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Brune Poirson : « Il faut se poser la question du sens de l’impôt »

mercredi 20 février 2019 Le Monde

En plein débat sur la fiscalité et, tout particulièrement, sur la taxe carbone, Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, réaffirme la nécessité d’une fiscalité au service de la cause environnementale. Mais, pour financer la transition écologique, il faudra beaucoup plus que les recettes fiscales, explique-t-elle au Monde.

 

Alors que vous avez avancé, comme François de Rugy, la possibilité de réenclencher une trajectoire de la hausse de la taxe carbone, le chef de l’Etat a dit qu’il n’en était pas question. Qu’en est-il ?

Le président de la République a dit qu’il ne fallait pas s’interdire de discuter, mais qu’il fallait faire attention à deux écueils. Le premier, c’est que le grand débat ne soit pas centré uniquement sur l’impôt. Deuxièmement, il a dit qu’on était entré dans la crise à cause de la hausse des prélèvements obligatoires et que ce n’est pas en augmentant les impôts qu’on répondrait à la colère qui s’est exprimée. Le gouvernement ne souhaite pas de hausse de la fiscalité en général. La discussion sur cette taxe, si elle se fait isolément, la condamne.

 

Pourquoi ?

Il faut impérativement que cette question s’inscrive dans un débat plus large sur la transition écologique d’une part, et la fiscalité d’autre part. Il faut se poser la question, au préalable, du sens de l’impôt, de l’efficacité des prélèvements obligatoires existants. C’est ce que les « gilets jaunes » nous ont dit. Cela ne dépend pas de mon ministère.

 

Vous êtes donc pour une réforme économique globale ?

La taxe carbone ne peut pas être prise de façon isolée. Le constat est que la transition écologique est transversale. Elle touche aux questions de logement, de transport, d’alimentation, de santé, d’agriculture, de production industrielle… Dans ces conditions, la question de la fiscalité écologique est très importante, mais elle ne représente que la partie émergée de l’iceberg. Cela suppose une transformation en profondeur de tous les domaines de la société, et nécessite des investissements, beaucoup d’investissements. Mais ces investissements sont pour certains déjà rentables, et peuvent – et doivent – être financés par les acteurs privés.Ce n’est pas en augmentant les impôts que nous pouvons remédier aux 30 milliards de sous-investissement chronique.

 

Le think tank I4CE [Institute for Climate Economics] a estimé que, pour financer tout cela, il faudrait de 55 à 85 milliards d’euros par an en France. Or, en 2018, on en a investi 41 milliards, venant des particuliers, des entreprises, des collectivités, de l’Etat. Pour ces derniers, cela représente 20 milliards d’euros d’argent public, en provenance de fonds de l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie], de la Caisse des dépôts, du soutien public aux énergies renouvelables, des budgets des régions pour des infrastructures de transports propres, etc. Ce n’est pas en augmentant les impôts que nous pouvons remédier aux 30 milliards de sous-investissement chronique qui s’accumule d’année en année pour cette transition. En revanche, c’est possible en réorientant les financements privés, avec une impulsion donnée par la puissance publique.

 

La taxe carbone serait inutile, alors que de nombreuses associations et économistes plaident pour la nécessité de ce dispositif fiscal ?

Pas du tout. Le but d’une taxe carbone est d’envoyer un signal prix qui influe sur les comportements et surtout sur les investissements. Plus la taxe carbone est élevée, plus les investissements dans l’isolation des bâtiments, dans des véhicules faiblement émetteurs, dans les énergies renouvelables, sont compétitifs.

 

Dans le cadre du grand débat, certains commentateurs, des responsables politiques, des associations… jouent aux hypocrites et veulent nous faire tomber dans un piège qui serait de ne se focaliser que sur la taxe carbone. Cela permet de rester dans des postures et d’écarter la question essentielle qui est celle de la mobilisation et de la responsabilisation de chacun pour agir pour le climat, et du financement de ces actions par le privé.

 

Que pensez-vous de l’appel de 86 députés, initié par Matthieu Orphelin (ex-LRM), « pour une fiscalité carbone juste » ?

Je soutiens toutes les discussions et initiatives sur la fiscalité écologique et, je l’ai dit, la question de la taxe carbone est importante. Mais ces discussions doivent être productives et donc dans un cadre adéquat, sur le sens de l’impôt et aussi sur les blocages qui empêchent le passage à l’action pour réduire les émissions.

 

Oui, mais l’appel reflète une inquiétude sur le fait que le gouvernement pourrait se détourner de l’outil fiscal pour la transition écologique…

C’est aux Français de s’en saisir. Nous, on dit que c’est un outil, une solution éventuelle, mais cela doit se faire à prélèvement constant et en levant les freins à la transition écologique. On ne va pas rajouter un impôt. La discussion est donc globale. Nous sommes en guerre contre le changement climatique. Comme chacun le sait, l’argent est le nerf de la guerre. Mais on ne la gagnera pas tant qu’on restera obsédé par la question des impôts, car ce n’est pas ainsi que nous financerons la transition écologique : la vraie question est celle des financements privés.

 

Au lendemain de la COP21, on parlait déjà de ce financement massif nécessaire. Il y a eu le Fonds vert, ce n’est pas un sujet nouveau…

L’argent existe, mais il est tout simplement au mauvais endroit et finance des projets mauvais pour la planète. Oui, mais arrêtons de ne regarder que l’argent public. Aujourd’hui, nous travaillons, dans le cadre du sommet One Planet, à créer les business plans de la transition afin de faire venir l’argent privé pour combler ce sous-investissement.

 

A l’échelle européenne, il représente jusqu’à 290 milliards par an, et plusieurs milliers de milliards au niveau mondial. Pourtant l’argent existe, mais il est tout simplement au mauvais endroit et finance des projets mauvais pour la planète. Il faut donc développer des outils pour déplacer ces masses de financement privé. Par exemple, nous avons 1 600 milliards d’assurance-vie en France, cet argent doit être mieux mobilisé pour des projets bons pour la planète. Les gérants d’épargne le disent : leurs clients les interpellent car ils veulent donner du sens à leur épargne. Je dis aux banques, aux assureurs, chiche, saisissez-vous du débat !

 

Comment comptez-vous faire ?

Il faut faire en sorte que les Français puissent choisir des investissements bénéfiques au niveau environnemental et climatique. Mais ils peuvent craindre que ce soit risqué, ou peu rentable. C’est là que l’Etat peut jouer un rôle capital en garantissant ces investissements. Il estampille, labellise les projets et garantit les fonds. On pourrait envisager que ce rôle d’intermédiaire de confiance joué s’applique aussi sur les investissements des collectivités territoriales. C’est la même chose au niveau international, le Fonds vert, plutôt que d’investir directement doit servir de garantie, d’assurance sur des capitaux privés qui doivent, massivement, financer la transition écologique.

 

N’est-ce pas faire preuve d’un volontarisme qui a peu fonctionné jusqu’alors ?

Non, la notion de risque et de rentabilité des investissements est très concrète. On le voit avec les assurances, les banques qui commencent à regarder la nature des investissements. La loi sur la transition énergétique impose déjà l’intégration du risque climatique dans leurs stratégies pour les investisseurs institutionnels français. Et le marché comprend très bien la notion de risque. Quand le gouvernement français décide de fermer les centrales à charbon et de sortir de cette énergie, c’est un signal clair aux investisseurs dans ce secteur : vous pouvez perdre votre mise. Les politiques publiques doivent permettre aux entreprises et aux particuliers de comprendre où il faut investir. Et la bonne nouvelle, c’est que la transition écologique ne coûte pas plus cher aux contribuables, puisqu’il s’agit de réorienter des fonds existants.

 

Que pensez-vous de l’initiative du pacte finance climat, présenté mardi 19 février ?

Je pense que le pacte finance climat est une idée mobilisatrice utile. Les consultations citoyennes sur l’Europe ont montré que le rêve européen au XXIe siècle était un rêve écologique. Pour concrétiser ce rêve, l’Europe a besoin d’investir massivement dans la transition écologique. Construire de nouveaux business models viables pour la transition requiert en revanche une ingénierie financière sophistiquée et un changement de pratique assez profond dans l’usage des fonds publics. La banque du climat de l’Europe, il en existe déjà une : c’est la Banque européenne d’investissement, dont nous n’avons pas encore utilisé tout le potentiel de mobilisation de fonds privés.