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Compte-rendu du séminaire Reporting climatique et ESG : du modèle français (article 173) au plan d’action européen (rapport HLEG)

jeudi 20 septembre 2018 AEFR Visiter le site source

Michel Roux, Université Paris XIII

Beaucoup de chemin a été parcouru en matière d’investissement socialement responsable (ISR) entre la publication, en 2005, de Finance Ethique, et celle, en 2018, de Finance responsable : en 2005, les encours étaient de l’ordre de 9 milliards d’euros seulement et l’on commençait timidement à s’interroger sur les performances financières des portefeuilles de titres sélectionnés dans un univers ISR.

Cependant, ce champ de réflexion et d’action transdisciplinaire (économie, finance, droit, psycho-sociologie…) ne suscite que peu d’engouement dans le monde académique et est rarement enseigné. On est au début de la courbe d’apprentissage, période qui se caractérise par l’existence d’un déni important.

Il s’agit, par ailleurs, d’une matière complexe, d’une nébuleuse où abondent les produits, les acteurs et les approches, et l’on ne dispose pas de définition universelle qui pourrait contribuer à lui donner une plus grande visibilité.

A ce stade de son développement, l’ISR court le risque de n’être considéré que comme un simple supplément d’âme au système marchand.

 

Edwige Rey, Mazars

La France s’est trouvée au cours des dernières années à l’avant-garde des initiatives en matière d’information extra-financière. Avec notamment la loi de 2001 sur les nouvelles régulations économiques (NRE), qui a instauré l’obligation d’un rapport extra-financier pour les entreprises cotées en France, la loi de 2010, dite Grenelle II (dont une disposition concerne les sociétés de gestion), la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et son article 173, la loi de 2016 dite Sapin II et enfin, la transposition par ordonnance (19 juillet 2017) d’une directive européenne de 2014.

Parallèlement, au plan international, il faut mentionner les Principes pour l’investissement responsable (PRI) publiés par l’ONU en 2006, le directive européenne de 2014 relative à la publication d'informations non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes (dite directive sur le reporting extra-financier) et les recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Discosures (FCFD, une émanation du Financial Stability Board) édictées en 2017.

L’article 173 de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV)

Il vise les investisseurs, considérés comme des aiguillons de la transition énergétique. Tous les investisseurs institutionnels (compagnies d’assurance, mutuelles, Caisse des dépôts et consignations, sicav, institutions de retraite complémentaire…) sont concernés.

Il s’agit de produire un rapport ESG (environnement, social, gouvernance) et, pour les organismes dont le bilan excède 500 millions d’euros, un rapport sur le climat, dans lesquels seront présentée la démarche générale concernant la prise en compte des critères ESG dans la politique d’investissement et la gestion des risques associés. Le rapport sur le climat doit faire état des moyens mis en œuvre pour contribuer à la transition énergétique (critères pris en compte, informations utilisées pour l’analyse des émetteurs, méthode utilisée dans l’analyse du risque, mesure des émissions de gaz à effet de serre des portefeuilles…). Ces rapports peuvent êtres consolidés quand on a affaire à un groupe.

Ces rapports doivent figurer dans le rapport annuel (document de référence) et être disponibles sur le site internet de la société avant le 30 juin. Pour l’instant, l’usage courant est la publication de rapports ad hoc.

L’article 173 fait par ailleurs obligation aux banques de réaliser des stress-tests relatifs aux risques associés au changement climatique, et aux entreprises émettant des titres négociés sur un marché réglementé de décrire la stratégie (bas carbone) mise en œuvre afin de limiter les effets du changement climatique.

 

Jérôme Brouillet, Direction Générale du Trésor

Le cadre réglementaire français marche sur deux jambes : un volet concerne les acteurs non financiers, un autre les acteurs financiers et en premier lieu les sociétés de gestion.

Quelle est l’approche des autorités françaises en matière de communication relative à l’exposition aux risques climatiques ? Celle qui consiste à « cocher les cases » n’est pas la plus satisfaisante. Il est préférable de laisser l’initiative aux acteurs assujettis, afin que chacun se pose les bonnes questions et adopte l’approche qui convient le mieux à son modèle d’affaires, à sa culture d’entreprise, à son secteur, etc. Il est par ailleurs souhaitable que les entreprises jugent par elles-mêmes la matérialité des facteurs devant faire l’objet d’une communication. Enfin, cette communication doit avoir un impact opérationnel.

Il est conseillé aux acteurs concernés de mettre en œuvre les recommandations de la Task Force on Climate-related Disclosures (émanation du Financial Stability Board).

Il reste des entreprises qui ignorent qu’elles ont des obligations en la matière. Cependant, un tiers des acteurs assujettis est très avancé.

Dans le concert européen, il serait souhaitable que la France, pionnière dans le domaine de la communication extra-financière, ne soient pas trop éloignée de ses partenaires, en particulier l’Allemagne. Il est, par ailleurs, peu probable que la Commission européenne mette en chantier rapidement une seconde directive sur le reporting extra-financier.

 

Patrick Simion, AMF

L’Autorité des marchés financiers (AMF), qui vieille à ce que les informations transmises aux investisseurs soient claires, exactes et non trompeuses, a procédé en 2015 à un premier état des lieux des pratiques en matière de commercialisation des fonds ISR (investissement socialement responsable, un concept qui n’a pas de définition au plan européen). Il en ressort notamment qu’en général, les sociétés de gestion se sont dotées de moyens et d’équipes spécifiques (63 % des sociétés de l’échantillon ont un gérant ISR ; 88 % disposent d’un outil d’analyse extra-financière propriétaire…). L’AMF constate aussi que l’ISR imprègne aussi les sociétés de gestion ne commercialisant pas de fonds spécialisés.

Les recommandations (2015) de l’AMF pour ce qui est de la transparence : pour tout fonds ISR, publier un document sur le modèle du code de transparence européen, ou adhérer à une charte, un code, un label ; définir les indicateurs utilisés (et leur mode de calcul) dans le reporting extra-financier des fonds ; veiller à présenter des objectifs clairs, précis, argumentés et valables et assurer leur suivi. Pour ce qui est de l’accès : il doit être facile pour les codes de transparence, les reportings extra-financiers, les documents concernant la politique d’engagement ; faire en sorte que l’on puisse situer chaque fonds au sein d’une diversité d’approches. Enfin, les sociétés de gestion devraient s’assurer de la cohérence entre les sources d’information disponibles.

En 2017, l’AMF a constaté que les mauvaises pratiques répertoriées en 2015 avaient sensiblement diminué et a mis en exergue de nouvelles bonnes pratiques : publier l’inventaire des titres en portefeuille ; publier les votes en assemblée générale des principales sociétés en portefeuille ; publier un rapport sur le dialogue mené avec les entreprises en portefeuille.

En ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 173, le premier bilan effectué par l’autorité administrative est contrasté : un tiers des sociétés ne publie pas de rapport, un tiers publie un rapport sans prise en compte des critères ESG, un tiers publie un rapport avec prise en compte de ces critères. Une recommandation : les informations relatives à l’article 173 (reporting climat-ESG) devraient être regroupées en un seul document, accessible facilement et en français lorsqu’on s’adresse à des investisseurs non professionnels.

 

Audrey Hyvernat, AFG

L’AFG a édité en 2018 un second guide pratique relatif au reporting climat-ESG (art 173). Ce document recèle, entre autres, dix recommandations : i) identifier clairement dans le rapport annuel des fonds et sur le site de la société de gestion les informations liées à l’article 173 ii) établir des rapports distincts pour la société de gestion et pour les fonds concernés iii) publier les informations ESG relatives à la société de gestion en un seul document iii) présenter de façon claire et structurée l’approche de la société de gestion sur la prise en compte des critères ESG et climat et ses évolutions récentes iv)  rendre transparentes les approches ESG et climat par rapport à la stratégie globale de la société de gestion v) concentrer le rapport de chaque fonds sur les éléments de prise en compte des critères ESG qui lui sont spécifiques vii) dissocier les méthodes d’analyse ESG, les modalités de prise en compte des critères ESG dans le processus d’investissement et le suivi des indicateurs ESG viii) regrouper les principaux critères ESG par grands thèmes, en fournir une définition précise, et expliquer leurs recours au regard de la politique de gestion ix) afficher des indicateurs simples et facilement mesurables sur les risques associés au changement climatique  x) lorsque les critères ESG ne sont pas explicitement pris en compte dans la stratégie d’investissement, présenter les actions générales menées par la société de gestion relatives aux critères ESG.

Ces recommandations s’inscrivent dans une démarche globale de l’AFG en faveur de l’investissement socialement responsable, qui comprend aussi l’élaboration et la promotion du code de transparence AFG-Forum pour l’investissement responsable-Eurosif ou la promotion du label ISR.

 

Le label ISR

Début 2016 ont été publiés des décrets indiquant la marche à suivre pour les labellisateurs (pour l’instant : Afnor et EY) et les labellisés. La promotion du label a d’abord été entreprise en direction des distributeurs ; s’ouvre désormais la phase d’actions en direction des particuliers.

Il existe aujourd’hui 147 fonds labellisés provenant de vingt-huit sociétés de gestion et représentant un encours de 35 milliards d’euros.

 

Dominique Blanc, Novethic

Novetehic a effectué une analyse des rapports (art 173) 2017 publiés par les investisseurs institutionnels, lesquels se trouvent au centre du dispositif climat-ESG compte tenu de leur capacité d’influence.

Quatre catégories d’investisseurs institutionnels : les engagés (15), les pionniers confortés (20), les nouveaux entrants (34), les abonnés absents, dont certains estiment qu’ils ne sont pas assujettis aux obligations réglementaires (31).

Les rapports présentent une grande disparité, notamment de forme (de un paragraphe à 100 pages…).

Des informations relatives à l’empreinte carbone sont présentes dans trois rapports sur quatre. Mais parmi les investisseurs traitant cette question, un tiers seulement pousse la démarche à son terme (scope 4 : émissions de gaz à effet de serre évitées).

L’approche par les risques progresse.

Une vingtaine d’investisseurs jouent la carte de l’exclusion.

Les investissements verts représentent un encours de 15 milliards d’euros, soit 1,25 % du total.

La mise en œuvre des critères ESG constitue une déception : l’analyse est souvent confiée à des tiers ; les investisseurs institutionnels n’exercent que peu de pression auprès des entreprises de leur portefeuille.

 

Amandine Soulier, AXA

A l’occasion du One Planet Summit de Paris en 2017, Axa a actualisé ses engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique : 3,6 milliards d’euros de désinvestissements supplémentaires (charbon, pétrole de schiste) ; 12 milliards d’euros d’investissements verts d’ici à 2010, soit 2 % du total des actifs de la compagnie ; plus de contrats d’assurance dans le secteur du pétrole de schiste et des activités associées et dans de nouvelles infrastructures liées au charbon.

En 2018, Axa décide de mettre son rapport « article 173 » en conformité avec les recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) et de l’étendre aux activités d’assurance. Le rapport comporte quatre parties : gouvernance, stratégie, management du risque, variables et objectifs.

Axa travaille fait appel aux compétences de la société Carbon Delta et développe deux séries de KPI (indicateurs clés de performance) reliés au climat : le climate value-at-risk, qui en est au stade de la recherche et développement, et des tests par lesquels les portefeuilles de la société de gestion (Axa IM) sont analysés au regard du scénario climat 2 degrés (la démarche n’est pas encore assez avancée pour la transformer en critères de gestion pour les gérants de fonds).

Par ailleurs, s’agissant des risques physiques, la compagnie d’assurance s’est appuyée sur le savoir-faire de ses experts en matière de risques climatiques afin de tester son portefeuille d’investissements immobiliers.

 

Jean-Guillaume Peladan, Sycomore AM

Il est important de se demander ce que l’on veut mesurer. Le diesel, par exemple, est moins nocif que l’essence pour le climat, mais il est déplorable du point de vue de la qualité de l’air. Sycomore AM considère ainsi qu’en matière d’environnement, il ne faut pas faire d’impasse : ne pas tenir à l’écart, par exemple, la qualité de l’air ou de l’eau.

Dans le domaine des émissions de gaz à effet de serre, les scopes 1 (émissions directement liées la fabrication du produit) et 2 (émissions indirectes) ne représentent que 3 % de l’empreinte carbone. Il faut s’intéresser aux émissions indirectes, le meilleur moyen de les minorer étant le recours au recyclage.

Il convient de prendre les unités de mesure pertinentes, si possible des unités physiques (celles qui sont employées dans le langage de l’entreprise).

Sycomore AM a développé une méthode permettant de classer les entreprises sur une même échelle multicritère (climat, biodiversité, qualité de l’air…) : la contribution environnementale nette (net environmental contribution ou NEC). Quelque 1200 émetteurs ont été analysés à l’aune de cette grille. A terme, cette méthode d’analyse devrait devenir une base de données ouverte. Sycomore AM utilise la NEC pour ses reportings.

Une des difficultés consiste à alimenter la base avec des données provenant de plusieurs dizaines de sources et qu’il faut actualiser.

 

Pierre Ducret, Groupe Caisse des Dépôts

La direction générale de la stabilité financière, des services financiers et de l’Union des marchés de capitaux de la Commission européenne a présenté en mars un plan d’action sur la finance durable, synthèse d’un an de travail d’un groupe d’experts. Il en ressort en substance que notre modèle économique n’est pas soutenable et que cela constitue une menace pour la stabilité financière.

Ce plan en dix points comporte un calendrier prévoyant des premières actions en 2019 visant à intégrer la soutenabilité dans l’Union bancaire et dans l’Union des marchés de capitaux.

Parmi les dix points : i) produire une classification européenne des actifs verts ii) créer des labels iii) sensibiliser (ou contraindre) les conseillers en services d’investissement iv) produire des indices de référence, par exemple dans le domaine du carbone v) agir dans le domaine des agences de notation (cela est du ressort de l’Autorité européenne des marchés financiers) vi) Fixer des obligations de transparence aux investisseurs institutionnels et aux gestionnaires d’actifs vii) réviser les règles prudentielles à l’aune de la soutenabilité.

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