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 La pauvreté fait-elle le lit du terrorisme ?


Annick STETA Docteur en sciences économiques ; chercheur associé, CEREFIGE (Centre européen de recherche en économie financière et gestion des entreprises), université de Lorraine.

Les attentats qui ont frappé les États-Unis le 11 septembre 2001 ont marqué le début de la montée en puissance d'un terrorisme islamiste d'autant plus difficile à combattre qu'il a, au fil des ans, pris des formes diverses. Alors que le mouvement djihadiste Al-Qaïda, qui a revendiqué ces attaques, avait choisi de mener une action spectaculaire visant les symboles de la puissance économique, politique et militaire américaine – les tours jumelles du World Trade Center à New York et le Pentagone près de Washington –, la multiplication d'organisations terroristes moins centralisées et moins fortement structurées a créé une menace plus diffuse. Le fait que les auteurs des attentats les plus récents aient, en règle générale, vécu de longues années au sein de la société qu'ils ont frappée contribue à renforcer la stupeur produite par leurs actes. Les responsables des attaques du 11 septembre 2001, qui ont détourné quatre avions de ligne et ont péri lors de leur crash, étaient originaires de pays moyen-orientaux. Les auteurs des attentats qui ont tué près de 200 personnes à Madrid le 11 mars 2004 avaient un profil similaire : la plupart d'entre eux venaient du Maroc. Les quatre kamikazes qui ont déclenché des explosions dans les transports publics londoniens le 7 juillet 2005, faisant ainsi 56 morts, étaient par contre de jeunes Britanniques de confession musulmane. Djokhar et Tamerlan Tsarnaïev, les deux frères d'origine tchétchène qui ont perpétré le 15 avril 2013 les attentats visant la ligne d'arrivée du marathon de Boston, vivaient aux États-Unis depuis dix ans. Quant aux auteurs des attentats qui ont ensanglanté Paris en janvier et en novembre 2015, ils étaient pour la plupart de nationalité française. Contrairement aux attaques du 11 septembre 2001, celles commises à Madrid, Londres, Boston et Paris présentaient un assez faible degré de sophistication : peu de moyens matériels ont suffi aux terroristes pour faire un nombre important de victimes et ébranler les sociétés concernées.

Bien qu'ils soient en réalité peu représentatifs du terrorisme islamiste, les attentats du 11 septembre 2001 en demeurent néanmoins l'emblème. Leurs commanditaires avaient choisi leurs cibles et leurs armes de façon à maximiser l'impact humain, matériel et psychologique de leur action. En transformant des avions en armes létales, ils ont voulu faire comprendre qu'ils avaient trouvé le moyen de mettre un instrument de la mondialisation économique au service de leur entreprise de destruction du capitalisme et, plus largement, de l'Occident. En montrant que les Américains n'étaient plus en sécurité sur leur propre sol, ils ont cherché à déstabiliser la première puissance mondiale. Et en visant le Pentagone, qui abrite le quartier général du Département de la Défense, ils ont établi un lien entre leur action et les interventions militaires des États-Unis au Moyen-Orient. Ces attentats, qui firent près de 3 000 victimes, ont traumatisé la population américaine : se découvrant menacée, elle a accepté que certaines libertés publiques soient rognées dans l'espoir que sa sécurité puisse être mieux assurée.

Le choc produit par les attentats du 11 septembre 2001 a donné un nouvel élan à l'analyse économique du terrorisme. Les travaux consacrés à l'évaluation des conséquences économiques du terrorisme ont montré que l'impact des attentats était moins important dans les économies avancées que dans les pays en développement. Les États qui dépendent fortement du tourisme sont particulièrement vulnérables. L'Égypte et la Tunisie ont ainsi été largement désertées par les touristes à la suite des attentats qui les ont frappées en 2015. D'autres études se concentrent sur le financement des organisations terroristes : elles cherchent à identifier les ressources de ces organisations et les canaux par lesquels transitent les fonds dont celles-ci disposent. Ce pan de la recherche économique présente un grand intérêt pour les États qui luttent contre le terrorisme : il contribue en effet à l'élaboration d'une stratégie destinée à assécher les finances des organisations terroristes et à limiter de la sorte leur pouvoir de nuisance.

L'analyse des motivations des individus qui décident de s'enrôler dans une organisation terroriste constitue un champ de recherches particulièrement intéressant. Longtemps réservé aux politologues et aux sociologues, il est devenu une terre de conquête pour les économistes à mesure que s'imposait, dans l'opinion publique, l'idée selon laquelle la pauvreté et la faiblesse du niveau d'éducation constitueraient un terreau propice à l'émergence de terroristes. De nombreux responsables politiques ont défendu cette thèse. Le 12 novembre 2001, Tony Blair, qui était alors Premier ministre du Royaume-Uni, a affirmé que « les dents de dragon du terrorisme sont plantées dans la terre fertile des torts qui n'ont pas été réparés, des différends que l'on a laissés s'envenimer durant des années ou même des décennies, des États défaillants, de la pauvreté et de la privation ». Le président George W. Bush, quant à lui, a emboîté le pas dans un discours prononcé le 22 mars 2002 lors d'une rencontre internationale consacrée au financement du développement qui s'est tenue à Monterrey (Mexique) : il a déclaré que « nous luttons contre la pauvreté parce que l'espoir est une réponse à la terreur ». Des universitaires et des intellectuels réputés, dont le politologue Joseph S. Nye (2003) et l'économiste Laura D. Tyson (2001), ont appelé à la même époque à accroître l'aide au développement afin de faire reculer le terrorisme. À l'occasion du discours qu'il a prononcé le 10 décembre 2006 pour la réception du prix Nobel de la Paix, qui lui avait été attribué pour avoir contribué au développement économique à travers la création d'une banque spécialisée dans le microcrédit, Muhammad Yunus a ainsi soutenu qu'il était essentiel de « consacrer des ressources à l'amélioration de la vie des pauvres » pour attaquer le terrorisme à la racine. La réaction du pape François à l'attentat qui a eu lieu dans un grand hôtel de Bamako en novembre 2015 a été de la même veine. Lors du voyage qu'il a effectué en Afrique du 25 au 30 novembre, il a été interrogé par de jeunes kényans sur les raisons qui peuvent pousser certains de leurs contemporains à sombrer dans le terrorisme. « Si un jeune n'a pas de travail et ne peut pas étudier, que peut-il faire ? », leur a-t-il demandé. « Devenir délinquant, dépendant, se suicider, s'enrôler, etc. Pour éviter qu'un jeune soit recruté, il lui faut une éducation et du travail. » (Le Monde, 2015).

Bien que d'importants leaders d'opinion aient relayé la thèse selon laquelle la pauvreté ferait le lit du terrorisme, l'existence d'une corrélation entre des opportunités économiques limitées et la participation à des activités terroristes n'est pas démontrée. Un petit nombre d'économistes se sont efforcés de comparer le niveau d'éducation et de revenu d'individus ayant commis des actes terroristes avec ceux de la population générale du pays dont ils étaient issus. Si mener à bien cette tâche est particulièrement difficile, c'est parce qu'il faut disposer de données relativement fines portant sur un échantillon suffisamment important d'individus concernés. C'est pourquoi seuls certains groupes de terroristes peuvent, à l'heure actuelle, être étudiés de la sorte. Les données antérieures aux années 1980 sont souvent fragmentaires, incohérentes et impossibles à vérifier. Quant aux auteurs des attentats commis en Europe et aux États-Unis depuis le début des années 2000, ils sont trop peu nombreux et d'origines trop diverses pour constituer des échantillons susceptibles d'être comparés à la population générale.

Professeur à l'université hébraïque de Jérusalem, Claude Berrebi a réuni, pour préparer sa thèse de doctorat, des informations relatives à des individus engagés dans des activités terroristes issus de Cisjordanie et de la bande de Gaza. En comparant leurs caractéristiques à celles de la population masculine âgée de seize à cinquante ans de ces zones géographiques, il a montré que moins de 15 % de ces kamikazes venaient de familles vivant sous le seuil de pauvreté, contre plus de 30 % des hommes palestiniens. Près de 60 % de ces terroristes avaient par ailleurs poursuivi leurs études au-delà de l'enseignement secondaire, contre 15 % des hommes appartenant à la population générale (Berrebi, 2004). Les kamikazes, dont les caractéristiques ont nourri cette étude, venant des rangs du Hamas1 et du Jihad islamique palestinien2, ces chiffres ne sont pas très surprenants : ces organisations recrutent en effet principalement au sein des universités, où les enfants de familles aisées ou appartenant à la classe moyenne sont surreprésentés. Les organisations terroristes préfèrent s'assurer les services de volontaires suffisamment éduqués pour mener à bien des missions relativement complexes ayant un impact potentiel élevé. Bueno de Mesquita (2005) a, le premier, fait l'hypothèse que les conditions économiques que connaissent les individus pouvaient être corrélées à l'efficacité de l'action terroriste. Selon lui, des individus rationnels ne sont susceptibles de devenir des terroristes que si l'utilité associée à une telle activité est supérieure à celle qu'ils retirent du fait de travailler. Quand l'économie est florissante et que le taux de chômage est faible, seuls des individus peu qualifiés et incapables de trouver un emploi rejoignent une organisation terroriste. Mais lorsque les individus ayant un niveau de qualification supérieur se trouvent confrontés à la détérioration de leurs perspectives économiques, la probabilité de les voir s'engager dans des activités terroristes augmente. Dans un article utilisant des données portant sur des terroristes palestiniens ayant visé des cibles israéliennes entre 2000 et 2006, Benmelech et al. (2010) ont montré que l'existence de taux de chômage élevés donnait aux organisations terroristes la possibilité de recruter des individus plus éduqués, plus mûrs et plus expérimentés, qui attaquent des cibles plus importantes situées plus près de leur lieu de résidence.

Krueger et Malečková (2003) ont, pour leur part, décortiqué les biographies de 129 membres de la branche armée du Hezbollah3 tués entre 1982 et 1994 lors d'une opération terroriste. Considérés comme des martyrs, ces individus avaient fait l'objet d'articles publiés dans Al-Ahd, l'hebdomadaire du Hezbollah. Ces deux auteurs ont comparé les profils de ces combattants à ceux d'un échantillon de la population libanaise composé d'individus âgés de quinze à trente-huit ans. Ils ont ainsi mis au jour certaines caractéristiques socioéconomiques des membres de la branche armée du Hezbollah : alors que la pauvreté était moins répandue au sein de ce groupe de militants que dans la population générale (28 %, contre 33 %), ceux-ci étaient davantage susceptibles d'avoir poursuivi leurs études au moins jusqu'au niveau de l'enseignement secondaire (47 %, contre 38 %). Les résultats obtenus par ces deux auteurs ne confirment donc pas l'opinion selon laquelle ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté ou ceux qui ont un niveau d'éducation faible constituent des recrues de choix pour les organisations terroristes.

Cependant, si le terrorisme ne s'enracine pas dans la pauvreté, il peut, dans des cas particuliers, se nourrir de la détérioration des perspectives économiques de la frange la mieux formée de la population. Joshua Angrist a ainsi soutenu que la forte dégradation du niveau d'emploi et de salaire des Palestiniens les plus éduqués dans les années 1980 avait favorisé le déclenchement de la première Intifada en décembre 1987. Entre 1982 et 1988, le nombre d'hommes palestiniens en âge de travailler ayant été scolarisés durant douze ans au moins avait été multiplié par deux, tandis que le nombre de ceux qui avaient été scolarisés pendant onze ans ou moins n'augmentait que de 30 %. Mais durant cette période, le taux de chômage des diplômés du premier cycle de l'enseignement supérieur augmenta plus fortement que celui des diplômés de l'enseignement secondaire. Entre 1985 et 1988, le salaire réel journalier des diplômés du premier cycle de l'enseignement supérieur diminua par ailleurs de 30 % environ, tandis que celui des individus ayant étudié pendant douze ans restait stable et que celui des individus ayant étudié durant onze ans ou moins augmentait légèrement. Angrist (1995) a néanmoins pris soin de souligner le caractère unique de la situation dans laquelle se trouvaient les habitants de Cisjordanie et de la bande de Gaza : l'occupation de ces territoires par Israël ainsi que l'absence de marché du capital et de système bancaire dignes de ce nom se sont conjuguées pour empêcher les marchés locaux du travail de parvenir à l'équilibre.

La plupart des individus rejoignant une organisation terroriste ne semblent pas être motivés par la perspective d'améliorer leur propre situation matérielle. À cette aune, les soldats recrutés par l'organisation État islamique se distinguent de la majorité des terroristes. Cette organisation verserait à chacun de ceux qui combattent dans ses rangs dans l'ouest de l'Irak et l'est de la Syrie une solde mensuelle variant de 300 à 500 dollars. Une telle somme, importante au regard du niveau de vie des populations locales, est supérieure aux rémunérations proposées par les groupes rebelles syriens ou le gouvernement irakien. L'organisation État islamique accorde aussi à ses soldats des allocations destinées à soutenir financièrement leur famille. Elle prend également en charge l'épouse et les enfants des combattants tués. Si elle s'est, jusqu'à présent, montrée aussi généreuse, c'est parce qu'elle dispose de moyens financiers particulièrement importants : selon les diverses estimations disponibles, ils varient entre 1 Md$ et 3 Md$ par an. Jusqu'à l'automne 2014, elle tirait en moyenne 2 M$ par jour de la commercialisation, via des réseaux de contrebande, du pétrole extrait de puits situés sur les territoires qu'elle contrôle. Cette ressource tend toutefois à se réduire sous les effets conjugués des bombardements des infrastructures pétrolières par les forces de la coalition internationale constituée pour lutter contre l'organisation, de l'insuffisance de personnels qualifiés capables de faire fonctionner ces installations ou de les réparer, du manque de pièces détachées et, enfin, de la baisse du prix du brut. La vente de pétrole, qui serait cédé contre des liquidités à un prix voisin de 20 % du cours établi sur le marché mondial, représenterait cependant encore de 200 M$ à 300 M$ par an. Afin de pallier la diminution de la manne pétrolière, l'organisation État islamique a développé d'autres sources de financement. Les individus et les entreprises présents sur les territoires qu'elle contrôle sont soumis à un « impôt révolutionnaire ». La circulation de marchandises est également taxée au moyen de péages et de droits de douane sur les produits importés. La vente de produits agricoles, de produits manufacturés et de ressources naturelles autres que le pétrole rapporterait, quant à elle, près de plusieurs centaines de millions de dollars par an. À cela s'ajoutent les revenus du trafic d'antiquités, estimés à plus de 100 M$ par an, les rançons exigées pour libérer des otages, ainsi que le produit de campagnes internationales de levée de fonds (The Economist, 2015)4.

Si le versement d'une rémunération ne constitue généralement pas un argument suffisant pour convaincre un individu de rejoindre les rangs d'une organisation terroriste, la promesse de verser une somme relativement importante à leur famille peut inciter certains individus à franchir le pas. Des données portant sur ce point ont été recueillies par un membre du personnel humanitaire de l'Organisation des Nations unies (ONU) ayant longtemps travaillé dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Entre 1996 et 1999, Nasra Hassan a interrogé près de 250 personnes liées à la fraction la plus militante de la population des territoires occupés : des volontaires pour des attentats-suicides n'ayant pas réussi à mener à bien la mission qui leur avait été confiée, les membres des familles de kamikazes tués, mais aussi ceux qui les avaient entraînés. Elle a ainsi établi que les organisations terroristes actives dans cette région versaient habituellement entre 3 000 et 5 000 dollars aux familles de kamikazes tués lors d'un attentat-suicide. Le coût total d'une telle opération, incluant le coût de fabrication d'une bombe artisanale et le coût de transport du terroriste jusqu'à la ville israélienne dans laquelle se trouvait la cible visée, n'était en moyenne que de 150 dollars (Hassan, 2001).

D'autres travaux de recherche se sont concentrés sur les caractéristiques socioéconomiques des pays d'où sont issus les terroristes et de ceux dans lesquels se trouvent leurs cibles. Ils concluent à l'inexistence d'un lien entre la faiblesse des indicateurs socioéconomiques d'un pays (PIB par habitant, taux d'analphabétisme, taux de mortalité infantile, etc.) et l'engagement de ses ressortissants dans des activités terroristes. Les terroristes actifs au niveau international sont, au contraire, plus susceptibles de venir de pays à niveau de revenu intermédiaire que de pays pauvres (Piazza, 2006 ; Krueger, 2007 pp. 6-7). Il existe par contre un lien significatif entre le taux de croissance du PIB d'un pays visé par des terroristes et la fréquence des attentats qui le frappent (Krueger, 2007, p. 75).

Krueger (2007) a comparé les actes terroristes aux crimes de haine, qui sont motivés par l'appartenance réelle ou supposée de la victime à un groupe défini par sa religion, sa race, son ethnie, ou encore son orientation sexuelle. Au début des années 1930, le sociologue Arthur F. Raper avait publié une étude postulant l'existence d'une relation inverse entre le prix du coton, considéré comme un indicateur de la situation économique, et le nombre de lynchages dans le sud des États-Unis (Raper, 1933). Des travaux conduits au début des années 2000 ont démontré l'inexistence d'une corrélation entre ces deux phénomènes (Green et al, 2001). Il n'existe pas de lien entre la situation économique d'une zone géographique donnée et la fréquence des crimes de haine.

La comparaison entre le terrorisme et l'engagement politique est encore plus éclairante. Si les terroristes sont particulièrement susceptibles d'appartenir aux classes moyennes ou aisées et de disposer d'un niveau d'éducation élevé, c'est parce que le terrorisme est un acte politique. Alan B. Krueger a établi une analogie entre le fait de participer à une action terroriste et celui de voter. Voter représente un coût d'opportunité d'autant plus important en termes de temps qu'un individu est plus éduqué et mieux rémunéré. Or ce sont précisément les individus au statut socioéconomique élevé qui sont les plus susceptibles d'aller voter. S'ils se comportent de la sorte, c'est parce qu'ils se préoccupent du résultat du scrutin et estiment être suffisamment bien informés pour avoir confiance en la pertinence de leur opinion et tenir à l'exprimer. Les terroristes, souligne Alan B. Krueger, se recrutent rarement dans les rangs des damnés de la terre. Ils ne font pas partie de ceux qui ont le moins à perdre. Mais ils croient si ardemment en une cause qu'ils sont disposés à mourir pour elle (Krueger, 2007, p.4). En cela, Alan B. Krueger rejoint Daniel Lerner qui, dans une étude de l'extrémisme politique portant sur six pays du Moyen-Orient, a noté que « la pauvreté prévaut uniquement au sein des masses apolitiques » (Lerner, 1958). L'analyse de sondages réalisés en février 2004 en Jordanie, au Maroc, au Pakistan et en Turquie a par ailleurs révélé que les individus les plus éduqués étaient généralement plus susceptibles que les autres de soutenir la proposition selon laquelle les attentats-suicides commis en Irak et visant des Occidentaux étaient justifiés. Les individus disposant d'un niveau d'éducation plus faible étaient par contre plus susceptibles de se déclarer « sans opinion » sur ce point (Krueger, 2007, pp. 24-25).

Bien qu'aucun élément ne vienne soutenir la thèse selon laquelle la pauvreté et un faible niveau d'éducation constitueraient des facteurs favorables à l'émergence de terroristes, cette idée demeure largement répandue – non seulement au sein des populations des pays avancés, mais aussi parmi les élites occidentales ou occidentalisées. Si cette opinion est aussi fermement enracinée, c'est peut-être parce qu'elle traduit la confiance des démocraties capitalistes dans les vertus du progrès, qu'il soit scientifique ou économique, ainsi que leur incapacité grandissante à comprendre la violence politique et religieuse5. Qu'un individu soit prêt à sacrifier sa vie au nom de la cause qu'il a embrassée dépasse notre entendement. Pour qu'un tel geste nous soit moins étranger, nous cherchons à lui appliquer une grille de lecture qui nous est familière. L'idée que notre civilisation puisse susciter une haine profonde au point d'en devenir aveugle est par ailleurs extrêmement inconfortable. Nous préférons donc, contre toute évidence, croire que ceux qui veulent nous détruire sont d'une pauvreté et d'une ignorance crasses. Si nous voulons combattre plus efficacement le terrorisme, il nous faudra rompre avec cette illusion.


Notes

1 Créé en 1987, le Hamas est un mouvement islamiste constitué d'une branche politique et d'une branche armée. Il est principalement actif à Gaza.
2 Fondé dans les années 1970, le Jihad islamique palestinien est une organisation terroriste et djihadiste palestinienne.
3 Fondé en 1982 en réaction à l'invasion du Liban par Israël, le Hezbollah est un mouvement politique chiite libanais possédant une branche armée.
4 Voir aussi : Chavagneux (2015).
5 Il est à ce titre intéressant de noter que dans 90 % des attentats-suicides, les terroristes et les victimes appartiennent à des religions différentes.

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