Jean-François Théodore, « JFT », n’était pas celui que l’on croyait. Pour ce qui était de l’Europe et de l’opéra, certes, l’apparence de la passion correspondait parfaitement à la réalité. Mais, pour tout le reste, Jean-François Théodore aimait à dérouter, ce qui se lisait pour ses proches dans son regard souvent mutin contrastant avec une gestuelle éminemment débonnaire. De ce contraste venaient probablement pour partie ses qualités unanimement reconnues de fin négociateur.
Il n’était pas ce qu’il laissait paraître. On le croyait fonctionnaire (il a passé seize ans à la Direction du Trésor pour en devenir directeur adjoint) ; il était en fait chef d’entreprise dans l’âme, ce qu’il a démontré en transformant au pas de charge l’archaïque Société des Bourses françaises en Bourse paneuropéenne à la pointe de la technologie, ce qu’est encore aujourd’hui Euronext, son quatrième enfant.
On le croyait financier et lui-même pensait l'être ; il s’est découvert en fait passionné de technologie, ce qui a permis à Euronext de rester compétitive face à ses concurrents (le LSE et le NYSE) ancrés dans des places financières (Londres et New York) bien plus puissantes que ne l’était Paris.
On le croyait un brin nonchalant ; c’était en fait un bourreau de travail, ce qui lui donnait un coup d’avance dans de nombreuses négociations et ce qui lui a permis en 2001 de rafler le marché dérivé londonien, le Liffe, au nez et à la barbe du LSE pourtant favori au départ, ce qui lui valut un hommage appuyé du Wall Street Journal, ce dont peu de financiers français peuvent se prévaloir.
On le croyait parfois, au Trésor ou à Euronext, trop concentré sur des détails ; il était en fait un visionnaire qui, parmi les premiers, avait compris qu’une Bourse au xxie siècle se devait d'être d’abord et avant tout une SSII (société de services en ingénierie informatique) mondialisée. Son seul regret dans la réalisation de ce projet aura été de ne pas pouvoir convaincre la Deutsche Börse de sortir de la logique d’intégration verticale (le fameux « silo ») et d’accepter un mariage entre égaux avec Euronext.
Par rapport à notre Revue, dont il était membre du conseil d’orientation, on pouvait le croire distant car trop accaparé par ses préoccupations de chef d’entreprise de marché. Mais il suffisait que l’on ait besoin de lui pour qu’il réponde présent. Pas seulement en tant que partenaire financier, mais surtout en tant que partenaire intellectuel bienveillant. De ce strict point de vue – et de bien d’autres –, tu nous manques déjà…
La Revue d’économie financière