Devant le foisonnement des initiatives et les transformations économiques qu'elles engendrent, le modèle traditionnel d'entreprise se transforme et une multiplicité de formes entrepreneuriales surgissent ou renaissent.
Économie positive, économie collaborative, économie circulaire, économie de la fonctionnalité… De nouvelles formes de production et d'échange se démarquant du schéma capitaliste pur semblent apparaître, en particulier ce « tiers-secteur » qui est celui de l'économie sociale. En le mettant en perspective, Michel Audigier montre que ses racines sont anciennes. En France, c'est la Charte de l'économie sociale de 1980 qui le consacre officiellement. Pourtant, l'économie sociale a une existence plus ancienne puisque l'expression apparaît dès 1830. Aujourd'hui, elle emploie environ 2,3 millions de salariés dans un peu plus de 220 000 établissements. La distanciation vis-à-vis du champ économique et de son orientation préférentielle vers l'activité sociale s'est opérée en quatre temps : le xixe siècle avec l'expérience des familistères ; l'essor du mouvement coopératif entre les deux guerres ; les Trente Glorieuses qui ont consacré la dimension sociosanitaire du phénomène ; la période contemporaine caractérisée par le renouveau du mutualisme.
Cependant, l'économie sociale n'a jamais eu les moyens financiers suffisants pour constituer des entreprises capables de se confronter à la concurrence des grands groupes industriels et de s'imposer sur les marchés : difficulté à trouver des sources de financement ; obstacles idéologiques venant tant des milieux ultralibéraux que des réticences de la pensée marxiste ; appui tardif des pouvoirs publics. Aujourd'hui, l'économie sociale et solidaire est à la croisée des chemins entre la réduction des dépenses publiques qui va l'affecter durablement et un cadre juridique rénové (loi de juillet 2014).
Alain Tedaldi décrit les transformations des modèles économiques classiques historiquement adoptés par les entreprises. Dans la quasi-totalité des secteurs d'activité, ces modèles économiques sont bouleversés, l'accès aux marchés se complexifie, l'intensité concurrentielle s'accroît, les stratégies d'influence se renforcent.
Première évolution, les inflexions sociétales caractérisées par l'émergence de valeurs nouvelles : partage, frugalité, coopération, transparence, esprit collaboratif. Seconde évolution, l'irruption du numérique initialement portée par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), qui structurent le paysage du Net, s'est largement diffusée auprès des citoyens, des entreprises, de tous les acteurs économiques. Troisième évolution qui résulte des deux premières, la relation de l'entreprise avec les clients change en profondeur. Le client est devenu un acteur maître de ses choix, pôle d'influence sur la toile, prescripteur auprès de ses pairs émettant des avis positifs ou négatifs, créateur de communautés et à l'initiative de nouveaux réseaux sociaux. Quatrième évolution, la vitesse de pénétration des nouveaux entrants sur les marchés. Les barrières à l'entrée sont battues en brèche par l'irruption rapide d'entreprises ou même de communautés d'individus positionnées hors du secteur marchand qui concurrencent les acteurs traditionnels. C'est l'ubérisation.
Les positions ne sont pour autant pas figées. Nous entrons dans l'ère de l'entreprise multipolaire et agile. La culture de l'expérience client et de l'usage se développe au profit d'une entreprise interconnectée, sans qu'il soit possible de faire rentrer ces évolutions sous un modèle unique.
Vassili Joannides de Lautour dresse un bilan du modèle coopératif qui recouvre des réalités multiples : des coopératives ouvrières aux coopératives agricoles, de celles de salariés aux groupements de fournisseurs ou d'usagers. Le mouvement coopératif trouve ses racines dans la philosophie de Saint Simon, prolongeant le modèle de cité idéale conçu par Thomas More au xvie siècle. Au fil des ans, il est devenu un acteur incontournable de l'économie, opérant dans tous les secteurs. Dans les années 1980, le mouvement coopératif a progressivement perdu de son attrait, tant les exigences du modèle semblaient incompatibles avec un chômage croissant et une économie au ralenti. Puis, à partir du milieu des années 1990, le modèle coopératif est considéré comme une manière pour l'entrepreneur d'assurer la succession de l'entreprise qu'il a créée. Depuis, de nombreux cas de reprise d'entreprises par leurs salariés, soit pour assurer une continuité managériale, soit pour éviter une faillite, se sont fait jour. En 2014, le secteur coopératif compte plus de 800 millions de coopérateurs (membres détenant une partie du capital et ayant un droit de vote), emploie 250 millions de salariés et vient en aide à 150 millions de personnes dans 96 pays. Les coopératives emploient en moyenne 8,73 % de la population active dans le monde, avec peu de différences d'un continent à l'autre. Après presque trois décennies de relatif désintérêt pour les acteurs économiques, les coopératives apparaissent à nouveau comme un moyen d'atténuer les effets des crises économiques et financières et aussi comme une nouvelle manière d'entreprendre et de gérer. Mais des difficultés demeurent, le premier défi pour les coopératives étant de parvenir à lever des fonds suffisants pour ne pas se heurter à des barrières trop lourdes à l'entrée dans un secteur d'activité.
Olivier Basso s'interroge sur la légitimité de la grande entreprise cotée et mondialisée. Il juge insuffisant de la fonder sur la seule création de valeur pour l'actionnaire. Devenues par leur taille l'équivalent de certains États, de telles entités forment une catégorie spécifique et l'on ne saurait les assimiler à d'autres types d'entreprises. Elles sont devenues ce lieu contrôlé de l'extraction d'un profit destiné à récompenser les actionnaires sans réussir à maintenir une dimension de communauté humaine, la corporate governance ayant placé l'actionnaire au cœur d'un dispositif normatif qui encadre le comportement du dirigeant. Les options pour une évolution possible sont, selon l'auteur, au nombre de cinq : l'option révolutionnaire ; la réglementation internationale ; la voie de l'autorégulation ; la pax america ; la constitution en corps politiques légitimes. Les quatre premières lui semblant peu crédibles ou souhaitables, il plaide pour une voie démocratique renforçant le point pivot de l'entreprise, à savoir son dirigeant et faisant en sorte que ce dernier puisse s'appuyer sur une légitimité autre que celle du seul actionnaire. L'entreprise doit conserver sa nature tripartite alliant travail, capital et talent des dirigeants. Il lui semble donc nécessaire de désolidariser le pouvoir décisionnel stratégique dans l'entreprise de la seule possession d'actions dans la société qui la porte juridiquement. Il fait des propositions en ce sens : affirmer le projet industriel de l'entreprise ; étendre la légitimité du président au-delà de la nomination actionnariale ; sécuriser le développement de l'entreprise. C'est à cette seule condition que la grande entreprise pourra trouver une place non contestée dans la société moderne du xxie siècle et contribuer durablement à la prospérité du monde.
Les entreprises ont aujourd'hui à répondre à des exigences éthiques formulées par l'ensemble des parties prenantes : salariés, fournisseurs, pouvoirs publics, mais aussi épargnants ou gérants d'actifs à la recherche d'investissements socialement responsables. Une entreprise éthiquement irréprochable relève-t-elle pour autant de l'utopie ? Sans trancher, Jean-Marc Le Gall circonscrit les termes du débat. Il s'agit d'articuler efficacité économique et obligation éthique à partir d'un dialogue avec les actionnaires, les salariés, mais aussi les clients, les fournisseurs et jusqu'à la société, incarnée le plus souvent par les défenseurs de l'environnement et des droits de l'homme. L'actuel intérêt de tels concepts auprès de certaines entreprises ne doit pas masquer le fait que leur adoption par ces dernières n'est pas exempte d'ambiguïtés, voire de complaisance de leur part. L'invocation de leur responsabilité sociale (RSE) n'est acceptable qu'aussi longtemps qu'elle ne remet pas en cause la primauté des actionnaires. La RSE incarne une nouvelle utopie, qui postule l'harmonie naturelle des intérêts des parties prenantes, et exclut d'emblée les contradictions et les conflits entre ces dernières. Cette vision irénique n'est tout simplement pas réaliste. Force est de constater que la RSE ne constitue encore, sauf exception, qu'un modeste infléchissement des modalités d'action des entreprises et relève simplement d'une gestion optimale des risques juridiques et de réputation. Un domaine d'application pourrait en être l'amélioration de la relation avec les salariés en matière de conditions de travail, de reconnaissance et de participation par la recherche de solutions réellement innovantes. Le temps semble, en effet, venu de reconnaître réellement aux salariés la qualité pleine et entière de « partie prenante » en définissant et généralisant la « responsabilité sociale interne » à travers une démarche exigeante et vertueuse réévaluant leur apport au projet entrepreneurial.