qualité des données fournies aux clients aux standards de marché.

Par ailleurs une hausse de la structure des coûts est à craindre avec le renforcement de la fonction conformité (avec un périmètre de contrôle et de responsabilité accru). La multiplication des rapports à produire par les équipes opérationnelles (pour le régulateur, les clients et le marché), au fil de l’eau ou périodiques, avec des données sensibles, va s’accompagner d’une inflation des contrôles qualité.

La transparence accrue et la publication des coûts et frais chargés aux clients vont peser de manière progressive sur les marges à terme. Ces mesures doivent permettre aux investisseurs de mieux faire jouer la concurrence entre les fournisseurs de services. Elle se fera en revanche de manière très progressive. En effet, d’une part les obligations de transparence ne s’appliquent qu’aux instruments liquides. Or, l’ESMA a considéré comme liquide une minorité des instruments pour le démarrage (moins de 5 % des obligations sont liquides selon l’ESMA [8]). Cette évaluation va être revue en exploitant les données du reporting transactionnel. On assistera à une augmentation progressive des volumes soumis à la transparence.

D’autre part les investisseurs vont devoir se familiariser et s’équiper pour exploiter la masse de données qui va être disponible. Par exemple, l’affichage des coûts et charges est certes normé en termes de typologie, en revanche le format des rapports et les méthodologies de calcul sous-jacentes risquent d’être hétérogènes rendant la comparaison complexe (voir Tableau 2).

Vers une évolution majeure des modes de négociation

Les modes de négociations vont évoluer de manière significative pour répondre aux nouvelles obligations avec, pour les opérateurs, des incertitudes quant à leur capacité à conserver les clients, les volumes et les marges.

La négociation de gré à gré devient très limitée pour les actions. Elle va se réduire progressivement pour les autres instruments (obligations, taux, change…) en fonction de leur statut de liquidité (donné par l’ESMA) et de la taille des ordres. Les opérateurs doivent décommissionner leurs BCN et opter pour le statut d’IS pour leurs activités bilatérales (en compte propre). Les activités d’exécution des ordres des clients face à ceux d’autres clients (« matched principal trading » [9]) seront quant à elles logées dans des MTF ou des OTF (uniquement pour les obligations et les dérivés). À noter que l’opération d’un OTF et l’internalisation systématique ne peuvent avoir lieu dans la même entité juridique. À l’exception des instruments purement OTC (structurés), toutes les transactions sont dorénavant sujettes à la transparence postnégociation et sont rapportées au régulateur.

Les activités historiques de tenue de marché devront s’inscrire soit dans le cadre d’IS ou dans l’opération de MTF ou OTF. Le choix entre ces deux options sera principalement dicté par la capacité d’investissement et les contraintes capitalistiques de ces acteurs. Le statut d’IS nécessite peu d’investissement mais impose une prise de risque réel engageant le compte propre. A contrario, l’opération de plateformes est certes moins risquée mais repose sur des technologies souvent coûteuses.

Ces mouvements nécessitent un travail significatif de pédagogie auprès des clients. Bien que le périmètre des instruments éligibles à la négociation OTC reste large, on constate une pression des clients, des régulateurs (notamment la FCA) et de la concurrence pour basculer dès à présent les activités OTC vers les IS, MTF et OTF (voir Tableau 3). Ce mouvement va accélérer la réduction de la négociation OTC, le développement des plateformes électroniques et la pression sur les marges (les brokers devant passer d’un modèle « en écart de cours » à un modèle de commissions).

La publication des données de négociation va être plus large et mieux organisée avec la création de nouveaux acteurs régulés (les « APA » et les « CTP »). Convenablement exploitées, elles pourraient donner une plus grande autonomie aux acteurs du buy-side et remettre en question le rôle de l’intermédiation qui avait traditionnellement un accès privilégié à ces informations. Cependant, les négociateurs et teneurs de marché devraient rester incontournables pour la formation des prix des instruments les moins liquides. Par exemple sur l’obligataire, très peu d’instruments sont liquides et même les titres les plus échangés ont une liquidité limitée dans le temps. Un carnet d’ordre transparent n’est pas un canal adéquat contrairement au teneur de marché traditionnel qui affiche un prix en permanence.

Enfin, l’exigence de reporting parfois en temps réel d’un volume important de données [10] va favoriser la négociation sur les plateformes électroniques. Elle facilite l’entrée de nouveaux acteurs voire la désintermédiation en donnant un accès direct aux acteurs du Buy-Side qui devaient auparavant passer par un intermédiaire. Les plateformes électroniques permettent notamment d’automatiser et de sécuriser l’enregistrement des données. Elles sont devenues omniprésentes pour les produits liquides (actions, dérivés listés) avec près de 90 % des flux traités (voir Graphique 1). Elles devraient continuer à gagner du terrain sur des activités longtemps considérées comme protégées (obligations, dérivés OTC) mais se cantonner au flow business. Les brokers/dealers soulignent que la négociation à la voix devrait cependant rester un canal privilégié pour les ordres travaillés (de grosse taille) et le conseil.

Un projet réglementaire très ambitieux

La portée de ces mouvements reste parfois difficile à évaluer du fait d’incertitudes juridiques et d’un projet réglementaire très ambitieux. Toutefois, les acteurs du marché s’attendent à ce que ces nouvelles dispositions bouleversent le mécanisme de découverte des prix – qui est au cœur de l’activité de la négociation – au cours des prochaines années. Il est essentiel pour les acteurs de repenser leur modèle économique, opérationnel et technologique dans un environnement encore plus ouvert et concurrentiel.

Dans un prochain article nous étudierons les orientations stratégiques s’offrant aux acteurs de marché pour se positionner face à ces changements majeurs.

 

 

[1]AMAFI, Révision de la directive MIF, 7 janvier 2010.

[2]https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/2016-907_economic_report_on_duplicated_orders.pdf.

[3]Approved Publication Arrangement, en français « dispositif de publication agréé ».

[4]Consolidated Tape Provider, en français « fournisseur de système consolidé de publication ». Les CTP offrent un service de collecte des rapports de négociation sur les instruments auprès de marchés réglementés, de MTF, d’OTF et d’APA, et un service de regroupement de ces rapports en un flux électronique de données actualisé en continu, offrant des données de prix et de volume pour chaque instrument.

[5]Organised Trading Facilities : nouvelle catégorie de plateforme créée par MIFID II pour les instruments non equity (produits financiers structurés, obligations, dérivés…).

[6]Par exemple, peu d’acteurs s’attendaient à l’application de la transparence transactionnelle aux succursales hors EEA, et très peu ont parié sur un alignement avec la méthodologie PRIIPs en matière du coûts et frais.

[7]https://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKBN1CN253-OFRBS, octobre 2017.

[8]https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/2016-666_opinion_on_draft_rts_2.pdf.

[9]Ce type de négociation permet d’allier des ordres d’achats et de ventes avec une prise de risque limitée.

[10]Par exemple, l’horodatage systématique de chaque transaction à la milli-, voire microseconde.