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UNION DES MARCHÉS DE CAPITAUX : SOMMES-NOUS SUR LA BONNE TRAJECTOIRE ?

vendredi 08 février 2019 Confrontations Europe

Introduction

Jean-Robert LEONHARD remercie les personnalités qui ont accepté de nous faire profiter de leurs compétences :

Mme Dominique GRABER, Directrice des Affaires publiques européennes, BNP Paribas
M. Nacim DARDOUR, Directeur des Affaires européennes, AXA
M. Edouard-François DE LENCQUESAING, Président, European Institute of Financial Regulation (EIFR)

M. Yann POUËZAT, Sous-directeur du financement des entreprises et du marché financier, Direction générale du Trésor.

Il rappelle que la Commission a lancé cette initiative en 2015, avec les objectifs suivants :

- offrir de nouvelles sources de financement aux entreprises, en particulier aux PME
-  réduire le coût du capital

- élargir les possibilités d'investissement des épargnants dans l'ensemble de l'UE
-  faciliter l'investissement transfrontière et attirer davantage d'investissements étrangers

-  soutenir les projets à long terme

-  renforcer la stabilité, la résilience et la compétitivité du système financier de l'UE.

Ces objectifs se traduisent par une grande diversité de textes et d'instruments. C’est un grand mécano qui se met en place progressivement, au service d’une stratégie.

On a parfois entendu qu’il s’agissait simplement de rééquilibrer le mode de financement des entreprises d’Europe continentale aujourd’hui à 80% sous forme de crédit, et seulement à 20% par les marchés de capitaux, contre l’inverse aux Etats-Unis. Mais il nous semble que, plus profondément, l’UMC est le vecteur de la construction d’une industrie financière européenne performante à l’intérieur et compétitive mondialement[1].

La difficulté est de ne pas se laisser enfermer dans la complexité du mécano en risquant de perdre de vue la stratégie.

D’où l’interrogation de notre table ronde : « Sommes-nous sur la bonne trajectoire ? »

Pour répondre à cette question, les interventions vont s’enchainer de la façon suivante :

- M. Edouard-François DE LENCQUESAING, va décrire le panorama de l’Union des marchés de capitaux et en rappeler les enjeux ;

- puis nous entendrons le point de vue de deux grands acteurs, Mme Dominique GRABER et M. Nacim DARDOUR ;

- enfin, la position du gouvernement français, par M. Yann POUË̈ZAT.

Edouard-François DE LENCQUESAING

Ce projet illustre le pessimisme ambiant sur les réalisations de l'Europe. On a prétendu qu'il avait été lancé à l'initiative des Britanniques et qu’après le Brexit, il perdrait de son intérêt. Or tel n'est pas le cas : il faut transformer le doute en cercle vertueux.

1. Contexte

La présentation habituelle est que, suite à la crise, les régulateurs ont alourdi les bilans des banques en conséquence de l'approche prudentielle qu'ils ont choisie. Il faut donc trouver des modes de financement des entreprises alternatifs au crédit bancaire. Mais le mouvement a des causes plus profondes. Il correspond à la quatrième révolution industrielle, dont le processus a commencé, et qui verra des gagnants et des perdants. Les gagnants seront ceux qui investiront massivement dans cette révolution, en acceptant de prendre des risques. Or, les citoyens européens ont pour point commun le refus du risque. L’industrie financière transforme le risque en sécurité. Face à la 4ème révolution industrielle, le processus de prise de risque n’est pas adapté à une approche crédit. C'est pourquoi il faut se dégager d'un système majoritairement fondé sur le crédit et aller vers le financement par le marché.

2. Objectif

Il faut passer d'une culture du non-risque au financement, plus risqué, par le marché des capitaux. Les marchés de capitaux répondent à des conditions de politique industrielle, avec une compétition et une masse critique. Nos 20 % par le marché ne pourront jamais être compétitifs par rapport à leurs 80 %. Donc, quelle est la stratégie pour que les modes de financement des acteurs européens soient compatibles avec nos besoins. C’est l’objectif.

3. Méthode

Le paquet Barnier, avec ses 40 directives, était une réaction au traumatisme de la crise. Il s'agissait d'une régulation défensive, sans référence à une stratégie. Avec la CMU, on recherche une régulation responsable, c'est-à-dire répondant à une stratégie amont. Aujourd'hui, les banques européennes ont une profitabilité sur fonds propres inférieure de moitié aux banques américaines. Ceci pose problème stratégique. Or, la Commission a reconnu qu'elle ne connaissait pas la bonne stratégie, c'est-à-dire la façon d'organiser les acteurs pour passer progressivement à un financement par les marchés plus important. C'est l’industrie elle-même qui doit aider la Commission à définir cette stratégie. Celle-ci permettra de définir des moyens (qui ne se  traduiront pas seulement par des directives), pour la mise en œuvre de processus innovants.

Trois ou quatre pays ont un début de culture de marché (dont la France, la Hollande et le Luxembourg) ; ça ne suffit pas pour constituer une masse critique européenne. Il faut donc faire muter les autres pays par un processus de « proxunion », bottom-up. Par exemple, il ne s'agit pas de tenter la mission impossible d’un régime des faillites unique pour tous les pays européens, mais d'offrir aux investisseurs une vision claire des risques qu'ils prennent en titrisant le financement des PME.

Dans cette « proxunion », la France a une position particulière, avec des acteurs ayant la compétence et la taille pour accompagner les acteurs des autres pays dans cette évolution.

4.  Contenu

Il n'y a pas de veille stratégique qui suive l'ensemble des sujets. Or, les sujets regroupés en 12 thèmes sont extrêmement structurants pour l'industrie financière. Quand on observe les livraisons déjà réalisées, on est frappé par leur incohérence stratégique. C'est là qu'il faut revenir à la régulation responsable. Par exemple, on a des acteurs structurés pour une vision de long terme, qu'on enferme dans une vision de court terme. Ou on entend qu'il faut donner aux PME l'accès au financement, et on a MIFID 2 qui tue la recherche sur l’analyse des produits financiers  par le mode de paiement imposé. Les banques américaines en profitent pour faire du dumping au détriment des banques européennes. C'est une illustration de la naïveté européenne.

Il est important, notamment à travers Confrontations Europe, d'exercer une vigilance sur la cohérence entre les mesures prises et les choix stratégiques.

Dominique GRABER

En Europe la taille des marchés de capitaux est faible puisque le crédit bancaire représente 80 %. Après dix ans de réglementation et cinq ans de CMU, on est toujours au même niveau d’intermédiation bancaire de 82 %. La France fait un peu mieux avec un taux de 60 %. Pour Jean-Pierre Mustier, directeur général d'UniCredit, l'Europe a déjà perdu la bataille des marchés de capitaux.

Les premières réalisations du projet sont un quasi échec, alors que les Américains nous ont pris cinq points de parts de marché dans les 7 dernières années. Les trois premières directives finalisées de la CMU ne sont pas très encourageantes : prospectus pour les PME, capital-risque et titrisation, la plus emblématique. L'excès de prudence sur la titrisation est étonnant lorsqu'on se souvient que les titrisations européennes ont eu un taux de défaut 200 fois plus bas qu'aux États-Unis. En outre, le règlement est ainsi fait qu’il permet des interprétations divergentes avec, à la clef, le risque de pénalités astronomiques. C'est la chronique d'un échec annoncé, d'une occasion manquée, alors que l’Europe avait  un meilleur dossier à défendre.

Avec le crédit bancaire, les crédits font les dépôts. À l'inverse, les marchés de capitaux mobilisent une épargne déjà constituée, c’est la confrontation entre une offre d’épargne et une demande de financement. Le nerf de la guerre est constitué par les pools de liquidité et l’épargne. Aujourd'hui l'épargne mondiale se concentre aux États-Unis. Les actifs sous gestion s'élèvent à 88 trillions, dont 50 % aux États-Unis et 30 % en Europe, alors que nous avons le même poids économique.

Si on analyse comment les marchés de capitaux se sont développés aux États-Unis, on s'aperçoit qu'il y a deux facteurs qui sont très importants : la titrisation et le développement parallèle des fonds de pension. Ceux-ci ont des objectifs de long terme. Au contraire, en Europe, on observe une préférence pour le court terme, dont l'exemple emblématique est le livret A français. À cela s'ajoute l'effet d'éviction produit par les états, avec le biais de l'actif dit sans risque, même lorsque la dette publique atteint des niveaux problématiques.

L’un des ratios les plus structurants a été le ratio de liquidité court terme, qui vise pour les banques à faire face à une crise de liquidité d’un mois.  Dans le cas de la BNP, c'est un coussin de liquidité de 300 milliards placés en  titres d’Etat, ce qui ne fait qu'accentuer le lien souvent dénoncé entre la dette publique et les banques. Globalement on voit que le marché européen est fragmenté et manque de profondeur par rapport aux États-Unis. Nous pensons qu'il faut agir à la fois sur l'offre et la demande pour développer le marché des capitaux en Europe. Du côté de la demande il faut développer l'épargne avec un horizon de long terme. On a vu que les assureurs ont anticipé de cinq ans la pénalisation des placements longs générée par la directive Solvabilité. Il n'est pas sûr qu'ils anticipent de la même façon un futur allégement de ces  contraintes. Il faut également développer des fonds de pension dans les pays qui n'en disposent pas. Il est important d'avoir une gestion longue correspondant aux besoins des investisseurs, fonction du cycle de vie. Du côté de l'offre il n'y a pas de classes d'actifs européens, le marché est extrêmement cloisonné. Pour le privé, on pourrait développer des systèmes de titrisation nationaux reposant sur des crédits immobiliers de qualité, reconfigurés dans des fonds européens  labelisés par la BEI, avec des rendements supérieurs à ceux des titres d'État. Pour le public, il y a déjà des propositions comme celle de créer un fonds regroupant des titres de zéro à deux ans pour refinancement. L'objectif est de créer des marchés plus profonds et plus diversifiés, susceptibles d'attirer l'épargne étrangère. Il y a urgence. Si rien, n’est fait le risque est d’accroître notre dépendre à l’égard de  l’étranger.

Nacim DARDOUR

La CMU poursuit deux objectifs importants :

-  diversifier les sources de financement de l’économie, ce qui permet de bénéficier des comportements contra-cycliques qui en découlent,

- favoriser des ressources longues pour financer par exemple les infrastructures nécessaires, pour lesquelles les assureurs ont un appétit naturel.

Donc, le projet est pertinent.

Les assureurs européens ont 10 000 milliards d'actifs sous gestion. Après le Brexit, la France sera le premier assureur européen.

L'horizon naturel des assureurs est le long terme puisqu’il recherche des placements permettant de couvrir des engagements à long terme. Or, l'économie de l'innovation suppose des financements de long terme en capitaux, ainsi que les énormes besoins de financement des infrastructures. Ceci dans un contexte où le financement par les investissements publics s'essouffle, il reste inférieur à son niveau d'avant la crise.

La question est : comment développer une stratégie et pas seulement un ensemble de mesures. Il faut bâtir un écosystème capable de mobiliser des ressources au service des besoins.

C’est donc un domaine plus large que le changement de curseur sur les modes de financement. On a parlé du droit de la faillite, on pourrait parler de la fiscalité, de l'éducation financière… Les enjeux touchent aussi les épargnants dont les besoins à long terme (e.q. retraite, etc.) sont de moins en moins servis dans un environnement de taux bas et la fin du triangle liquidité/rendement/sécurité. Une approche holistique est nécessaire.

Trois points particuliers :

- Les mesures obtenues pour le financement des infrastructures dans Solvabilité II sont positives mais insuffisantes. Il faut traiter la question avec une vision beaucoup plus large, en regardant par exemple sa cohérence avec le plan Juncker. Une réflexion est nécessaire sur la gouvernance et le rôle des différents acteurs entre la Commission, la BEI, les grandes banques, le public et le privé… Peut-être sera-t-il possible d’évoquer ces questions dans le cadre du paquet « InvestEU »…

- Sur la titrisation, on ne peut que confirmer que les réalisations ne seront pas à la hauteur des espérances. Sans doute la suspicion à l’égard de ce produit, pourtant bien maîtrisé en Europe contrairement aux Etats-Unis, a-t-elle trop pesé.

- L'idée d'un produit européen de retraite (PEPP) est intéressante mais sa réalisation est trop compliquée. D'ailleurs il n'intéressera vraisemblablement que des travailleurs mobiles en Europe, c'est-à-dire 3 % de la population.

Comment construire une stratégie ?

1. D'abord il faut prendre en compte la diversité des business models. Le modèle de l'assurance est fondamentalement différent de celui de la banque, or la régulation est trop souvent inspirée par le modèle bancaire. Les réflexions en cours sur un cadre macro-prudentiel s’appuient sur des références bancaires.

2. Il faut une cohérence des politiques publiques. Trop souvent on a des effets d’annonce sans application réelle. On annonce l'importance du financement des entreprises par les actions alors que la réglementation pénalise ce type de placement. On souhaite le financement des investissements de long terme, alors que c'est le court terme qui est favorisé. Les assureurs européens ont dû stériliser une marge pour risque de 200 milliards, dont au moins 70 milliards pourraient être directement investis ce qui, avec l’effet levier associé, apporterait 200 milliards de financement de l’innovation et des infrastructures. Enfin, se pose la question des normes comptables et de la liberté de manœuvre que s’autorise ou pas la Commission.

3. Prendre en compte la question de la compétitivité. La better regulation était, elle aussi, une piste intéressante, mais elle ne devrait pas se limiter à un beau slogan sans rentrer dans la réalité de la compétition internationale, particulièrement avec les Etats-Unis.

Yann POUË̈ZAT

L'Union des marchés de capitaux est une initiative prise par la  Commission en 2015. Elle complète l'Union bancaire qui répondait à l'urgence d’une réponse à la crise. L’Union bancaire était plus concentrée sur trois piliers (mécanisme de surveillance unique, mécanisme de résolution unique et système européen d’assurance des dépôts), par rapport au grand nombre des textes prévus par la CMU.

Le marché financier de l'UE s'élève à 52 000 milliards (dont 10 000 milliards transfrontaliers), à comparer aux 72 300 milliards des États-Unis.

Selon la théorie financière, il y a corrélation entre la capacité du marché financier et le développement. La crise financière a remis en cause un modèle fondé sur le financement obligataire et bancaire. Le  marché des capitaux est plus réactif en cas de crise.

Le Brexit pose un défi à l’UE, dans la mesure où il implique la perte du principal centre financier. Il est une incitation à une relance de la CMU.

De ce point de vue, il faut être attentif aux relations avec les pays tiers, qui sont très lacunaires. Et la convergence réglementaire devient d’autant plus nécessaire. Ceci suppose parallèlement une convergence de la supervision pour obtenir un fonctionnement plus intégré. C’est là que le bât blesse : les partenaires européens de la France sont d'accord pour réaliser la CMU, mais réticents pour donner plus de pouvoir à l'ESMA. Or la fragmentation des activités financières est importante et le biais national est fort malgré 50 ans d’intégration européenne : 70 % des fonds sont gérés en interne dans chaque pays. Les proportions sont très variables selon les pays.

Deux enjeux d'investissements sont bien identifiés :

-  le financement de l'innovation,

- le financement des infrastructures y compris dans la perspective du développement durable.

Les états membres sont insuffisamment associés à la définition de la taxonomie. Le plan européen adopté en 2017 ouvre la perspective de l’utilisation de la blockchain.

Le projet de loi PACTE est cohérent avec les objectifs de la CMU. La France est pionnière dans l’investissement des innovations, avec la construction de ce cadre législatif.

On a souvent constaté que l'UE n'avançait que par crises, l’UMC ne fait pas exception.

Débat

Olivier Guélaud, qui vient de quitter ses fonctions de directeur Audit et Trésorerie chez Pernod Ricard, souligne, au-delà des aspects techniques, les enjeux de compétitivité et de souveraineté. Les marchés de capitaux sont liés aux devises, donc l'euro et le dollar. Or l'euro occupe une place insuffisante par rapport au poids de l'économie européenne. On peut d'ailleurs observer que le marché des capitaux ne fonctionne pas si mal du point de vue des entreprises, puisqu'aussi bien les grosses entreprises que les start-ups peuvent si nécessaire aller se financer sur le marché américain.

En outre, il insiste sur l'importance du « market making ». C'est un rôle que remplissaient les banques, ce qu'elles ne peuvent plus faire compte tenu de l'environnement réglementaire.

Dominique Graber est absolument d'accord. Elle note que des consultations sont en cours sur la place de l'euro. Elle regrette, elle aussi, que les banques soient poussées à se retirer du marché primaire, car sans tenue de marché il n'y a pas de marché.

Michel Aglietta pense que, sans harmonisation fiscale, il ne peut y avoir d'union des marchés de capitaux. C'est un point décisif.

Il ajoute que contrairement à la théorie de certaines écoles économiques, une étude des faits montre que l'intégration financière ne favorise pas la croissance. En revanche, les investissements directs étrangers la favorisent. Et ils ont naturellement tendance à aller de préférence vers des pays qui ont des stratégies.

Concernant les actions, il faut souligner que les comportements peuvent être très différents, de la recherche de plus-values à court terme à l'investissement patient. On a observé que moins un pays a de l’immobilier dans son patrimoine, plus il engage de capitaux dans des investissements patients. C'est le cas en Allemagne, à l'inverse de l'Italie, la France se situant entre les deux.

Enfin, il attire l'attention sur la formidable concentration du capital aux États-Unis. Aucune loi antitrust ne limite ce mouvement illustré par les GAFA. Le résultat est une capture de rente comparable à celle qui fut observée à la fin du XIXe siècle. Les plates-formes Internet sont monopolisées. Elles capturent des données, qui sont une nouvelle matière première, et qui n'ont pas de prix de marché. Ceux qui donnent leurs données, c'est-à-dire chacun de nous, ne sont pas rémunérés. C'est l'apparition d'une nouvelle finance qui devrait faire l'objet d'un minimum de réglementation par les autorités publiques.

Une participante demande quel est le lien entre marché financier et marché du travail.

Edouard de Lencquesaing répond que sans finance il n’y a pas d’entreprise, donc de travail. Il pense d’ailleurs que la question la plus épineuse actuellement est celle de relation entre travail et technologie. Pour la finance, une entreprise doit être rentable car elle vit dans un environnement de compétition. Il donne l’exemple d’une entreprise de 11 000 personnes dont 5 000 en France. Si les capitaux sont trouvés, ils serviront à des investissements de productivité qui permettront de sauver 2/3 des emplois menacés. S’ils ne sont pas trouvés, c’est la faillite.

Un participant signale le rôle des fonds de pension, à la recherche de la rentabilité.

Pour Michel Aglietta le lien entre emploi et finance dépend de la gouvernance des entreprises. Or, celle-ci a profondément changé.  Dans l’ancien modèle, les dirigeants étaient des salariés et contribuaient à une répartition équilibrée des revenus entre les profits et les salaires dans le cadre de négociations collectives. Ce modèle a basculé vers les années 70, avec le nouveau modèle de la valeur actionnariale, priorité étant donnée aux intérêts des actionnaires, en diminuant progressivement la part des salaires dans la répartition des revenus. L’Allemagne a échappé à cette évolution en raison de la codétermination, caractérisée par un conseil d’administration paritaire qui en outre recherche un meilleur équilibre que dans les autres pays, entre court terme et long terme. La question centrale est celle de l’incarnation de l’entreprise dans ses seuls actionnaires ou entre toutes les parties prenantes.

Marcel Grignard précise deux points :

- une manifestation concrète de l’évolution décrite par Michel Aglietta est celle des stock-options. Elles font le choix de désolidariser les dirigeants de l’ensemble des salariés et d’aligner leur intérêt sur celui des actionnaires.

- une deuxième différence avec l’ancien modèle est la modification des chaînes de valeur et le développement de la sous-traitance. Par exemple, toutes les activités de manutention, gardiennage, nettoyage ont été externalisées et le statut de ces travailleurs a régressé. La rémunération moyenne des 500 000 salariés du nettoyage en Ile de France est entre 700 et 800 euros, payés au Smic en temps partiel fragmenté contraint.

Les inégalités profondes qui minent la société sont là.

Yann Pouëzat est d’accord avec Michel Aglietta sur l’importance de la fiscalité. Les sujets fiscaux sont sur la table et la volonté franco-allemande d’avancer sur ces questions s’est exprimée au printemps dernier.

Anne Macey souhaite avoir l’avis du Trésor sur deux points :

- Comment s’y prendre pour lever le blocage sur la fiscalité ?

- Qu’en est-il de la position des Pays-Bas qui envisageraient de fermer le tuyau « paradis fiscal » au motif que les fonds ne s’investissent pas dans l’économie réelle nationale.

Elle ajoute que sur le sujet des normes comptables, il faudrait aller plus loin que le simple rôle de conseil de l’EFRAG.

Yann Pouëzat pense qu’en effet l’UE devrait mieux affirmer sa souveraineté en matière de normes comptables. Mais il constate que la France est isolée lorsqu’elle défend cette idée. Devant la difficulté d’adapter les normes après leur adoption, peut-être serait-il plus efficace d’intervenir en amont, dans les demandes et consignes adressées à l’IASB.

Dominique Graber estime que nous pouvons battre notre coulpe car, contrairement aux anglo-saxons nous retenons nos collaborateurs qui pourraient participer utilement aux travaux de l’IASB.

Nacim Dardour observe que les Etats-Unis savent s’affranchir des normes qui ne leur conviennent pas.

Dominique Graber demande si, les institutions européennes étant ce qu’elles sont, il ne serait pas possible d’organiser une coopération renforcée dans le domaine de la fiscalité. Elle observe que l’effritement de rentabilité produit par les exigences toujours croissantes du Comité de Bâle conduit les banques à diminuer constamment leurs coûts, donc leurs moyens.

Yann Pouëzat constate que même à dix, la coopération renforcée sur la taxation des transactions financières piétine depuis 6 à 7ans.

Edouard de Lencquesaing pense qu’avec le Brexit, on peut travailler à la défense des intérêts continentaux. Le pool d’épargne n’est pas attaché à Londres. Pour le pool de compétences, on voit qu’une grande partie des bugs de nos directives viennent de l’influence des anglo-saxons, par exemple dans MIFID. La disparition de cette influence va permettre de produire des règles plus alignées avec les intérêts collectifs européens. Et il y a autour de la table des compétences chez BNP, chez AXA, au Trésor pour être capables d’aider  la Commission pour concevoir de bons outils.

Eric Frachon pense que plutôt que de tenter d’harmoniser des fiscalités disparates, il faudrait rebâtir une nouvelle fiscalité commune.

Quand on voit les difficultés pour tenter quelques progrès d’harmonisation, Yann Pouëzat craint que la construction d’une nouvelle fiscalité européenne soit mission impossible.

Anne Macey demande comment l’Allemagne finance son tissu économique.

Dominique Graber rappelle le système allemand du Mittlestand, est constitué d’entreprises de taille intermédiaire (souvent à capitaux familiaux qui leur permettent un autofinancement important) qui sont financées par des caisses d’épargne locales. En outre, les banques  étrangères sont de plus en plus présentes et la Deutsche Bank, occupe toujours une place éminente.

Edouard de Lencquesaing revient à la relation entre capitaux propres et dette dans le financement. Il est nécessaire de mettre des capitaux longs dans les sociétés. C’est un sujet sociétal. Il faut constituer une alliance entre les pays motivés.

Avant de clore les travaux, Jean-Robert Léonhard donne deux informations :

- Confrontations Europe avait envisagé de poursuivre les travaux sur l’Union des marchés de capitaux dans deux directions : le rôle de la supervision et particulièrement de l’ESMA d’une part et la compétitivité financière européenne d’autre part. Les débats montrent que ces deux sujets paraissent pertinents.

-  Un déjeuner-débat est prévu à Bruxelles le mardi 6 mars avec l’Intergroupe du long terme et de la réindustrialisation du Parlement Européen, autour des propositions de la place de Paris pour remettre le long terme au cœur des politiques européennes.

Edouard de Lencquesaing propose de travailler également sur la façon de convaincre les autres pays, par l’action de Confrontations Europe, des entreprises, des instances publiques françaises. La supervision est un bon exemple. Comment trouver des alliés prêts à un certain abandon de souveraineté pour une Europe plus efficace ?

Yann Pouëzat constate que, sur tout projet, on trouve toujours les pays pour, les contre et les indécis. Il faut donc rallier les indécis.

 

Jean-Robert Léonhard

 25 mars 2019.


[1] Voir l’article “Vers une industrie financière européenne”, La Revue, Janvier-Mars 2019