Compte-rendu - Abus de marché Impact de la règlementation MAD/MAR sur la chaîne des contrôles - 7 décembre
jeudi 18 janvier 2018 AEFR Visiter le site sourcePauline Laurent, Directrice de la Conformité, AMAFI
L’Association française des marchés financiers (Amafi) représente les acteurs de marchés financiers installés en France. En association avec la Fédération bancaire française elle publie depuis 2005 un guide, « Dispositifs de lutte contre les abus de marché », actualisé pour la dernière fois en 2017 à la lumière du règlement européen sur les abus de marché entré en application en juillet 2016. Ce document, accessible sur le site de l’Amafi, comporte deux parties : organisation (dispositif interne) et typologie des abus de marché.
Dispositif interne
La surveillance repose avant tout sur la capacité des salariés à détecter les anomalies. La vigilance des collaborateurs de l’entreprise nécessite qu’ils soient formés ; le règlement européen donne des indications sur l’obligation de formation.
Mais la dimension humaine n’est pas suffisante : il semble difficile de se passer d’outils automatisés de détection, même si ce recours ne constitue pas une obligation au sens du règlement. Ces outils doivent être calibrés finement (en fonction de la clientèle, des instruments financiers concernés, de la liquidité…), de manière à obtenir un nombre d’alertes raisonnable et exploitable.
Il convient d’organiser les circuits de remontée des alertes, humaines ou automatiques, et de désigner explicitement des responsables.
Dans quelles conditions l’alerte est-elle pertinente (l’abus de marché est constitué) ? L’analyse doit se fonder sur un faisceau d’indices : informations sur le client, évolution du cours de l’instrument financier…. Une fois le soupçon confirmé, le cas doit être transmis à l’Autorité des marchés financiers (AMF) par une personne indépendante. A noter : il faut garder des traces des analyses négatives (absence d’abus de marché).
La déclaration de transactions et d’ordres suspects, dont on trouve un modèle sur le site de l’AMF, doit être transmise « sans retard » (à compter du moment où l’analyse des soupçons a été effectuée). Doivent être aussi transmis au superviseur les éléments complémentaires recueillis après la déclaration initiale.
L’organisation (« gouvernance ») du dispositif constitue une nouveauté réglementaire. Les textes décrivent par exemple la façon dont la surveillance doit être déléguée (mais la délégation ne saurait exonérer la responsabilité du prestataire de services d’investissement).
Dans les entreprises où cohabitent plusieurs activités, la surveillance centralisée n’est probablement pas la plus indiquée.
Typologie des abus de marché
Des nouveautés introduites par le règlement sur les abus de marché : vision transmarché (exemple : un titre au comptant peut être manipulé par un dérivé) ; cas spécifique des matières premières ; nouveaux modes d’abus de marché.
Le guide Amafi-FBF procède à une typologie des abus de marché en distinguant les manipulations de marché (manipulations de cours et diffusion de fausses informations ou d’informations trompeuses) et les opérations d’initiés. Sont aussi traitées les pratiques de marché autorisées sous conditions et constituant des dérogations à l’obligation de déclaration au superviseur (programmes de rachat d’actions et de stabilisation, mandats de gestion programmée, pratiques de marché admises).
Indicateurs
Le guide présente treize indicateurs relatifs à la manipulation de cours : Exemples : répétition inhabituelle de transactions similaires ; ordres tests.
Ils sont complétés par des indices d’analyse des alertes provenant du dispositif de surveillance. Exemple : écart entre prix acheteur et prix vendeur déterminant pour une autre transaction. Et par une liste d’indicateurs potentiellement constitutifs d’opérations d’initiés (ces indicateurs ne sont pas mentionnés dans le règlement européen).
Fabrice Peresse, Head of Euronext Markets Services
Euronext opère sur les marchés de Paris, Amsterdam, Bruxelles, Lisbonne, bientôt à Dublin, et dépend d’un collège de superviseurs, pour le compte duquel il assure une surveillance en direct, tâche d’Euronext Markets and Services.
Compte tenu de la diversité des stratégies d’investissement et des volumes (plusieurs centaines de millions d’ordres par jour), il y a entre 100 et 150 alertes quotidiennes, dont certaines doivent être traitées immédiatement et, une fois par semaine en moyenne, transmission d’un cas au service chargé de la conformité.
Euronext Markets & Service assure quatre missions : s’assurer que les marchés sont équitables et organisés ; aider les clients ; être les yeux des superviseurs ; s’assurer que le développement d’Euronext se fait en conformité avec la réglementation (l’équipe est associée très tôt aux projets).
Une seule équipe, homogène, dans la relation avec les superviseurs, ce qui permet de traiter plus efficacement les cas où plusieurs marchés sont concernés (comptant et terme par exemple).
Une surveillance à trois niveaux
Surveillance en temps réel : annuler une transaction, suspendre une cotation (coupe-circuit), alerter le superviseur…
Transmission au service de la conformité, qui procède en J+1 à une analyse qui peut se fonder sur un historique de cotations.
Relations avec les superviseurs. Elles permettent de gagner en efficacité et de rendre les pratiques homogènes.
Indicateurs
Euronext Markets & Services dispose d’un grand nombre d’alertes ordinaires (exemple : ordre important dans un marché peu liquide) et explore de nouvelles pistes, notamment à l’aide des données de masse (big data). Des alertes se basant sur des éléments autres que des données de marché se révèlent pertinentes. Par exemple, dans le cas du flash krach de Vinci le 23 novembre 2016 (diffusion d’une fausse information), le fait qu’une information ait été diffusée par la société en cours de séance boursière aurait constitué une alerte pertinente.
Nadine Crépin, Global Head of Product risk framework, BP2S
BNP Paribas Securities Services (BP2S) est très concerné par l’application, au 1er janvier 2018, de la nouvelle directive sur les marchés d’instruments financiers (MIF 2) : quelque 50 000 salariés en formation. Avec MIF 2, il n’est pas question d’abus de marché, mais de la question : comment ne pas abuser les marchés ?
De MIF 1 à MIF 2
MIF 1 avait comme objectif de construire un marché intégré, en renforçant la protection des investisseurs, en encourageant la concurrence, gage d’une baisse des coûts de transaction, et en mettant fin à la concentration des ordres. L’un des effets indésirables de la directive a été de fragmenter la liquidité.
Avec MIF 2, il s’agissait d’aller plus loin dans la protection des investisseurs (garantir aux investisseurs la best execution, leur fournir davantage d’informations…), d’élargir le périmètre de MIF 1 (aux obligations, aux dérivés…), d’encourager le passage par des infrastructures de marché (amélioration des acteurs existants comme les systèmes multilatéraux de négociation ou MTF, création de nouveaux acteurs comme les systèmes de négociations organisées ou OTF), et de renforcer les obligations en matière de transparence et de reporting.
La connaissance du client
Le niveau de protection du client augmente en fonction de sa catégorie : non professionnel ou particulier, professionnel ou professionnel sur demande, contrepartie éligible.
BP2S doit connaître le donneur d’ordre final et collecter les données personnelles des personnes physiques et l’identifiant d’entité juridique (LEI) des personnes morales
A partir du 1er janvier, BP2S devra notamment veiller à respecter la notion de marché cible et à assurer une transparence accrue en ce qui concerne les coûts et charges supportés par les clients. Il s’agit d’un chantier informatique de grande ampleur.
Les déclarations à l’Autorité des marchés financiers
Un conservateur comme BP2S a l’obligation de déclarer : 1) pour les activités de registre : toutes les transactions exécutées sur les marchés européens par BNP P Securities Services France et ses succursales 2) pour les activités de marchés de capitaux : toutes les transactions de change à la demande exécutées par quelque front-office que ce soit, quel que soit le marché sur lequel elles ont été exécutées.
Les déclarations (rapports de transactions) doivent être soumises par l’intermédiaire d’un ARM (Approved Reporting Mechanism), investisseurs de marché agissant pour le compte du conservateur.
Alain Pietrancosta, professeur de droit, Ecole de droit de la Sorbonne, Labex Refi
On ne peut pas dire que le règlement européen sur les abus de marché (MAR) soit une simple continuation de la directive sur les abus de marché du 28 janvier 2003. On a affaire à des avancées significatives, probablement sous-estimées, qui se manifestent par exemple en matière de devoir d’information permanente de la part des sociétés cotées.
Ce devoir d’information est désormais très formalisé et précis (trois pages pour le seul niveau 1), si bien que l’on peut se poser la question de son efficacité (il y aura matière à interprétation), d’autant qu’il est interdit aux droits nationaux de reproduire des dispositions provenant de règlements européens.
Sur le fond, on a affaire à un revirement à propos du sens à donner à la notion d’information privilégiée. Alors que prévalait jusqu’ici (directive d’application de 2003, arrêt « Daimler » de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 juin 2012) une conception dualiste (l’information privilégiée est soit constitutive d’un délit d’initié, soit un élément à communiquer au public), MAR consacre une version stricte du modèle unitaire dont le principal défaut est de réduire la communication à une simple prévention des délits d’initié et d’obliger parfois les émetteurs à publier des éléments non aboutis.
En vertu de MAR, l’information privilégiée doit être communiquée « dès que possible », sauf s’il y a intérêt légitime à différer la communication au marché. Cette obligation va probablement poser des problèmes d’application : comment interpréter la formule « dès que possible » ? Se posera par ailleurs la question du périmètre de l’information privilégiée. Par exemple, une société cotée sera-t-elle tenue de faire part au marché d’un projet de loi susceptible d’affecter son activité ?
En matière d’information permanente des sociétés cotées, les Etats-Unis (Cour suprême, Securities and Exchange Commission) refusent de se baser sur des principes et restent sur le case by case : les émetteurs savent à quel moment ils doivent communiquer au marché en se référant à une liste fermée d’évènements définis par la SEC. Par ailleurs, les autorités ne sont pas favorables à des actions en responsabilité à l’égard des entreprises qui auraient mal interprété les textes.
Le législateur américain estime que si l’Europe peut se payer le luxe de fonder ses lois en la matière sur des principes, c’est que le niveau général des délits y est bas.