Les économies latino-américaines ont connu une croissance moyenne de 5 % entre 2002 et 2010. Après la série de réformes structurelles et de changements institutionnels de la décennie précédente, la région est devenue plus résistante aux chocs exogènes. En pratique, la plupart des gouvernements de la région ont été en mesure de mettre en œuvre avec succès des politiques contracycliques à la suite de la crise financière mondiale de 2008.
Toutefois, depuis 2011, l'Amérique latine affiche une dynamique de croissance en net ralentissement. En effet, depuis cette date, la région enregistre des performances inférieures à celles de la majorité des marchés émergents, glissant même vers une récession dès 2015. L'activité devrait de nouveau se contracter en 2016 avant de retrouver une expansion très modeste en 2017.
Ainsi, malgré un renforcement des fondamentaux et un assainissement des cadres politiques, la piètre performance des cinq dernières années montre que les facteurs externes revêtent encore une importance cruciale pour l'Amérique latine. Izquierdo et al. (2008) ont été parmi les premiers à mettre l'accent sur le fait que les stimulations extérieures – expansion rapide de la demande mondiale, prix des produits de base élevés et abondance de liquidités – ont largement contribué à la croissance des années 2000. En l'absence de telles impulsions, l'activité a marqué le pas.
Néanmoins la région présente un profil très hétérogène. Les pays ayant des institutions fortes et des cadres politiques solides enregistrent de meilleures performances que ceux dont les cadres institutionnels sont plus faibles. Mais alors que la conjoncture de l'économie mondiale s'assombrit, les perspectives de croissance pour l'Amérique latine ne sont guère reluisantes d'une manière générale.
Ce constat nous ramène à une question fondamentale pour la région : dans quelle mesure les facteurs externes déterminent-ils la performance économique de la région ? En particulier, les prix des produits de base sont depuis longtemps reconnus comme jouant un rôle fondamental. Dans cet article, nous réexaminons succinctement cette question, en cherchant à savoir si les fluctuations des prix des produits de base peuvent être associées à des fluctuations cycliques ainsi qu'à la dynamique de long terme en Amérique latine.
Les principaux résultats de cet article comportent deux aspects. Premièrement, en procédant à une analyse de vecteurs autorégressifs structurels (SVAR pour structural vector autoregression), nous constatons que les chocs des termes de l'échange expliquent en moyenne 30 % environ des fluctuations cycliques de la production globale en Amérique latine. Ce chiffre est cohérent avec les conclusions d'une grande partie de la littérature selon lesquelles les perturbations des termes de l'échange constituent un élément moteur important des cycles conjoncturels dans la région. Notre analyse SVAR révèle en outre qu'un quart environ de la volatilité des taux de change réels s'explique également par les chocs des termes de l'échange.
Deuxièmement, nous relevons qu'il existe une relation à long terme entre les termes de l'échange et la production globale. Ces variables semblent partager une tendance commune et, par conséquent, évoluer de pair dans une certaine mesure. C'est pourquoi nous observons que les périodes d'essor des prix des produits de base sont caractérisées par des taux de croissance bien plus marqués dans les économies latino-américaines, en particulier dans celles qui sont les plus tributaires des exportations de produits de base. De plus, dans la plupart des cas, cette relation à long terme semble avoir une incidence sur la dynamique à court terme de la croissance de la production. À notre connaissance, cet aspect n'a été exploré que par Izquierdo et al. (2008).
Dans la deuxième partie, nous passons brièvement en revue la littérature portant sur l'incidence des évolutions des termes de l'échange et des prix des produits de base sur les économies en développement et, en particulier, sur les économies latino-américaines. Dans la troisième partie, nous réinterprétons les données empiriques relatives à l'incidence des chocs des termes de l'échange sur les pays d'Amérique latine, en mettant l'accent sur ses sept principales économies. Enfin, dans la quatrième partie, nous présentons quelques conclusions.
Bref examen de la littérature
Une abondante littérature étudie l'effet des produits de base et des termes de l'échange sur les économies de marché émergentes. Les chocs des termes de l'échange sont considérés comme une source importante d'incertitudes réelles dans ces économies qui sont souvent d'importantes productrices et exportatrices de produits de base. En outre, comme le soutiennent Calvo et Mendoza (1994), dans la mesure où les agents dans ces économies n'ont généralement pas la possibilité d'assurer leurs revenus contre les fluctuations des prix relatifs mondiaux, les chocs des termes de l'échange provoquent de forts effets de richesse et de substitution, entraînant d'importantes répercussions sur les résultats macroéconomiques.
Une partie de la littérature est basée sur l'analyse de modèles d'équilibre général dynamique et stochastique afin de rendre compte des cycles conjoncturels dans les petites économies ouvertes. Mendoza (1995) constate que les chocs des termes de l'échange expliquent environ la moitié des fluctuations de la production dans les économies en développement. Kose (2002) élargit le modèle de Mendoza afin de refléter certaines caractéristiques pertinentes du point de vue empirique des économies en développement et étudie les implications conjoncturelles des chocs des prix mondiaux. Il relève que ces chocs expliquent près de 90 % de la variation de la production globale1.
Dans un article plus récent, Fernandez et al. (2015) mettent l'accent sur les exportateurs de produits de base (Brésil, Chili, Colombie et Pérou) et étudient le rôle des fluctuations des prix des produits de base comme l'une des sources spécifiques de la variabilité des termes de l'échange en estimant un modèle conjoncturel multinational pour les économies de marché émergentes. Ils constatent que 42 % de la variance de la production globale s'expliquent par des chocs des prix des produits de base. En outre, ils relèvent que l'incidence des chocs des prix des produits de base est souvent accentuée par des mouvements anticycliques de la prime de risque pays. Autrement dit, les prix des produits de base plus élevés ont tendance à aller de pair avec une amélioration des conditions financières extérieures de ces économies. Ces conclusions sont similaires à celles qu'ont obtenues Álvarez et al. (2013) dans le contexte des chocs de productivité.
En résumé, cette partie théorique de la littérature laisse entendre que les chocs des termes de l'échange constituent un élément moteur majeur des cycles conjoncturels dans les pays en développement.
Une autre branche de la littérature s'appuie sur des méthodes empiriques afin d'étudier le rôle des termes de l'échange dans la stimulation des cycles conjoncturels dans les économies en développement. Récemment, Schmitt-Grohé et Uribe (2015) ont contesté les conclusions de la branche théorique de la littérature. Ils soutiennent que les résultats basés sur des modèles SVAR sont extrêmement différents. En utilisant des données relatives à trente-huit pays pauvres et émergents, ils estiment des vecteurs autorégressifs structurels nationaux et constatent qu'en moyenne, les chocs des termes de l'échange n'expliquent que 10 % des fluctuations de la production. Si nous nous limitons aux résultats relatifs aux pays latino-américains de leur échantillon (Argentine, Brésil, Colombie, Mexique et Pérou), les chocs des termes de l'échange expliquent en moyenne 18 % des fluctuations de la production. Cela laisse entendre que les perturbations des termes de l'échange jouent un rôle bien moins important qu'on ne l'avait pensé. Par ailleurs, ils comparent leurs résultats empiriques aux prédictions d'un modèle théorique similaire à celui de Mendoza (1995) et soutiennent qu'il y a un manque de concordance entre les premiers et les seconds en ce qui concerne le rôle des chocs des termes de l'échange dans l'explication des fluctuations globales.
Ben Zeev et al. (2016) pallient cet apparent manque de concordance entre les modèles empirique et théorique en les étendant, afin qu'il soit tenu compte des nouveaux chocs (anticipés) des termes de l'échange. Ils estiment les SVAR nationaux de cinq pays d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Chili, Colombie et Pérou) et constatent que les chocs inattendus des termes de l'échange expliquent en moyenne 18 % des fluctuations de la production, ce qui confirme les résultats de Schmitt-Grohé et Uribe (2015). Ils constatent également que les nouveaux chocs des termes de l'échange expliquent 26 % des fluctuations de la production. Globalement les perturbations inattendues tout comme anticipées des termes de l'échange expliquent ensemble 44 % de la volatilité de la production. En outre, lorsqu'ils entrent les processus stochastiques estimés des termes de l'échange nationaux dans un modèle conjoncturel calibré (quasiment identique à celui présenté dans Schmitt-Grohé et Uribe, 2015), ils observent que les deux types de chocs expliquent ensemble environ 46 % de la variation de la production. Par conséquent, la contribution des chocs des termes de l'échange ne semble pas aussi anodine que le prétendent Schmitt-Grohé et Uribe (2015).
Izquierdo et al. (2008) analysent, plus généralement, le rôle joué par les facteurs externes – dont font partie les termes de l'échange – dans l'accélération de la croissance du produit intérieur brut (PIB) dans sept des plus grandes économies latino-américaines pendant la période 1990-2006. Ils constatent que ces facteurs expliquent une part importante de la volatilité de la croissance du PIB. Ils montrent également qu'une amélioration des facteurs externes est associée à une hausse durable du PIB dans ces pays.
Andrews et Rees (2009) étudient l'effet de la volatilité des termes de l'échange sur la volatilité macroéconomique en utilisant les données de panel de soixante et onze pays. Leurs résultats montrent que les chocs des termes de l'échange sont une source importante de volatilité de la production et de volatilité de l'inflation. Plus spécifiquement, une hausse d'un écart type dans la volatilité des termes de l'échange accroît la volatilité de la production et la volatilité de l'inflation respectivement de 1,1 et 1,2 point de pourcentage. Ils se penchent également sur la façon dont différents cadres de politique macroéconomique influent sur la relation entre chocs des termes de l'échange et volatilité macroéconomique. Leur principale conclusion est qu'un régime de taux de change flottant diminue l'impact des chocs des termes de l'échange sur la volatilité de la production.
Ce dernier résultat est cohérent avec celui de Broda (2004), qui étudie la contribution des chocs des termes de l'échange aux fluctuations du PIB réel, le taux de change réel et les prix dans le cadre de différents régimes de taux de change. Il constate que les chocs des termes de l'échange jouent un rôle plus important dans l'explication des fluctuations du PIB dans les pays ayant un régime de taux de change fixe. Dans ces cas, environ un tiers de la volatilité de la production s'explique par des perturbations des termes de l'échange. En revanche, dans le cadre d'un régime de change flottant, les chocs des termes de l'échange expliquent moins de 10 % de la volatilité de la production. En ce qui concerne le taux de change réel, dans les régimes de change fixe, il s'ajuste lentement après les chocs des termes de l'échange, principalement par le biais de changements dans les prix. Dans les régimes de change flottant, le taux de change réel répond davantage aux chocs des termes de l'échange. Plus spécifiquement, les chocs des termes de l'échange expliquent près de 13 % des fluctuations du taux de change réel dans les régimes de change fixe et environ 31 % dans les régimes de change flottant.
Jusqu'ici, ces études se sont concentrées sur la façon dont les chocs des termes de l'échange influent sur les cycles conjoncturels, ce qui se différencie légèrement de la question suivante : comment la volatilité des termes de l'échange influe-t-elle sur la croissance de la production ? Cavalcanti et al. (2012) abordent cette question en utilisant une base de données de panel portant sur cent dix-huit pays. Ils constatent que la volatilité des termes de l'échange des produits de base2 a une incidence négative sur la croissance de la production dans les pays qui sont principalement des exportateurs de produits de base, l'échantillon étant presque exclusivement constitué d'économies en développement, exception faite de l'Australie3. Pour les pays disposant d'un panier d'exportations plus diversifié, ils ne relèvent pas cette relation négative. L'incidence négative observée chez les exportateurs de produits de base semble opérer à travers la moindre accumulation de capital physique et de capital humain dans ces économies. De plus, ils montrent que l'amélioration des termes de l'échange des produits de base a une incidence positive sur la croissance de la production, contrairement à ce que postule l'hypothèse de la « malédiction des ressources ». En guise de conclusion, ils déclarent que c'est la volatilité des termes de l'échange des produits de base qui cultive le paradoxe de la malédiction des ressources dans la mesure où l'incidence négative de la volatilité sur la croissance a largement contrebalancé l'incidence positive des flambées des prix des produits de base.
Plus récemment, Alberola et al. (2016) montrent que les prix des produits de base ont été en Amérique latine le principal responsable des déviations du rythme de croissance de l'activité économique par rapport à un rythme soutenable sur le moyen terme. Ils proposent une méthodologie visant à éliminer l'incidence des prix des produits de base sur les estimations de la production potentielle afin d'éviter les erreurs commises dans le calcul de l'écart de production, lesquelles conduisent à un biais procyclique de la politique budgétaire et limitent le rôle stabilisateur de la politique monétaire.
Éléments empiriques
Données
Dans cette partie, nous nous concentrerons sur un échantillon de sept grandes économies latino-américaines : l'Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Mexique, le Pérou et le Venezuela. Bien que les produits de base ne représentent que 15 % de la production sur la période 2008-2015, en moyenne, les exportations de produits de base représentent 60 % du total des exportations. On observe toutefois une grande dispersion, dans la mesure où les exportations de produits de base ne représentent que 16 % du total des exportations au Mexique, contre 98 % au Venezuela (cf. tableau 1 infra). Certes, au cours des quinze dernières années, il y a eu une reprimarisation des exportations, laquelle a permis à la part des produits de base dans le total des exportations d'atteindre en moyenne 60 % au cours des cinq dernières années, contre 54 % entre 2001 et 2005.
Pour chaque pays, nous disposons de données trimestrielles corrigées des variations saisonnières en ce qui concerne le PIB réel, la consommation privée réelle, l'investissement brut réel, la balance commerciale, le taux de change réel et les termes de l'échange, ces derniers étant définis comme le rapport entre les prix des exportations et les prix des importations. En raison de la disponibilité des données, les périodes d'échantillonnage sont différentes d'un pays à l'autre : Argentine du 2e trimestre 1993 au 2e trimestre 2015, Brésil du 1er trimestre 1996 au 4e trimestre 2015, Chili du 1er trimestre 2003 au 3e trimestre 2015, Colombie du 1er trimestre 2000 au 4e trimestre 2015, Mexique du 1er trimestre 1993 au 4e trimestre 2015, Pérou du 1er trimestre 1990 au 4e trimestre 2015 et Venezuela du 1er trimestre 1998 au 3e trimestre 2015.
Faits préliminaires
Les fluctuations des termes de l'échange semblent avoir une incidence majeure sur les conditions macroéconomiques des pays d'Amérique latine. En particulier, elles semblent avoir un effet significatif sur la croissance économique. Par exemple, lors de la flambée des prix des produits de base qui a précédé la crise financière mondiale de 2008, lorsque les termes de l'échange ont fortement augmenté dans la région, le PIB réel a lui aussi augmenté à un rythme beaucoup plus rapide que le taux de croissance moyen pendant la période qui a précédé la flambée des prix. Cela apparaît clairement dans le tableau 2, lequel présente les taux de croissance trimestriels moyens des termes de l'échange et du PIB pendant la période de flambée des prix des produits de base et pendant la période qui l'a précédée, ainsi que pour l'échantillon complet. En moyenne, le PIB réel a augmenté environ trois fois plus vite pendant la période de flambée des prix que pendant la période l'ayant précédée4.
Les termes de l'échange semblent également être associés aux fluctuations conjoncturelles. Le tableau 3 (infra) montre que la composante conjoncturelle du PIB – à savoir la consommation et l'investissement – est positivement corrélée avec la composante conjoncturelle des termes de l'échange. Cela n'est guère surprenant dans la mesure où c'est un fait bien connu dans les économies émergentes en général. De plus, comme on pouvait s'y attendre, la balance commerciale en termes réels se détériore5 et, dans la plupart des cas, le taux de change réel s'apprécie à mesure que les termes de l'échange s'améliorent6.
Vous remarquerez que nous avons tenté d'établir une distinction entre les effets à long terme et les effets à court terme des chocs des termes de l'échange. Par effets à long terme nous entendons l'incidence des hausses durables dans les termes de l'échange sur, par exemple, la croissance du PIB réel. Par opposition, les effets à court terme renvoient à l'incidence des chocs des termes de l'échange sur le comportement conjoncturel de l'économie.
Jusqu'ici, nous n'avons apporté que des preuves suggestives qu'il existe à la fois une relation à court terme et une relation à long terme entre les termes de l'échange et les variables macroéconomiques présentant un intérêt pour ces sept économies d'Amérique latine. Nous étudions cela plus en détail dans la prochaine sous-partie.
Analyse de vecteurs autorégressifs structurels
Afin d'observer les effets à court terme des chocs des termes de l'échange, nous effectuons une analyse SVAR, en suivant la méthodologie de Schmitt-Grohé et Uribe (2015), mais en utilisant des données trimestrielles et quatre décalages. L'un des éléments clés de cette approche est que, par hypothèse, la dynamique des termes de l'échange est exogène. Autrement dit, les chocs touchant d'autres variables telles que le PIB et le taux de change réel n'ont aucune incidence sur les termes de l'échange. Cette hypothèse est raisonnable et courante dans la littérature, compte tenu du fait que nous étudions de petites économies ouvertes et que, par conséquent, celles-ci n'influent pas sur les prix internationaux7. Cela nous permet d'identifier les conséquences des chocs des termes de l'échange sur les autres variables.
Plus spécifiquement, nous estimons les SVAR nationaux en recourant à la composante conjoncturelle de notre ensemble de variables8. Notre principale observation est basée sur la décomposition de la variance. Le tableau 4 présente la décomposition de la variance des erreurs de prévision à dix ans. Nous constatons que les chocs des termes de l'échange expliquent près de 30 % des fluctuations conjoncturelles du PIB en moyenne dans ces sept économies. Nous observons qu'il existe une variabilité relativement importante entre les pays. D'un côté, nos estimations indiquent qu'au Chili et au Venezuela, les chocs des termes de l'échange expliquent respectivement 64 % et 46 % de la volatilité conjoncturelle du PIB et, d'un autre côté, qu'en Argentine et en Colombie, ces chocs ne contribuent qu'à hauteur de 6 % et 11 % respectivement à la volatilité de la production. Entre ces extrêmes, nous trouvons le Brésil, le Mexique et le Pérou, où ces chocs expliquent respectivement 31 %, 23 % et 22 % de la volatilité de la production.
En ce qui concerne les composantes des dépenses du PIB, nous relevons que les chocs des termes de l'échange expliquent en moyenne 23 % de la volatilité de la consommation et 28 % de la volatilité de l'investissement. Dans la plupart des cas, ces chocs expliquent une part plus importante de la volatilité de la production que de la volatilité de la consommation, ce qui semble indiquer que les agents ont tendance à considérer ces chocs comme transitoires. Pour le cas du ratio de la balance commerciale à la production (BC/PIB), nous avons observé deux groupes de pays. Au Chili, en Colombie et au Venezuela, les chocs des termes de l'échange expliquent environ 40 % des fluctuations conjoncturelles du ratio BC/PIB. Par opposition, la contribution de ces chocs est très modeste dans les autres pays de notre échantillon, probablement parce que le Chili, la Colombie et le Venezuela sont davantage exposés à l'exploitation minière et à l'énergie que les autres pays.
Une autre observation importante est que les chocs des termes de l'échange expliquent 25 % de la volatilité du taux de change effectif réel. Là encore, nous relevons une variabilité relativement importante d'un pays à l'autre. D'un côté, nous avons le Chili et le Venezuela, où ces chocs expliquent respectivement 47 % et 58 % de la volatilité du taux de change réel. D'un autre côté, nous trouvons l'Argentine, le Mexique et le Pérou9, où la contribution de ces chocs se situe autour des 10 %. Comme le suggère Broda (2004), ces résultats dépendent du type de régime de taux de change et du cadre de politique monétaire mis en place dans chaque pays qui définissent la façon dont l'inflation et le taux de change nominal répondent aux chocs. Il serait intéressant d'étudier cet aspect plus en détail pour ce groupe de pays, mais cette étude n'entre pas dans le cadre de cet article.
L'un des avantages de l'analyse SVAR est qu'elle nous permet de déduire des fonctions de réponse impulsionnelle, lesquelles montrent comment chaque variable répond à un choc unique dans le temps. Les réponses impulsionnelles à un choc des termes de l'échange révèlent une situation similaire à celle présentée dans le tableau 3 (supra). À court terme, un choc positif des termes de l'échange est associé à des hausses de la production, de la consommation et de l'investissement, et à une détérioration de la balance commerciale par rapport au PIB. En ce qui concerne le taux de change réel, nous obtenons des résultats contrastés. Dans le cas du Venezuela, la fonction de réponse impulsionnelle montre un recul significatif (dépréciation) à court terme, qui semble être lié à des distorsions associées au régime de taux de change. Par opposition, les réponses impulsionnelles pour le Chili, la Colombie et le Mexique indiquent une hausse (appréciation) du taux de change réel.
Dans l'ensemble, nous pouvons conclure que les chocs des termes de l'échange ont une incidence significative sur les fluctuations macroéconomiques conjoncturelles dans les économies d'Amérique latine. Néanmoins nous constatons qu'il y a une certaine hétérogénéité entre les pays en ce qui concerne l'impact des chocs des termes de l'échange. Elle peut résulter de nombreux facteurs ; la littérature en distingue deux en particulier. Le premier est le type de cadre institutionnel en place dans chaque économie, qui définit la réponse apportée à ces chocs en termes de politique macroéconomique et détermine par conséquent la façon dont l'économie y réagit. Un exemple que nous venons de mentionner est celui du cadre de politique monétaire. Le second facteur déterminant est la structure économique de chaque pays et le degré d'exposition à certains produits de base.
Analyse de cointégration et de correction d'erreur
Au début de cette partie, nous avons soutenu que les périodes d'essor des termes de l'échange étaient associées à des taux plus élevés de croissance du PIB (cf. tableau 2 supra). Dans cette sous-partie, nous essayons de déterminer s'il existe une relation à long terme entre les termes de l'échange et le PIB. Le cas échéant, nous chercherons à savoir si cette relation a une incidence sur la dynamique à court terme de la production.
Pour ce faire, nous effectuons une analyse de cointégration et de correction d'erreur pour chaque pays. La cointégration nous indique si deux (ou plusieurs) variables non stationnaires (liées à une tendance) obéissent à une relation d'équilibre sur le long terme. Si oui, nous disons qu'elles partagent une tendance commune10.
Si deux ou plusieurs variables se trouvent être cointégrées, alors nous pouvons estimer un modèle à court terme avec un terme d'ajustement à « correction d'erreur ». Les modèles de correction d'erreur, comme on les appelle, relient la relation d'équilibre à long terme au mécanisme d'ajustement dynamique à court terme qui décrit la façon dont les variables s'ajustent lorsqu'elles s'écartent de leur équilibre à long terme.
Le test de cointégration révèle que pour chacun des sept pays, il existe une relation à long terme entre termes de l'échange et PIB. Ainsi nous estimons, pour chaque pays, un modèle vectoriel à correction d'erreur (VEC). Comme on pouvait s'y attendre, nous constatons que le coefficient du terme de « correction d'erreur » est négatif pour tous les pays, une condition nécessaire à la stabilité de la relation à long terme. Toutefois, pour le Brésil, la Colombie et le Mexique, ce coefficient n'est pas significativement différent de zéro. Les écarts par rapport à l'équilibre à long terme n'influent donc pas de manière significative sur la dynamique à court terme. Ce résultat pourrait découler d'un problème de mauvaise spécification du modèle. Il peut également indiquer certains changements structurels dans les données. Après tout, ces pays ont connu d'importantes réformes structurelles au cours des vingt dernières années, qui ont pu affecter les relations à long terme entre les variables.
Pour les quatre autres pays, nous remarquons une hétérogénéité relativement importante en ce qui concerne la vitesse d'ajustement vers l'équilibre à long terme11. Le Chili et le Venezuela ont de loin l'ajustement le plus rapide avec des coefficients respectifs de –0,21 et –0,15, par rapport à l'Argentine et au Pérou, lesquels enregistrent des coefficients respectifs de –0,06 et –0,02. Ces chiffres sont cohérents avec les résultats de l'analyse SVAR, au moyen de laquelle nous avons observé que la contribution des chocs des termes de l'échange à la volatilité de la production était également la plus importante au Chili et au Venezuela. Cela semble indiquer qu'une part significative de la volatilité du PIB causée par les chocs des termes de l'échange dans ces pays est due au processus rapide d'ajustement à long terme.
Il est intéressant de mentionner que la décomposition de la variance de nos modèles VEC estimés implique que les perturbations de la croissance des termes de l'échange expliquent en moyenne 8 % de la variance de la croissance du PIB, ce qui représente moins d'un tiers de ce que nous avons relevé avec les modèles SVAR12. Cette contribution plus faible des chocs des termes de l'échange peut être attribuée au fait que les modèles VEC sont estimés à partir de taux de croissance plutôt qu'à partir d'écarts logarithmiques à la tendance. C'est important dans la mesure où les taux de croissance sont plus larges au sens où ils répondent aussi à des facteurs à long terme tels que les mécanismes d'ajustement à correction d'erreur – dont les modèles VEC tiennent évidemment compte. Ainsi les chocs identifiés par chaque modèle peuvent être très différents. En particulier, les chocs identifiés par notre modèle VEC peuvent non seulement détecter les perturbations conjoncturelles, mais également les facteurs à long terme dont il ne tient pas compte. Par conséquent, il est plausible que les chocs touchant la croissance des termes de l'échange puissent apparemment contribuer plus modestement à la volatilité de la croissance du PIB.
Conclusion
Une question fondamentale concernant l'Amérique latine est de savoir si les termes de l'échange déterminent la performance économique de la région. Cet article tente d'y répondre et cherche à savoir dans quelle mesure les perturbations des termes de l'échange influent sur les fluctuations conjoncturelles. En outre, nous essayons de déterminer si le comportement des termes de l'échange et la production globale sont liés sur le long terme. Nous nous concentrons sur les sept plus grandes économies de la région et recourons à des analyses SVAR et VEC afin de répondre à ces questions.
L'une des principales conclusions de cet article est que les chocs des termes de l'échange expliquent en moyenne 30 % environ des fluctuations conjoncturelles de la production globale en Amérique latine. Cette analyse est cohérente avec les résultats d'une grande partie de la littérature qui montrent que les perturbations des termes de l'échange constituent un élément moteur important des cycles conjoncturels dans la région. Nous constatons également qu'il existe une relation à long terme entre les termes de l'échange et la production globale. Par ailleurs, dans la plupart des cas, cette relation à long terme semble avoir une incidence sur la dynamique à court terme de la croissance de la production.
De nouvelles recherches pourraient s'appuyer sur cette étude. Premièrement, un VEC en panel pourrait être utilisé afin d'incorporer d'éventuels mouvements conjoints entre certaines de ces économies et de traiter de possibles ruptures structurelles. Deuxièmement, le calcul de la production tendancielle pourrait être affiné (par exemple, en utilisant des modèles espace-état) afin d'obtenir une meilleure évaluation de l'incidence conjoncturelle des termes de l'échange. Troisièmement, les canaux par le biais desquels les termes de l'échange affectent la croissance à court terme et la croissance à long terme pourraient aussi être évalués de façon empirique. Enfin il serait également intéressant de développer une compréhension approfondie du rôle des cadres politiques dans la gestion des conséquences de la volatilité des termes de l'échange sur la production et les cycles.