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 La menace terroriste : de quoi parlons-nous ?


Alain RODIER Directeur de recherche, Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R).

DÉFINITION(S) DU TERRORISME

Les définitions du terrorisme sont nombreuses, personne n'ayant véritablement réussi à se mettre d'accord sur des termes communs. La raison en est bien simple : des individus sont considérés par certains comme des « terroristes » alors que pour d'autres, ils sont des « combattants de la liberté, pour l'indépendance, de la foi, etc. ». Selon le Larousse, le terrorisme est un « ensemble d'actes de violence commis par une organisation pour créer un climat d'insécurité ou renverser un gouvernement ». La loi française du 9 novembre 1986 parle d'« infraction en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ». Le Département d'État américain décrit l'« usage calculé de la violence ou de la menace pour créer la peur destinée à contraindre ou intimider des gouvernements ou des sociétés dans le but d'atteindre des objectifs politiques, religieux ou idéologiques ».

En fait, le terrorisme est simplement une méthode de combat qui est le premier niveau de la « guerre asymétrique » appelée dans les années 1950-1960 « guerre révolutionnaire ». Elle est aussi définie comme du « faible au fort ». Lorsque le « faible » n'a que peu de moyens, il utilise le terrorisme pour se faire connaître, voire reconnaître. Au fur et à mesure de sa montée en puissance, il passe au niveau supérieur : celui de la guérilla sans toutefois abandonner le terrorisme. Enfin, quand il se sent prêt à affronter directement son ennemi, il passe au dernier niveau : celui de la guerre classique en ne négligeant pas les deux précédents. Deux exemples viennent illustrer ces propos. La guerre d'Indochine, puis la guerre du Vietnam qui ont vu le succès des « faibles » (les Vietminhs, puis les Vietcongs) contre « les forts » (les colonialistesfrançais, puis les impérialistes américains). Les « faibles » ont vaincu les « forts » en utilisant successivement (et simultanément) les trois moyens : le terrorisme, la guérilla et la guerre conventionnelle. À noter que lors de ces deux conflits, l'arme de l'influence sur les populations (françaises, puis américaines) a été prépondérante. Les Tigres tamouls ont par contre connu la défaite car ils se sont crus assez forts pour passer au stade de la guerre classique après avoir libéré le nord du Sri Lanka, la presqu'île de Jaffna. Cette surestimation de leurs moyens a conduit à leur perte.

Aujourd'hui, trois théâtres d'opérations retiennent l'attention :

  • le front syro-irakien où les insurgés sont arrivés au niveau de la guerre classique, particulièrement Daech et le Front al-Nosra ;

  • l'Afghanistan : les talibans sont incontestablement au niveau de la guérilla. Si les forces de la coalition se retirent complètement, ils passeront au troisième niveau avec de bonnes chances de l'emporter rapidement. Un rappel historique : il n'a fallu que deux ans aux rebelles afghans pour s'emparer du pouvoir à Kaboul après le départ des Soviétiques en 1989. Et ils avaient laissé une armée bien mieux équipée et motivée ;

  • le continent africain où Boko Haram et différents mouvements rebelles libyens en sont au niveau de la guerre classique, la wilaya Sinaï de Daech et les shebabs somaliens dépendant d'Al-Qaïda à celui de la guérilla.

L'EXEMPLE FRANÇAIS

Il y a trois grands types de menaces terroristes en France : la « traditionnelle » que faisaient peser des mouvements « historiques » comme le FLNC (Front de libération nationale de la Corse), l'ETA, à peu près tous les mouvements insurrectionnels de la planète qui ont une représentation officielle ou clandestine en France ; la menace « islamique radicale » en distinguant les sunnites d'Al-Qaïda et de Daech et les chiites inspirés par Téhéran et enfin les menaces « de demain » alimentées par les mouvements insurrectionnels issus des mouvances altermondialistes, écologistes et anarchistes auxquelles il convient d'ajouter les extrémistes de toutes tendances.

Les mouvements insurrectionnels « historiques »

Le FLNC et les mouvances associées. Ces mouvements qui se disent « nationalistes » sont aujourd'hui plus criminels que politiques. Le risque terroriste qu'ils représentent est limité sur le continent, mais plus élevé en Corse. Toutefois, les « nationalistes » ne s'en prennent généralement qu'aux biens – sous couvert de nationalisme alors qu'il s'agit majoritairement de vulgaire racket – et aux représentations du pouvoir (parfois, cela est allé jusqu'au meurtre comme celui du préfet Érignac le 6 février 1998). Ce risque relativement faible n'exclut pas les pertes « collatérales », particulièrement lors des règlements de compte qui sont assez fréquents, mais qui entrent dans le domaine du droit commun. Si la plupart surviennent sur l'Île de Beauté, ils s'étendent parfois au continent et plus particulièrement à Marseille, Grenoble, Lyon et Paris.

Pour les indépendantistes de l'ETA, la France représentait plus une base arrière qu'un terrain d'opérations. Un mouvement insurrectionnel a toujours besoin d'une zone refuge pour prospérer. Toutefois, ses activistes étaient très dangereux, surtout lorsqu'ils étaient directement confrontés aux forces de police. Ce mouvement a annoncé la « fin définitive de son action armée » le 20 octobre 2011.

La France, terre d'accueil traditionnelle, reçoit sur son sol beaucoup de mouvements insurrectionnels étrangers : PKK (Partiya Karkerên Kurdistan, Parti des travailleurs du Kurdistan), LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam,qui entretient toujours des réseaux à l'étranger malgré sa défaite sur le terrain), Sentier Rouge péruvien, Moudjahédines du peuple, etc. Leur objectif premier est d'y recueillir des fonds destinés à financer leur lutte. Pour cela, ils ponctionnent leurs expatriés grâce à l'« impôt révolutionnaire ». Ils profitent également des facilités offertes pour s'y livrer à des actions de propagande et de recrutement. Ces mouvements représentent un risque minime pour la sécurité intérieure du pays en dehors des règlements de compte internes qui peuvent être l'objet de bavures ou d'assassinats commis par des services spéciaux étrangers comme le Vevak iranien ou le Mossad israélien.

Les mouvements islamiques radicaux

Oussama Ben Laden souhaitait l'établissement d'un « califat mondial ». Pour cela, il avait défini des terres de djihad « proches » et « lointaines ». La France entre dans cette deuxième catégorie. À de nombreuses reprises, les leaders d'Al-Qaïda central basé dans les zones tribales pakistanaises ont directement menacé la France. Déjà en octobre 2010, Ben Laden avait déclaré dans un message destiné au « peuple français » que la France ne connaîtrait de sécurité que si elle se retirait d'Afghanistan et cessait ses « injustices » à l'égard des musulmans. Il avait fait également directement référence à la prise d'otages de citoyens français au Sahel : « Tout comme vous tuez, vous êtes tués. Tout comme vous prenez des prisonniers, vous êtes pris en otage. Tout comme vous menacez notre sécurité, nous menaçons votre sécurité (…). S'il est du droit de la France d'interdire aux femmes libres de porter le voile, n'est-il pas notre droit de pousser au départ vos hommes envahisseurs en leur tranchant la tête ? »

Depuis son apparition officielle en 2014, Daech multiplie les menaces, la dernière émise en français le 22 juillet 2015 par le bureau des médias de l'État islamique (EI) du district de Hama (Syrie) : « Ce message est adressé à tous les Français qui font la guerre à Allah et son Messager (…). Je jure par Allah, on vient à vous avec des hommes qui aiment la mort comme vous aimez la vie. Je jure par Allah, on vient vous égorger dans les rues de Paris. »

Les modes d'action de ces mouvements

La branche d'Al-Qaïda qui est basée au Yémen, AQPA (Al-Qaïda dans la Péninsule arabique), est chargée depuis des années d'exporter les actions terroristes de la maison-mère à l'étranger. Elle a pleinement réussi en France avec la tuerie du journal Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. Les frères Kouachi qui avaient été formés au Yémen s'étaient vus désigner le magazine satyrique comme cible et en particulier Stéphane Charbonnier qui figurait en bonne place dans les cibles à abattre présentées par le magazine Inspire publié en mars 2013 sur le Net par AQPA. En 2011, un volontaire d'AQPA qui devait faire exploser un vol reliant le Proche-Orient aux États-Unis s'est vu remettre par ses commanditaires un engin explosif. Il l'a livré aux autorités de Riyad car, en réalité, c'était un agent infiltré par les services de renseignement saoudiens avec l'aide de la CIA. Le 29 octobre 2010, deux avions, l'un de UPS (United Parcel Services) et l'autre de Qatar Airways, se posaient en urgence, le premier en Grande-Bretagne, le second à Dubaï. Des renseignements affirmaient qu'ils transportaient des colis suspects adressés à des centres religieux juifs à Chicago. Les enquêteurs ont alors découvert des charges dissimulées dans des imprimantes. L'explosif utilisé était du PETN (penthrite) déjà employé à l'occasion de la tentative d'attentat contre le vol Northwest Ailines 253 Amsterdam-Détroit du 25 décembre 2009 et lors de la tentative d'assassinat du vice-ministre de l'Intérieur saoudien, le prince Mohammad Ben Nayef Ben Abdelaziz al Saud le 27 août de la même année. L'artificier serait le Saoudien Khalid Ibrahim Hassan Al Asiri alias Abou Saleh, le propre frère du kamikaze qui a tenté de tuer le prince saoudien avec un « suppositoire explosif ». À savoir que ce dernier se prétendant « djihadiste repenti » avait obtenu une audience à l'occasion de la fin du ramadan pour solliciter le pardon du prince. En réalité, il était équipé d'une bombe cachée dans ses sous-vêtements.

Au Yémen même, quelques années plus tôt, des activistes dépendant d'Al-Qaïda s'en étaient pris au navire USS Cole (en 2000, 17 tués, 50 blessés) et au navire Limburg battant pavillon français (2002, un tué, 12 blessés).

Al-Qaïda a tout d'abord utilisé des agents recruteurs que l'on pouvait rencontrer dans des mosquées, des écoles coraniques, des clubs de sport, des associations, etc. Puis, la nébuleuse, diminuée par des années de lutte, s'est servie du Net qui présente l'avantage de pouvoir toucher des populations (majoritairement jeunes) bien plus importantes, et ce, à moindres risques, du moins pour les recruteurs. L'un des plus célèbres a été Anwar al-Awlaqi. En dehors des réseaux sociaux, il utilisait la revue Inspire. Cette dernière offrait encore une vision « journalistique » du djihad et détaillait des recettes de terrorisme et de guérilla. Le premier numéro comportait un article intitulé « Comment fabriquer une bombe dans la cuisine de votre maman ».

Daech a encore davantage professionnalisé sa communication en tenant compte des attentes des jeunes dans le domaine cinématographique et des jeux vidéo. En effet, ses sites de propagande rappellent l'imaginaire, le morbide et la violence qui sont souvent présents dans de nombreux jeux vidéo. Il utilise, quant à lui, la revue Dabiq et il a lancé en décembre 2014 sa première publication en français Dar al-Islam (Terre d'islam). À la différence d'Al-Qaïda, Daech ne bénéficie que de peu de réseaux structurés en dehors de son noyau syro-irakien. Le risque provient surtout d'individus et de groupuscules isolés qui n'ont aucun lien tactique avec Daech, mais qui agissent à leur initiative et ensuite se revendiquent de Daech car le logo est « porteur ».

Matériellement, les filières qui peuvent agir en France pourraient aussi provenir du Caucase (filière tchétchène) ou d'Asie centrale (MIO, Mouvement islamique d'Ouzbekistan). En effet, on se rappelle encore des « filières tchétchènes » et le MIO et diverses filiales (dont l'Union du Jihad islamique) sont bien implantés en Allemagne. Enfin, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) qui hait la France pour son passé colonial, parce que Paris « soutient » Alger, parce que des militaires français sont présents au Sahel, en Irak et au Liban et parce que les musulmans sont « maltraités » en France, reste une menace possible.

La menace d'origine chiite

L'Iran a déjà utilisé dans le passé le moyen terroriste contre la France, que ce soit sur le territoire ou à l'étranger. En règle générale, les expatriés constituent toujours des cibles de choix car plus facilement atteignables. L'Iran s'est alors livré à du « terrorisme d'État » en agissant via ses services spéciaux et leur bras armé, le Hezbollah libanais. Aujourd'hui, l'ambiance est à l'apaisement.

LES MOYENS ET LES MÉTHODES

Les réseaux

Les mouvements insurrectionnels sont formés de cellules de diverses tailles. Ces dernières forment des réseaux qui n'ont pas tous la même structure. Certaines sont « pyramidales » (Hezbollah libanais, LTTE, ETA, etc.), d'autres « horizontales » comme Al-Qaïda, Daech, et enfin, entre les deux, « en étoile » comme les FARC.

Le recueil de fonds

Le principal souci des mouvements clandestins est le nerf de la guerre : l'argent. Pour en obtenir, deux moyens sont employés : l'« impôt révolutionnaire » (extrême gauche) ou les dons plus ou moins forcés (islamistes) et les activités purement criminelles comme le trafic de drogue (FARC), la contrebande de pétrole, d'antiquités, etc. (AQMI et Daech), les escroqueries diverses et variées, les vols avec violence (extrême gauche, anarchistes).

Le recrutement

Un mouvement qui ne recrute pas de nouveaux membres finit par disparaître. Toutefois, la paranoïa exacerbée qui règne au sein des mouvements clandestins constitue un frein au recrutement. En effet, les activistes ont en permanence la crainte d'être infiltrés par des services de renseignement ou d'être trahis par l'un des leurs. C'est particulièrement vrai pour les islamistes qui se méfient des recrues occidentales arrivant sur un théâtre d'opération, notamment sur le front syro-irakien ou en zone AfPak (Afghanistan/Pakistan). Ces dernières sont soumises à de nombreux interrogatoires et des vérifications sont faites dans leur pays d'origine. De toute façon, les « nouveaux convertis » resteront des « musulmans de seconde zone ». Il est extrêmement rare qu'ils obtiennent un poste de responsabilité. Par contre, ils sont appréciés pour l'intendance ou comme kamikazes.

L'agit prop

Mot qui date de l'époque de l'expansionnisme soviétique. Cela veut dire : « combiner l'action et la propagande ». Le but consiste à créer un climat favorable à l'insurrection : attirer des sympathisants et terroriser les adversaires. Daech est passé maître dans ce domaine, mais Al-Qaïda fait aussi un effort dans la communication. Tous les gouvernants craignent ce phénomène qui relève de la guerre psychologique. Les mesures prises par les responsables des sociétés visées sont utilisées pour les retourner contre elles, souvent en se livrant à de la désinformation. Les médias, souvent à leur insu, participent largement à ces stratégies tactiques.

Les émeutes

Moyen classique qui consiste à transformer des manifestations revendicatives en actions violentes. Les activistes utilisent alors tous les savoir-faire de la « gestion des foules » partant du principe élémentaire qu'au sein de ces dernières, les sentiments développés sont plus émotionnels que rationnels. L'effet peut toutefois se révéler négatif avec le temps car l'opinion qui peut être au départ neutre ou même favorable aux revendications exprimées risque se « retourner » car elle est prise de peur pour ses intérêts individuels immédiats.

Les coups de main en tous genres

Très efficaces sur le plan tactique, ils nécessitent un certain professionnalisme des exécutants. Les exemples marquants sont les attentats de l'école de Beslan en septembre 2004 (344 tués), de Bombay en novembre 2008 (173 tués), de l'attaque d'Anders Behring Breivik en Norvège le 22 juillet 2011 (77 tués), de celle du centre commercial Westgate à Nairobi en septembre 2013 (68 tués), de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher en janvier 2015 (20 tués) et de l'université Garissa au Kenya le 2 avril de la même année (148 tués). Cette méthode permet également de se procurer des fonds grâce à des actes criminels comme les attaques de bijouteries survenues à Kirkouk à la fin d'octobre 2010 ou le pillage des banques de Mossoul en 2014.

Les enlèvements

Deux buts sont poursuivis : l'un financier en demandant une rançon, l'autre idéologique. Dans ce deuxième cas, la vie des otages est souvent gravement en danger.

Les bombes

Les attentats à la bombe ont lieu depuis l'invention de la poudre. Toutefois, les Sri Lankais du LTTE et les islamistes du Hezbollah (chiites), puis d'Al-Qaïda (sunnite) ont apporté la « nouveauté » du kamikaze.

LES LOUPS SOLITAIRES

Pour l'instant, les loups solitaires sont la menace principale qui pèse sur les pays occidentaux car les moyens des mouvements utilisant le terrorisme sont trop limités pour monter des coups comme cela a été le cas lors des attentats du 11 septembre 2001 ou même de Madrid (191 tués) en 2004, puis de Londres (56 tués) en 2005.

Toutefois, l'appellation « loup solitaire » est réductrice. Selon les observations qui ont pu être faites, particulièrement aux États-Unis qui ont connu le plus grand nombre d'attaques de ce type, la dernière en date ayant eu lieu dans le Tennessee le 16 juillet 2015 (cinq militaires tués), il est possible de distinguer quatre catégories d'individus qui peuvent répondre à ce concept.

Premièrement, les « solitaires » qui n'entretiennent aucune relation avec une organisation extérieure en dehors de consulter des pages de propagande sur le Net. Plusieurs cas répondent à ces critères. Man Haron Monis, un ancien chiite iranien converti au sunnisme radical, est l'auteur, en décembre 2014, de la prise d'otages du café Lindt à Sydney qui s'est terminée tragiquement (3 morts). Peu après, Bertrand « Biläl » Nzohabonano a attaqué un commissariat à Joué-Lès-Tours (3 blessés et le suspect abattu par la police). L'étudiant américain d'origine iranienne Mohammad Reza Taheri qui a précipité sa jeep Cherokee dans la foule de l'université de Caroline du Nord de Chapel Hill en 2006 pour « venger la mort de musulmans de par le monde » (9 blessés).

Deuxièmement, les « loups solitaires » à proprement parler. Ces derniers sont en contact avec des activistes généralement via les réseaux sociaux. Ainsi, le major Nidal Malik Hassan, responsable du massacre de Fort Hood (13 morts, 30 blessés) en 2009, correspondait régulièrement avec le prêcheur américain d'origine yéménite Anwar al-Awlaki. La mort de ce dernier lors d'un bombardement ciblé de la CIA le 30 septembre 2011 a interrompu ses prêches, mais ses discours continuent à circuler sur la toile, influençant d'autres activistes. Il semble que cela ait été le cas des frères Dkokhar et Tamerlan Tsarnaev, d'origine daghestanaise, auteurs de l'attentat dirigé contre le marathon de Boston le 15 avril 2013 (3 morts, 264 blessés). Ils ont également assassiné un policier sur le campus du Massachusetts Institute of Technology (MIT) avant d'être neutralisés. Toutefois, parce que les deux frères Tsarnaev agissaient ensemble, ils sont plutôt à ranger dans la catégorie suivante : les « meutes de loups ».

Troisièmement, les « meutes de loups » sont des groupuscules de quelques individus (il en faut au moins deux) qui s'autoradicalisent mutuellement dans une sorte de fuite en avant. À cette catégorie appartiennent, en dehors du cas cité précédemment, John Allen Muhammad, né Williams, et Lee Malvo qui ont tué 10 personnes au hasard en 2002 avec un fusil à lunette depuis le coffre aménagé d'une limousine. John Allen Muhammad, un vétéran de la première guerre du Golfe, avait entraîné son jeune compagnon dans sa cavale sanglante. Il était l'objet de problèmes psychiatriques liés au syndrome de la guerre du Golfe. L'intention des deux tueurs était d'exiger une rançon de la part du gouvernement américain pour ensuite financer le recrutement d'adeptes qui auraient déclenché d'autres tueries aux États-Unis.

Quatrièmement, les « attaquants solitaires » sont des individus directement activés par la hiérarchie d'une organisation terroriste avec laquelle ils n'entretiennent volontairement plus de contact par souci de clandestinité. Ils n'entrent alors plus vraiment dans la catégorie des « loups solitaires », mais dans celle des « activistes télécommandés ». En l'état actuel des enquêtes, Mohammed Merah et Medhi Nemouche, ayant eu des contacts directs avec des djihadistes (le premier au Pakistan avec Al-Qaïda « canal historique », le deuxième en Syrie avec Daech), semblent correspondre à cette catégorie. À savoir qu'il leur aurait été demandé de passer à l'action une fois de retour en Europe. Toutefois, aucune opération précise n'avait été programmée, leurs mentors leur laissant décider des modalités d'exécution de leurs crimes. Les victimes n'étaient pas choisies au hasard : il s'agissait soit de militaires, soit de membres de la communauté juive. Globalement, les returnees, ceux qui reviennent d'une terre de djihad, sont des « attaquants solitaires » en puissance même si, heureusement, tous ne passeront pas à l'action.

LA PSYCHOLOGIE DES TERRORISTES

Il y aurait une grande différence entre les activistes agissant isolément et ceux qui vont mener le djihad à l'étranger. Les premiers présenteraient souvent une pathologie psychiatrique ainsi qu'une inaptitude à la socialisation. Ainsi, le passé de ces individus a révélé qu'ils se mettaient volontairement à l'écart, que beaucoup avaient été les témoins de crises familiales et qu'ils étaient souvent confrontés au chômage. Certains faisaient usage de drogues quand ils ne participaient pas directement à son trafic. Beaucoup étaient dépressifs et certains présentaient des caractères obsessionnels compulsifs. Les deux « conducteurs fous » qui ont percuté volontairement la foule à Dijon et à Nantes peu avant Noël 2014 semblent en être l'illustration parfaite. Celui de Dijon était passé 147 fois en hôpital psychiatrique au cours des quatre années précédentes. Quant à celui de Nantes, en dehors du fait qu'il avait 1,8 gramme d'alcool/litre de sang (quatre fois la dose minimale tolérée), il avait laissé un carnet dans lequel il exprimait sa « haine de la société (...), le risque d'être tué par les services secrets (...), le dénigrement de sa famille sur Internet ».

Il convient aussi de prendre en compte l'effet d'entraînement provoqué par le mimétisme médiatique. Un acte terroriste qui tourne en boucle sur les chaînes de télévision peut donner le courage à des personnes isolées de passer à leur tour à l'action. Ainsi, la méthode qui consiste à faucher des passants avec un véhicule, prônée par Daech, a été employée à plusieurs reprises en Israël et deux fois au Canada à l'automne 2014. L'usage d'armes blanches comme à Joué-lès-Tours avait déjà eu lieu en mai 2013 contre un soldat patrouillant dans le cadre du plan Vigipirate dans la gare RER de La Défense et deux jours auparavant, deux individus avaient assassiné un militaire britannique de la même manière à Londres.

Au début, les futurs activistes ne sont généralement pas affiliés à une quelconque idéologie. Ce sont leurs problèmes personnels qui les poussent à en adopter une. D'ailleurs, plus leurs problèmes augmentent en intensité, plus la radicalisation s'accélère. Et plus ils se radicalisent, plus ils s'isolent et sont animés d'un mal-être qui ne peut être résolu que par le passage à l'acte. C'est un véritable cercle vicieux.

L'idéologie n'est pas, dans la plupart des cas, l'élément déclencheur du passage à l'acte. Elle n'en n'est que le prétexte avancé pour le justifier. C'est une sorte d'« idéologie de la validation » qui permet de transférer toutes les frustrations personnelles dans la transgression des règles.

CONCLUSION

Le terrorisme va perdurer comme moyen de combat car il est économique et relativement facile à mettre en œuvre et il a un grand retentissement auprès des populations. Par contre, il ne permet pas, à lui seul, de remettre en cause la stabilité des États. Mais ces derniers sont contraints de consacrer des moyens humains et techniques considérables pour le combattre. En effet, ce sont les terroristes qui ont l'avantage de l'initiative en choisissant quand et où ils vont frapper. Ils s'en prennent, à quelques exceptions près, à des cibles symboliques « molles », c'est-à-dire peu ou pas défendues. De plus, ils ont l'avantage de la surprise et la riposte ne peut s'enclencher que lorsque les premières victimes sont tombées. Anticiper grâce au renseignement est un souci constant, surtout lorsque le nombre de suspects potentiels est en perpétuelle augmentation. Quant à désamorcer les esprits belliqueux, cela relève de la gageure, ce qui ne veut bien sûr pas dire ne rien tenter dans ce domaine. Tous ces efforts consentis par les autorités hypothèquent une partie des moyens des États qui pourraient être consacrés à des missions beaucoup plus constructives et bénéfiques à la bonne marche de la société. Mais l'une des missions régaliennes principale des gouvernants est la sécurité de leurs administrés. Personne ne comprendrait qu'ils baissent la garde. Toutefois, la population a aussi une attitude à adopter : celle de la résilience. Les Britanniques ont été exemplaires dans ce domaine lors des bombardements nazis (le Blitz de septembre 1940 à mai 1941) durant la Seconde Guerre mondiale. Ils étaient destinés à les faire plier pour qu'ils poussent leurs dirigeants à accepter une paix séparée avec Berlin. C'est la résilience dont ils ont fait preuve, ajoutée aux mesures prises par le commandement (qui n'a pas pu éviter qu'il y ait 43 000 morts et plus de 150 000 blessés) qui ont permis, à terme, de vaincre l'hydre nazie.