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 L'Europe et la dette


Lars P. FELD

* Directeur, Walter Eucken Institute ; professeur de politique économique, Université de Fribourg. Contact : feld@eucken.de.L'auteur a participé à l'élaboration du projet de fonds de rédemption européen proposé par le Conseil allemand.

Dans cet entretien, l'auteur retrace les avancées de la politique européenne à la suite de la crise financière et après la crise pandémique et comment cette politique européenne a permis d'absorber une partie de la dette des États souverains et de stabiliser l'envolée de cette dette européenne.

Dans cet entretien, Lars Feld retrace les avancées de la politique européenne à la suite de la crise financière et après la crise pandémique et comment cette politique européenne a absorbé une partie de la dette des États souverains et de stabiliser l'envolée de cette dette européenne.

Qu'est-ce qui a dérapé dans la crise de la dette européenne ?

C'est une question difficile. La crise est partie du marché immobilier américain, puis s'est propagée aux marchés financiers, puis au monde entier, frappant durement le secteur bancaire. La crise de la dette européenne s'en est suivie. Certains pays se sont retrouvés en difficulté parce qu'ils avaient leurs propres problèmes dans le secteur de l'immobilier ; ce n'est pas qu'ils aient été si durement touchés par les développements internationaux. C'était le cas, par exemple, de l'Irlande et de l'Espagne, qui avaient leurs propres problèmes dans le secteur immobilier. La Grèce, en revanche, avait un problème de dette évident depuis le début. Le secteur bancaire grec n'a pas été particulièrement touché par ses liens internationaux, mais la croissance du PIB grec a été affectée par la récession internationale. Puis il est rapidement apparu que la Grèce avait un problème d'endettement, qu'elle avait minimisé ses déficits, etc.

D'autres pays avaient leurs propres situations spécifiques. Dans le cas du Portugal, une combinaison de problèmes structurels existait déjà avant la crise de la dette. Sa balance des paiements était déjà problématique à cette époque, et l'endettement privé et l'endettement public étaient tous deux élevés. L'Italie avait eu une sorte de problème structurel de long terme avec une croissance faible de la productivité, qui avait déjà commencé avant son adhésion à l'Union monétaire européenne. Ce fait, conjugué à son ratio « dette/PIB » relativement élevé, a conduit à ses problèmes sur les marchés financiers.

Cela montre que des raisons différentes expliquent pourquoi certains pays ont connu des difficultés. Chypre, par exemple, avait des problèmes très particuliers. Quant à l'Allemagne et la France, leurs situations n'étaient pas si différentes entre elles, lorsque la crise a éclaté. Leurs banques ont été malmenées par la crise financière. Les banques allemandes ont probablement été un peu plus affectées que les banques françaises qui, cependant, ont été plus fortement concernées par les développements dans l'Union monétaire européenne. La Deutsche Bank était très préoccupée par l'évolution de la situation en Irlande, tandis que les banques françaises s'inquiétaient davantage de ce qui se passait en Italie et en Grèce. Les problèmes en Allemagne et en France ont été déclenchés principalement par la crise financière. Mais, se trouvant au cœur de l'Union monétaire européenne, tous les deux ont aussi dû faire face aux problèmes de l'Europe.

Comment cette crise a-t-elle été gérée ?

Pour gérer la crise, le Conseil allemand des experts économiques a dessiné le Pacte européen de rédemption. Il y avait un certain nombre de problèmes différents : les marchés financiers, le marché du Bund en particulier, puisqu'il s'agissait d'une crise de la dette, et des problèmes structurels dans certains des pays particulièrement touchés, comme la Grèce, l'Italie, le Portugal et l'Espagne. L'Irlande avait aussi un problème structurel. Le Conseil allemand a préconisé un mélange de réformes structurelles et de mesures au niveau de l'UE (Union européenne) pour calmer les marchés financiers. Il a proposé d'agir sur le plan fiscal.

L'option alternative était une réaction monétaire. Dans ce cas, ce serait à la BCE (Banque centrale européenne) de prendre l'initiative. Contrairement aux autorités fiscales, l'autorité monétaire ne peut pas contraindre les gouvernements de l'Union monétaire à faire les réformes qui sont également nécessaires. Toutefois, les chefs d'État n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la solution proposée par le Conseil allemand. Ils ont laissé le traitement du problème à la BCE. Cette dernière a alors réagi avec le discours du « quoi qu'il en coûte » et a sorti le programme OMT (Opérations monétaires sur titres), qu'il n'a jamais été nécessaire de mettre en œuvre.

L'austérité a-t-elle été appliquée trop tôt ? C'est difficile à dire. Cela dépend du pays. Pour prendre l'exemple de la Grèce, qui a connu une énorme crise de la dette, elle devait procéder à une certaine forme de consolidation, et elle devait le faire rapidement, à l'instar de situations comparables dans les marchés émergents. C'est plus ou moins la seule option dans une crise de la dette. La seule autre possibilité aurait été un transfert de ressources d'autres pays vers la Grèce, pas des prêts supplémentaires, mais des transferts réels, toutefois la Grèce avait reçu des prêts dans le cadre du programme du Mécanisme européen de stabilité, en échange d'une promesse de réformes structurelles et de consolidation budgétaire. Un transfert aurait été nécessaire, mais politiquement ce n'était pas possible.

L'Italie était également sous pression et avait l'impression qu'elle devait prendre des mesures de consolidation afin de calmer les marchés. On ne peut pas dire qu'elles ont été prises trop tôt. Cependant, la nature de ces mesures était discutable. Elles ont surtout préconisé ou imposé des augmentations d'impôts. Les réductions de dépenses étaient beaucoup moins nombreuses. Ce n'était pas le bon policy mix.

Quant à l'Allemagne, il y a eu peu d'austérité. Cela s'explique par le fait que le processus de consolidation de 2010 à 2019 a consisté principalement en une réduction des intérêts de dette payés par le gouvernement fédéral et les autres détenteurs de la dette publique. Dans le cas de la France, il semble également que les mesures de consolidation appliquées par le gouvernement français n'aient pas été très profondes, seulement à un certain degré au début. Mais dès que le programme OMT a été annoncé, elles ont été ensuite rapidement allégées.

Je voudrais revenir sur la proposition du fonds de rédemption proposé par Conseil allemand des experts économiques, qui n'a finalement pas été retenu. Il reposait sur deux piliers différents. Le premier pilier était une mutualisation d'une partie de la dette publique en Europe : les dettes supérieures à 60 % du PIB des différents pays seraient prises en charge par un fonds de rédemption de la dette, pour lequel tous les États membres participant à ce projet seraient conjointement responsables. Par précaution, la Grèce a été exclue du fonds, car elle était déjà en difficulté à l'époque. Mais tous les autres pays membres pouvaient en faire partie. Voilà pour le premier pilier.

Le deuxième pilier obligeait les États membres participants à donner des collatéraux pour la dette publique et aussi à mettre en place une sorte de programme d'ajustement, d'accepter de mener des réformes structurelles au cours des années suivantes. Un certain délai pour les réformes était prévu, elles ne devaient pas être réalisées en début de période. Elles devaient l'être plus lentement au fil du temps, mais de façon décisive. C'était une condition.

La rédemption de la dette contractée pouvait s'étaler dans le temps. La période envisagée était de trente ans. Après trente ans, les États participants décideraient alors si la dette publique commune au niveau de l'UE serait encore maintenue. À ce moment, il faudrait alors aussi décider si de nouvelles mesures en vue d'une union politique en Europe devaient être prises. Le statu quo aurait pu être simplement prolongé, ou bien une décision aurait pu être prise pour aller vers une plus grande union politique et donc aussi vers une plus grande responsabilité fiscale au niveau de l'UE. Il s'agissait d'un troc politique. Les pays en difficulté, notamment l'Italie, auraient gagné à ce procédé, car il aurait réduit les paiements d'intérêts de l'Italie. Le taux d'intérêt de l'Italie aurait baissé. Il était alors d'environ 7 %, ce dont il peut être difficile de se souvenir étant donné le contexte de taux bas qui prévaut depuis 2015. Un taux de 7 % pour l'Italie était un lourd fardeau. Le pacte l'aurait fait baisser afin que le pays puisse bénéficier de paiements d'intérêts plus bas, similaires à ceux de l'Allemagne et d'autres pays d'Europe du Nord, et même de la France à l'époque.

Il y avait des coûts politiques pour l'Italie dans le programme d'ajustement. Elle aurait été obligée de donner des collatéraux. Aucun pays ne confie facilement ses réserves d'or comme collatéral à une sorte d'organisation internationale, le fonds de rédemption de la dette aurait été une entité internationale. De plus, politiquement, la réalisation des réformes structurelles demandées aurait été plus difficile à supporter en Italie.

Toutefois, l'exemple de l'Italie illustre le type d'échange proposé. L'échange aurait été l'inverse pour l'Allemagne. L'Allemagne aurait été appelée à abandonner une partie de son statut européen spécial en Europe de pays refuge et aurait dû accepter la mutualisation de la dette, mais aurait également obtenu des réformes structurelles dans les pays membres, et donc une convergence des politiques économiques.

La France était en fait l'acteur clé en termes d'économie politique. Les gains immédiats pour la France auraient été faibles. La prime de risque qu'elle devait payer sur ses bons du Trésor à l'époque, par rapport au Bund allemand, était relativement faible. Mais le programme d'ajustement pour la France aurait été assez conséquent. Il était clairement difficile de lui vendre le programme.

Il n'est pas évident qu'un programme similaire puisse marcher aujourd'hui, car l'écart des taux d'intérêt entre les États membres est beaucoup plus faible. Que gagneraient ces gouvernements sur le plan politique ? Ils seraient toujours contraints d'appliquer le programme d'ajustement, et tout ce qu'ils pourraient dire est qu'il existe un certain degré de mutualisation de la dette au niveau européen. Mais la vérité est que les avantages pour l'Italie, la France et les autres pays auraient été beaucoup plus limités.

La crise de la Covid a-t-elle changé la donne ?

Le paquet NextGenerationEU et la proposition non retenue du fonds de rédemption sont différents à certains égards, mais ont en général une philosophie similaire. Aurait-il fallu adopter quelque chose de similaire lors de la crise de la Covid ? Une solution comme la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) était préférable afin d'éviter une sorte de seconde phase de la crise de la dette après une récession aussi grave, un choc aussi sévère. C'était la meilleure réponse possible dans une telle situation. Naturellement, tout aurait été beaucoup plus facile si chaque pays avait un ratio « dette/PIB » beaucoup plus faible que celui qu'il avait en mars-avril 2020, mais ce n'était pas le cas. Il y a donc maintenant une dette européenne. L'une des différences avec le fonds de rédemption est que la dette est commune, elle relève de l'UE et n'est pas séparée par pays. Tous les États membres sont donc conjointement responsables. Il pourrait y avoir des discussions juridiques sur certaines dispositions spéciales. Mais il ne s'agit pas de signaler aux marchés que la dette publique des pays membres a été mutualisée. S'il y avait effectivement mutualisation, certains pays connaîtraient tout de même des difficultés. Si les Pays-Bas, par exemple, acceptaient l'entière mutualisation d'une dette d'un tel montant, ils pourraient connaître des difficultés. Il est donc préférable que la dette appartienne à l'UE. Les réformes demandées par la Commission ne sont pas non plus aussi profondes que ce qui avait été discuté en 2012, mais au moins il y en a. Ce fait est positif, mais il reste encore à savoir si cela conduira aux réformes structurelles nécessaires. Par conséquent, la philosophie de la FRR de NextGenerationEU ressemble effectivement à la philosophie du paquet de rédemption de la dette, mais il existe des différences importantes entre les deux.

En ce qui concerne la gestion de la crise de la Covid, il faut noter que des erreurs ont été commises par plusieurs gouvernements. En particulier, plus la pandémie dure, plus le nombre d'erreurs commises par les différents gouvernements augmente. Cependant, dans le domaine économique, les gouvernements ont suivi une politique plus ou moins appropriée. Il en va autrement pour les questions de santé. Naturellement, il est toujours plus facile de juger avec le recul étant donné l'incertitude au début. Il semble que l'une des erreurs les plus graves a été la fermeture des frontières à l'intérieur de l'Europe. Cela a pesé assez lourdement sur les économies, mais aussi sur la situation sanitaire, car certains produits n'ont pas été transportés transfrontières vers d'autres pays membres qui en avaient plus besoin. Par exemple, de l'équipement médical qui n'a pas été exporté d'Allemagne vers l'Italie où il était désespérément nécessaire. Ce fut une erreur, bien qu'elle ait été rapidement corrigée.

Les fermetures d'entreprises qui ont eu lieu au cours des premiers mois de la pandémie étaient justifiées, bien qu'il y ait eu des différences entre les pays. Dans le cas de la France, le secteur du bâtiment a été beaucoup plus affecté par les fermetures et les mesures gouvernementales qu'en Allemagne, par exemple. L'Allemagne s'en est mieux sortie en faisant travailler son secteur de la construction pendant cette période.

Il y a donc eu des différences entre les pays, mais il est difficile de les évaluer, car chaque pays a également été touché de manière différente par la pandémie. De plus, chaque pays a sa propre organisation des institutions publiques. Les décisions ne sont pas prises de la même manière en France, un État unitaire très centralisé, que dans un État fédéral. L'Espagne, par exemple, n'est pas une véritable fédération au sens des États-Unis ou de la Suisse, mais les régions y exercent une forte influence. Il y a donc des différences dans la manière dont les différents pays sont gouvernés et aussi des différences dans la manière dont on s'attaque aux questions de santé. En raison de sa structure fédéraliste, l'Allemagne a connu plus de difficultés à mesure que la pandémie s'est prolongée. Par exemple, la France et l'Italie ont semblé mieux faire face à la pandémie et aux nouvelles vagues qui ont surgi à l'automne 2021 que l'Allemagne. La France a imposé une obligation de vaccination aux employés du secteur de la santé, par exemple, et le passeport vert a été introduit beaucoup plus rapidement qu'en Allemagne. L'introduction de l'obligation de vaccination juste avant le début de la période de vacances a également été très habile politiquement. Des erreurs ont donc été commises, mais est-ce un sujet pour les économistes ? On aurait pu commander davantage de vaccins à l'automne 2020. Toutefois, compte tenu des taux de vaccination dans de nombreux pays, il n'est pas certain que cela aurait vraiment changé grand-chose.

Qu'apporte NextGenerationEU ?

En ce qui concerne NextGenerationEU, le fait de rendre l'UE responsable de cette dette était la bonne décision, compte tenu de la situation au printemps 2020, tout comme le volet transfert. Le volet transfert était le seul moyen de garantir qu'une deuxième crise de la dette ne se produise pas. Il reste à voir dans quelle mesure les conditions de réforme demandées par la Commission vont finalement être respectées. En général, il est utile de conditionner le versement de fonds par des réformes.

Le délai de remboursement – quarante ou cinquante ans – n'est pas non plus un problème. La question est de savoir où nous en serons au bout du processus. Il reste à voir s'il faudra un autre paquet de ce type, si les différentes économies se rapprochent les unes des autres. Il est possible que des événements tels que ceux survenus en Ukraine servent également de catalyseur pour rapprocher les pays européens. Il est désormais évident que les menaces extérieures sont bien plus nombreuses que ce que l'on avait imaginé. Les problèmes de répartition, les questions de politique fiscale et de politique monétaire passeront au second plan si la menace extérieure devient plus importante.

La justification de NextGenerationEU, ainsi que l'idée derrière une autre proposition qui a été faite, Maastricht 2.0, est la suivante : la création d'une fédération en Europe serait une évolution positive, mais il est également possible de maintenir la situation actuelle : une souveraineté forte des États membres parallèlement à l'existence d'une organisation internationale, l'UE, comprenant la Commission européenne et les autres organes. La Commission est certes un type spécifique et particulier d'organisation internationale, mais c'en est une. Le droit européen est différent de tous les autres types de droit international. Mais les États membres conservent leurs souverainetés pour les décisions politiques les plus importantes.

Devrait-on aller vers plus de fédéralisme en Europe ?

S'il est question de faire de nouveaux pas en direction du fédéralisme, il est important de savoir quel est l'objectif final qui est envisagé. Il faut veiller à ne pas créer des incitations négatives dans un sens ou dans un autre. C'est l'objectif de la proposition Maastricht 2.0. Si des mesures sont prises dans le sens d'une fédération, il doit y avoir une réduction de la souveraineté des États membres et un transfert de souveraineté au niveau de l'UE. Cela doit donc être fait de manière appropriée. Si les États membres ne sont pas disposés à prendre ces mesures, alors la configuration actuelle sera maintenue, ce qui demande de bonnes incitations. Les États membres conserveront leur souveraineté dans les domaines les plus importants de politique économique – la politique fiscale et sociale, ainsi que le marché du travail. Mais si ces trois domaines restent soumis aux décisions politiques souveraines des États membres, il faut des règles pour encadrer cette politique, afin de s'assurer qu'elle ne met pas en danger l'objectif de la politique monétaire de stabilité des prix. Telle est la justification des règles budgétaires. Il doit y avoir des règles budgétaires, elles sont inévitables.

Il y a quelque chose à dire en faveur de la vision utopique d'une fédération européenne. Avec une fédération européenne, un endettement plus élevé et des politiques de stabilisation seraient possibles au niveau de l'UE, comme c'est le cas pour d'autres fédérations. Une fédération dont certaines responsabilités politiques seraient laissées à un niveau inférieur, celui des États membres, comme aux États-Unis, en Suisse ou au Canada, serait préférable. Il semble que ces trois types de fédérations soient mieux organisés que l'Allemagne, l'Autriche ou l'Australie.

Dans le cas de la Suisse ou des États-Unis, il existe des règles fiscales au niveau des cantons ou des États. Dans le cas de l'UE, ce niveau serait celui des États membres. Ce niveau a son propre processus décisionnel, y compris en matière de règles fiscales. En général, les règles de ces entités imposent des budgets plus ou moins équilibrés. Une fédération n'éliminerait pas la nécessité de règles fiscales, mais elle ne serait pas fortement contrainte par les règles fiscales.

Quel est le problème avec les règles fiscales aujourd'hui ?

Certains pays membres ont des ratios « dette/PIB » supérieurs à 100 % et ont donc du mal à respecter les règles actuelles, en particulier la règle de réduction annuelle du vingtième de l'endettement, selon laquelle les pays membres avec un ratio « dette/PIB » supérieur à 60 % doivent diminuer leur dette d'un vingtième tous les ans. Dans le cas de l'Italie, par exemple, cela signifierait de dégager des surplus primaires inaccessibles. La France aussi serait en difficulté pour réduire son endettement aussi rapidement.

Voilà un problème. L'autre problème avec des règles fiscales est qu'elles sont très compliquées. En un sens, elles sont trop flexibles et elles n'ont pas tellement réussi à réduire les ratios « dette/PIB » dans le passé. Au-delà des questions politiques, une révision des règles est nécessaire pour éviter d'appliquer l'austérité trop tôt, tout en garantissant des réformes permettant de réduire les ratios « dette/PIB » à l'avenir. Un échange de vues sur les règles de dépenses a eu lieu entre le Conseil d'analyse économique français avec Xavier Ragot et le Conseil des experts économiques allemands. La proposition du Conseil français était moins stricte que celle du Conseil allemand. Bien sûr, ces conseils ont des traditions différentes. La proposition française était également moins compliquée que la proposition allemande.

Ainsi, les règles de dépenses pourraient être introduites, mais des changements de règles aussi fondamentaux nécessiteraient-ils une modification des traités ? Il n'est pas certain que cela soit réellement nécessaire, mais c'est l'une des questions à résoudre, car l'empressement des pays membres à modifier les traités est proche de zéro, peut-être même inférieur à zéro. Si les traités devaient être modifiés, cette voie est exclue.

Plusieurs personnes ont fait d'autres propositions sur les règles budgétaires, par exemple d'augmenter le ratio « dette/PIB », comme l'a suggéré Klaus Regling du MES (Mécanisme européen de stabilité). Il est vrai que dans ce cas, seul le protocole devrait être modifié, et non les traités. Mais cela nécessiterait quand même l'unanimité. De plus, l'effet symbolique de la règle des 60 % est tel qu'il ne semble pas utile d'aller dans ce sens. Une telle proposition peut également être critiquée du point de vue de l'économie politique. On a vu dans le passé que le critère des 3 %, la règle du déficit, a eu une sorte de fonction d'ancrage. Les pays qui dépassaient sans cesse les 3 % ont au moins essayé de ramener leur ratio de déficit vers les 3 %. Ceux qui se situaient en dessous des 3 % ont également gardé un œil sur ce ratio et n'ont pas hésité à augmenter leurs dépenses, puisque leurs déficits resteraient toujours en dessous du niveau des 3 %.

Cet ancrage est important dans les deux sens, tant pour les pays dont le déficit est plus faible que pour ceux dont le déficit est plus élevé. Si le ratio « dette/PIB » est porté à 100 %, cela pourrait également modifier la fonction d'ancrage de la règle de la dette, alors qu'elle est nécessaire.

Comment faire évoluer les taux d'intérêt ?

Comparer taux d'intérêt et croissance économique n'est pas évident, car les taux d'intérêt peuvent changer rapidement. Les taux d'intérêt à long terme ont été discutés dans la littérature internationale, notamment dans le discours d'Olivier Blanchard à la conférence de l'Association américaine d'économie. La discussion porte sur la question de savoir si les taux d'intérêt à long terme résultent de l'impact des effets structurels ou de la politique monétaire. Il semble que les deux facteurs entrent en jeu. Comme d'habitude, la réalité est grise, elle n'est pas noire et blanche. Bien sûr, tant la démographie que les investissements moins intensifs en capital ont une sorte d'effet structurel sur les taux d'intérêt à long terme. La démographie n'évolue que lentement. On peut faire valoir que les investissements nécessaires à la transition climatique seraient plus intensifs en capital. L'environnement structurel a également connu des changements. La globalisation pourrait aussi changer. C'est l'argument avancé dans le livre de Charles Goodhart et Manoj Pradhan, The Great Demographic Reversal: Ageing Societies, Waning Inequality, and an Inflation Revival (2020). Ils étendent cet argument à l'inflation. Toutefois, ce que cela signifie pour les taux d'intérêt réels à long terme n'est pas tout à fait clair. Les banques centrales ont aussi un impact sur les taux d'intérêt à long terme. Et, après une crise bancaire, il faut un certain temps pour que les marchés des capitaux se rétablissent, ce qui affecte également la politique monétaire. Avec le niveau actuel élevé d'inflation, les taux d'intérêt peuvent augmenter rapidement, ce qui mènerait à une situation différente sur les marchés financiers. Il est donc dangereux de compter sur des taux d'intérêt bas et à long terme pendant une période plus longue. Un jour ou l'autre, les budgets des États devront être consolidés.

Il y a en outre la nécessité de promouvoir l'investissement, c'est un domaine très vaste. Il n'est pas facile de qualifier certains types de dépenses publiques meilleures que d'autres, car certains investissements publics ne sont pas utiles, alors qu'il y a des investissements publics qui sont urgents. Par exemple, les nombreux aéroports régionaux en Allemagne ne sont pas nécessaires et, compte tenu de la transition climatique, il serait préférable qu'ils n'existent plus. Il serait préférable d'investir dans les chemins de fer.

C'est également le cas pour d'autres projets d'investissement public. Certains d'entre eux sont nécessaires et très importants, et sont également des conditions préalables à l'investissement privé, alors que d'autres ne le sont pas. De la même manière, les dépenses publiques de consommation sont parfois utiles et parfois pas. Utile signifie ici utile comme condition préalable à la croissance économique et à l'investissement privé, déclenchant ainsi de la croissance économique à l'avenir. Il en va de même pour l'investissement dans l'éducation. Les économistes appellent cela l'investissement dans l'éducation, bien qu'il soit généralement classé dans la catégorie de la consommation publique. En ce qui concerne les salaires des enseignants, il s'agit bien sûr de consommation publique.

Il y a donc un certain nombre de problèmes posés par l'identification de ce que le gouvernement doit faire afin de fournir le bon cadre économique. D'après de nombreuses analyses utilisant des données internationales, y compris celles des marchés émergents et des pays moins développés, il est clair que l'une des conditions préalables les plus importantes pour les investissements privés est l'État de droit. Bien sûr, en Allemagne, en France, en Italie, etc., l'État de droit est fort et il est considéré comme une évidence. Mais il se trouve que c'est une condition préalable très importante pour les investissements privés, par exemple pour protéger les droits de propriété.

La discussion sur les investissements publics est donc importante. S'agit-il toujours de la meilleure utilisation des fonds publics ? Si les gouvernements font ce qu'ils devraient faire et leurs projets en valent la peine, alors ils devraient les réaliser. Ils devraient également résoudre en temps réel les problèmes de distribution que ces projets entraînent, sans les reporter à plus tard. C'est pourquoi il n'est pas évident qu'il faille une règle générale au niveau de l'UE en matière d'investissement public. Un pays peut également disposer d'infrastructures parfaites et peut les avoir financées par la dette publique, mais se retrouver néanmoins en difficulté sur les marchés financiers en raison de son surendettement. L'investissement n'empêche pas en soi un pays de subir une crise de la dette. Cela dépend de nombreuses autres questions de durabilité qui doivent également être prises en compte. Il est certain que des investissements publics sont nécessaires pour mettre en œuvre une politique climatique efficace et effectuer la transition vers la neutralité climatique, mais la question se pose de savoir quel est le niveau opportun d'investissement public. La plus grande partie de ces inves tissements doit provenir d'investisseurs privés. Par exemple, les subventions à l'industrie sidérurgique en Allemagne doivent-elles être qualifiées d'investissements dans la transition climatique ? Pour quelle raison certaines entreprises en difficulté devraient-elles être subventionnées parce que de mauvaises décisions de gestion ont été prises dans le passé ? Maintenant elles veulent obtenir des subventions publiques afin d'avancer vers la neutralité climatique, tout en protégeant leurs bilans. C'est pourquoi nous ne devrions pas modifier la règle de l'UE en matière de déficit. L'UE dispose déjà de NextGenerationEU dont les fonds sont réservés à des projets climatiques, à la numérisation et à de nouvelles infrastructures. Cela doit s'accompagner de réformes et devrait suffire pour les deux ou trois ans à venir. L'argument climatique ne doit pas conduire à ajouter de la flexibilité aux règles fiscales.

Pour résumer, il y a un grand changement à venir avec NextGenerationEU. Il faut voir comment il sera mis en œuvre. En tout état de cause, il devrait être utile. Dans les années à venir, le pacte devrait être respecté. La règle des 3 % devrait rester telle quelle, mais une application plus intelligente de la règle des 60 % est nécessaire pour que le chemin de la convergence ne soit pas trop raide pour certains pays. Un large paquet de mesures est nécessaire au niveau de l'UE. Voilà un bon résumé des réformes qui devraient être mises en œuvre au niveau de l'UE dans les mois à venir.

La politique qui sous-tend NextGenerationEU est importante, tout comme elle l'était pour le paquet de rédemption de la dette. Si tous les pays membres ont le sentiment qu'il fonctionne bien, que les fonds sont dépensés utilement, en aidant les pays à améliorer leurs infrastructures, et si NextGenerationEU déclenche également les réformes nécessaires, alors il y aura beaucoup plus de volonté pour mettre en place un autre NextGenerationEU à l'avenir. La mise en œuvre des différentes idées de NextGenerationEU est très importante. Si NextGenerationEU est mis en œuvre dans les années à venir et s'il démontre son utilité, si les fonds investis produisent des résultats et contribuent au transfert qui est mis en avant, s'il est possible de voir les effets sur l'Italie et d'autres pays, alors on pourra envisager de penser aux étapes suivantes. D'abord consolider ce qui a été fait, se mettre d'accord sur son utilité, puis définir les prochaines étapes.

La proposition d'Olivier Blanchard pour que les règles budgétaires soient qualitatives plutôt que quantitatives ajouterait de la flexibilité, mais aussi ne fournirait plus en dernière analyse un véritable cadre de règles. Selon les déclarations du commissaire Paolo Gentiloni au cours de la dernière année, l'idée serait que la Commission tente de définir la meilleure politique fiscale pour chaque pays membre. Il ne s'agirait plus d'un cadre fondé sur des règles.

Les gouvernements devraient avoir l'autonomie et la souveraineté de déterminer quels sont leurs projets et leur politique fiscale. La Commission européenne ne devrait pas dire aux pays membres : maintenant vous pouvez réaliser tel projet et pas tel autre. Cela dépasse le cadre de ce que la Commission européenne devrait faire. Si l'autonomie et la souveraineté des États membres étaient réduites et transférées au niveau de l'UE, alors dans ce cas-là, ce serait bon, mais ce n'est pas la situation actuelle. Les règles fiscales au niveau de l'UE fournissent un cadre dans lequel les pays membres peuvent décider de manière autonome et entièrement souveraine leurs politiques fiscales, ni plus ni moins.

Entretien réalisé le 23 février 2022