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 Biens mal acquis, biens en déshérence : des ressources inédites pour financer l'économie sociale et solidaire


Thierry GUILLOIS Président de la Commission juridique et fiscale, Haut Conseil à la vie associative (HCVA) ; avocat associé, Cabinet PDGB.
Marcel HIPSZMAN Ancien adjoint au délégué interministériel à l'économie sociale.

Le financement des entreprises de l'économie sociale et solidaire se heurte à des difficultés liées en partie à leur nature et leur mode de fonctionnement qui les rendent insuffisamment attractives pour les investisseurs privés. Elles subissent par ailleurs, s'agissant notamment des associations, les effets de politiques budgétaires récessives.

Dans le même temps, ces entreprises connaissent depuis plusieurs décennies un développement considérable et jouent un rôle important en appui aux politiques publiques dans de nombreux domaines. La question du financement n'en acquiert que plus d'acuité.

C'est l'un des objectifs affichés par le gouvernement en faisant adopter la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire que d'essayer d'y répondre. Et en effet, celle-ci contient un certain nombre de mesures qui s'ajoutent à la panoplie d'outils développés au fil du temps.

Sans anticiper sur l'effet de ces mesures, on peut cependant penser qu'elles ne suffiront pas. Il apparaît donc utile de continuer à améliorer les outils existants et à explorer de nouvelles possibilités. L'investissement à impact social est certainement de celles-là.

D'autres voies encore inédites en France, mais expérimentées à l'étranger paraissent également prometteuses.

C'est le cas du dispositif de captation ou de récupération au profit des structures de l'économie sociale et solidaire d'une partie des ressources provenant des biens mal acquis ou de « réutilisation sociale des biens confisqués à la criminalité organisée » mis en œuvre en Italie depuis 1996.

C'est aussi le cas du dispositif concernant l'affectation au financement d'organismes d'intérêt général des avoirs en déshérence introduit au Royaume-Uni en 2008.

Cet article présente successivement, en s'appuyant sur des expériences étrangères, deux nouvelles sources potentielles de financement d'activités d'intérêt général et de l'économie sociale et solidaire.

LA RÉUTILISATION À DES FINS SOCIALES DES BIENS CONFISQUÉS À LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE

La notion de « crime organisé »

Le droit français ne définit pas explicitement la notion de « crime organisé ».

Toutefois, le Code de procédure pénale prévoit une procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées avec la liste des infractions auxquelles elle s'applique et qui couvre un champ très vaste (trafic de stupéfiants, traite des êtres humains, extorsion, fausse monnaie, terrorisme, etc.).

En l'absence de définition plus précise, la notion d'« association de malfaiteurs » ou de « bande organisée » définie dans le Code pénal comme « tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation par un ou plusieurs faits matériels d'une ou plusieurs infractions pénales » est ce qui exprime sans doute le mieux la notion de « crime organisé ».

Dans l'opinion publique et les médias, c'est le terme générique de « mafia », que l'on emploie le plus souvent pour désigner le crime organisé, éventuellement qualifié suivant son origine : mafia italienne, russe, asiatique, etc.

Le crime organisé est aujourd'hui un phénomène planétaire qui sévit sous les formes et dans les domaines les plus divers. L'inventivité criminelle est, à cet égard, sans limite, toujours à l'affût de nouveaux terrains d'exercice. Le développement exponentiel de la cybercriminalité et de la criminalité financière en est un exemple parmi d'autres. Les ressources que les réseaux criminels tirent de leur activité et font fructifier par leur réinvestissement dans des activités licites et par la corruption et la fraude pratiquées à grande échelle leur confèrent un pouvoir considérable au point de constituer une menace pour la sécurité et le bien-être des populations (rôle de la Camorra dans le traitement des déchets à Naples), mais aussi pour les entreprises (concurrence déloyale, contrefaçon, fraude dans l'attribution des marchés publics) et dans certaines régions du monde, y compris en Europe, pour l'état de droit et les institutions démocratiques.

Selon l'ONU (Organisation des Nations unies), le montant total des produits du crime atteignait 2 100 Md$, soit 3,2 % du PIB mondial en 2009. Au sein de l'Union européenne (UE), les profits de la criminalité sont considérables.

L'estimation pour les seules ventes de drogues illicites est de 100 Md€ par an, soit à peu près le montant total du budget de l'UE. En Italie, les produits de la criminalité organisée sont estimés à 150 Md€ par an. Au Royaume-Uni, le chiffre (2006) est de 15 Md£.

Une très faible part des produits du crime organisé est saisie et confisquée (moins de 1 % selon l'ONU). Sur cette base, on obtiendrait, pour la France, un montant de l'ordre de 50 Md€.

La lutte contre le crime organisé en france et au niveau européen

Elle est au premier chef de la responsabilité de chacun des États auxquels il appartient de prévenir et réprimer les activités criminelles par l'action de la police et de la justice.

La répression ne suffit pas. Tarir les ressources des réseaux criminels par la saisie et la confiscation des produits de leurs activités est encore le moyen le plus efficace pour en entraver durablement la poursuite.

Nombre d'États se sont dotés des outils juridiques et administratifs propres à donner toute leur efficacité à ces mesures.

C'est le cas notamment de la France qui, par la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, a considérablement renforcé le dispositif existant.

Afin d'améliorer la gestion des biens saisis et confisqués dans le cadre de procédures pénales, il a été notamment créé l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) placée sous la double tutelle du ministère de la Justice et de celui des Finances.

L'ensemble des biens (numéraires, comptes bancaires, véhicules, immeubles, meubles, etc.), 34 000 au total, sous gestion représentait, à la fin de 2014, plus de 500 M€.

Le produit de la vente de ces biens inscrit sur un compte ouvert à la Caisse des Dépôts (CDC) est reversé au budget général ou pour la part provenant du trafic de drogues au fonds de concours « stupéfiants » géré par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA).

Les groupes criminels organisés n'agissent pas seulement sur le territoire d'une région ou d'un État donné, ils opèrent fréquemment dans les États limitrophes, voire à l'échelle de l'UE, du continent, ou même au niveau mondial.

C'est ainsi que l'UE a fait de la lutte contre la criminalité organisée l'une de ses priorités dans le cadre du programme de Stockholm du 24 janvier 2010. Elle a défini une stratégie qui met l'accent sur la nécessité de développer davantage la confiscation des avoirs criminels et de renforcer la coopération entre les États membres. La Commission européenne est chargée de sa mise en œuvre.

Ce sera l'objet de la directive 2014/42 du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l'UE qui renforce considérablement l'efficacité du dispositif en prévoyant notamment :

  • la confiscation élargie s'appliquant à des avoirs criminels présumés provenir d'autres activités criminelles, sans lien avec l'infraction poursuivie ;

  • la confiscation en l'absence de condamnation en cas de décès, de maladie ou de fuite empêchant les poursuites ;

  • la confiscation des avoirs des tiers en cas de transfert de complaisance ;

  • le gel conservatoire au cas de biens risquant de disparaître.

La directive contient également une disposition tout à fait originale, introduite à l'initiative du Parlement européen. L'article 10.3 de la directive, intitulé « Gestion des biens gelés et confisqués », invite en effet les États membres à « envisager de prendre des mesures permettant que les biens confisqués soient utilisés à des fins d'intérêt public ou pour des finalités sociales ».

Il ne s'agit pas d'une obligation impérative, mais il est précisé dans les considérants (35) que « ces mesures pourraient, entre autres, inclure l'affectation de ces biens à des projets en matière d'application des lois et de prévention de la criminalité, ainsi qu'à d'autres projets d'intérêt public et d'utilité sociale ».

Il en résulte pour les États membres l'obligation de faire procéder à une analyse juridique ou à un examen des avantages et des désavantages de l'instauration de telles mesures.

L'adoption de cette mesure, inspirée de la loi italienne de 1996, qui a, pour la première fois en Europe, mis en place un dispositif de réutilisation sociale des biens confisqués à la criminalité organisée, marque l'aboutissement des efforts des parlementaires européens pour rendre plus efficace la lutte contre la criminalité organisée en y associant plus directement la société civile.

La réutilisation sociale des biens confisqués : le rôle pionnier de l'Italie

L'adoption de la loi italienne intervient à un moment clé d'une période d'affrontement brutal entre la mafia et l'État italien.

Elle se situe dans le prolongement de la loi Rognoni-La Torre de 1982, dite « loi antimafia », qui crée le délit d'association mafieuse et autorise la confiscation préventive des biens des personnes appartenant à une conspiration mafieuse. La loi de 1996, et c'est ce qui en fait tout l'intérêt, est portée par un mouvement citoyen – une pétition lancée en 1995 par l'association Libera et qui a réuni plus de 1 million de signatures. Elle exprime le refus de la violence prédatrice de la mafia et l'exigence du retour à la collectivité des biens volés.

Dans la pratique, la partie des biens confisqués affectés à une utilisation sociale, qui restent cependant la propriété de l'État, sont attribués aux collectivités locales, à charge pour elles de les mettre à disposition et d'en confier la gestion à des coopératives ou des associations sur la base d'un contrat de concession d'une durée limitée à vingt ans ou, dans le cas des terres agricoles, sous la forme d'un commodat gratuit de quinze ans à trente ans (Rizzoli/Mignemi). Le financement de l'activité reste à la charge des structures qui peuvent éventuellement bénéficier d'aides publiques.

Comme en France, la gestion administrative de l'ensemble des biens saisis et confisqués, avant affectation, est assurée par une agence relevant de la puissance publique, Agenzia nazionale per l'administrazione e la destinazione dei beni sequestrati e confiscati alla criminalità organizzata (ANBSC). Elle a toutefois une mission nettement plus étendue que l'AGRASC puisqu'elle assure la mise en œuvre du dispositif de réutilisation des biens confisqués.

La valeur du patrimoine confisqué estimée à 11 Md€ en 2012 comprend aujourd'hui 13 000 biens immobiliers et 1 700 entreprises. Sur ce total, un tiers a été attribué à des coopératives ou des associations.

Au vu de l'expérience italienne, la réutilisation sociale présente un triple intérêt :

  • éviter que les biens confisqués ne soient récupérés par les organisations criminelles ;

  • remettre dans les circuits légaux, à la disposition de la collectivité et de la société civile, des biens prélevés sur les territoires et contribuer à leur développement ;

  • faire émerger, face à l'économie mafieuse, un autre modèle fondé sur les valeurs de l'économie sociale et solidaire (Hipszman, 2014)1.

La « Pieuvre » demeure toujours active, en dépit de sa condamnation par une grande majorité d'Italiens, à commencer par des prêtres tel Don Luigi Ciotti, très engagé dans la dénonciation de la mafia, comme les plus hautes autorités de l'Église et de l'État.

Reste que la confiscation des biens de la criminalité organisée et son utilisation à des fins sociales (Rizzoli/Mignemi), y compris au cœur même de la domination mafieuse (Corleone), ont largement contribué à éroder le « capital social » de la mafia là où elle est la plus enracinée, en même temps qu'à la création et au développement de coopératives et d'associations sur ces territoires.

Vers l'adoption de la réutilisation sociale en France ?

La question est d'ores et déjà posée et se posera de toute façon au moment de la transposition de la directive du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l'UE qui doit intervenir au plus tard le 4 octobre 2016.

Même si les situations ne sont pas en tout point comparables – encore que le tableau que dresse la Direction centrale de la police judiciaire (rapport SIRASCO 2012-2013) ne laisse aucun doute sur l'ampleur du phénomène –, on peut penser que la France trouverait le même avantage que l'Italie à adopter un dispositif de réutilisation sociale.

Un projet pour l'économie sociale et solidaire

La Chambre française de l'économie sociale et solidaire (CFESS) soutient l'adoption d'un tel dispositif dans lequel elle voit un outil pour le développement des entreprises de l'économie sociale et solidaire en même temps que la promotion de ses propres valeurs.

Confier la gestion d'une partie des biens confisqués ou affecter le produit de leur vente à des coopératives, des associations ou d'autres entreprises de l'économie sociale et solidaire constitueraient une démarche tout à fait positive dans le sens de l'intérêt général, et ce, d'autant que la loi relative à l'économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014 a créé (article 2) le statut d'« entreprise solidaire d'utilité sociale » et défini les conditions d'agrément.

L'impact social, notamment auprès des jeunes sans emploi dans les zones urbaines sous l'emprise des réseaux mafieux liés au trafic de drogue, pourrait être tout à fait important.

On pourrait également en attendre un effet de levier important en termes de ressources financières et des opportunités nouvelles pour la création et le développement des entreprises de l'économie sociale et solidaire dans les territoires en partenariat avec les collectivités locales.

Une initiative parlementaire

Le Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l'économie sociale (CEGES) d'abord, lors de l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi relative à l'économie sociale et solidaire adopté le 31 juillet 2014, puis la CFESS qui lui a succédé, lors de l'examen au Sénat du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances, adopté le 6 août 2015, se sont employés à porter le débat devant le Parlement, sous la forme d'amendements aux textes en discussion. Ces amendements ont reçu le soutien d'un nombre important de représentants des deux assemblées appartenant à la majorité aussi bien qu'à l'opposition, dont notamment les deux rapporteurs de la loi relative à l'économie sociale et solidaire, Yves Blein et Marc Daunis, et surtout le député Jean-René Marsac, coprésident du Groupe économie sociale et solidaire, qui continue à suivre la question de très près.

Le soutien des parlementaires permet d'espérer une adoption de la mesure dans les mois qui viennent en dépit des réticences gouvernementales qui ne portent pas sur le fond du projet sur lequel aussi bien Valérie Fourneyron qu'Emmanuel Macron ont exprimé leur accord et qu'ils se sont engagés à faire progresser.

Perspectives

L'adoption d'un texte de nature législative constitue la première étape de la mise en œuvre du dispositif de réutilisation sociale. Celle-ci ne pourra se faire que progressivement, comme cela a été le cas en Italie où les esprits y étaient cependant beaucoup mieux préparés. Il reste en effet à définir très précisément le dispositif et son mode opératoire en fonction d'un environnement social, économique, politique et administratif qui est différent du contexte transalpin.

La réflexion à ce sujet est amorcée depuis un certain temps à l'initiative de la CFESS. Un effort de sensibilisation en direction des acteurs de l'économie sociale, des collectivités territoriales avec l'appui de groupements, tel le Réseau des territoires pour l'économie solidaire (RTES) et des parlementaires, est d'ores et déjà initié, en prélude à la constitution d'un groupe de travail à l'automne 2015 auquel l'association Libera apporte son concours. Des contacts sont également pris avec l'AGRASC, qui gère un stock de plus de 1 500 biens immobiliers saisis, et les ministères concernés.

La lutte contre la criminalité organisée représente pour nos sociétés un défi immense comparable par son importance – en termes économiques et financiers notamment – aux défis environnementaux auxquels la planète est confrontée. L'engagement de la société civile a un rôle essentiel à jouer dans ce combat dont l'enjeu est aussi culturel. La réutilisation sociale des biens confisqués à la criminalité organisée est, de toute évidence, comme le montre l'exemple italien, un outil dont l'impact social est important et les effets mesurables dans la durée.

Pour l'économie sociale et solidaire, c'est un formidable challenge en même temps qu'un levier de progrès.

LA DÉSHÉRENCE AU SERVICE DE L'INTÉRÊT GÉNÉRAL

En cette période de contraction récurrente des budgets publics tant au niveau de l'État que des collectivités territoriales, l'économie des organismes privés, notamment associatifs, menant des activités d'intérêt général, se trouve fragilisée. Le mécénat ne progresse guère et se montre sélectif. Par ailleurs, les recettes d'activités sont tributaires de la solvabilité des bénéficiaires, ce qui ne facilite pas le développement des actions en faveur des publics les plus fragiles.

Il est alors tentant de réfléchir à de nouvelles formes de financement de l'intérêt général en s'inspirant notamment d'exemples étrangers.

L'exemple britannique

En 2014 et à la faveur d'un rapport consacré par la Cour des comptes aux avoirs bancaires et aux contrats d'assurance-vie en déshérence publié en juin 2013, le Haut Conseil à la vie associative (HCVA) s'est intéressé à une loi adoptée par le Parlement britannique sur les comptes dormants des banques et des sociétés de crédit immobilier (Dormant Bank and Building Society Accounts Act 2008) qui autorise ces dernières à verser une partie des sommes issues des comptes dormants à un fonds caritatif destiné à financer de l'investissement social ou des offres de services en faveur de la jeunesse. Cette loi fait suite à la mise en place, en 2005, d'une commission indépendante sur les avoirs non réclamés, destinée à déterminer de quelle manière les comptes dormants pourraient être utilisés au bénéfice de la société. Cette commission préconisait la création d'une banque d'investissement social qui aurait pour objectif d'investir dans des social investment finance intermediaries, c'est-à-dire dans des véhicules d'investissement prenant en compte les externalités sociales de leur financement. Depuis 2008, le fonds créé par la loi britannique collecte les sommes des comptes dormants (n'ayant fait l'objet de la part de leur propriétaire d'aucun mouvement pendant une période de quinze ans). Il décide alors de la proportion qui sera versée en faveur de projets sociaux et de celle qui sera conservée en vue de faire face aux réclamations éventuelles des détenteurs de comptes ou de leurs ayants droit.

Le rapport incisif de la cour des comptes

En France, sollicitée par la Commission des finances de l'Assemblée nationale, la Cour des comptes a publié, en juin 2013, un rapport consacré précisément aux avoirs bancaires et aux contrats d'assurance-vie en déshérence. Ce rapport largement repris par la presse mettait en évidence qu'un certain nombre d'établissements de crédit ou de compagnies d'assurances profitaient, parfois en parfaite méconnaissance de la loi, du silence ou de l'inaction des titulaires de comptes ou de contrats soit pour « siphonner » lesdits comptes au moyen de commissions de gestion, soit pour profiter des revenus produits par les avoirs inscrits sur les contrats d'assurance-vie.

L'enquête de la Cour des comptes a porté sur un échantillon de sept groupes ou établissements bancaires représentant 80 % du total du bilan des établissements de crédit en France (BNP Paribas, BPCE, Crédit mutuel, Crédit agricole, HSBC France, Banque postale, Société générale). Dans le secteur des assurances, la cour a retenu un échantillon de neuf entreprises représentant 67 % du marché de l'assurance-vie (Allianz France, AXA, BNP Paribas Cardif, CNP, Groupama, MMA-vie, Predica, Sogecap, Swisslife).

S'agissant des comptes bancaires, la Cour des comptes estimait que les comptes identifiés comme « inactifs » pouvaient recouvrir des réalités très diverses selon la nature du compte (compte de titre ou sur livret, compte de dépôts, etc.) ou selon la durée de l'absence de mouvement (un an, vingt ans, trente ans, etc.).

Elle évaluait toutefois le nombre de comptes inactifs au sein de l'échantillon retenu à 1,8 million pour un encours de 1,6 Md€ dont près de 1,5 Md€ au titre de comptes de dépôt à vue et d'épargne, étant observé qu'il s'agissait d'une estimation basse très partielle. Parallèlement, la Cour des comptes chiffrait à 298 M€, en 2012, l'encours des comptes inactifs depuis au moins dix ans.

Sachant que sur l'échantillon considéré, l'encours des comptes inactifs progresse d'année en année, il est tentant de considérer que le stock global d'avoirs non réclamés s'élève à des montants très importants.

Or si les comptes sont inactifs, les établissements de crédit le sont, quant à eux, beaucoup moins. Ils prélèvent chaque année sur lesdits comptes des frais de gestion s'échelonnant, selon l'établissement, entre 18 euros et 500 euros, ponctions qui peuvent conduire plus ou moins rapidement, en fonction du montant des sommes inscrites, à vider le compte dans sa totalité.

Constatant que la seule obligation pesant sur les établissements résidait dans le transfert à l'État des sommes restant éventuellement sur le compte au bout de trente ans, la Cour des comptes préconisait le transfert obligatoire de ces avoirs à la CDC au terme d'un délai défini par la loi.

La Cour des Comptes s'est ensuite intéressée aux contrats d'assurance-vie non réclamés.

Depuis une loi du 17 décembre 2007, les assureurs ont l'obligation d'identifier leurs assurés décédés et de rechercher les bénéficiaires des contrats. Auparavant, dans la mesure où de nombreux bénéficiaires n'étaient pas informés de l'existence d'un contrat d'assurance-vie à leur profit, les compagnies d'assurances restaient en possession de sommes estimées à plusieurs milliards d'euros.

La Cour des comptes constatait toutefois que la loi de 2007 n'était pas appliquée intégralement par les assureurs et qu'en particulier, ceux-ci ne respectaient pas l'obligation de consulter les données relatives au décès des personnes inscrites au répertoire national d'identification des personnes physiques, afin d'identifier les assurés décédés, ou ne se pressaient pas pour rechercher les bénéficiaires des contrats.

Elle observait notamment que sur la recommandation de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), les entreprises d'assurances ne consultaient le registre national que sur la base de critères restrictifs (assurés âgés de plus de quatre-vingt-dix ans ou contrats supérieurs à 2 000 euros ; or l'âge moyen des décès est plutôt de quatre-vingts ans et les contrats de moins de 2 000 euros représentent entre 20 % et 30 % de l'ensemble des contrats d'assurance-vie).

En 2011, le montant des contrats d'assurance et de capitalisation non réclamés était estimé à 2,76 Md€, étant précisé que la Cour des comptes considérait ce montant comme sous-évalué. Là encore, il est vraisemblable que le stock réel de contrats non réclamés s'élève à une somme bien supérieure.

S'agissant de ces sommes, la Cour des comptes recommandait également leur transfert à la CDC par les assureurs, et ce, passé un délai de dix ans après le décès de l'assuré ou le terme du contrat.

Un an après le dépôt de ce rapport, le Parlement adoptait la loi du 13 juin 2014 relative aux comptes inactifs et aux contrats d'assurance-vie en déshérence. Cette loi donne une définition d'un compte inactif (compte non mouvementé durant une période de douze mois par son titulaire lequel ne s'est pas manifesté sous quelque forme que ce soit). Elle impose à l'établissement d'informer par tous les moyens le titulaire du compte ou son représentant et de publier chaque année le nombre de comptes inactifs ouverts dans ses livres, le montant des dépôts et des avoirs qui y sont inscrits.

Elle précise encore que le montant des frais et des commissions de toute nature prélevé sur les comptes inactifs est plafonné. Un décret du 28 août 2015 a précisé le montant de ces plafonds.

Par ailleurs, la loi impose aux établissements de transférer à la CDC les dépôts et les avoirs inscrits sur les comptes inactifs à l'issue d'un délai de dix ans à compter de la date de la dernière opération – ce délai est ramené à trois ans en cas de décès du titulaire du compte.

Les sommes qui n'ont pas été réclamées par leurs titulaires – ou leurs ayants droit – sont acquises à l'État à l'issue d'un délai de vingt ans à compter de la date de leur dépôt à la CDC. Ce délai est porté à vingt-sept ans dans l'hypothèse des sommes versées à la CDC, trois ans après le décès du titulaire du compte.

La loi modifie également le Code des assurances afin d'imposer aux entreprises d'assurances de publier chaque année, chacune pour ce qui la concerne, le nombre et l'encours des contrats non réglés. L'information publiée doit également porter sur les démarches réalisées par l'entreprise pour rechercher les titulaires ou les bénéficiaires des contrats.

De même que pour les comptes en déshérence, les sommes dues au titre des contrats d'assurance-vie ou des bons ou des contrats de capitalisation qui n'ont pas fait l'objet d'une demande de versement sont déposées à la CDC à l'issue d'un délai de dix ans à compter de la date de prise de connaissance par l'assureur du décès de l'assuré ou de l'échéance du contrat. Les sommes ainsi déposées à la CDC et non réclamées par le souscripteur ou les bénéficiaires sont acquises à l'État à l'issue d'un délai de vingt ans à compter de la date de leur dépôt.

Proposition pour une utilisation d'une partie des sommes en déshérence en faveur de l'intérêt général

Dans le cadre de son rapport sur le financement privé des associations, le HCVA avait proposé, en mars 2014, de s'inspirer de l'exemple britannique du Dormant Bank and Building Society Accounts Act de 2008, pour instaurer en France un dispositif permettant d'utiliser une partie des sommes destinées à être reversées au bout de dix ans à la CDC, en soutien au secteur associatif d'intérêt général.

La proposition du HCVA consistait à ce qu'une partie des sommes figurant sur les comptes associatifs transférés à la CDC puissent revenir à l'État annuellement sans attendre le nouveau délai de vingt ans, afin d'alimenter un fonds destiné au financement de la vie associative.

Une commission serait chargée, chaque année, de fixer le pourcentage des sommes figurant sur ces comptes qui serait reversé à ce fonds et la proportion de celles devant être maintenues au sein de la CDC afin de faire face à d'éventuelles revendications.

Lors des débats ayant précédé le vote de la loi du 13 juin 2014, cette proposition fut présentée par plusieurs députés et défendue par Régis Juanico, à l'occasion de l'examen du projet par la Commission des finances. Elle n'avait alors pas été retenue, davantage en raison de sa tardiveté que de son contenu, mais son actualité demeure.

Dans de nombreux secteurs (l'éducation populaire, l'accompagnement des personnes âgées et des publics fragilisés et, plus généralement, le secteur médico-social dans son ensemble, la culture, le sport, le tourisme, etc.), les associations rencontrent de plus en plus de difficultés à remplir leurs missions alors que du fait de la situation économique et de l'emploi, les besoins ne cessent de progresser.

Depuis plusieurs années déjà, les sommes destinées aux associations dans les budgets de l'État et de la plupart des collectivités diminuent de façon récurrente.

Une récente étude de Viviane Tchernonog démontre que la part des financements publics dans le budget moyen des associations – qui n'avait cessé de progresser jusqu'en 2011, pour parvenir à 51 % de celui-ci – s'est mise à régresser pour s'établir aux alentours de 49 %.

Parallèlement, la part du mécénat a également régressé pour se stabiliser à 4 % de ce budget moyen, étant précisé que toutes les associations ne sont pas égales, loin s'en faut, devant le mécénat, lequel se manifeste très peu dans les secteurs sanitaires et médico-social et de l'éducation populaire.

Or ces régressions ne peuvent être compensées ni par une augmentation du prix des prestations offertes – le plus souvent à des personnes faiblement solvables –, ni par les mécanismes de soutien à l'emploi mis en place par le législateur (le CICE – crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – n'est, par exemple, pas accessible aux associations).

Les conséquences sont mécaniques : d'une part, un certain nombre d'associations se retrouvent en très grande difficulté ; d'autre part, une part croissante des bénéficiaires naturels de leurs prestations n'y ont plus accès. La charge s'en trouve alors rejetée sur l'État qui ne peut faire face.

L'idée d'utiliser une partie des fonds dormants à des fins d'intérêt général relève donc d'une actualité brûlante et il paraît urgent de compléter la loi du 13 juin 2004.

Devant l'ampleur des besoins à couvrir, cet aménagement devrait s'avérer ambitieux et ne pas se limiter à un pourcentage à déterminer des seuls comptes associatifs en déshérence, mais concerner – comme en Grande-Bretagne – l'ensemble des comptes inactifs ainsi que les sommes figurant sur les contrats d'assurance-vie non réclamés et transférés à la CDC.

Une commission pourrait – comme l'a proposé le HCVA – déterminer la part de l'ensemble de ces avoirs qui pourrait être prélevée et la loi en désignerait le fonds affectataire. Compte tenu des volumes concernés, cette part devrait être établie pour permettre à la CDC de faire face à d'éventuelles réclamations de la part de titulaires, de bénéficiaires ou d'héritiers de compte ou de contrat, et à l'État de récupérer un solde confortable au terme de la prescription trentenaire.

La reprise et la mise en œuvre de cette proposition auraient le mérite de ne rien coûter au contribuable, si ce n'est le fonctionnement de la commission.

En définitive, il s'agirait, pour le législateur, de constater l'érosion des modes traditionnels de financement de la vie associative et de mettre en place une modalité nouvelle qui ne léserait ni les titulaires des comptes, qui pourraient toujours se faire rembourser leurs avoirs jusqu'au terme de la prescription trentenaire, ni l'État, qui a un intérêt réel à voir se poursuivre et se développer des activités d'intérêt général à fortes externalités sociales.


Notes

1 Et donc briser l'emprise de la mafia et restaurer la confiance dans la justice et les institutions démocratiques.

Bibliographies

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