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Compte-rendu : Non Performing Loans : extinction ou prochaine crise bancaire ?

mardi 03 décembre 2019 AEFR Visiter le site source

Michel Cojean, Délégué Général, EIFR

Nous nous trouvons aujourd’hui face à deux visions différentes en matière d’analyse du risque que présentent les prêts non-performants (non-performing loans, NPLs). Pour certains, leur diminution significative ne doit pas occulter le fait que les stocks de NPLs sont toujours très importants. Pour d’autres, cette trajectoire de réduction envoie un signal positif.

Il est vrai que les stocks de NPLs sont toujours élevés :

  • 636 milliards d’euros dans l’Union européenne,
  • 580 milliards d’euros dans la zone euro,
  • 124 milliards d’euros en France,
  • 112 milliards d’euros sur les 6 plus grosses banques françaises.

Toutefois, notons qu’en Union européenne, ces stocks sont 50 % moins importants qu’en juin 2015, avec un ratio moyen de NPLs situé à 3 %.

Au-delà des chiffres, les NPLs soulèvent des problématiques cruciales car contribuent à freiner la rentabilité des banques, entraînant ainsi de multiples conséquences pour le système économique et financier. 

David Labella, Responsable de la veille réglementaire bancaire, Mazars 

La crise a fragilisé l’ensemble des acteurs économiques, notamment les entreprises emprunteuses. Les prêts non performants, NPLs, ont atteint des niveaux élevés, en particulier en Europe, dont le modèle économique s'appuie sur une très forte intermédiation des banques. Or ces NPLs pèsent sur leur rentabilité, freinent les prêts en direction des PME et se traduisent par un provisionnement conséquent de la part des banques. 

Il est donc important que les pouvoirs publics se soient saisis du sujet, d’autant que la situation y est propice, la solvabilité des banques s’étant améliorée. Réguler le niveau des NPLs est un moyen de réduire les risques systémiques pesant sur le système financier et de soutenir la croissance de l’économie.

Le sujet a été mis en exergue par la BCE lorsqu’elle a pris ses fonctions de superviseur unique. Dès 2015, son Supervisory Board a mis en place un groupe de travail, dont la mission était d’élaborer une approche de supervision cohérente. La BCE a également poussé les régulateurs et législateurs européens à fournir un traitement harmonisé des NPLs. En juillet 2017, le Conseil de l’Union européenne dévoilait son Plan d’action, contenant 14 actions, dont 12 ont déjà été mises en œuvre.

Textes réglementaires et définitions

Un travail d’harmonisation ne pouvait cependant se construire sans l’introduction de définitions claires, insérées au sein de textes robustes. Le règlement du Parlement et du Conseil n° 2019/630, communément appelé “Backstop”, a été publié au JO le 25 avril 2019. Il fournit une définition réglementaire des expositions non performantes (non-performing exposures, NPE), ainsi que de celles faisant l’objet de mesures de renégociation, dites forbearance (FBE). Ces définitions s’accompagnent également d’exigences minimales de couvertures de pertes, entrées en vigueur le 26 avril 2019. Ces textes, associés à d’autres initiatives réglementaires concomitantes, ont contribué à créer un contexte relativement difficile pour les banques.

Les expositions non performantes peuvent, selon les définitions réglementaires, prendre la forme d’instruments de dette, tels les titres de créances, prêts, avances et dépôts à vue en valeur comptable, hors ajustements de valeur ou autres réductions éventuelles ; d’engagements de prêt, garanties financières ou autres types d’engagements recevables, irrévocables, pris en valeur nominale, hors ajustements de valeur ou autres réductions éventuelles.

Il est important de noter qu’est également introduite une notion de contagion, avec un passage en expositions non performantes de toutes les expositions de l’emprunteur, si le prêteur a des expositions au bilan impayées depuis plus de 90 jours, et si celles-ci pèsent plus de 20 % des expositions au bilan. 

Le texte va également plus loin que la seule définition d’exposition non performante. D'une part, il est prescriptif sur les situations et les indicateurs de forbearance. Cette dernière, pour rappel, consiste en une concession faite au prêteur qui rencontre des difficultés à tenir ses engagements financiers. D’autre part, il spécifie les critères de retour en situation de défaut non prudentiel, en marquant une différence de processus entre les NPE ayant connu ou non une forbearance. Sans FBE, une NPE fait face à une période curative de 3 mois. Après FBE, celle-ci passe à 1 an, auquel s’ajoutent deux ans de probation.

Afin de prévenir la constitution de stocks de NPLs, la BCE a instauré des règles de couvertures des pertes. Un règlement qui s’applique, là encore, pour les positions prises depuis le 26 avril 2019. Les prêteurs retiendront que la nouvelle règlementation impose d’appliquer une déduction des fonds propres de base du manque de provision pour chaque NPE. Ensuite, plus les années passent et plus les attentes de la BCE en matière de provisionnement sont importantes.

S'inspirant des pratiques de la BCE, l’EBA a porté un projet de guidelines sur l’octroi et la surveillance des pratiques de crédit. Son objectif : harmoniser les pratiques locales entre pays européens et mettre en avant l’importance du monitoring. A noter que ces guidelines remplacent celles sur l’évaluation de la solvabilité en vigueur depuis 2016 et couvriront un périmètre plus large.

Les enjeux pour les banques

Les établissements financiers doivent désormais articuler pas moins de 3 concepts différenciés derrière la notion de défaut. Elle s’applique en effet à des fins de reporting, à des fins comptables et à des fins prudentielles. La notion de défaut prudentiel, qui couvre les NPLs, est en réalité la plus large et peut contenir tous les périmètres, du moins tant que l’on ne prend pas en compte les NPLs faisant l’objet d’une forebearance.

La mise en place d’un cadre pour les NPLs soulève des questions multiples, qui s’appliquent aux champs économiques, commerciaux, financiers et comptables. Citons, par exemple, le nécessaire pilotage des fonds propres pour faire face aux insuffisances de provisionnement, l’appréhension des effets des backstops prudentiels sur les prêts non sécurisés et les politiques de provisionnement, ou encore la possibilité de céder les créances sur un marché secondaire. 

Oleg Shmeljov, Senior Policy Expert, European Banking Authority

La crise financière a mis en lumière les faiblesses de la supervision et de la régulation et l’une des conséquences directes a été de préparer le terrain pour permettre aux institutions d’agir concrètement. Concernant les NPLs, cela s’est tout d’abord traduit par une nécessaire harmonisation des définitions. Désormais, sur la base de cette définition commune, il est possible de réaliser des analyses de risques, à partir d’informations transparentes.

Depuis la crise, la qualité des actifs s’est considérablement améliorée, le ratio de NPLs en Union européenne passant ainsi de 6,5 % en 2015 à 3 % aujourd’hui, pour un montant de 636 milliards d’euros. Une amélioration constatée dans tous les pays et sur tous types de portefeuilles, qui s’est faite sous l’action conjuguée des banques elles-mêmes, des superviseurs, et grâce à une forte détermination politique. Le contexte économique s’est également révélé favorable à la réduction des NPLs.

Il ne faudrait toutefois pas se réjouir trop rapidement, les écarts de situation étant encore très importants entre les différents pays de l’UE. Les ratios de NPLs sont encore très élevés à Chypre, en Grèce, en Italie... Le cadre législatif de certains Etats s’avère peu propice à une amélioration de la qualité des expositions, pourtant la réduction de leurs stocks est un enjeu qui doit être adressé sans tarder.

Il n’est pas question d’atteindre un niveau zéro de NPLs, car les banques doivent continuer à financer l’économie. Ce que nous souhaitons atteindre, en revanche, est un niveau stable de NPLs, assorti d’une analyse des risques claire et transparente. Nous estimons que le niveau idéal de NPLs se situe entre 3 % et 5 %. Le ratio global atteint par l’UE est donc très satisfaisant, mais masque encore des réalités contrastées entre les Etats membres.  Différentes mesures et actions ont donc été entreprises par les institutions de l’UE, notamment l’EBA, parfois directement en charge des projets et d’autres fois fortement impliquée dans leur mise en œuvre.

Sous l’égide du Plan d’Action du Conseil de l’UE, l’EBA a ainsi émis une série de guidelines qui œuvrent pour la standardisation des procédures de prêts bancaires et une transparence accrue. Nous travaillons actuellement sur une nouvelle guideline portant sur l’origination et le monitoring des prêts.

Les guidelines de l’EBA

 Nous avons fixé le ratio idéal de NPE à 5 % (brut). Les établissements qui disposent d’un niveau supérieur à ce seuil doivent mettre en place des mesures stratégiques de réduction de leurs stocks de NPLs, qu’elles présentent au superviseur et doivent pouvoir implémenter. Les banques sont libres de déterminer leur propre stratégie.

Dans une optique d’harmonisation et d’alignement des pratiques, nous avons également élaboré des templates qui permettent à toutes les institutions de fournir une information standardisée sur leurs NPE. Le nombre de templates à produire est plus élevé dès lors que leur ratio brut de NPLs est supérieur à 5 %.

Nous tenons à préciser que ce niveau de 5 % n’est pas un objectif à atteindre pour les établissements qui doivent réduire leurs stocks de NPE, mais simplement un seuil qui déclenche certaines demandes et procédures avec le superviseur. Le seuil de NPE que doit atteindre chaque établissement est déterminé lors de discussions avec le superviseur.

Afin d’améliorer notre résistance face à une prochaine crise, grâce à des niveaux de NPLs gérables, nous avons également établi une guideline sur l’origination et le monitoring des prêts. Nous avons adopté une vision ambitieuse, qui couvre aussi bien l’aspect prudentiel du risque crédit que la protection du consommateur. Un travail qui va se montrer utile pour réaliser le nécessaire, mais complexe, valorisation des collatéraux.   

Alain Laurin, Associate Managing Director FIG, Moody’s

La crise financière a démontré trois choses. Premièrement, que le cadre légal et réglementaire en place n’était pas à la hauteur, constatation qui a notamment conduit à la mise en place de la norme IFRS 9. Deuxièmement, le manque cruel d’un superviseur puissant, qui a engendré la création du SSM (Single Supervisory Mechanism, mécanisme de surveillance unique), marquant ainsi un tournant radical. Troisièmement, un besoin de simplicité, que l’on ne trouve pas forcément dans les normes, notamment comptables, qui ont pu être créées.

Dans ce contexte, les NPLs sont un sujet central et non périphérique. Elles représentent un actif improductif, qui affecte la rentabilité des banques et peut réduire leur capacité à prêter de l’argent.  

Les NPLs dans l’évaluation du risque par Moody’s

Chez Moody’s, nous accordons une place prépondérante au profil macro, c’est-à-dire à l’environnement et au contexte économique dans lequel une banque opère. Les NPLs sont en effet extrêmement corrélées à la situation macroéconomique. Un point d’autant plus important que nous observons actuellement un ralentissement conjoncturel, qui va contribuer à faire rapidement augmenter le coût du crédit. L’évaluation des risques financiers, notamment des NPLs, est donc pondérée en fonction des risques pays. En matière de ratio de NPLs, les écarts sont parfois très importants entre les pays. Ainsi, si la moyenne en Union européenne est à 3 %, l’Italie se situe à 8 %, soit 5 crans d’écart.

Pour évaluer le profil de risque d’un établissement financier, nous considérons une série de risques clés. Parmi eux, l’asset risk, ou risque constitué par les actifs financiers. Il compte pour 25 % de la note finale et c’est ici que se logent les NPLs, ainsi que deux autres métriques majeures : le coût du crédit, c’est-à-dire les provisions, et le coût du crédit par rapport aux revenus pré-provisions.

Le ratio moyen de NPLs des 28 plus grandes banques européennes était de 5,7 % en 2013, 3,7 % en 2017 et 2,4 % en 2018. La situation s’est donc nettement améliorée.

Sur la même période, le coût du risque a également diminué pour les grandes banques, passant de 83 points de base en 2013 à 30 points de base en 2017, pour finalement atteindre 19 points de base en 2018. Prudence toutefois ! Il ne faut pas s’attendre à ce que le coût du risque continue à baisser, il devrait au contraire repartir à la hausse. 

Enfin, le dernier de nos indicateurs clés est celui du coût de ce risque mesuré par rapport à la rentabilité brute des banques. En 2013, les grandes banques consacraient en moyenne la moitié de leur rentabilité brute à couvrir le coût du risque. En 2017, cela passe à 20 %, contre 13 % en 2018. Là encore, ce chiffre devrait remonter.

La BCE a été tout à fait avisée de lancer un nettoyage sur les NPLs détenues par les banques au cours des dernières années. Elles auraient, sinon, été beaucoup plus affectées par le ralentissement économique qui s’amorce. Les risques s’accumulent en effet en Europe, et nous avons procédé à des ajustements négatifs sur les conditions de crédit pour de nombreux Etats. Le profil macroéconomique des pays, comme par exemple la France ou l’Italie, s’en trouve dégradé.

Les banques italiennes ont vu leur ratio de NPLs chuter grâce à l’action de la BCE. Après la crise, il était passé de 5,1 % en 2008 à 17,1 % en 2014. Il a depuis reflué, jusqu’à un niveau de 8 % en 2019. Malgré ce repli, ce taux demeure toutefois nettement supérieur à la moyenne observée dans l’Union européenne. Or céder 1,5 %, ou même 1 %, de NPLs est un procédé qui peut s’avérer lourd et coûteux. Les inquiétudes montent quant à la solidité du business model de certains établissements. Le cas italien démontre, de plus, que les répercussions d’une “crise des NPLs” se font sentir pendant une décennie.

Les effets du backstop

Si l’aspect prospectif des normes IFRS 9 est un élément positif, il n’en demeure pas moins que les superviseurs avaient besoin d’un pouvoir commun, destiné à enrayer une éventuelle prochaine crise. Ils ont donc décidé de mettre en place un système de backstop, un outil de normalisation très puissant auquel sont soumises toutes les banques européennes.

L’activation de ce backstop va dépendre de la composition des portefeuilles des banques, de la nature des crédits détenus. Une mesure à laquelle il faut accorder d’autant plus d’attention que lorsqu’elle frappe, cela touche le Core Tier 1 des banques, fragilisant celles dont le Core Tier 1 n’est pas très élevé.

Ce contexte d’exigences nouvelles en matière de provisionnement des portefeuilles pourrait entraîner d’importants mouvements sur le marché des NPLs, notamment en augmentant leurs ventes. Nous nous attendons à des changements conséquents sur ce marché. 

Nicolas Patrigot, Responsable Normes comptables et prudentielles, Groupe BPCE

Backstop et ratio NPL : de nombreuses insuffisances

Le backstop prudentiel est un outil très brutal et puissant, qui a beaucoup choqué dans le monde bancaire par l’étendue de son pouvoir. Certains éléments nous paraissent trop simplistes, comme le fait que ce mécanisme ne prenne pas en compte les profils de risques des actifs sous-jacents.

Nous avons également certaines réserves à l’égard de l’utilisation du ratio NPL en tant qu’indicateur. D’une part, nous regrettons qu’il soit exprimé en brut ce qui, à mon sens, ne veut rien dire. D’autre part, le ratio NPL est un indicateur insuffisant, et ce d’autant plus quand il est envisagé seul. Il est important de prendre également en compte le taux de provisionnement, le coût du risque et le coût du risque / le résultat brut.

L’objectif, désormais, est de ne pas dépasser un ratio NPL de 5 %, car cela peut entraîner de nouvelles contraintes pour l’établissement et, éventuellement, le pousser à des cessions.

Autre problème, ce ratio NPL ne permet pas de réelle comparaison entre la situation des établissements bancaires. Il dépend en effet de leurs politiques de passage en pertes, or nous avons vu au cours de ces dernières années que les pratiques étaient très variables d’un établissement à l’autre, ou d’un pays à l’autre. Et ce quand bien même il existe un référentiel comptable commun, IFRS.

Devant des pratiques hétérogènes et, surtout, des situations qui le sont tout autant entre les différents pays européens, nous estimons que le backstop ne se justifiait pas dans tous les pays. L’objectif du superviseur était d’accélérer le nettoyage du bilan de certaines banques, d’éviter de nouvelles accumulations, or tous les établissements bancaires européens ne présentent pas ces risques. Notamment les établissements français. L’une de leurs forces est la gestion de leurs expositions non performantes, comme l’a souligné l’AQR de la BCE de 2014.

Il aurait donc été plus judicieux de mettre en place un temps d’observation raisonnable à la suite de la mise en œuvre de la réforme IFRS, avant de décider de l’introduction du backstop. Ses modalités auraient ainsi pu être affinées et refléter les différentes réalités à l’œuvre dans les pays de l’Union européenne.

Le cas français

La contrainte qui nous est imposée aujourd’hui est déconnectée des risques réels et pourrait entraver nos décisions de gestion. Il serait regrettable que les établissements de pays comme la France, qui n’ont pas démérité en matière de couverture de risques, se retrouvent à prendre des décisions de gestion non liées aux risques réels auxquels ils font face. 

Notons également qu’en France, la pratique est de maintenir des créances de durée très longue au bilan, mais cela se fait pour des raisons fiscales. Dans un contexte où les règles en matière de passage en pertes n’ont pas été harmonisées, cela doit être un point d’alerte.

Pour conclure, soulignons bien entendu que l’exigence d’une transparence accrue dans la gestion des prêts est un point positif. Cela facilite notamment la comparabilité et le développement d’un marché secondaire. Toutefois, les cessions de prêts ne peuvent devenir l’unique mode de gestion, la seule option disponible, et ce particulièrement en France où la garantie et la relation client comptent beaucoup. L’éviction des emprunteurs au financement non garanti, ou dont les garanties ne sont pas éligibles au backstop, peut désormais être rapide. Nous plaidons pour une gestion qui prenne en compte la relation client, ainsi que la variété de garanties apportées et la diversité des pratiques selon les lignes de métiers. Cela est capital pour le financement de certains domaines, comme par exemple l’innovation.

Le backstop est un outil puissant, à utiliser avec discernement, car il peut avoir des répercussions majeures sur la façon dont les banques vont désormais gérer leurs crédits.  

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