Les taux d'intérêt de la zone euro ont atteint, en 2016, un niveau historiquement bas. Pour spectaculaire qu'elle ait été en 2016, cette baisse s'inscrit dans une tendance de long terme qui, avec des interruptions, dure depuis le début des années 1990.
Le territoire des « taux zéro » ferait entrer l'assurance vie française dans un scénario « à la Japonaise » selon certains observateurs. Ils se réfèrent à une étude de l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) selon laquelle après dix ans de taux bas au Japon, huit compagnies avaient disparu, entraînant 28,5 Md€ de pertes.
La situation française n'est cependant pas comparable à celle qu'a connue le Japon, en raison notamment des spécificités du modèle de l'assurance vie française et le rôle clé qu'elle joue dans la réponse aux différents besoins de la population.
L'assurance vie en France est la success story de ces trois dernières décennies lui valant souvent le qualificatif de « placement préféré des Français ». Les encours poursuivent leur progression, traduisant une confiance soutenue du public malgré l'exposition du secteur aux taux d'intérêt ; la qualité des bilans reste très élevée selon toutes les mesures disponibles, notamment le taux de couverture des exigences de solvabilité des compagnies d'assurance.
Et le besoin d'assurance va s'accentuer dans les prochaines années. La baisse de la croissance, l'incertitude financière et l'allongement de la vie humaine vont continuer à alimenter une forte demande. Les assureurs adaptent leurs produits et leur modèle de gestion pour y répondre dans le cadre des règles actuelles. Mais celles-ci devront évoluer pour s'adapter à leur tour aux conditions économiques.
L'assurance vie : success story française
Des fondamentaux toujours solides
Au regard des chiffres, l'assurance vie est la principale composante de l'assurance française. En 2015, elle représentait 61 % du volume du chiffre d'affaires de la profession (135 Md€ sur 209 Md€). L'agrégat plus large de l'assurance de personnes, qui comprend aussi la prévoyance, la santé et la capitalisation, représente même 75 % (156 Md€) de la collecte de la profession.
Ce succès ne se dément pas. Sur les dix dernières années, le montant des cotisations est resté constamment élevé (entre 140 Md€ à 160 Md€).
Cette permanence n'a pas été affectée, contrairement à ce que l'on imagine souvent, par l'évolution des taux d'intérêt.
Le TME (taux moyen d'emprunt d'État) est ainsi passé de 4,3 % en 2007 à 0,9 % en 2015 sans inflexion significative de la tendance de la collecte. Les variations annuelles sont davantage expliquées par un recul des cotisations sur les quelques années qui suivent une crise financière, avant une reprise de l'activité au niveau précédent.
Même observation du point de vue des encours : sur une période de dix ans, l'assurance vie représente toujours une part des placements financiers des ménages de l'ordre de 39 %. Derrière ce succès, il n'y a pas de miracle, mais de solides fondamentaux.
L'assurance vie répond en effet à des motivations fondamentales de la clientèle : gestion à long terme du patrimoine et protection contre les aléas de la vie. Elle offre une garantie du capital pour la partie investie en euros (plus de 80 % de l'encours) adossée sur la solidité des bilans et la qualité des fonds propres d'entreprises réglementées et étroitement contrôlées.
Les contrats d'assurance vie offrent une liquidité totale : ils peuvent être rachetés à tout moment, avec une garantie du capital pour la partie en euros.
Le rendement des contrats en euros a été constamment supérieur à l'inflation, depuis plus d'une décennie.
Comme les performances sont lissées dans le temps, indépendamment de la volatilité des marchés financiers, ce placement offre aussi une grande prévisibilité pour les assurés.
Le régime fiscal (plafonnement de l'impôt sur le revenu au-delà d'une durée de détention de huit ans, exonération limitée des droits de succession et déductibilité des cotisations à certains contrats de retraite supplémentaire) présente un avantage supplémentaire qui vient compenser l'immobilisation de l'épargne investie. C'est un élément de différenciation commerciale par rapport à d'autres produits d'épargne purs, mais pas une originalité. Dans la plupart des pays, l'assurance vie bénéficie d'un régime fiscal dérogatoire sous une forme ou sous une autre.
Bien qu'ils constituent encore un atout important et apprécié des particuliers, les avantages fiscaux relatifs du régime français de l'assurance vie ont été érodés au fil des ans et des réformes fiscales. Et le coût global du régime, pour un peu plus de 1 Md€ par an, est modeste par rapport aux masses de capitaux ainsi stabilisées (plus de 1 600 Md€ avec une durée moyenne de détention de onze ans).
De l'épargne de long terme à la protection contre les aléas de la vie, des usages variés
Doté de nombreux atouts, le contrat d'assurance vie est considéré comme un « couteau suisse » qui permet de répondre aux besoins divers des clients assurés, via la combinaison de solutions pour la gestion à long terme de l'épargne des assurés avec des garanties biométriques. Celles-ci couvrent, selon le contrat, le risque de décès et/ou divers risques de la personne « en cas de vie » (incapacité, dépendance, etc.).
Dans ce cadre très modulaire que permet l'assurance vie, il convient de noter que la principale motivation des assurés, constamment mesurée dans toutes les enquêtes d'opinion, est la préparation à la retraite. C'est ce que confirme une enquête IPSOS/FFA de mars 2017 : 55 % des détenteurs âgés de 35 ans à 59 ans placent la préparation à la retraite au premier rang de leurs motivations.
Le succès particulier de l'assurance vie en France peut donc être mis au regard de l'absence de fonds de pension et de la modestie des engagements de retraite supplémentaire.
Les caractéristiques techniques des deux catégories de produits (assurance vie et assurance retraite) sont cependant différentes. Contrairement aux produits d'assurance vie « traditionnels » (type contrats euros), les contrats de retraite se caractérisent par une « aliénation du capital » avec une restriction forte aux rachats (incapacité de sortir en capital et de le transmettre).
C'est ce qui explique que les produits d'épargne-retraite français occupent une place limitée par rapport à l'assurance vie stricto sensu.
Toutefois, face à la prise de conscience progressive des Français sur l'insuffisance de la retraite dont ils bénéficieront en application du régime par répartition, l'épargne-retraite a trouvé sa place sur le marché. Elle intéresse des populations spécifiques, comme les contrats MADELIN pour les travailleurs non salariés (ou les contrats type PREFON pour les agents publics) ainsi que les détenteurs de produits particuliers (PERP) et les bénéficiaires de certains régimes d'entreprise. Au total, ce segment ne représente cependant qu'une part modeste des flux (4 %) et des encours (3 %) de l'assurance vie.
En outre, il faut souligner que le régime français d'assurance (contrat vie et contrats retraite) offre une protection très supérieure aux régimes de fonds de pension à l'anglo-saxonne. En effet, la promesse des fonds de pension (qui, il faut le rappeler, bénéficient aussi de régimes fiscaux avantageux) repose sur l'engagement pris par les sponsors, les employeurs, de compenser les éventuelles insuffisances de rendement financier des portefeuilles et d'assurer le moment venu le paiement de tout ou partie des prestations promises. Faute d'une régulation aussi exigeante que celle de l'assurance, les rentes versées par les fonds de pension sont moins protégées en cas de défaut du sponsor.
Un autre élément de succès de l'assurance vie réside dans la présence, à côté ou au sein des contrats d'assurance vie, d'épargne, d'engagement « biométriques ». Il existe toutes sortes d'autres garanties, vendues indépendamment ou rattachées à un contrat d'épargne.
Ainsi les placements en unités de compte, dont le risque financier est porté par l'assuré, peuvent être assortis d'une garantie plancher aux termes de laquelle en cas de décès le capital initialement versé serait restitué aux bénéficiaires.
Les engagements financiers et les engagements biométriques ne peuvent donc pas être dissociés. Dans la gestion financière des compagnies d'assurance l'adossement actif/passif (ALM) intègre d'ailleurs pleinement les aléas biométriques à côté de la gestion des risques financiers. Cette caractéristique constitue la singularité technique du produit assurance vie par rapport aux autres catégories de placements.
L'assurance de personnes comporte aussi des contrats principalement biométriques, dont le volet purement financier est marginal. L'assurance emprunteur, qui prend le relais du remboursement des emprunts en cas de décès ou d'incapacité du débiteur, est l'un des principaux types de contrats biométriques. C'est également le cas de l'assurance santé ou d'assurances en cas d'incapacité, d'invalidité ou de décès.
Souvent souscrits dans un cadre professionnel et encouragés par des dispositifs fiscaux, ces contrats sont historiquement des contrats collectifs. L'assuré personne physique adhère aux contrats souscrits auprès d'un assureur par une collectivité publique ou privée.
Ces contrats collectifs représentent plus de la moitié de la collecte en santé prévoyance. Les assureurs développent aussi des contrats individuels pour couvrir les mêmes risques. Leur diffusion est plus délicate que celle des contrats d'épargne : on imagine plus facilement les risques financiers dont il faut se protéger que les risques d'atteinte à la vie ou à l'intégrité.
Dans tous les cas de figure, la notion de garanties données sur le long terme face à toutes sortes d'aléas est donc au cœur des engagements des assureurs.
Il faut donc se demander si ces engagements sont remis en cause par la faiblesse des taux d'intérêt.
L'impact des taux bas sur les métiers d'assurance vie
Une baisse des taux sans précédent…
Depuis 2015, la BCE (Banque centrale européenne) a décidé de procéder à un assouplissement quantitatif (quantitative easing) pour éviter une spirale déflationniste. Cela a eu pour conséquence d'abaisser le taux de refinancement à un niveau proche de 0 %. En outre, selon Mario Draghi, ces taux « vont rester bas, très bas, pour une période de temps prolongée et bien au-delà de l'horizon temporel de nos achats ».
Au début de cette phase de baisse des taux, une prospérité nominale apparente a pu s'installer au sein des compagnies d'assurance grâce à une augmentation du niveau des plus ou moins-values latentes sur les titres obligataires et des dotations à des réserves (taux de richesse de 17 % des encours en moyenne sur le marché en 2015, contre 2 % en 2011).
À mesure qu'elle s'installe, cette situation de taux bas constitue toutefois un véritable défi pour le secteur de l'assurance vie. La baisse des taux grève le niveau auquel sont réinvestis les titres arrivés à échéance et les montants collectés auprès des clients. Cela conduit de facto à une diminution du rendement du portefeuille obligataire à mesure que les obligations aux coupons plus élevés arrivent à échéance.
…dont le maintien accentue la vulnérabilité du modèle d'affaire
En cas de persistance des taux bas, les revenus courants en représentation des engagements s'érodent peu à peu et le stock de plus-values latentes s'étiole au rythme de l'arrivée à échéance des titres obligataires. À mesure que ces plus-values obligataires s'effacent, la vulnérabilité du modèle actuel à une hausse des taux se fait jour avec pour seules défenses les réserves alors constituées. Ces dernières pourront être mobilisées pour tenter de contenir les rachats conjoncturels et/ou compenser les pertes réalisées en résultant. Cette érosion du modèle dans ce type de scénario s'accompagnerait vraisemblablement d'une désaffection du public. Désintérêt motivé à la fois par une baisse des taux de rendement servis (absolue ou relative à d'autres produits d'épargne) et par une possible baisse de la solidité perçue des organismes d'assurance du fait de la baisse de leur taux de couverture.
Le principal facteur perturbateur du modèle économique est l'écart entre le taux de réinvestissement et le taux de rendement moyen du portefeuille. En effet, cette différence traduit l'ampleur de la dilution ainsi que l'exposition au risque de rachat. Ainsi, en 2016, une compagnie, dont le portefeuille historique a rapporté en moyenne entre 3 % et 4 %, a placé les flux nouveaux à moins de 1,5 %.
Le modèle économique sera également mis sous pression du fait de l'effet conjoint de la règle de partage des bénéfices (laissant un maximum de 15 % des produits financiers pour dégager la marge) et la baisse des taux servis. Par conséquent, la capacité des assureurs à procurer des retours élevés à leurs clients, des rémunérations confortables à leurs distributeurs et des rentabilités élevées à leurs actionnaires peut être remise en cause à terme. Notons que ce qui est vrai pour l'assurance vie l'est aussi pour les contrats dommage dont la tarification a été basée sur des hypothèses de production financière élevées. Dans ce cas, toutefois, la possibilité de retarification annuelle permet aux assureurs d'ajuster rapidement leurs conditions à la baisse des rendements obligataires.
Les premiers résultats Solvabilité II publiés depuis le 1er janvier 2016 affichent une forte sensibilité aux taux d'intérêt. Le pilotage via le dispositif prudentiel a contribué avec les appels répétés et appuyés des pouvoirs publics à faire baisser les niveaux des taux servis. Même si elle introduit de la volatilité dans la mesure de la solvabilité, puisque les taux de couverture varient selon les circonstances financières, la réglementation a l'avantage d'allumer des signaux d'alerte publics et de susciter des mesures correctives avant que des difficultés réelles n'apparaissent.
Toutefois, avant même la mise en œuvre de Solvabilité II, les assureurs français avaient entrepris d'ajuster les rendements offerts aux clients et d'adapter au fur et à mesure les garanties qui leur étaient proposées. La baisse des taux techniques a par ailleurs rendu nécessaire un reprovisionnement important des engagements antérieurs. Au total, on peut dire que l'impact de la baisse est intégré depuis plusieurs années dans le pilotage des compagnies d'assurance.
Comparativement, les exigences réglementaires n'étaient pas aussi renforcées avant la réforme de l'Insurance Business Act (1998, puis 2000) au Japon, alors même que le niveau des taux garantis en stock était bien plus élevé que ceux que nous connaissons en France (4,1 % en moyenne pour les organismes en faillite (ACPR, 2014), contre 0,5 % en France (ACPR, 2016 a)). Ceux qui avaient précédemment accordé des garanties de taux trop élevées ont pu ignorer les menaces sur leur solvabilité et n'ont pas réagi à temps, pour la plupart.
Pour autant persistance (voire croissance)
des besoins de la clientèle
Si les tendances démographiques récentes se poursuivaient, la France compterait 76,5 millions d'habitants au 1er janvier 2070, soit 10,7 millions de plus qu'en 2013, date du dernier recensement. D'après ce scénario central des projections démographiques 2013-2070, la hausse de la population concernerait essentiellement les personnes de 65 ans ou plus (+10,4 millions). L'espérance de vie serait allongée de 2,5 ans pour les hommes et de 0,6 an pour les femmes à l'horizon 2060.
La baisse du rapport démographique (ratio « actif/senior ») s'est accélérée depuis 2006. Ce ratio est projeté à 1,4 en 2060, contre 2,5 en 2006 ; il illustre parfaitement la nécessaire réflexion autour du système de retraite et de l'introduction d'un pilier par capitalisation.
Par ailleurs, le vieillissement de la population française conduira dans les années à venir à une augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes. On peut estimer qu'à l'horizon 2070, ce même nombre aura doublé. Aujourd'hui, la prise en charge de ces personnes combine à la fois solidarité familiale et solidarité collective. En 2010, le périmètre de la dépense publique en faveur de la dépendance a été évalué à 24 Md€ par an, dans son acception la plus large (Fragonard, 2011).
Enfin la consommation de soins et de biens médicaux devrait augmenter de 2,5 points de PIB (produit intérieur brut) entre 2011 et 2060, passant de 9,0 % à 11,5 % du PIB. Dans le même temps, et toujours à politique inchangée, la part de ces dépenses financée par la sphère publique atteindrait 8,8 % du PIB, contre 6,8 % actuellement.
Les quelques illustrations précédentes mettent en évidence un besoin d'assurance de personnes destiné à croître dans les décennies à venir. Les trois principaux domaines concernés connaissant chacun une évolution spécifique : (1) le système de retraite par répartition devra prendre en compte la nécessité du recours à la retraite par capitalisation, (2) la dépendance devra relever le double défi d'assurer une protection accrue des personnes sans peser sur les finances publiques et (3) la santé verra l'accroissement du rôle des organismes complémentaires.
L'assurance vie et sa surface de 1 600 Md€ répondent à un besoin de couverture des risques biométrique. Si dans l'environnement passé de taux plus élevés, la dimension financière a pris le pas sur le polymorphisme de l'assurance vie (risque technique, offre de services, rémunération financière), le contexte actuel de taux bas et les mutations sociétales devraient cependant inciter à rééquilibrer ces différentes dimensions. Cela renforcera par la même occasion la cohérence du régime fiscal actuel qui est justifié par le polymorphisme des contrats nécessitant une immobilisation longue des capitaux.
Face à ces défis, les techniques « assurance »
sont les seules adaptées
Dans une hypothèse de taux bas prolongés, les modes de gestion des assureurs doivent permettre de répondre aux besoins de protection de la population.
En qualité d'investisseurs à long terme, les assureurs doivent préserver dans la durée la valeur réelle des capitaux qui leur sont confiés. En conséquence, leur gestion d'actifs est naturellement diversifiée. La part des obligations, bien qu'historiquement élevée dans les portefeuilles, est appelée à baisser au profit de classes d'actifs présentant un potentiel de rendement plus important, qu'elles soient déjà connues des assureurs – les actions cotées ou immobilier – ou plus récemment incorporées dans les stratégies. Les infrastructures ou le crédit aux entreprises, notamment les ETI (entreprises de taille intermédiaire), reçoivent ainsi de plus en plus fréquemment des financements en provenance d'assureurs. Pour ce faire, ils se dotent de compétences techniques et financières nouvelles.
Ces mouvements interviennent dans une période où les établissements bancaires délaissent souvent, pour des raisons réglementaires, le financement long d'actifs risqués renforçant le besoin que les assureurs prennent, en cohérence avec le profil de leurs engagements, le relais. L'expérience de l'investissement dans ces classes d'actifs ne peut toutefois s'acquérir qu'au fil du temps et doit s'insérer dans les contraintes trop étroites imposées par le cadre de Solvabilité II.
C'est un apprentissage long puisqu'il faut être présent sur un ou plusieurs cycles économiques pour maîtriser les risques de ces actifs non cotés. Étant des investisseurs de long terme, les assureurs combinent ainsi l'intérêt d'une diversification entre classes d'actifs et d'une sorte de diversification dans le temps entre différentes phases économiques.
Cet apprentissage agit aussi du côté du passif. La mutualisation des risques de cohortes de contrats successives est la nature même du savoir-faire de l'assurance.
La possibilité d'utiliser les résultats positifs des bonnes années lorsque la sinistralité se dégrade et de corriger progressivement les tarifs est essentielle. Là encore le temps est nécessaire. L'évolution de la mortalité ou de la longévité ne peut pas s'apprécier sur l'horizon d'une seule année.
Le travail d'ajustement des conditions tarifaires et des provisions doit prendre en compte les évolutions solidement attestées par des séries statistiques longues.
Par ailleurs, la mise en place du cadre Solvabilité II a permis d'objectiver le bénéfice de la diversification entre différents risques au sein d'un bilan. Intuitivement on comprend bien que le décès d'un assuré provoque à la fois la mise en œuvre d'un versement de l'assurance décès et l'interruption d'une rente. Un assureur qui porterait ces deux risques dans son bilan peut dès lors leur allouer un montant de capital un peu inférieur à la somme des capitaux exigés par ces deux risques séparés.
Au total, les techniques assurantielles sont donc adaptées à la gestion sur le long terme de risques financiers et biométriques. Aucun autre acteur, public ou privé, ne peut aujourd'hui apporter des solutions aux besoins de couverture de la population, sauf à appliquer les mêmes techniques, et donc la même régulation.
Mais il faut désormais renouveler le métier d'assurance vie et les modèles de produits
Dans un environnement de taux bas qui met sous pression les marges du secteur (marge financière notamment), les acteurs sont appelés en premier lieu à réduire leurs coûts de fonctionnement internes. La digitalisation et la robotisation des processus de gestion actuellement en cours répondent clairement à cet impératif, tout en garantissant une amélioration de la qualité et des délais de gestion.
La révision des frais de commercialisation, qui impacte l'ensemble des intermédiaires, est au moins aussi nécessaire et aussi délicate à opérer. Là où elles existent, les commissions sur encours fixées dans le passé doivent être rediscutées. Ici encore, la digitalisation va rebattre les cartes.
Pour accompagner la transformation du modèle de l'assurance vie dans un contexte de taux bas, le cadre réglementaire et fiscal devrait par ailleurs évoluer. Il conviendrait ainsi de réserver un régime favorable :
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aux contrats plus longs (supérieurs à douze ans) rachetables avant le terme en valeur de marché (sauf en cas de survenance d'un risque biométrique où la garantie du capital serait rétablie) ;
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aux contrats comportant une part d'actifs risqués plus élevée (part minimum investie en supports unités de compte ou eurocroissance) ;
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aux contrats comportant un niveau minimum de garanties biométriques à long terme, pouvant varier selon la situation de l'assuré (dépendance, retraite notamment).
Par ailleurs, les règles européennes basées sur des mesures de risque à court terme qui pénalisent les investissements longs pourraient être revues, dès lors que la durée réelle des contrats est prise en compte. Ainsi une renonciation à la garantie totale à tout instant permettrait d'accélérer la diversification des portefeuilles vers les placements plus rentables à terme, ce qui bénéficiera aux assurés et au financement de l'économie.
Les évolutions récentes ou à venir des systèmes comptable et prudentiel (MCEV, Solvabilité II et IFRS17) conduisent à une décomposition des contrats par briques élémentaires, cohérente jusqu'alors avec l'offre produit relativement segmentée (fonds euros, UC, euro-croissance, retraite, prévoyance, etc.). L'impact de la baisse des taux sur le fonds euros nécessite une évolution du mix produit actuel (82 % €/18 % UC) qui se heurte à l'agilité de la distribution. Une nouvelle famille de contrats orientés vers le « long terme protégé », comportant ou combinant les caractéristiques précédemment décrites, pourrait compléter le tandem du multisupport. Cette mixte intégrerait en son sein une mutualisation naturelle dont on peut intuiter qu'elle bénéficiera d'une meilleure stabilité.
Le regroupement des contrats actuels avec ces nouveaux contrats devrait permettre d'orienter une part de l'épargne déjà constituée vers des actifs plus rentables.
La transformation totale ou partielle de ces contrats, à l'échéance, en contrats de retraite assortis d'une couverture obligatoire du risque de dépendance devrait être favorisée par une simplification et un allégement du régime de la rente.
L'ensemble de ce dispositif doit permettre d'améliorer la protection des assurés contre les risques aujourd'hui insuffisamment couverts, notamment de dépendance, et d'améliorer le rendement de leur épargne en réorientant les ressources financières préexistantes.
L'évolution de notre société laisse enfin entrevoir que la protection des assurés ne passera pas seulement par une prestation pécuniaire, mais également par un dispositif de prévention et de services dont les modèles économiques adaptés à l'industrie de l'assurance restent à définir (à l'image des HMO – health maintenance organizations – américaines, qui sont à la fois des assurances santé et des organismes fournissant des soins, tout en maîtrisant les coûts). Cette transformation laisserait place à une économie de fonctionnalité ou d'usage centrée sur le besoin de l'assuré. À titre illustratif, l'accompagnement des aidants dans la recherche d'établissements ou de solutions pour les dépendants est une véritable attente.
Cet écosystème d'intérêt général constitue une alternative par capitalisation à un système reposant aujourd'hui sur les ressources de l'État, alors que les contraintes budgétaires sont de plus en plus prégnantes. Cela fait écho aux premières approches de l'assurance développée par la Compagnie royale d'assurance sur la vie (1787). Selon Étienne Clavière, administrateur gérant de cette compagnie, l'assurance vie est d'intérêt général : « Faire servir l'inégale durée de la vie humaine, et l'intérêt de l'argent, à fonder des ressources pour l'âge avancé ou, après la mort, en faveur des survivants, tel est en peu de mots le but de toutes les sortes d'assurances sur la vie. Leur utilité générale n'est pas douteuse. Dans tout pays où l'on s'occupe du bonheur des individus, on a mis au rang des bienfaiteurs de la société les hommes qui ont inventé ces assurances. »