Réflexion sur l’Europe post Brexit
mardi 06 septembre 2016 AGEFI Visiter le site source« L’Europe ne progresse que par crises !
C’est au pied du mur que s’équilibre le difficile compromis entre
Nations et « Communauté ». Ce fut le cas lors de la crise de
l’Euro, puis de la Grèce ces dernières années. Ni l’Euro ni la
Grèce n’étaient le réel sujet, ils étaient des prétextes pour
tester la réelle volonté politique de « faire l’Europe ». Le Brexit
est maintenant le nouveau test pour enfin crédibiliser et assumer
un projet européen à la portée des citoyens. Une « pédagogie de la
complexité » sera nécessaire et plus déterminante que des projets
qui parleraient d’abord de nouveaux traités ou de réformes
institutionnelles. Une Europe « optimiste », certes. Malgré ce
monde sceptique, nous n’en avons pas le choix. Face à
l’organisation multipolaire du monde qui se profile, notre
existence ne peut se faire que dans l’union. Pour les générations
qui nous suivent la question est en effet existentielle : « to be
or not to be » aux commandes de notre destin. Voilà la question qui
doit être au cœur de la campagne 2017, car il n’y aura pas de bonne
réponse sans la France.
- Tout d’abord
comment parler de l’Europe des citoyens ? Chacun en parle
sans y apporter le moindre contenu ou seulement pour apporter plus
de fragmentation, une Europe du « chacun pour soi » ! Certes
l’Europe se fonde à travers une «diversité dans l’union». Mais ne
parlons pas que de ce qui nous différencie. Creusons ce qui nous
unifie. Cela doit être la première priorité. Nos guerres mêmes et
notre longue histoire sont fondées sur le fait que nous partageons
un nombre impressionnant de valeurs communes. Elles ont conduit à
une sorte d’humanisme, de modèle social de croissance, d’équilibre
qui font que nous sommes encore la première économie du monde. Nous
connaissons les différences entre les Hollandais, Allemands,
Italiens, Polonais, Français… mais moins bien ce que nous avons de
commun. Or probablement plus qu’avec les Chinois et même les
Américains. Relisons les flux entre Bruges et Venise au Moyen-Âge,
revoyons nos musées et les alliances entre nos familles, espagnoles
dans le Pas-de-Calais, polonaises dans nos mines….Nous avons un
socle de valeurs à la source de notre «convergente diversité», mais
aussi à la source d’un progrès partagé de par le monde. Certes, ces
valeurs ont été accompagnées de contre-valeurs bien connues et
c’est justement là que réside un des objectifs fondateurs de
l’Europe : se consolider autour de ce qu’il y a de commun pour
minimiser les sources de fragmentation et d’égoïsme.
- La seconde
priorité est le projet. Pas d’enthousiasme sans projet. Ce
projet, ce n’est pas que le passé : les guerres mondiales ou les
tentations totalitaires. Pour les jeunes, c’est déjà un acquis. Le
projet, c’est de nous projeter dans le monde dans 20 ans. Comment
positiver une mondialisation qui fait peur, mais qui est
inéluctable. La Chine, l’Inde et même l’Afrique aurons un nouveau
poids. L’Europe de 435 millions de citoyens pèsera
significativement moins lourd (moins de 10%). Non seulement notre
souveraineté sera en jeu, mais le monde sera encore sous tension
pour le meilleur ou pour le pire. Le choc des valeurs générateur de
défis économiques et sociétaux sera au rendez-vous. Pouvons-nous
abdiquer ou prolonger cette contribution positive à une
mondialisation « responsable » ? Non, il n’est pas arrogant de dire
que le monde a encore besoin de nous! Or aucun de nos pays ne
pourra le faire seul. C’est notre mission : une Europe équilibrée,
compétitive et solidaire de l’avenir de la planète : voilà le
projet qu’il nous faut partager avec tous nos citoyens d’Europe. Ce
projet est fondé sur cette capacité que nous aurons de démontrer
comment valoriser nos diversités, ferments de dynamique et de «
couleurs » autour de nos facteurs d’unité.
- La troisième
priorité est la responsabilité. Une certaine
irresponsabilité des postures, des discours et des idées est la
source du désenchantement et de l’incompréhension des citoyens. Les
décisions européennes sont démocratiques. Elles sont toutes prises
en connaissance de cause par nos dirigeants élus et pas par une
administration bureaucratique. Les non-décisions ne sont pas prises
par Bruxelles mais par ces mêmes dirigeants, c’est le cas de
l’absence de gouvernance économique de la zone Euro, pourtant une
évidente nécessité depuis 2000, ou du renforcement communautaire du
contrôles des frontières de l’Europe (pas besoin d’un Schengen 2)
ou de l’absence de politique crédible en matière de défense ou
d’énergie…Il n’est plus possible de continuer à dénigrer localement
ce qui a été décidé collectivement la veille. Voilà la source
principale du rejet de l’Europe et de la dé-crédibilisation du
projet. Un engagement explicite de responsabilité est donc plus que
nécessaire.
- Au-delà de cette Europe
des citoyens, bien entendu il faut un contenu, une Europe des
projets, des projets qui parlent aux citoyens. Cette dimension est
techniquement complexe et c’est pourquoi il faut une réelle
pédagogie pour en expliquer leur ordonnancement et leurs valeurs
pour tous. La confusion vient souvent d’une mauvaise compréhension
de ce qui peut venir de l’Europe ou des nations. L’Europe fait
rêver et les nations ne délivrent pas, ce qui transforme l’Europe
en cauchemar. C’est le cas, par exemple, de la croissance et de la
sécurité. Il est évident que nous sommes dans un monde de
compétitivité. Nos entreprises ont besoin, pour exporter, d’une
masse critique significative sur leur marché intérieur, c’est la
force aujourd’hui des Etats-Unis et demain de la Chine, en
particulier dans les nouvelles technologies! Pour cela il faut un
marché unique et une industrie financière – infrastructures
d’intermédiation des risques-, moteurs de la croissance souveraine
et compétitive. Cela ne peut pas se faire avec une compétition
entre nos régulations intérieures. Il nous faut des facteurs de
convergence…et même pour les pommeaux de douches, si nous voulons
que nos PME puissent profiter d’un marché de 435 millions
d’habitants. Pour ces projets, les leçons à tirer de la crise
actuelle sont assez simples. La norme a été privilégiée à la
stratégie. Compte tenu de la complexité à trouver des consensus (et
pas juste par libéralisme), la stratégie a été, par démission du
politique, déléguée aux forces de marchés. A elles de trouver les
équilibres stratégiques, aux politiques de fixer un cadre qui - à
l’évidence par construction - ne peut être perçu que comme
bureaucratique. La révolution européenne repose sur des hommes
politiques courageux et stratèges alimentés par les acteurs de
marchés sur la base d’un «lobby responsable». Cette condition,
utopique pour les élites d’aujourd’hui, peut en effet illustrer la
raison - pour certains- de l’échec inéluctable du projet européen.
Ce n’est pas évident. D’une part, si nos défis et objectifs sont
bien compris, le choix pour nos Nations entre à terme, le précipice
ou aujourd’hui, la falaise peut devenir source de responsabilité et
de créativité…comme le sont les crises en tant que source de
progrès en Europe.
- Ce défi peut être
relevé par la gouvernance et l’éducation. Il faut faire
comprendre de manière granulaire les enjeux pour faire pression sur
les capacités de réflexion stratégique autour des axes clefs du
monde d’aujourd’hui : productivité et stratégie de l’innovation,
climat et stratégie énergétique, mobilité et stratégie du
transport, investissement et stratégie de l’épargne et de
l’intermédiation des risques. Il y a nécessité d’articuler des
stratégies prioritaires, avec des délivrables concrets pour tous
via des «politiques » conditionnant leur succès : marché unique,
politique économique en cohérence avec une monnaie unique,
politique fiscale, politiques compétitives avec le reste du monde,
politique d’investissement dont les infrastructures (exemple du
Plan Juncker, dont le succès actuel et méconnu est dans le support
des PME européennes). Cette gouvernance repose aussi sur
l’articulation entre politiques nationales et européennes, à
travers les liens enrichis entre parlements nationaux et européen,
et tout particulièrement sur la zone Euro pour rendre effective
l’idée d’un ministre des Finances de la zone Euro. A ce titre, le
Bundestag est en avance avec son antenne à Bruxelles. En ce qui
concerne l’éducation, des mesures immédiates peuvent avoir des
résultats rapides : enrichir les cours d’éducation civique avec des
termes de références sur nos valeurs et défis communs.
Bien entendu, il peut y
avoir d’autres chapitres ou thèmes fondamentaux à éclairer : la
théorie des cercles, l’axe franco-allemand,
confédération-fédération, la subsidiarité… Mais, au total il faut
des principes simples : ne pas réinventer, utiliser ce qui existe,
réaliser que l’Europe post 2008 est déjà plus « effective »
qu’avant (il y a progrès), être responsable et surtout
COMMUNIQUER…
En fait, il faut juste des
leaders et c’est bien cela le défi de la démocratie bien comprise :
la capacité à les faire émerger, à les choisir et à les «
encourager » au service du bien commun. Et dans ces conditions, on
se doit d’être optimiste, c’est la clef du succès. »
Edouard-François de
LENCQUESAING