Compte-rendu: Les défis d’une régulation prudentielle équilibrée - Matinale EIFR du 23 septembre 2016
jeudi 17 novembre 2016 AEFRPrésentation d’Isabelle Vaillant
Les missions de l’ABE
L’Agence Bancaire Européenne, créée il y a 5 ans, peut être assimilée au Policy Department de l’Europe en matière bancaire. Les fonctions de l’ABE consistent à fournir à l’Europe un niveau de réglementation précis et harmonisé pour s’assurer de :
- l’intégrité, la transparence, l’efficience et le bon fonctionnement des marchés financiers, et la vérification que les risques pris par les institutions du secteur bancaire sont régulés et supervisés de façon adéquate
- la convergence et la coordination de la supervision par les différents acteurs de la régulation, BCE et autorités nationales
- la prévention de l’arbitrage réglementaire et la promotion de conditions d’exercice et de concurrence égalitaires
- la protection du consommateur, avec la mise en œuvre des réglementations PRIIPS, MIF, …
L’ABE a été établie comme un organe de réglementation (policy) et de surveillance (oversight) de l’Union, éclairant le législateur et faisant le lien de convergence avec les autres superviseurs européens (BCE, MSU - Mécanisme de Supervision Unique, MRU - Mécanisme de Résolution Unique), en interaction avec le Conseil et le Parlement européens et les différentes institutions internationales comme le FSB (Financial Stability Board), le FMI, l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), ... Son rôle est fédérateur et le socle de cette homogénéisation est le Single Rulebook, recueil des règles valables sur l’ensemble de l’Union.
Son champ d’action recouvre les domaines suivants : contribution à l’écriture de la réglementation bancaire dans le cadre du Single Rulebook, participation à une supervision coordonnée et convergente, analyse des risques du secteur bancaire et pilotage des exercices de stress-testing, protection de la clientèle des établissements bancaires et résolution de ceux-ci.
Les moyens de l’ABE pour réussir sa mission reposent sur une approche réglementaire qui favorise la flexibilité et le pragmatisme. En aval du cadre réglementaire principal de niveau 1 (le CRR), l’ABE est d’abord missionnée pour émettre des normes techniques contraignantes de niveau 2, les Binding Technical Standards : normes techniques de réglementation (Regulatory Technical Standards - RTS), et normes techniques d’exécution (Implementating Technical Standards - ITS) avant qu’ils soient soumis à l’approbation de la Commission européenne à l’issue d’un processus d’adoption assez - et probablement trop - lent.
L’ABE utilise également régulièrement, sur mandat du législateur ou de sa propre initiative, différents outils de soft law non législatifs (Guidelines et Recommendations), très utiles car proches du terrain et pragmatiques, pour expliciter les règles. En outre, l’ABE peut émettre, pour détailler les modalités pratiques d’application des règles, des :
- Opinions, quand la rédaction imparfaite du Niveau 1 le justifie, comme par exemple pour le traitement des CCPs, le calcul des floors, …
- Q&A, réponses à des questions émises par les professionnels du secteur
- Peer Reviews
- Monitoring reviews.
Pour 2016, c’est la soft law qui prédomine. Tout ce qui est licencing, titrisation, révision des modèles reste à faire. Ce qui concerne la Liquidité et les risques de marché est fait.
Le SRB est aujourd’hui quasiment achevé : on dispose pour la première fois d’un corps de règles complet (loi, dispositions réglementaires complémentaires et instructions) ; il ne manque notamment que 5 RTS, comme par exemple celui sur les licences bancaires.
La mise en place du Single Rulebook
On peut le considérer aujourd’hui comme quasiment achevé. A la date de juin 2016, ce sont en effet 71 RTS (il n’en manque que 15), 40 ITS (6 encore à venir), 24 GLS, 57 rapports et 58 autres mesures (opinions, avis, recommandations et autres publications) qui ont été émis. Par ailleurs, l’EBA a publié une réponse à 418 des 1211 questions éligibles posées par des acteurs du secteur bancaire.
Quels enseignements tirer à ce stade de la mise en place du Single Rulebook ?
- « Prescritivité »/degré de détail : on dispose aujourd’hui d’un outil prescriptif avec un niveau de détail bien hiérarchisé, et le maintien d’un objectif d’harmonisation maximale ; beaucoup a été fait en faveur de l’harmonisation afin de réduire le coût énorme de la fragmentation de la réglementation ; il est important de réguler sur ce qui a un réel impact prudentiel et non sur une réalité qui présenterait peu ou pas de risque.
- Flexibilité/ajustabilité : il est nécessaire de bien identifier ce qui peut être délégué du niveau législatif vers le niveau réglementaire, c’est-à-dire ce qui peut être régulé par un règlement (Niveau 2) et pas seulement par un texte législatif (Niveau 1) ; c’est une démarche importante pour faire baisser les coûts de la régulation, mais le Parlement a aujourd’hui encore un certain mal à déléguer.
- Unicité sans uniformité : il s’agit ici, sans interdire une adaptation de la règle dans les pays de l’Union, que soit bien identifiée une même règle pour un même risque, et que soit appliqué efficacement le principe de proportionnalité.
- Limites et manques : les options nationales (Options and National Discretions, OND) qui permettent de considérer des cas particuliers pour un pays (par exemple en France le cas des organes centraux des institutions mutualistes) doivent demeurer extrêmement limitées. La BCE aurait peut-être préféré éliminer ces options nationales, mais l’ABE privilégie une approche plus pragmatique en analysant la rationalité des options et leur impact sous l’angle du risque : il est intéressant de considérer ce que gagne le pays en question de cette option, et si c’est positif, elle doit pouvoir être adoptée. L’harmonisation du système prudentiel bute aussi sur la persistance de règles nationales en matière de comptabilité (le socle comptable IFRS n’est par exemple pas appliqué partout) comme de droit des sociétés ou de droit social. Enfin, les mesures macro-prudentielles ont été rapidement adoptées dans le CRR, et ne constituent pas encore un ensemble abouti.
Le monitoring
A compter de 2015, l’ABE est entrée dans une phase de monitoring, pour s’assurer de la pertinence des règles, et les adapter si besoin aux évolutions techniques. Ce monitoring concerne :
- la définition du capital, afin de vérifier par exemple que la qualification de CET1 par les banques est conforme au CRR
- les politiques de rémunération, pour assurer une totale transparence sur les pratiques de rémunération ; l’ABE a ainsi rédigé un rapport identifiant des contournements de la règle
- la titrisation, pour identifier la conformité aux recommandations de l’ABE sur les règles de rétention et de transparence ; l’ABE va d’ailleurs faire un rapport à destination des parlementaires européens sur le transfert du risque et la rétention
- le risque de contrepartie, pour comparer le résultat des modèles internes et identifier les déviations les plus importantes entre établissements
- les infrastructures de marché, pour identifier la conformité des différents modèles d’appel de marge aux exigences des RTS sur EMIR et au cadre BCBS/IOSCO
- les OND, sur la base de l’information donnée par les autorités nationales sur leur mise en œuvre, afin d’établir des comparaisons entre Etats membres, développer la transparence et mesurer leur impact
- les peer reviews des pratiques des autorités nationales, en vue de promouvoir la cohérence des pratiques nationales et vérifier le respect de la règle commune.
Cette fonction de monitoring est complétée par une évaluation des Q&A.
La proportionnalité
Elle constitue est pour l’ABE un sujet tout à fait central. La proportionnalité vise à s’assurer que les exigences réglementaires sont calibrées de façon adéquate pour les établissements plus petits, certaines activités ou certains profils de risque spécifiques, et à établir un cadre réglementaire équilibré pour soutenir le développement du marché intérieur. En revanche, elle ne doit pas aboutir à une approche à deux régimes excluant certains acteurs du SRB, ni constituer une façon d’accorder indûment des OND.
Dans le passé, quelque soit la taille des banques, on les traitait de la même façon sur le plan prudentiel, en partant du présupposé que cette proportionnalité existait de fait puisque les ratios de fonds propres sont par nature proportionnels. La réflexion évolue pour identifier l’approche la plus appropriée, avec le défi de trouver pour les petites banques une voie entre une réglementation allégée et un correct contrôle des risques. Peuvent être ainsi envisagés :
- une adaptation des coûts de compliance : l’ABE regarde comment alléger le coût de la compliance, en facilitant une adaptation de certaines règles en fonction de la taille de l’établissement. Les reportings COREP et FINREP ont par exemple été adaptés dans un but de simplification et d’homogénéisation. L’ABE va continuer son action en vue d’une baisse des coûts de conformité et de fourniture de données. Si les données prudentielles ont été globalement harmonisées, les données statistiques en revanche ne le sont pas (Eurostat ne concernant pas les établissements bancaires). Il y a une grande multiplication de demandes de données, comme le démontre la démarche AnaCrédit.
- Il apparaît en revanche assez difficile de faire une différenciation par modèle d’activité (business model), qui risquerait de rompre l’égalité concurrentielle et pose la question de la définition des catégories de ces business models.
- l’approche par la taille et l’usage de seuils sont facile à mettre en place, mais présentent assez vite des limites comme les effets de saut d’un seuil à l’autre
- enfin les exceptions et exemptions doivent demeurer exceptionnelles et résulter d’une politique de l’UE.
De nombreux travaux de l’ABE ont été consacrés à la question de la proportionnalité : rapports sur la calibration des ratios LCR, NSFR et levier, guidelines sur les politiques de rémunérations, rapport sur la proportionnalité en 2015, travaux sur la résolution, ITS sur le reporting et guidelines sur le SREP (Supervisory Review and Evaluation Process).
La contribution à la revue de CRR/CRD
L’Europe s’apprête à rénover son règlement prudentiel CRR de 2013 pour intégrer les derniers développements des travaux du Comité de Bâle. Le législateur européen fait maintenant appel à la communauté des superviseurs pour avoir des avis plus proche de l’industrie en vue d’une réglementation mieux calibrée. L’ABE participe ainsi aux groupes d’experts, relatifs notamment au ratio de levier, au NSFR, aux grands risques, au trading book, au risque de taux et au pilier 2.
La Commission s’est engagée à produire une proposition avant la fin de l’année, mais le processus de déclinaison réglementaire et de mise en œuvre sera long. En toute hypothèse, de nombreux sujets (risque de crédit, titrisation, risque opérationnel et risque souverain) doivent encore être finalisés à Bâle avant de pouvoir être examinés par la Commission.
L’ABE apporte à la construction de la réglementation financière européenne une totalité pragmatique et réaliste. L’approche européenne est très différente de celle des Etats-Unis. Les règles bâloises ne sont appliquées qu’aux grandes banques, et le principe de proportionnalité est poussé très loin avec très peu de réglementation pour les petites banques : les autorités laisseront celles-ci disparaître en cas de difficulté, sachant qu’elles ne généreront pas de risque systémique. L’Europe a choisi une voie très différente avec un même corps de règles pour tous les établissements et une proportionnalité plus mesurée.
Eléments complémentaires issus des questions du public
L’EBA suit bien sûr attentivement les évolutions du cadre prudentiel proposé par le Comité de Bâle. Si toutes les initiatives visant rétablir la confiance sont bienvenues, il est important de conserver un appareil prudentiel sensible aux risques, et qui ne doit pas être trop rigidifié par les floors envisagés. Les non performing loans dans certains bilans bancaires demeurent un gros sujet pour l’Europe. Pour la finalisation de Bâle 3, l’ABE situe son action dans l’objectif fixé par le FSB de non augmentation significative des exigences en capital. L’ABE est particulièrement concentrée en ce moment sur les risques opérationnels, tout en sachant que 80 % de la charge prudentielle est liée au risque de crédit.
Le risque souverain est un sujet majeur et complexe. S’il est clair qu’il n’est pas homogène et qu’une pondération uniformément nulle trouve sa limite, il convient de bien mesurer le risque de déstabilisation financière qui pourrait résulter d’une exigence mal calibrée. L’ESRB a fait un important travail d’analyse sur ce sujet. Il est certain en toute hypothèse qu’une meilleure diversification de la détention de la dette souveraine est souhaitable.
Il ne devrait pas y avoir de modification substantielle des modèles d’activité bancaires (business models), même si on note en Europe une évolution vers une structure de financement plus ouverte aux marchés. Ce qui est essentiel, c’est de disposer d’un outil prudentiel adapté aux risques quelque soit le modèle retenu par les acteurs économiques.
Pour les Q&A des banques (2.750 réponses à ce jour), les raisons des rejets sont en général explicitées. Même si l’ABE bute sur des questions de moyens, les rejets sont essentiellement motivés par un manque de précision ou de documentation. Le temps pris pour répondre aux Q&A est grandissant, car les questions sont souvent complexes.
La coordination entre les 3 agences européennes (ESAs) de supervision est réelle, notamment au travers du Joint Committee des 3 ESAs qui vise à traiter les éventuelles incohérences entre réglementations sectorielles (ex : pondération des collectivités locales à 20 % dans Bâle 3 et à 0 % dans Solvabilité 2).
Dans le contexte du Brexit, l’ABE poursuivra sa mission d’analyse de risques, de stress testing et de finalisation du SRB européen. Il y aura bien sûr des changements, ne serait-ce que la localisation, mais la mission demeurera fondamentalement la même.