« L’Europe doit élaborer des labels et standards verts »
mercredi 14 février 2018 AGEFI Visiter le site sourcePhilippe Zaouati, directeur général de Mirova
L'Agefi Hebdo - Constitué par la Commission européenne, le groupe d’experts de haut niveau (High-Level Expert Group-HLEG) sur la finance durable, dont vous faites partie, a publié son rapport le 31 janvier. Quelles sont principales recommandations ?
Philippe Zaouati - Ce rapport est très important parce qu’il s’agit certainement du plan d’actions le plus complet et le plus ambitieux qui ait été publié dans le monde. La Commission européenne a créé fin 2016 un groupe d’experts de 20 membres, dont quatre Français, avec pour mission d’émettre des recommandations auprès de la Commission pour évoluer vers un système financier plus durable. Tout au long de l’année dernière, notre réflexion s’est donc portée sur la définition de la finance verte, sur les leviers permettant son développement, mais surtout sur l’évolution nécessaire de la régulation financière, du fonctionnement des marchés et du comportement des acteurs. Et ce rapport ne sera pas juste un rapport de plus : la Commission a d’ores et déjà annoncé qu’elle présenterait un plan d'action global en mars 2018.
Les recommandations qui viennent d’être livrées à la Commission s’articulent autour de plusieurs axes clés : mieux définir de dont on parle, améliorer la transparence, définir les obligations des acteurs, déployer une stratégie pour convaincre les épargnants et les citoyens. La première recommandation, clé de voûte des suivantes, porte sur l’élaboration d’une taxonomie au niveau européen. Il s’agit d’établir les principes d’une classification d’activités vertes et de leur impact « climat ». Dans un second temps, cette taxonomie pourrait être élargie aux autres aspects environnementaux et sociaux. Il est essentiel que l’Europe s’accorde sur cette classification. La Chine, par exemple, a déjà édicté sa propre taxonomie.
Le groupe d’experts a-t-il poussé pour la création d’un label "green bond" ?
La taxonomie des actifs verts va permettre d’élaborer des labels et des standards. Ce sera le cas pour les obligations vertes, mais aussi pour estampiller les fonds d’investissement. Le rapport le recommande clairement. Rien n’empêche d’imaginer par la suite des standards pour le green landing ou la définition de la part « verte » de l’activité d’une entreprise coté.
Quelles sont les autres priorités ?
Un deuxième aspect capital à mes yeux du rapport concerne la responsabilité des acteurs et la transparence. Le groupe d’experts recommande notamment d’intégrer la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux dans les obligations fiduciaires des investisseurs.
Sur la question de la transparence, nous nous sommes appuyés sur les travaux et les réglementations existantes. D’abord, les recommandations de la TCFD (Task Force on Climate Disclosure), qui a rendu en juillet son rapport final sur l’évaluation du risque que fait peser le changement climatique pour les entreprises et l’économie en général. La TCFD recommande la publication d’un reporting climat et pose un cadre extrêmement précis sur les documents de référence que fourniront les entreprises (gouvernance, stratégie, gestion des risques et indicateurs utilisés). Cette communication reste basée sur le volontariat. A l’inverse, en France, l’article 173 de la loi de la Transition écologique et énergétique (TEE) oblige les investisseurs institutionnels à communiquer la façon dont ils gèrent les risques liés au climat. Enfin, la directive Non-Financial Reporting (NFR), applicable depuis le 1er janvier 2017, s’applique aux entreprises publiques et privées des 28 Etats membres. Une revue de cette directive est prévue pour la fin de l’année.
Notre recommandation est de s’appuyer sur ces blocs existants pour aboutir à une transparence réelle. Nous suggérons de mettre en œuvre cette transparence au niveau européen en s’appuyant sur l’expérience de l’article 173 pour les institutions financières, et d’inciter à la mise en œuvre volontaire des recommandations de la TCFD, avant de les rendre obligatoires d’ici à 2020. Nous voulons être à la fois pragmatiques et ambitieux.
Qu’en est-il de vos propositions sur le volet bancaire ?
Le « green supporting factor » proposé initialement par la Fédération bancaire française (FBF) et repris par le Parlement européen, et qui induirait une exigence moindre en capital des banques pour le financement de la transition énergétique, est mentionné explicitement dans le rapport sans que nous soyons parvenus à un consensus. Certains membres considèrent que la régulation prudentielle doit rester exclusivement fonction des risques pris par les banques et qu’il n’y a pas d’évidence à ce stade que les actifs verts soient moins risqués que les autres. J’ai personnellement soutenu cette proposition qui enverrait un message fort à destination des banques, qui sont par ailleurs demandeuses. Il me paraît difficile de dire, comme l’a fait Mark Carney, que le climat induit des risques systématiques pour les marchés et d’omettre de le prendre en compte dans la régulation bancaire.
Le commissaire européen Valdis Dombrovski s’est lui-même déclaré favorable à l’application d’un tel mécanisme. C’est désormais aux dirigeants politiques européens de se prononcer.
Ces préconisations n’auront du sens que si l’investisseur final est partie prenante…
Oui. Nous devons absolument embarquer les citoyens européens. L’une des recommandations qui me tient le plus à cœur est celle qui préconise un fléchage de l’épargne des ménages vers les produits « verts ». Cela passera par la création d’un éco-label pour les produits financiers à destination du grand public, mais également par une intégration des attentes des épargnants sur les sujets environnementaux et sociaux dans les questionnaires préalables à la souscription. La directive MIF impose aux conseillers en produits financiers d’évaluer l’appétence au risque des investisseurs, mais on ne les interroge pas sur le sens qu’ils souhaitent donner à leur investissement, sur leur sensibilité au risque climatique... Nous pensons que cela serait souhaitable. L’Autorité des marchés financiers (AMF) s’est montrée favorable à cette évolution.
La France, justement, représente-t-elle un marché de premier plan dans la finance verte ?
La place de Paris dispose d’un véritable savoir-faire et d’un écosystème très riche en matière de finance verte.
Cependant, pour que Paris devienne vraiment une place financière incontournable dans les années qui viennent, il ne suffira pas de bâtir une niche, il faudra que la finance verte et durable s’inscrive au cœur de la stratégie de développement de la place de Paris. C’est le sens de la création de Finance for Tomorrow, une initiative de Paris Europlace qui mobilise et fédère tous les acteurs concernés, les associations, les chercheurs, les acteurs financiers, les investisseurs, les pouvoirs publics et les collectivités territoriales.
La place de Paris a besoin d’un narratif fort. Dublin s’est érigée en trait d’union entre les Etats-Unis et l’Europe et sa fiscalité est attractive pour les entreprises. Luxembourg s’est forgée l’image d’une place d’enregistrement de fonds d’investissement et a construit tout un écosystème dans ce sens. Francfort dispose d’une Bourse forte, de l’implantation de la Banque centrale européenne et d’une présence bancaire importante. A nous de dérouler notre fil rouge et de faire valoir notre identité. Notre savoir-faire est celui de la finance de long terme : gestion d’actifs, financements de projets notamment en infrastructure, en private equity… la France est une place experte en finance de long terme, connectée à l’économie réelle. Et verte et durable bien sûr.
Pour conforter la place de la France en qualité de leader de la finance verte, Nicolas Hulot et Bruno Le Maire ont commandé un rapport à Pierre Ducret et Sylvie Lemmet qui leur a été remis en amont du One Planet Summit. Les recommandations de ce rapport font écho à celles du rapport du groupe d’experts. Il reste maintenant à passer aux actes. Le gouvernement a par exemple annoncé que tous les contrats d'assurance-vie pourront désormais bénéficier d’un support en unités de compte labellisé climat, et que le LDDS (Livret de développement durable et solidaire) retrouvera sa vocation première pour ne financer que des projets verts et solidaires. Voilà de quoi passer des rapports d’experts à la mobilisation des citoyens !
Propos recueillis par Valérie Riochet
Pour aller plus loin, la vidéo de Philippe Zaouati lors du Climate Finance Day sur www.agefi.fr et dans la version digitale de L'AGEFI HEBDO