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 Architecture des systèmes financiers et performances macroéconomiques


Aurélien LEROY * Maître de conférences, Laboratoire d'analyse et de recherche en économie et finance internationales (LAREFI), Université de Bordeaux. Contact : aurelien.leroy@u-bordeaux.fr.
Yannick LUCOTTE ** Maître de conférences, Laboratoire d'Économie d'Orléans (LEO), Université d'Orléans ; professeur affilié, Paris School of Business. Contact : ylucotte@gmail.com.

La crise de 2007, d'abord financière, puis économique et sociale, a mis au jour les criantes déficiences des systèmes financiers, pris dans leur ensemble, à financer des modèles de croissance équilibrés. Ce constat sans appel a constitué une invitation à des évolutions profondes des systèmes financiers. Ces évolutions doivent permettre à l'avenir d'assurer une meilleure allocation du capital et en favoriser l'orientation vers de nouveaux emplois pour ainsi accompagner l'émergence d'un nouveau modèle de croissance, à la fois plus productif et plus durable.

La recherche en économie financière n'est pas restée indifférente face au défi que constitue la définition de nouveaux systèmes financiers. C'est ainsi qu'après avoir réfléchi aux réformes du cadre de régulation prudentielle, de nombreux travaux sont revenus, ces dernières années, sur des débats anciens portant sur les liens entre configuration des systèmes financiers et croissance économique.

Disons-le d'emblée, ce que l'on entend par configuration du système financier revêt un contour flou. Afin d'éclairer cette notion, il semble donc utile a priori de distinguer schématiquement les caractéristiques de taille des caractéristiques de structure. Sur le premier point, on peut tout d'abord noter que l'analyse des effets du développement financier sur la croissance – à travers l'évaluation de l'envergure des systèmes financiers – a suscité ces dernières années un intérêt indiscutable. Et pour cause, l'expérience de la crise a conduit à une révision des conclusions quant à l'effet du développement financier sur la croissance. Alors qu'il existait avant la crise un large consensus parmi les économistes selon lequel l'expansion du secteur financier dans une économie favorise le bien-être de sa population (Levine, 2005), l'idée bien ancrée est aujourd'hui qu'il existe un seuil au-delà duquel cette association positive disparaît et où la finance commence à avoir un rendement négatif (Cecchetti et Kharroubi, 2012 ; Beck et al., 2014 ; Law et Singh, 2014 ; Arcand et al., 2015 ; Cournède et Denk, 2015). Certaines économies peuvent ainsi présenter des systèmes financiers « trop importants ». Théoriquement, ces observations résultent d'une décroissance des gains marginaux du développement financier (baisse des coûts de transaction, amélioration du traitement de l'information, hausse de la diversification, etc.) couplée, à l'opposé, à une croissance des méfaits de la finance (essor de la volatilité macroéconomique, mauvaise allocation des ressources en capital humain, capture politique, etc.). Au-delà de l'envergure, la structure des systèmes financiers peut également affecter la croissance économique. Il paraît en effet sensé que tout autant que le volume, la manière dont le financement est distribué importe.

Définir ce que recouvre la notion de structures des systèmes financiers n'est pas aisé. La littérature est en effet partagée sur le périmètre à donner à cette notion. Au sens étroit, les structures financières sont traditionnellement définies comme « la combinaison des instruments financiers, des marchés et des intermédiaires financiers opérant dans une économie » (Demirgüç-Kunt et Levine, 1999), ce qui revient, dans sa forme la plus rudimentaire, à s'intéresser au poids respectif de l'intermédiation et du financement par marché dans une économie. Même si la frontière est parfois, et de plus en plus, ténue entre intermédiation et marchés, la ventilation entre ces deux modes de financement constitue une indication des modes de relation entre offreurs et demandeurs de capitaux. L'essence de la distinction entre les systèmes fondés sur les banques (bank-based) et les systèmes où prédominent les marchés financiers (market-based) tient en fait aux différences de contractualisation et au traitement de l'information. Ainsi les relations d'intermédiation supposent une contractualisation potentiellement partielle et une attention particulière portée à la collecte d'informations privées, à travers notamment l'instauration de relations de long terme. Par contraste, les systèmes fondés sur les marchés s'appuient sur des contrats financiers formels dans un cadre de marchés concurrentiels et sur l'utilisation d'informations publiquement disponibles. Les modes de coordination des demandeurs et des offreurs de capitaux sont par conséquent, à bien des égards, distincts entre les systèmes financiers où l'intermédiation occupe une place prépondérante, comme cela peut être le cas en Allemagne et au Japon, et les systèmes financiers où le financement par marché prime, à l'instar des États-Unis et du Royaume-Uni. Naturellement, la question est alors de savoir si ces différences exercent une influence sur les performances macroéconomiques. Tout au moins d'un point de vue historique, cela a, semble-t-il, été le cas. Les travaux bien connus en histoire économique de Gerschenkron (1962) mettent en effet l'accent sur l'influence déterminante de la structure du système financier dans la vitalité de la croissance allemande entre 1870 et 1914. Le très soudain rattrapage allemand s'expliquerait en effet, en partie, par la présence d'un petit nombre de grandes banques universelles en Allemagne, dont la principale vertu aurait été d'établir avec les industriels des relations durables. Pour autant, les analyses empiriques menées avant la crise sur des données contemporaines n'ont pas pu totalement confirmer l'importance des structures financières pour la croissance économique. Levine (2002) n'observe, par exemple, aucune différence significative de performances macroéconomiques entre les systèmes financiers fondés sur les banques et ceux fondés sur les marchés. Néanmoins, tout comme pour le développement financier, les transformations de la finance au cours de ces deux dernières décennies conduisent à mettre en doute la stabilité de ces résultats. Ce scepticisme a ainsi conduit, dans le sillage de la crise, à un réexamen empirique de ces questions.

Outre le partage entre intermédiation et marchés, la structure du système financier peut également être définie en un sens plus large. Le champ d'étude pourrait ainsi s'étendre à l'analyse des effets sur le bien-être de la structure concurrentielle, du degré de spécialisation des banques ainsi que de leur statut juridique, ou encore aux microstructures des marchés financiers. On s'accorde, par exemple, pour dire que l'organisation spécifique et peu concurrentielle des marchés bancaires en Asie, comme le système de Chaebols en Corée du Sud en est une illustration, fut un déterminant de la crise des pays du Sud-Est asiatique à la fin des années 1990.

Comme on peut le remarquer, la description d'un système financier peut prendre de multiples formes et couvre donc un champ de littérature extrêmement important. Le choix a en conséquence été fait de borner notre tableau d'étude à la recherche économique qui porte, d'une part, sur le partage entre intermédiation et marchés et, d'autre part, sur la structure concurrentielle des marchés bancaires. Ces deux éléments nous semblent être les plus prégnants au moment où la Commission européenne multiplie les projets visant au développement des marchés financiers et aspire à une mutation des marchés bancaires. Ainsi l'objectif latent de cette recension sera de fournir des éléments d'appréciation de ces réformes à la lumière des résultats récents de la littérature académique. Cela nous conduira également, en toute fin, à nous questionner sur le rôle des banques publiques dans ce nouvel ensemble.

Systèmes fondés sur les banques versus
systèmes fondés sur les marchés

Pour financer leurs investissements, les entreprises ont régulièrement besoin de recourir à un financement externe. Pour cela, elles peuvent contracter un prêt bancaire ou alors se financer directement sur le marché, par l'émission d'actions ou d'obligations. Le choix de l'un ou l'autre de ces modes de financement dépend bien entendu des caractéristiques des entreprises, mais également de l'architecture du système financier. La structure du système financier est alors tout aussi essentielle que sa taille pour juger de la qualité du système financier et de sa capacité à financer les investissements et la croissance économique. On oppose généralement deux types de systèmes financiers. Ceux dans lesquels prédominent les marchés et le financement direct (market-based) à ceux dans lesquels les banques et le financement intermédié occupent une place centrale (bank-based). La littérature académique a longuement débattu des avantages et des inconvénients respectifs de chacune de ces structures financières.

Plus précisément, pour reprendre la typologie introduite par Levine (2002), quatre courants d'idées s'affrontent autour de la question de l'architecture des systèmes financiers. Pour les tenants des systèmes bank-based, le principal avantage de l'intermédiation financière est la relation étroite qu'entretiennent les banques avec leurs clients, contribuant à réduire les coûts d'acquisition d'informations. Du fait de cette rente informationnelle, les banques sont alors mieux à même que les marchés de résoudre les asymétries d'information qui existent entre prêteurs et emprunteurs et, par conséquent, de juger de la qualité des projets des emprunteurs. De plus, contrairement aux marchés où se nouent des opérations ponctuelles entre apporteurs de capitaux et entreprises, les intermédiaires financiers ont la possibilité d'établir avec leurs clients des relations durables. De telles relations permettent aux banques de privilégier les perspectives de croissance et de profit à long terme de l'entreprise, mais aussi de réaliser des péréquations tarifaires dans le temps, ce qui devrait limiter le rationnement du crédit en période de crise. Cela est notamment vrai pour les banques de relation. Ainsi, comme le montrent théoriquement Bolton et al. (2016) dans un article récent, les banques de relation se caractérisent par un comportement différent des banques à l'acte en période de récession. Du fait des services financiers qu'elles proposent et de taux d'intérêt débiteurs en moyenne supérieurs en période calme, les banques de relation sont en effet capables de maintenir une activité de crédit soutenue en période de crise, ce qui est bénéfique pour l'investissement et la reprise économique.

Pour les partisans des systèmes market-based, les relations étroites et de long terme qu'entretiennent les banques et les entreprises n'ont pas que des avantages. En effet, de telles relations induisent un risque de connivence entre les deux parties, susceptible de prolonger des relations de crédit existantes, au détriment du financement de projets innovants. Au contraire, les marchés financiers se caractérisent par une forte dispersion des investisseurs, ce qui interdit leur coordination et permet au final une réallocation plus rapide des capitaux en fonction des nouvelles opportunités d'investissement. De plus, les promoteurs du market-based voient dans les relations de long terme qu'entretiennent les intermédiaires financiers et leurs clients un frein majeur à la concurrence sur le marché bancaire. En effet, l'acquisition d'informations étant relativement coûteuse pour une institution financière, il n'est pas certain qu'une entreprise puisse bénéficier de conditions de financement plus favorables en décidant de changer de banque, ce changement pouvant être interprété négativement par les institutions concurrentes. Ce manque de concurrence donne alors aux banques la capacité de surfacturer les financements qu'elles accordent. Enfin, comparativement aux banques, les marchés financiers seraient également mieux armés pour répartir les risques au sein de l'économie, ces derniers n'étant pas concentrés dans les bilans d'un nombre relativement restreint d'institutions financières. La crise financière des subprimes a toutefois conduit à remettre en cause cette capacité des marchés à diversifier les risques financiers.

Pour les partisans du financial services view, l'opposition entre les systèmes financiers fondés sur les banques et ceux fondés sur les marchés n'est pas pertinente. Selon ce courant d'opinions, la question n'est pas de déterminer lesquels, des banques ou des marchés, favorisent le plus l'investissement et la croissance. Il s'agit plutôt de créer un environnement qui assure un fonctionnement efficient des deux groupes d'agents, et ce, quel que soit l'apport des marchés et des intermédiaires financiers. La qualité des services financiers rendus par l'ensemble du système est un déterminant essentiel de la croissance pour le financial services view, qui considère les banques et les marchés comme complémentaires plutôt que comme substituts. Enfin, dans le prolongement du financial services view, certains auteurs insistent sur l'importance du cadre juridique et réglementaire dans le développement de services financiers favorisant l'investissement et la croissance économique. En particulier, un système juridique développé, imposant le respect des droits de propriété et des contrats, serait essentiel pour ce courant de littérature. En abaissant les coûts d'acquisition d'informations sur les entreprises, il permettrait en effet de réduire les coûts du financement externe et ainsi stimulerait les investissements et la croissance à long terme.

Malgré ce vif débat théorique, relativement peu de travaux empiriques ont cherché à analyser la relation entre le type de systèmes financiers et les performances macroéconomiques. Plus important, ces études aboutissent à des résultats mitigés, voire contradictoires. Ainsi les premiers travaux sur la question ne parviennent pas à mettre en évidence un lien significatif entre structure financière et croissance économique. C'est notamment le cas de l'étude pionnière de Levine (2002) dont les résultats suggèrent par conséquent que le financement bancaire et le financement de marché sont des sources de financement complémentaires – épousant ainsi le financial services view. Les résultats obtenus par Beck et Levine (2002) vont dans le même sens. Il ressort en effet de leurs estimations que les secteurs financièrement dépendants ne se développent pas plus rapidement dans un système financier où prime l'intermédiation. Demirgüç-Kunt et Maksimovic (2002) parviennent à des conclusions similaires, consolidant ainsi l'idée qu'aucune forme particulière d'organisation du système financier ne prévaut et qu'il n'existe pas, par conséquent, de structure financière optimale.

À l'aune de ce consensus, la littérature empirique a alors pris des directions complémentaires afin de réexaminer le lien entre structure financière et performances macroéconomiques. Tout d'abord, certains travaux se sont appliqués à définir de nouveaux indicateurs de structure financière. C'est ainsi que Cuadro-Sáez et Garcia-Herrero (2008) proposent un nouvel indicateur de structure financière. Ce dernier vise à neutraliser certains biais de mesure liés à la taille initiale de chaque type de financement, intermédié et direct, et inclut également explicitement les marchés obligataires et les financements étrangers. Les tests économétriques menés sur un large échantillon d'économies industrialisées et émergentes soulignent alors que la croissance économique est d'autant plus forte que la structure financière est équilibrée, dans le sens où elle combine financement intermédié et financement de marché. Dans la lignée des travaux de Levine (2002), ces résultats illustrent bien l'idée selon laquelle les différentes sources de financement externes seraient davantage complémentaires que substituables.

D'autres études ont ensuite cherché à expliciter le lien entre structure financière et croissance économique en prenant en compte certaines caractéristiques des économies. Il existe en effet de bonnes raisons de considérer que la structure de l'économie, le niveau de développement financier ou encore le cadre juridique et réglementaire conditionnent l'efficacité relative des différents types de systèmes financiers. Tadesse (2002) met ainsi en évidence le fait que les systèmes dominés par les banques sont plus favorables à la croissance économique dans les pays où le système financier est peu développé, alors que les systèmes fondés sur les marchés sont au contraire plus efficaces dans les économies financièrement développées. D'après Jacquet et Pollin (2012), cela revient à dire qu'il existerait un ordre optimal dans le développement des systèmes financiers. Dans le même ordre d'idées, Demirgüç-Kunt et al. (2013) montrent que le développement des systèmes financiers n'est pas indépendant de celui de l'économie, mais surtout que l'incidence respective du développement du secteur bancaire et des marchés financiers sur la croissance évolue en fonction du niveau de développement économique. Ainsi ils constatent qu'au fur et à mesure qu'une économie se développe, l'activité tend à devenir de moins en moins sensible aux mutations du secteur bancaire, mais de plus en plus sensible aux évolutions des marchés financiers. Parce que les différences théoriques entre structures financières reposent, entre autres, sur des différences de contractualisation, les différences de structures juridiques sont susceptibles de jouer un rôle essentiel. Ergungor (2008) souligne, par exemple, que les systèmes où prédominent les banques sont associés à des taux de croissance plus élevés dans les économies où les systèmes juridiques sont relativement moins flexibles.

La crise de 2007-2008 a donné une nouvelle vigueur à cette littérature faisant jusqu'alors l'objet d'un très large consensus. Dans une étude récente, Langfield et Pagano (2016) se proposent d'examiner dans quelle mesure le poids du secteur bancaire rapporté à celui des marchés financiers peut expliquer les différentiels de croissance entre économies. Les résultats qu'ils obtiennent suggèrent une relation négative entre la taille du secteur bancaire et la croissance économique. En d'autres termes, les pays caractérisés par un secteur bancaire de taille relativement importante auraient connu des taux de croissance moindres comparativement aux économies où les marchés financiers prédominent. Langfield et Pagano (2016) démontrent que ce résultat peut s'expliquer par un niveau de risque systémique plus élevé, même si l'on peut également penser que la période d'étude considérée, marquée par des épisodes de crises bancaires et immobilières, explique en partie leurs résultats empiriques. Il est du reste important de préciser que, contrairement aux travaux précédemment cités, ces auteurs ne considèrent pas uniquement les crédits bancaires, mais les actifs bancaires totaux. Ainsi il n'est pas formellement démontré qu'un financement reposant sur le crédit intermédié, plutôt que sur les marchés, soit un obstacle à la croissance. L'association négative observée entre banques et croissance économique pourrait en fait s'expliquer par les activités de marché exercées par les banques.

Les études récentes qui se focalisent sur l'importance du financement bancaire au sein d'une économie obtiennent en effet des résultats analogues à ceux de Levine (2002) et concluent à l'absence de différences significatives de croissance entre les économies bank-based et celles market-based. C'est notamment le cas de Gambacorta et al. (2014) qui font valoir que jusqu'à un certain seuil, le financement intermédié et le financement de marché stimulent la croissance économique. Les banques et les marchés financiers jouent donc un rôle complémentaire en proposant des services différents. L'étude statistique menée permet par ailleurs d'étayer l'idée que la structure financière d'un pays n'est pas figée et qu'elle est amenée à évoluer avec le niveau de développement économique et la structure de l'économie réelle. Ainsi les auteurs montrent que le recours au financement de marché tend à augmenter avec le niveau de PIB (produit intérieur brut) par tête, notamment car les ménages et les entreprises sont demandeurs de services financiers plus sophistiqués1. Le phénomène de tertiarisation de l'économie participerait également au développement du financement de marché. En effet, les secteurs d'activité utilisant abondamment du capital physique pouvant être facilement utilisé comme collatéral tendent à davantage utiliser l'endettement bancaire comme source de financement externe. À l'inverse, les secteurs exigeant des hauts niveaux de capital immatériel, comme c'est le cas dans le secteur des services, tendent à davantage se tourner vers le financement de marché. Enfin les résultats de Gambacorta et al. (2014) suggèrent que les systèmes juridiques de common law favoriseraient le financement de marché, alors que ceux dont la tradition repose sur le droit civil à la française favoriseraient au contraire le financement intermédié.

Plus important, dans la lignée des investigations préliminaires d'Allard et Blavy (2011), Gambacorta et al. (2014) cherchent à analyser l'incidence de la structure financière sur la capacité des économies à sortir rapidement des récessions. En effet, la crise économique et financière de 2008-2009 et la reprise économique plus rapide aux États-Unis qu'en Europe ont conduit à renouveler le débat sur le lien entre architecture du système financier et performances macroéconomiques, déplaçant la problématique des conditions de la croissance de long terme vers celles de la résilience des économies au cours du cycle. L'idée avancée par Gambacorta et al. (2014) est que la capacité des systèmes fondés sur les banques à amortir les fluctuations conjoncturelles est fortement dépendante de la nature des chocs qui frappent l'économie. Lors d'un choc d'activité, on peut en effet s'attendre à ce que les banques, du fait des relations de long terme qu'elles entretiennent avec leur clientèle et de la rente informationnelle dont elles disposent, restent enclines à financer les investissements des entreprises. En revanche, lorsque les récessions coïncident avec une crise financière et bancaire, la capacité du secteur bancaire à amortir les fluctuations conjoncturelles sera moindre. Dès lors, la reprise économique à la suite d'une crise bancaire devrait être théoriquement plus forte et plus rapide au sein des économies où les marchés prédominent. C'est au demeurant ce qu'observent Gambacorta et al. (2014) pour un échantillon de vingt-quatre économies industrialisées au cours de la période 1960-2013. Plus précisément, leurs résultats indiquent qu'en moyenne, les pertes de PIB sont nulles pour les économies à dominance bancaire à la suite d'un choc d'activité, les économies fondées sur les marchés enregistrant, quant à elles, une perte en production équivalente à 3,2 % de leur PIB. À l'inverse, à la suite d'une crise financière, la perte en production est en moyenne trois fois plus élevée dans les économies dominées par les banques que dans celles dominées par les marchés financiers : les premières enregistrent une perte en production équivalente à 12,5 % de leur PIB, alors que cette perte s'élève à 4,2 % pour les secondes.

L'étude de Grjebine et al. (2014) est venue confirmer cette tendance. Contrairement à Gambacorta et al. (2014), Grjebine et al. (2014) ne se contentent pas simplement d'analyser dans quelle mesure la reprise économique à la suite d'une crise peut être expliquée par le type de structure financière initiale, mais s'intéressent également au rôle potentiel joué par la substitution qui s'opère entre prêts bancaires et financement obligataire à la suite du déclenchement de la crise. Les données tendent en effet à mettre en évidence une substitution relativement importante de la dette obligataire aux prêts bancaires en temps de crise. Selon les auteurs, cette tendance à la désintermédiation pourrait témoigner de la difficulté des banques à satisfaire la demande de crédit des entreprises, même si un effet de composition n'est certainement pas à négliger2. Dès lors, pour Grjebine et al. (2014), l'accès aux marchés obligataires et la profondeur de ces derniers offriraient une source alternative de financement aux entreprises en période de crise, ce qui permettrait d'augmenter les investissements et d'accélérer la reprise. Les résultats qu'ils obtiennent pour un échantillon de vingt-cinq pays au cours de la période 1989-2013 confortent cette hypothèse. Ils trouvent qu'en moyenne, la reprise à la suite d'une crise est d'autant plus rapide que la substitution entre prêts bancaires et financement obligataire en période de crise est forte et que la part du financement obligataire initiale est élevée. Conformément à Gambacorta et al. (2014), leurs résultats suggèrent également que la relation positive entre la dynamique de la reprise et la part du financement obligataire initiale est renforcée lorsque la récession coïncide avec une crise bancaire. Cette relation s'avère en outre d'autant plus forte que les grandes entreprises représentent une part importante de la valeur ajoutée au sein de l'économie, l'accès au financement désintermédié étant presque exclusivement réservé aux entreprises de grande taille.

L'une des limites de l'étude de Grjebine et al. (2014) est de réduire le financement de marché aux seules émissions obligataires, et de ne pas considérer l'émission d'actions comme une source alternative de financement en période de crise. Dans une étude récente, Levine et al. (2016) montrent toutefois que ce n'est pas la taille ou la liquidité du marché des actions qui conditionnent l'ampleur des récessions et la dynamique des reprises, mais plutôt le régime juridique et le degré de protection juridique des actionnaires minoritaires. Pour Levine et al. (2016), un degré élevé de protection des actionnaires permettrait en effet de faciliter la substitution des financements de marché aux crédits bancaires en période de crise, atténuant ainsi les effets récessifs d'une crise bancaire sur la profitabilité des entreprises. Pour arriver à ce résultat, ils s'appuient sur un large panel d'entreprises localisées au sein de trente-six pays dont ils comparent les émissions d'actions et les performances au moment de la crise selon le degré de protection des actionnaires du pays dans lequel est localisée l'entreprise. Les résultats soulignent alors le rôle crucial du degré de protection des actionnaires minoritaires pour le financement par actions en période de récession. Plus précisément, Levine et al. (2016) montrent que pour les secteurs financièrement dépendants, les entreprises localisées au sein des pays caractérisés par un degré élevé de protection des actionnaires émettront en moyenne un volume d'actions 82 % supérieur à celles qui sont localisées dans les pays où ce degré de protection est faible. La conséquence directe de cette substitution des financements de marché aux crédits bancaires au sein des pays dont la législation est favorable aux actionnaires est une atténuation de l'impact de la crise sur le profit des entreprises, dont la baisse est en moyenne 32 % inférieure à celle des entreprises ne bénéficiant pas de ce cadre juridique favorable aux petits actionnaires.

Structures concurrentielles
et croissance économique

La littérature théorique est très équivoque concernant l'influence de la concurrence bancaire sur la croissance économique. Une réflexion hâtive conduit souvent à tenir compte des seuls effets sur la marge d'intermédiation, à savoir des effets sur l'efficience des coûts de fonctionnement du système financier. Dans ces conditions, il ressort que la concurrence bancaire, en diminuant la marge d'intermédiation comme le suggère la théorie microéconomique, améliore la croissance économique, car elle permet que davantage d'épargne soit investie. Néanmoins cela reflète une vision étriquée du rôle des banques. Ainsi, au-delà de servir l'accumulation du capital, les banques ont vocation à exercer une influence sur l'allocation du capital en sélectionnant les projets les plus productifs dans un contexte d'asymétries d'information. Cela constitue d'ailleurs le rôle principal conféré aux banques par Schumpeter (1912) dans la dynamique capitaliste. Or le niveau de concurrence entre prêteurs serait susceptible d'affecter l'efficience de cette fonction d'allocation du capital. L'enchaînement est toutefois indirect puisque c'est d'abord en influant sur la capacité des banques à nouer des relations de clientèle de long terme que l'intensité concurrentielle agirait ensuite sur l'allocation du capital. Pour le comprendre, on peut brièvement exposer les grands traits du modèle de Petersen et Rajan (1995). Dans ce modèle, bien connu en économie bancaire, les demandeurs de capitaux ayant un projet viable sont initialement confrontés à des phénomènes d'asymétries d'information de type sélection adverse. Autrement dit, l'économie est composée de bons et de mauvais risques. Parce que la banque se trouve dans l'incapacité de discerner les uns des autres, une prime d'asymétrie d'information va être accolée aux bons risques. Dans ce cadre, plus l'opacité sur la nature du risque est forte, plus la prime exigée sera importante. De fait, cela accroît la probabilité que l'entreprise renonce à sa demande de financement. Afin d'éviter cet écueil, qui conduit à évincer du marché les projets les plus opaques qui sont potentiellement à long terme ceux qui jouissent de la productivité la plus élevée, une solution consiste, pour la banque, à lisser dans le temps cette prime d'asymétrie d'information. L'intensité de la concurrence prend dès lors toute son importance. En effet, la concurrence doit être suffisamment faible pour que la banque puisse exiger dans le futur – sans contractualisation préalable formelle – un taux d'intérêt supérieur au taux d'équilibre instantané.

Quand bien même la répétition des relations peut bénéficier initialement aux entreprises, elle rend, par la suite, ces dernières « captives ». Les agents ne peuvent, en effet, rompre cette relation de long terme sans envoyer un signal négatif au marché car, ce faisant, ils se mêleraient à une population où sont surreprésentés les porteurs de mauvais risques. Il sera alors difficile de conclure un nouveau contrat de dette ou cela se fera à un taux excessivement important. Ces coûts pour les emprunteurs constituent le socle de la rente informationnelle pour les banques, qu'elles seront libres d'exploiter à chaque nouvelle relation. La littérature parle à cet égard de phénomène de hold-up (Sharpe, 1990), qui est évidemment susceptible de décourager et de réduire l'investissement des entreprises, ce qui se répercuterait négativement sur la croissance économique. Dans une lecture à la Petersen et Rajan (1995), la relation entre concurrence bancaire et croissance pourrait donc être plus ambiguë qu'elle n'y paraît3.

Cette mise en perspective éclaire sur les enchaînements concurrence – disponibilité du crédit, mais laisse dans l'ombre les enchaînements disponibilité du crédit – croissance économique. En conséquence, les travaux réalisés sur le plan macroéconomique s'avèrent riches d'enseignements. De ce qui précède, il faut retenir que la concurrence bancaire a deux manières distinctes d'affecter la croissance économique. D'une part, l'intensification de la concurrence renforce l'efficacité technique de l'intermédiation, en conduisant à une réduction des marges. Dans un modèle de croissance endogène, cela induirait ainsi une augmentation de la rémunération de l'épargne et une baisse du coût du capital, qui sont toutes deux associées à une augmentation de la croissance économique. D'autre part, l'intensification de la concurrence pourrait altérer la capacité de sélection et de surveillance des entreprises. En pratique, cela induit une baisse de la productivité moyenne des entreprises, ce qui exerce un effet adverse sur la croissance économique. Sans grande surprise, en combinant ces deux effets, Amable et Chatelain (1996) parviennent à mettre en évidence que l'intensification de la concurrence peut, sous certaines conditions, être néfaste à la croissance économique. Deidda et Fattouh (2005) corroborent l'idée que la structure concurrentielle exercerait deux effets contradictoires sur la croissance. Une augmentation de la concurrence – signalée par une baisse de la concentration – induirait ainsi parallèlement des gains de spécialisation et une duplication des coûts fixes d'intermédiation, ce qui aurait des effets respectivement positifs et négatifs sur l'efficience du système bancaire.

Dans un autre ordre d'idées, car les auteurs étendent un modèle de croissance néoschumpétérien, ce qui conduit à mettre de côté les effets potentiels sur l'accumulation du capital pour se focaliser sur les effets sur la productivité globale des facteurs, Diallo et Koch (2013) font valoir que la concurrence bancaire améliore la probabilité d'innovation et donc, dans ce type de modèles, la croissance économique. Le raisonnement est assez trivial. Les auteurs considèrent en effet que l'intensification de la concurrence a pour unique effet de provoquer une baisse des taux. Partant, la baisse des charges financières augmente les profits espérés des entrepreneurs-innovateurs en cas de réussite de leur projet, ce qui tend à augmenter l'incitation à innover et donc la probabilité qu'une innovation apparaisse dans l'économie.

Deux voies distinctes ont été ouvertes dans la littérature empirique pour aborder la question des effets de la concurrence bancaire sur l'efficience et la croissance. La première renvoie à des analyses microéconomiques qui s'interrogent à propos de l'influence de la concurrence sur la disponibilité du crédit à l'échelle des entreprises. La seconde traite des effets de la concurrence directement sur la croissance observée à l'échelle macroéconomique.

Le premier volet empirique est dans la lignée des travaux de Petersen et Rajan (1995). À la suite de leur démonstration théorique, les auteurs mobilisent, en effet, un jeu de données de plus de trois mille entreprises américaines et observent si les différentiels de concurrence bancaire d'un État à un autre des États-Unis impliquent des différentiels d'accès à la dette financière. De cette analyse, il ressort que les entreprises nouvellement créées ont un accès plus important au crédit et avec de meilleures conditions financières dans les États américains où la concentration bancaire est plus importante. Allant dans le même sens, Ratti et al. (2008) soulignent que la concentration bancaire réduit en Europe les contraintes financières pesant sur les entreprises.

Parce que les notions de concentration et de concurrence ne se confondent pas nécessairement, les travaux les plus récents ont mobilisé des indicateurs de concurrence non structurels, donnant une indication du pouvoir de marché à partir de l'observation du comportement des banques plutôt que des structures du marché. Ce faisant, il apparaît que les études économétriques conduisent à infirmer nettement les résultats précédents (Carbo et al., 2009 ; Love et Peria, 2015 ; Ryan et al., 2014). Elles montrent en effet qu'une intensification de la concurrence réduit les contraintes financières pour les petites et moyennes entreprises (PME) espagnoles (Carbo et al., 2009), pour les PME européennes (Ryan et al., 2014) et pour un ensemble d'entreprises de pays en développement (Love et Peria, 2015).

Des travaux précédents, il est difficile de tirer des conclusions fermes quant aux effets finals de la concurrence bancaire sur la croissance économique. Ce constat a donc conduit à l'émergence d'études se concentrant sur l'analyse des corrélations entre concurrence bancaire et croissance. La première étude du genre a été conduite par Cetorelli et Gambera (2001) et mène à deux résultats notables. Dans le premier volet de leur analyse, les auteurs mettent tout d'abord en évidence le fait que la concentration bancaire contribue défavorablement à la croissance économique. L'hypothèse avancée est que la concentration, qui irait de pair avec une forte collusion sur le marché, se traduirait par un plus faible volume de crédits et un coût du capital plus important. Toutefois le second volet de l'analyse souligne ensuite que cet effet est particulièrement hétérogène. En effet, les données indiquent que la concentration, malgré son effet global négatif, bénéficierait à certains types d'entreprises. Cela serait, en particulier, le cas des jeunes entreprises qui sont soumises à de fortes asymétries d'information en raison de leur opacité. De cette manière, ces travaux étayent les conclusions de Petersen et Rajan (1995) et, en d'autres termes, l'idée que la concurrence bancaire réduirait les possibilités de nouer des relations de clientèle de long terme, avec la conséquence de limiter l'accessibilité au crédit pour les firmes les plus opaques.

Dans le sillage des travaux précédents, Claessens et Laeven (2005) testent si les secteurs industriels les plus dépendants du financement externe (le groupe de traitement) se développent plus rapidement que les autres secteurs (le groupe de contrôle) dans les économies où la concurrence – telle qu'elle peut être déduite du comportement des banques – est moins importante. De l'analyse menée, il ressort des résultats diamétralement opposés à ceux précédemment exposés. La croissance des secteurs fortement dépendants du financement externe est effectivement significativement plus importante dans les économies où la concurrence bancaire est la plus forte. Partant d'une approche similaire, de Guevara et Maudos (2011) mettent pour leur part en évidence la présence d'une relation non linéaire (de forme quadratique) entre concurrence bancaire et croissance économique. Ces résultats suggèrent ainsi l'existence dans les données d'un niveau de concurrence optimal moyen.

Si les différentiels de concurrence entre pays peuvent affecter la croissance, logiquement, les différentiels de concurrence interrégionale au sein d'une économie pourraient expliquer des dynamiques locales divergentes. Testant cette hypothèse pour l'économie allemande, qui présente la caractéristique d'avoir un marché bancaire national fragmenté, avec un fort degré d'hétérogénéité des structures bancaires d'un Länder à un autre, Inklaar et al. (2015) mettent en évidence le fait que le pouvoir de marché bancaire stimule le progrès technique et la réallocation du capital vers les emplois les plus productifs. Ces résultats pour l'économie rhénane s'avèrent du reste vérifiés pour un ensemble d'économies européennes (Leroy, 2016).

Banques publiques : Quels enjeux ?

Les éléments vus ci-dessus laissent apparaître un renforcement potentiel des défaillances de marché dans certaines configurations du système financier. En réponse, l'intervention publique peut prendre deux formes distinctes. La première voie d'action consiste à ajuster les structures de l'économie aux préconisations de la littérature empirique. Outre les difficultés de mise en œuvre éventuelles, cette voie présuppose l'existence d'un large consensus concernant les réformes à mener. À l'évidence, cette condition n'est pas pleinement satisfaite. Il faut de surcroît prendre en considération le fait que l'amplification des défaillances de marché peut être associée à une amélioration des performances macroéconomiques globales. La modification des structures ne saurait donc dans ces conditions se justifier. La seconde voie d'action consiste à pallier les effets adverses des structures financières en créant de nouvelles institutions. Typiquement, on peut, par exemple, conférer à des banques publiques la charge de dispositifs de garanties partielles ou/et de dispositifs de financement de trésorerie et d'investissement. En pratique, il s'agit de soutenir les entreprises caractérisées par de fortes asymétries d'information. Certaines structures de marché leur sont en effet néfastes car, comme nous en avons fait part, elles limitent la collecte d'informations privées et, par conséquent, leur accès au financement. Dans un univers où la concurrence bancaire et le poids des marchés financiers s'accroissent et où, partant, la résolution des asymétries d'information se fait plus difficile, cela plaide certainement pour un rôle accru des institutions financières publiques. On note d'ailleurs que depuis la crise de 2007-2008, les dispositifs de garanties et de financement des PME se sont multipliés à travers les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et ont constitué un élément de réponse à la crise (OCDE, 2013)4.

Cela étant dit, si les banques publiques peuvent en théorie résoudre certaines défaillances de marché, on ne peut nier le fait que l'économie politique pointe les inefficiences potentielles de cette forme organisationnelle. Cela a d'ailleurs constitué le motif principal du processus de privatisation engagé au milieu des années 1980. À la lumière de ces arguments théoriques discordants, il convient de s'interroger si les banques publiques favorisent la croissance économique. Afin d'apporter des éléments de réponse à cette question, deux approches se sont fait jour dans la littérature.

La première approche consiste à comparer les performances des banques publiques et privées. Comme c'est couramment le cas, les résultats des investigations empiriques se révèlent être fonction du niveau de développement des économies. D'un côté, il apparaît que l'ensemble des travaux menés sur des échantillons de banques de pays en développement mettent en évidence un déficit de performance et d'efficience des banques publiques. Micco et al. (2007) en apportent une explication : les interférences politiques, qu'ils déduisent de l'observation d'une augmentation des différentiels de performance entre banques publiques et privées les années d'élection. D'un autre côté, la littérature tend en revanche à faire valoir que les différentiels de performance ne sont pas significatifs dans les pays développés (Micco et al., 2007). Parce qu'il peut apparaître curieux de comparer des performances d'entités dont le mandat diffère, il semble difficile de tirer des enseignements catégoriques de cette littérature.

La seconde approche empirique a une dimension macroéconomique puisqu'elle repose sur l'observation des corrélations entre banques publiques, développement financier et croissance économique. À ce propos, les travaux de La Porta et al. (2002) font ressortir des corrélations négatives entre la présence de banques publiques et le niveau de développement financier ainsi qu'entre la présence de banques publiques et la croissance économique. Il faut toutefois prendre en considération le fait que les travaux menés ne permettent pas de garantir l'existence d'une causalité allant des banques publiques à la croissance économique. Cela limite donc incontestablement la portée de ces résultats. Au final, ce coup de projecteur permet de rompre avec l'idée largement répandue selon laquelle il existerait des preuves fermes montrant que les banques publiques sont nuisibles au développement économique. Au mieux ces preuves sont circonstancielles.

À la question des répercussions sur la croissance vient se greffer assez naturellement la question des effets sur la volatilité macroéconomique. Relativement aux banques privées, les prêts accordés par les banques publiques pourraient en effet avoir une moindre procyclicité. Les travaux de Brei et Schclarek (2013) et Bertay et al. (2015) confirment cette hypothèse et vont jusqu'à mettre en évidence l'effet contracyclique de ces banques dans les pays développés. Dès lors, les banques publiques pourraient constituer un outil de stabilisation macroéconomique additionnel, dont il faudrait comparer le rendement aux mesures macroprudentielles intégrées dans les accords de Bâle III, par exemple.

Conclusion

La crise économique et financière de 2008-2009 a eu pour conséquence de renouveler le débat sur le lien entre architecture des systèmes financiers et performances macroéconomiques. En particulier, un certain nombre de travaux empiriques récents se sont attachés à analyser l'impact des structures financières et de la concurrence bancaire sur la croissance économique. Ces études ont permis d'apporter un regard nouveau sur ces questions et contribuent aux réflexions actuelles sur l'opportunité du développement du financement direct et du renforcement de la concurrence bancaire en Europe. Alors que cette revue de littérature témoigne des difficultés de la sphère académique à apporter des réponses assurées à ces différentes questions, les décideurs publics ont fait preuve d'un discours beaucoup moins nuancé en prenant parti pour une réduction du poids de l'intermédiation en Europe. C'est notamment le cas de la Commission européenne avec son initiative d'Union des marché de capitaux, par exemple.

De nombreuses questions restent en suspens concernant les bienfaits d'une telle initiative dans le contexte européen. À ce titre, il nous semble par conséquent que quatre pistes de recherche se devraient d'être priorisées.

Première piste, une réflexion approfondie doit être menée sur la pertinence du clivage bank-based versus market-based et les mesures mobilisées pour définir le type de structures financières. En effet, comme nous avons pu le mettre en avant à travers cette recension de littérature, le lien entre structures financières et performances macroéconomiques apparaît relativement sensible à l'indicateur employé. De plus, si elle est pratique en première approximation, il n'est pas certain que l'opposition entre les systèmes financiers où prédominent les banques et ceux fondés sur les marchés soit aujourd'hui réellement pertinente. Cette opposition ne caractérise en effet qu'un nombre limité de pays au sein des économies industrialisées. En outre, comme le soulignent Allen et Gale (2000), les deux catégories de systèmes financiers ne sont pas homogènes. Ainsi les systèmes financiers allemand et japonais, tous deux caractérisés par une intermédiation forte, présentent des différences institutionnelles importantes. De même, les systèmes financiers américain et britannique, où prime le financement par marché, présentent des systèmes bancaires divergents, notamment en termes de concentration.

Deuxième piste, un effort tout particulier devrait être consenti pour approfondir l'analyse du lien entre structure financière et croissance économique. Il s'agirait notamment de chercher à évaluer ce lien en prenant en considération la répartition sectorielle de l'activité au sein d'une économie. En particulier, il nous semble important d'analyser quels sont les arrangements institutionnels qui permettraient de limiter les problématiques de financement des secteurs les plus innovants, souvent caractérisés par un niveau relativement élevé de capital immatériel. En effet, ces secteurs sont vraisemblablement ceux porteurs d'un nouveau modèle de croissance dans un futur proche.

Troisième piste, la réflexion sur l'intégration des marchés bancaires européens et les effets de la concurrence bancaire sur la croissance et la stabilité financière se doit d'être amplifiée. S'il s'avère aujourd'hui nécessaire de renforcer la convergence des marchés bancaires en Europe, notamment pour assurer une transmission plus homogène de la politique de la BCE, cela passe nécessairement par la création d'un marché bancaire unique. Or la création récente de l'Union bancaire européenne ne sera certainement pas suffisante pour mettre un terme au cloisonnement des marchés bancaires en Europe. D'autres mesures d'approfondissement institutionnel sont nécessaires pour renforcer l'intégration bancaire et créer un véritable marché bancaire paneuropéen. Si ces mesures de renforcement de l'intégration financière sont nécessaires pour consolider la construction monétaire européenne, elles auront des conséquences – à ne pas négliger – sur le niveau de concurrence bancaire, ce qui est susceptible d'affecter le financement des entreprises, mais aussi la stabilité du système bancaire.

Enfin une quatrième piste de recherche, qui nous semble importante, concerne les concours publics aux établissements de crédit. Ces derniers, mis en place dans l'urgence au plus fort de la crise financière des subprimes, représentent un coût relativement élevé pour les finances publiques. Bien que les dispositifs de garanties et de financement portés par les banques publiques n'aient pas nécessairement vocation à devenir pérennes, nous pensons toutefois qu'il s'avère essentiel d'évaluer précisément leurs effets sur l'activité de crédit des intermédiaires financiers, la stabilisation macroéconomique et, plus généralement, la croissance.


Notes

1 En pratique, cela se manifeste par le fait que les compagnies d'assurances, les fonds de pension et les fonds communs de placement représentent une part croissante du PIB.
2 Voir dans ce numéro l'article de Levieuge G. et Pollin J.-P.
3 Cette ambiguïté est en outre entretenue par la contribution de Boot et Thakor (2000). Les auteurs mettent en exergue qu'une accentuation de la concurrence sur le marché interbancaire, plutôt que de restreindre la banque de relation, va permettre son développement. Dans un contexte de concurrence intense, la banque de relation permet en effet à l'industrie de se protéger d'une concurrence frontale par les prix, ce à quoi conduit la banque de transaction (« la banque à l'acte »), où les opérations de crédit sont indépendantes dans le temps. En encourageant la banque à se différencier, la concurrence interbancaire pourrait donc être favorable à la croissance économique.
4 Les statistiques de la Banque mondiale, produites par Barth et al. (2013), témoignent de cette évolution. Il apparaît en effet qu'entre 2007 et 2011, la part des banques publiques est passée, sur un échantillon de pays développés et en développement, de 9,3 % à 10 % des actifs bancaires totaux.

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