Compte-rendu Webinar du 16 juillet 2020 : Crise du coronavirus et régulation bancaire : cadre actuel, réponse des autorités et perspectives avec Martin MERLIN et Véronique ORMEZZANO
mardi 27 octobre 2020 AEFR Visiter le site sourceMartin Merlin, Directeur Banques, Assurances et Criminalité Financière, DG FISMA, Commission Européenne
Les mesures sanitaires prises pour endiguer la pandémie ont créé un choc économique soudain et majeur. Contrairement à la crise de 2008, la crise actuelle ne trouve pas son origine dans le secteur bancaire et financier. Le secteur bancaire européen est nettement plus solide qu’à l’entame de la précédente crise, le niveau de capital et les coussins de liquidité sont beaucoup plus élevés. Les banques ont ainsi assuré la liquidité des entreprises touchées par la crise. Le cadre règlementaire actuel a grandement facilité la résilience de l’économie dans son ensemble. On peut donc se féliciter des réformes mises en œuvre depuis 2008. Le capital règlementaire a joué tout son rôle, et il n’est pas l’ennemi des banques.
Les banques européennes seront cependant affectées par les difficultés de leurs clients, alors que leur profitabilité est déjà faible en contraste avec leur situation bilantielle forte. Rejeter cette faible profitabilité sur le cadre règlementaire serait une erreur. Elles peuvent profiter des économies d’échelle que procure le marché intérieur, et cette crise pourrait amener davantage de consolidation dans le paysage bancaire. Les projets d’Union bancaire et d’Union des marchés de capitaux sont essentiels pour mener à bien cette intégration. Mais améliorer la profitabilité des banques en assouplissant le cadre prudentiel semble illusoire et n’apporterait aucune réponse structurelle. Un assouplissement temporaire et ciblé tel qu’il a été mis en place est seul envisageable.
Cette crise risque de développer la fragmentation entre les pays avec des écarts de développement économique significatifs. Les mécanismes de résolution ont contribué à améliorer le traitement des défaillances bancaires, mais il faut veiller à ce que le cadre européen de résolution ne se prête pas à des contournements. Une évaluation des règles existantes aura lieu au cours des prochains mois. Il faut s’assurer également que les liquidités seront fournies aux banques au moment de la résolution.
Il faut reconnaitre que les discussions sur l’achèvement de l’Union bancaire sont difficiles, notamment sur la garantie des dépôts, mais elles constituent une priorité pour la Présidence allemande.
Les autorités ont pris au début de la crise quelques mesures rapides et fortes pour faciliter le rôle d’intermédiation des banques ; les banques centrales ont fourni la liquidité nécessaire et par leur programme de rachat d’actifs contribué au soutien de l’économie. La Commission a utilisé la flexibilité contenue dans le Pacte de stabilité et de croissance, les superviseurs bancaires ont mis en place un allègement temporaire des exigences en capital, en liquidité et opérationnelles. L’effet combiné de ces mesures est significatif.
Les enseignements de cette crise, même s’il est trop tôt pour tirer un diagnostic complet, montrent 1) que les banques ont su faire face à la demande de liquidités de leurs clients et cette résilience plaide en faveur du système de coussins 2) qu’il existe déjà une certaine flexibilité dans le cadre prudentiel et les normes comptables qui donnent une marge de manœuvre pour aborder les situations de crise. Un dialogue a été lancé avec le secteur financier et les représentants d’entreprise et des consommateurs pour suivre l’application des mesures prises et identifier les bonnes pratiques en matière de soutien.
L’Autorité Bancaire Européenne fera le point sur les différentes garanties publiques mises en place. La Commission présentera également des mesures pour assouplir la règlementation des marchés de capitaux afin qu’ils puissent contribuer à la reprise économique, notamment en relançant le marché de la titrisation et plus particulièrement des prêts non performants.
Véronique Ormezzano, Directrice des Affaires règlementaires, BNP Paribas
Véronique Ormezzano souscrit à la présentation très complète de Martin Merlin, en apportant quelques nuances. Les banques européennes ont abordé la crise avec des niveaux de capital et de liquidité satisfaisants : en moyenne un ratio de capital de 15% et un ratio de LCR de 140% (source EBA), au-dessus des exigences règlementaires minimales.
On a vu en mars une augmentation phénoménale des encours de crédit avec plus de 100 Mds € de nouveaux crédits, alors que le niveau moyen habituel s’établit à 20/ 30 Mds € par mois. Ainsi chez BNP Paribas 500 personnes ont été mobilisées pour l’octroi de prêts garantis par l’Etat, ainsi que les équipes de BNP Paribas Consumer Finance, pour faire face à ce choc de liquidités. A fin mai il y a 250 Mds € en plus dans les bilans des banques.
Un point à souligner est la crainte des banques sur l’utilisation des coussins en fonds propres, question posée par les régulateurs et superviseurs. Pour l’instant, on ne voit pas les banques les utiliser. La décision de les rendre utilisables est en effet une flexibilité pour l’Europe. Ce chiffrage de la flexibilité règlementaire n’est cependant qu’un axe des contraintes règlementaires, d’autres indicateurs sont à considérer comme le ratio de levier et l’exposition de levier, contraintes qui pèsent sur le financement et notamment sur le financement des entreprises. Il faut donc avoir une analyse rationnelle et équilibrée de cette liquidité introduite pour le soutien de l’économie.
Toutes les mesures de flexibilité ont été bienvenues et les banques vont pouvoir profiter de ces allègements dès le 30 juin, que ce soit sur IFRS 9 ou le ratio de levier. Propos à nuancer cependant car, en comparaison internationale, ces mesures sont un pas en retrait de ce qui constaté au niveau international, par le Comité de Bâle ou aux USA.
Pour le futur, Véronique Ormezzano distingue trois horizons : un horizon immédiat où il faut faire en faire en sorte que toutes les mesures prises fonctionnent ; il subsiste des incertitudes règlementaires sur les moratoires et leur exigibilité, non tranchées par l’EBA. Au-delà de 2020, ces allègements sont fondamentaux. On relève également avec cette crise le changement du parcours client qui passe de moins en moins par les agences, et des problématiques de cybersécurité. Sujet également urgent, la thématique de la fragmentation avec des formes de garanties particulières dans chaque Etat membre, source d’inégalité de traitement pour les banques et pour les cCorporates. Cela a un impact sur le collatéral de la BCE.
Deuxième horizon : se préparer à la deuxième phase de la crise. L’augmentation des prêts non performants n’est pas encore frappante et est devant nous. Il se pose la question de leur gestion et de leur différé de provisionnement. Il convient que cette gestion soit résolue de la façon la plus socialement responsable dans une approche ESG. Il faut se préparer également une injection de capital en passant d’un soutien en liquidité à un soutien en solvabilité. Mais aussi relancer la CMU déjà évoqué par Martin Merlin, et pouvoir être en mesure d’absorber les chocs de marché pour assurer la liquidité des dettes souveraines et du marché actions. La titrisation sera une solution pour réduire le bilan des banques.
Sur un horizon plus lointain, quelles perspectives ? Les principaux défis sont le financement de la relance, le niveau de profitabilité des banques qui doivent rester « investissables », et la fragmentation déjà évoquée.
En conclusion, un cadre règlementaire doit résister à la crise et ne doit pas être démonté. Pour cela, il doit bénéficier d’un certain nombre de flexibilités : certaines existent déjà, mais il y a d’autres domaines où elles mériteraient d’être plus importantes.