Compte-rendu - Conférence annuelle – Investment Union : how to leverage our diversity ? - 8 décembre 2015
mardi 02 février 2016 AEFRRobert
Ophèle, sous-gouverneur, Banque de France
Eric
Ducoulombier, direction générale de la stabilité
financière, des services financiers et de l’Union des marchés de
capitaux, Commission européenne
Gérard
Rameix, président, Autorité des marchés
financiers
Stanislaw
Kluza, fondateur de la Polish Financial Supervision
Authority
Bruno
Hallak, chief country officer (France), Deutsche
Bank
Hervé
Labbé, directeur des études économiques, Orange,
vice-président de l’Association française des trésoriers
d’entreprise
Didier
Valet, directeur de la banque de financement et
d’investissement, Société générale
Maximo
Fiorentino, Meridiam
Robert Ophèle
L’Europe des marchés financiers est
menacée de fragmentation ; il est par conséquent de première
nécessité d’aller vers davantage d’harmonisation, mot clé quand on
entend construire l’Union des marchés de capitaux.
Cette union est impossible à réaliser sans la présence
d’intermédiaires globaux agissant sur une grande partie de l’Union
européenne : les banques. Or, c’est le contraire qui est à l’œuvre
en ce moment : les banques ont tendance à se retrancher dans leur
pré-carré national. Il convient donc de réfléchir aux moyens
prudentiels permettant de palier cette évolution : il est ainsi
déraisonnable de déterminer le capital réglementaire sur une base
nationale, tout comme de calculer les ratios de liquidité sur une
base non consolidée. De la même manière, l’approche actuellement
adoptée dans la détermination de la surcharge en capital des
établissements dit systémiques est inadaptée à une activité
bancaire transnationale, et donc à une bonne fluidité des
capitaux.
L’Union des marchés de capitaux nécessite, par ailleurs, qu’un
effort particulier soit fait en direction du financement par fonds
propres. L’endettement privé, loin de se résorber comme on
l’annonçait durant la crise, a dépassé le niveau de 2007 et
représente une menace pour la stabilité. L’investissement en
actions, problématique en présence d’une population vieillissante,
doit être développé, notamment au travers d’une fiscalité
incitative.
Eric Ducoulombier
Dans la mise en œuvre de l’Union des marchés de capitaux, dont les grandes lignes ont été favorablement accueillies par l'ensemble des parties prenantes, la Commission européenne adopte une approche bottom-up. L’Union des marchés de capitaux s’inscrit dans un plan plus large destiné à favoriser l’investissement et la croissance - par exemple avec le déploiement du plan Juncker - et représente un changement de paradigme par rapport à la période précédente où la stabilité et la réduction du risque étaient les priorités absolues.
La Commission européenne est par ailleurs consciente des limites
d’un tel plan d’action, qui s'inscrit dans le long terme et dépend,
pour son succès, de l'adhésion de tous les acteurs, pouvoirs
publics, investisseurs, entreprises etc. Il présuppose également un
certain changement dans les mentalités.
Parmi les prochaines étapes sur l’agenda de la Commission
européenne figurent la titrisation, la révision du cadre juridique
du prospectus en faveur des PME, l’harmonisation du droit des
faillites et des règles régissant la propriété des titres,
l’évaluation des règles sur les exigences en capital ou encore la
mesure de l'impact cumulatif des règles existantes.
Gérard Rameix
En masse, l’investissement est insuffisant. Cependant, dans la plupart des pays de l’Union européenne, les entreprises disposant de bons projets n’éprouvent pas de difficulté à trouver les financements nécessaires à leur mise en œuvre. Après la crise provoquée par la faillite de Lehmann Brothers, l’obsession a été la maîtrise – nécessaire - des risques ; il faut à présent se projeter dans l’avenir et mettre la croissance au centre des réflexions, ce qui nécessite, entre autres, de prendre le temps d’examiner la pertinence des nombreuses mesures édictées sous l’impulsion de Michel Barnier [commissaire au Marché intérieur et aux Services de la précédente Commission].
En matière de supervision, une nouvelle ère s’ouvre pour l’Autorité
européenne des marchés financiers (AEMF, Esma en anglais), cela
alors que les mandats de son président, Steven Maijoor, et de son
directeur général, Verna Roos, ont été prolongés de cinq ans : il
s’agira d’œuvrer à l’harmonisation des actions des autorités de
marchés nationales, cela dans tous les domaines.
Stanislaw Kluza
La mise en œuvre d’un plan comme
l’Union des marchés de capitaux implique un triple dialogue : entre
les Etats membres de l’Union européenne, entre le public et le
privé, entre les sous-secteurs de la finance.
Il y a une homogénéité de vue parmi les pays de l’Europe centrale à
propos de l’approche qui devrait présider à la construction de
l’Union des marchés de capitaux : trouver le bon équilibre entre
les règles et la croissance ; décourager les arbitrages
réglementaires.
L’Union des marchés de capitaux, comme l’Union bancaire, ne
concernent pas seulement le secteur financier. Ils doivent
s’inscrire dans un plan plus large où serait traitées, notamment,
les questions de fiscalité, ou encore celles ayant trait à la
taille relative des différentes composantes de la finance.
A ce stade, on manque de détails pour pouvoir afficher une pleine
confiance à l’égard de l’Union des marchés de capitaux.
On peut, par ailleurs, s’interroger sur le rôle et sur l’action de
la Banque centrale européenne. Ne faudrait-il pas revenir à une
politique monétaire plus conventionnelle ?
Bruno Hallak
Deutsche Bank soutient le projet
d’Union des marchés de capitaux, plus ambitieux que prévu, et qui a
pour objectif la croissance, et pas seulement la stabilité
financière.
L’Allemagne est caractérisée par l’importance de son tissu
d’entreprises moyennes (Mittlestand) souvent familiales, et dont
les dirigeants souhaitent conserver le contrôle. Si ces entreprises
continuent de se financer par la biais d’obligations et de
placements privés (Shuldschein), l’expérience peu concluante des
minibonds (Mittelstandsanleihe ) a laissé des traces.
Si l'association des banques allemandes s'est déclarée favorable au
développement des financements adressés aux start-up, l’Association
des caisses d’épargne (saving banks) a estimé que l’Union des
marchés de capitaux ne devra pas remettre en cause les liens
étroits des entreprises avec leurs banques de proximite.
Hervé
Labbé
Le placement privé européen (Euro
PP), en progression constante au cours des dernières années, a
permis de lever 5,6 milliards d’euros en 2015. Ce financement
concerne de plus en plus d’entreprises de taille moyenne et le
ticket moyen des émissions diminue (65 millions d’euros en
2014).
Sur les 5,6 milliards d’euros levés en 2015, 2,6 milliards l’ont
été par des entreprises françaises, signe que l’Europ PP
s’internationalise.
La maturité moyenne des opérations ne cesse d’augmenter. Elle est
aujourd’hui de huit ans, ce qui excède de loin la maturité
habituelle des prêts bancaires et constitue un attrait majeur de
l’Euro PP pour les entreprises. Par ailleurs, il y a maintenant
parité entre les obligations cotées et celles qui ne le sont
pas.
L’Euro PP dans son dispositif actuel est le fruit de discussions
entre toutes les parties prenantes, sous la houlette de la Banque
de France, qui ont abouti à la publication d’une charte. Il est à
noter que ce document a été élaboré sans qu’aucune nouvelle règle
n’ait été édictée.
Il y a encore quelques années, les ETI qui souhaitaient se financer
par le biais d’un placement privé avaient beaucoup de difficulté à
appréhender le prix. Aujourd’hui, il y a un marché. Les promoteurs
de l’Euro PP, parmi lesquels figure l’Association française des
trésoriers d’entreprise, incitent d’ailleurs vivement les
entreprises à publier les données relatives aux Euro PP qu’elles
ont réalisés.
Il faut tenir le marché de l’Euro PP, encore jeune, à l’écart de
tout ce qui pourrait l’étouffer, et en particulier de la
notation.
Didier Valet
La Société générale est plutôt
favorable à l’Union des marchés de capitaux.
Cependant, cette Union ne peut se réaliser sans garder à l’esprit,
d’une part, qu’il est nécessaire que l’Union européenne soit dotée
de banques de financement et d’investissement de premier plan,
d’autre part les questions d’ordre culturel : par exemple, le
financement à 80 % des entreprises par les marchés, aux
Etats-Unis, est-il adapté à l’Europe ? Faut-il, par ailleurs,
remettre en cause le modèle de banque universelle, qui, pour les
entreprises, est à la fois synonyme de proximité et d’accès aux
marchés financiers ?
Il convient aussi, entre autres, de se poser la question de
l’opportunité de la taxe en préparation sur les transactions
financières, qui, si elle était adoptée en l’état, ne faciliterait
pas la construction d’un marché unifié des capitaux en Europe. Il
en va de même des barrières à la bonne fluidité de la liquidité
bancaire à l’intérieur de l’Union européenne, telles qu’elles ont
été évoquées par Robert Ophèle.
Maximo Fiorentino
L’Europe finance elle-même ses
investissements d’infrastructure, alors que la région est l’une des
plus attrayantes pour des investisseurs non européens.
Depuis le milieu des années 2000, la tendance est nettement à
l’augmentation des levées de fonds, dont une part significative
provient des investisseurs en actions. Cependant, la masse
représentée par les fonds spécialisés dans les infrastructures non
cotées est inférieure à ce qu’elle était à la veille de la crise
des subprimes.
Les infrastructures constituent une classe d’actifs attrayantes
pour les investisseurs institutionnels : possibilité d’investir
dans du non coté, cash-flows prévisibles, rempart contre
l’inflation compte tenu du pricing power des projets.
Le marché européen est en ce moment marqué par une concurrence
grandissante entre les banques et les investisseurs en dette. Pour
rester dans le marché, certaines banques sont moins regardantes sur
la structuration des projets, ce qui potentiellement, augmente le
risque pour toutes les parties prenantes.