La crise récente des subprimes a rappelé l’importance des liens existant entre les crises immobilières et les crises bancaires. Bien qu’il soit tentant depuis la faillite du Crédit mobilier (1867), liée à l’échec des projets immobiliers des frères Pereire à Marseille, de souligner le rôle du secteur immobilier dans le déclenchement des crises bancaires, on ne saurait négliger le rôle des stratégies bancaires dans l’apparition des crises immobilières, puis dans leur gestion.
Ce petit dossier composé de trois articles est précisément consacré aux crises financières et immobilières ainsi qu’à leurs liens. Notre attention s’y focalise sur l’Europe continentale. En effet, il comprend d’abord deux articles sur la France, l’un portant sur la seconde moitié du xixe siècle et l’autre dédié à l’analyse du tournant du millénaire. Le troisième article traite de l’Espagne dans la dernière période. Tous ont été rédigés par des historiens de l’économie et portent la marque de leur méthodologie en reflétant leur goût pour une mise en perspective dont les économistes ont bien besoin pour réfléchir aux défis de la période actuelle.
Selon diverses modalités, on y retrouve la dualité consubstantielle du secteur immobilier. Il est le secteur de la « pierre » et, en tant que tel, il est indiscutablement un secteur de l’économie réelle en fournissant des services de logement. Pour autant, il produit des actifs matériels de très longue durée de vie qui constituent une large part des patrimoines des ménages en Europe, et particulièrement en France et en Espagne.
À ce titre, ces patrimoines équivalent à des actifs financiers (ou mobiliers) et la tentation est grande à diverses périodes de l’histoire de les fluidifier à la manière des actifs mobiliers : soit d’y répercuter des innovations financières – comme celles impulsées par la toute nouvelle Banque hypothécaire de France à partir de 1879, comme on le voit dans l’article de Michel Lescure –, soit d’y transférer les innovations et les techniques de gestion produites dans la sphère financière – comme on le voit dans l’article d’Ingrid Nappi-Choulet à partir de la création des structures de défaisance en 1993 –, quitte à conditionner, voire à engendrer ainsi, les futures crises qui vont avoir des effets de retour dans la sphère financière.
Dans une autre perspective, l’analyse de la crise récente en Espagne par Gérard Chastagnaret souligne la promiscuité entre les pouvoirs publics locaux, certaines institutions financières – les caisses d’épargne – et un secteur de l’immobilier largement financé par ces dernières. On parvient ainsi à isoler un aspect du gouvernement des entreprises financières qui conditionne la prise de risque avec un biais marqué à la hausse.
Ainsi, ces trois articles mettent en lumière deux aspects souvent négligés dans les controverses actuelles qui se concentrent largement sur les aspects systémiques (stabilité comblée par des mises de fonds propres élevées et surveillance des positions hégémoniques, too big to fail). En effet, il ressort qu’une attention marquée doit également être portée à l’innovation financière et à la gouvernance quotidienne des entreprises financières.
Ce dossier laisse de côté le cas américain déjà largement commenté, certainement beaucoup plus que les cas des pays européens continentaux traités ici. Le lecteur intéressé par le cas américain se référera, par exemple, à White (2009) pour la bulle des années 1920 (et la crise qui s’est ensuivie) et à Calomiris (2009a et 2009b) pour la crise qui a débuté en 2007. Le cas américain pose de multiples problèmes de gouvernance et de surveillance des entreprises financières (shadow banking) ; le cas espagnol en pose d’autres, et cela plutôt dans la sphère publique (caisses d’épargne). Le caractère décentralisé de ces institutions ne les empêche pas de nourrir une forte opacité avec une capture des prêteurs par des pans entiers de la société politico-économique, alors que les analyses se polarisent généralement sur la taille (too big to fail) et la solidité en fonds propres.
L’origine lointaine de ce petit dossier se situe dans les réflexions suscitées par une journée d’études de l’école doctorale « Économie, organisations, société » de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense1. Les recherches suscitées par cette journée d’études ont eu précisément pour objet de prolonger les réflexions de White sur des cas européens. Elles conduisent aujourd’hui à cette publication grâce à l’hospitalité de la Revue d’économie financière que nous remercions chaleureusement pour l’acceptation de nos propositions.