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 Introduction


Nadine LEVRATTO *** Directrice de recherche, EconomiX, CNRS, Université Paris Nanterre. Contact : nadine.levratto@cnrs.fr.
Philippe MUTRICY ** Directeur de l'Évaluation, des Études et de la Prospective, Bpifrance. Contact : philippe.mutricy@bpifrance.fr.
Baptiste THORNARY *** Responsable Pôle Évaluation-Conjoncture-Macroéconomie, Bpifrance. Contact : baptiste.thornary@bpifrance.fr.

Les petites et moyennes entreprises (PME) jouent un rôle crucial dans le développement économique et la dynamique de l'emploi de nombreux pays. Leur contribution à l'innovation et à la réduction des disparités territoriales est également reconnue par un grand nombre d'auteurs.

Cependant ces entreprises ont souvent des difficultés à accéder aux sources de financement en raison d'un rationnement du crédit pratiqué par les banques, ce qui obère leur survie et leur croissance (Psillaki, 1995). Cette tension sur le passif du bilan a même été identifiée comme la contrainte la plus importante pour la croissance des PME (Manigart et Sapienza, 2017). Cette éviction du marché de la dette bancaire est particulièrement marquée dans les pays en développement. Dans les pays développés, les principaux problèmes auxquels sont confrontées ces entreprises sont moins le rationnement par les quantités que par les coûts ainsi que l'accès à des sources de financement alternatives au crédit bancaire. Certaines études soulignent également la pratique d'une forme d'autocensure, les dirigeants de PME renonçant à demander les avances dont ils ont besoin de peur de se voir opposer un refus.

À ces difficultés de se financer, il y a plusieurs raisons parmi lesquelles une taille insuffisante considérée comme un facteur aggravant du risque de défaut, la méconnaissance des dispositifs de financement, l'usage de systèmes comptables simplifiés ou encore la faiblesse des garanties offertes (Bolton et Freixas, 2006 ; de Prijcker et al., 2019), en particulier lorsque les PME sont encore jeunes et/ou innovantes. Les prêteurs formels exigent souvent des garanties pour gérer leur exposition au risque, ce que les PME peuvent ne pas être en mesure de fournir, limitant ainsi leur accès aux ressources financières provenant des marchés intermédiés. Ces difficultés, pour beaucoup structurelles, peuvent être exacerbées en période de crise financière. Pourtant, le financement est essentiel au développement des PME et à leur survie (Berger et Udell, 1998 ; Beck et Demirgüç-Kunt, 2006), ce qui les amène à se tourner vers d'autres apporteurs de ressources, telles que la famille et les amis. Ces sources de financement sont intéressantes au tout début du cycle de vie de l'entreprise, mais comportent un risque, notamment de disponibilité et de renouvellement, qui les rend impropres à une utilisation régulière. Pour cette raison, de nombreux pays de l'OCDE et hors OCDE ont adopté des mesures visant à faciliter l'accès au financement des PME. Les garanties occupent une place privilégiée dans ces dispositifs (Zecchini et Ventura, 2009). C'est également pourquoi les régulateurs peuvent parfois tenir compte de la question du financement des PME dans leurs exigences prudentielles. Ces dispositifs s'appuient sur une abondante littérature consacrée à l'impact de l'insuffisance de financements sur les trajectoires des PME et sur les actions à mettre en place pour remédier à cette situation.

Plusieurs journaux et revues ont consacré des numéros spéciaux à ces aspects. Dans les années 1990, le Journal of Small Business and Enterprise Development a réuni plusieurs contributions dans le numéro spécial consacré à « The Impact of Resources on SMEs: Critical Perspectives » (1994), la revue internationale PME intitulait le sien « Financement des PME » (1995,) alors que celui de Small Business Economics portait sur « European SME Financing: an Overview » (1997). À la suite de la crise économique et financière de 2008-2009, le sujet du financement des entreprises et des PME est devenu central et s'est imposé au cœur des réflexions des politiques publiques. En 2014, la Revue d'économie financière (REF) revisitait ainsi la relation entre la compétitivité et le financement des PME. Plus près de nous, en 2018, Small Business Economics publiait un numéro spécial consacré à « New Trends in Entrepreneurial Finance » et l'année suivante c'est le Journal of Family Business Management qui proposait un numéro intitulé « New Insights into SMEs: Finance and Family SMEs in a Changing Economic Landscape ». On le voit à travers ces quelques exemples, la thématique suscite un intérêt constant mais renouvelé, si bien qu'y accorder un nouveau numéro spécial de plus est parfaitement opportun dans un contexte économique fortement affecté par les conséquences de la pandémie de Covid-19, l'inflation et la hausse des taux d'intérêt. Les nouvelles conditions qui prévalent aussi bien dans la sphère réelle que financière justifient ainsi que les universitaires, les professionnels, les décideurs politiques et autres parties prenantes puissent disposer d'une vue d'ensemble des connaissances récemment produites sur le financement des PME et ce qui en fait la spécificité.

Faisant suite à une abondante littérature, ce numéro spécial se veut ainsi un outil et une référence pour (1) réinterroger les forces et les faiblesses en matière d'accès au financement des PME et son évolution récente, (2) illustrer les enseignements de récentes évaluations des mesures de politique publique en la matière, et, partant, (3) encourager les efforts visant à étendre encore davantage le financement des PME.

Pour identifier les préférences des entreprises, un découpage par type de ressources et la distinction, bien que classique, entre dettes et capitaux propres ou entre sources internes et externes reste d'actualité et efficace. En effet, les dirigeants de PME choisissent la structure financière en fonction de leurs objectifs personnels (Mason et al., 2015). Ces derniers dépendent de perspectives personnelles, de l'état des marchés ainsi que des anticipations et du contexte dans lequel évolue l'entreprise. L'ordre de présentation des articles ici réunis vise à refléter ce cadrage.

Quelle situation financière des PME dans un univers financier mouvant ?

Les premiers articles de ce numéro spécial font le point sur la manière dont les facteurs de contexte comme la conjoncture, les changements de politique monétaire et, plus généralement, la crise affectent le financement des PME. Christine Bonnery et Guillaume Richet-Bourbousse reviennent sur l'évolution du crédit aux PME au cours des dix dernières années, de la fin de la crise économique et financière à la crise sanitaire puis globale liée à la Covid-19. Ils rendent compte de l'évolution du tissu productif, de la montée en puissance des PME et du rôle joué par les banques centrales dans la stabilisation du système et des flux de financement des entreprises. Dans leur article, Henri Fraisse et Jean-Stéphane Mésonnier s'intéressent aux conséquences de l'évolution du cadre monétaire et prudentiel mis en place en zone euro et en France à la suite de la crise financière. Les opérations non conventionnelles et, notamment, les opérations de refinancement à long terme (VLTRO, TLTRO) auraient ainsi globalement permis de soutenir efficacement le financement des PME, tout du moins les mieux notées. Le renforcement du cadre prudentiel, et notamment des exigences en capital, a été, au moins pour les premières années de sortie de crise financière, plutôt au désavantage de l'offre de crédit. Néan moins les facteurs de soutien prévus pour assouplir les exigences pesant sur le risque PME ont, selon les évaluations empiriques, bien fonctionné pour soutenir l'offre de crédit à ces dernières.

Les conditions d'accès au marché du crédit bancaire

Le financement bancaire reste un outil central dans le développement des PME. Du côté de la demande de financement par les PME, il a depuis longtemps été démontré (Belletante et al., 2003) que la majorité des PME ne vise pas une structure de capital optimale, ou un équilibre entre la maximisation de la richesse et celle de la valeur de l'entreprise tout en minimisant les coûts du capital par le biais d'une structure d'endettement idoine. Elles préfèrent préserver leur autonomie de décision et éviter l'immixtion de nouveaux actionnaires-propriétaires dans la gestion de l'entreprise (Lopez-Gracia et Aybar-Arias, 2000). C'est pourquoi, en dépit de l'offre de circuits de financements alternatifs à la dette bancaire et complémentaire au financement interne, le crédit reste privilégié par ces entreprises. En effet, à côté du contexte économique général et du cadre réglementaire, les conditions locales et spécifiques du marché du crédit importent également comme le montrent, d'une part, Mounir Amdaoud, Giuseppe Arcuri et Nadine Levratto et, d'autre part, Jérôme Coffinet et Théo Nicolas qui reviennent sur l'importance que peut prendre la forme de la relation bancaire pour accompagner les PME. Mounir Amdaoud, Giuseppe Arcuri et Nadine Levratto montrent, à partir de données décrivant les entreprises et le contexte économique des provinces italiennes, à quel point la densité d'une offre de financement locale peut être associée à une plus grande solidité des PME, particulièrement les plus petites. La dépendance de ces dernières à l'égard des banques reste ainsi une caractéristique structurante majeure de leur survie et, plus globalement, de leur trajectoire. Jérôme Coffinet et Théo Nicolas pointent, quant à eux, l'impact que peut avoir la forme de la relation banque-PME sur les conditions de financement de ces dernières au cours du cycle. Ils accréditent l'importance que les prêteurs bancaires « relationnels » (suscitant des interactions multiples et dans la durée avec leurs clients) peuvent avoir pour réduire le coût du financement des PME en cas de retournement de cycle. Cet effet serait d'autant plus important que la PME est en mesure de diversifier ses sources (multibancarité), là encore illustrant le rôle de développement du marché local du financement. Ces auteurs rappellent cependant que si ce mécanisme assurantiel fonctionne bien pour les PME les moins risquées, ce n'est pas le cas pour les profils de risque les plus élevés, ce qui pose la question du soutien au financement de cette population, particulièrement en période de crise. Enfin, Hélène Euphrasie Alouanga et Georges Kobou prolongent l'exploration du marché du crédit en proposant une analyse de la manière dont le coût du crédit bancaire peut être conditionné par le financement relationnel. Ils s'appuient pour cela sur une enquête conduite auprès de PME camerounaises implantées à Douala et à Yaoundé au Cameroun. Leurs résultats soulignent la complémentarité entre financement relationnel et crédit bancaire, les PME combinant ces deux modalités bénéficiant d'un meilleur accès aux banques.

Nécessité et nouveauté du financement par fonds propres

Au-delà du financement bancaire, le financement en fonds propre est un levier crucial pour les PME, particulièrement lorsqu'elles sont jeunes et innovantes. En raison de l'inaccessibilité des modes de financement formels, des sources alternatives ou informelles de financement relevant de l'equity finance ont été mobilisées par les entreprises et explorées dans la littérature. Cummings et al. (2020) soulignent que « les innovations par la numérisation offrent de nouvelles approches pour explorer le processus de collecte de fonds des entrepreneurs » et que le financement participatif en actions est une forme spécifique de financement qui traite de la participation publique et privée. Pandher (2019) indique que le capital-risque est une autre source de financement recherchée par les start-up qui est affectée par les préférences de risque du financier et les caractéristiques du capital-risque. L'article de Ludivine Chalençon et Alain Marion aborde la question du financement externe comme moteur de la croissance à partir de l'étude d'un secteur particulier, les laboratoires de biologie médicale, qui a connu d'importantes transformations dans la détention du capital au cours des dernières années. Ils mettent en évidence le rôle clé des outils de financement externe, mais aussi, parmi ces derniers, de l'importance des capitaux propres et, tout particulièrement, du paiement en actions. La recherche de Maarouf Ramadan et Luc Tessier aborde également la question du financement du haut de bilan à partir de l'analyse comparée des modèles de financement des jeunes petites entreprises innovantes qui guident les choix respectifs des business angels français et québécois. À partir d'une enquête réalisée auprès de ces investisseurs, ils montrent que le comblement du besoin de financement par ces derniers et le choix des PME qu'ils soutiennent dépendent de critères culturels. L'article de Hibat-Allah Ezzahid et Hicham Meghouar complète cette analyse du financement par fonds propres en s'interrogeant sur l'accès des PME au crowdfunding. Grâce à une analyse lexicale et thématique de contenu réalisée à partir d'une enquête auprès de PME marocaines, ils mettent en évidence l'importance du contexte institutionnel à travers la prise en compte de l'origine légale du cadre juridique des plateformes considérées et des caractéristiques propres des entreprises, leur âge notamment.

Apports de garanties et financements publics

Qu'il s'agisse des dettes ou des fonds propres, le constat est assez régulièrement établi de difficultés du marché des fonds privés à répondre spontanément aux besoins des PME. Ces dernières peuvent être, par exemple, affectées par les problèmes d'asymétrie de l'information qui opacifient le marché du crédit. L'investissement en innovation, notamment des PME, peut également être considéré comme sous-optimal du point de vue de la collectivité du fait de la non-prise en compte, au niveau des choix individuels, des effets d'externalités. C'est pourquoi les dispositifs publics sont nombreux pour parvenir à fluidifier le marché du financement des PME, en général dans leurs phases les plus risquées (création, transmission) ou quand elles portent des projets particulièrement innovants et incertains. L'apport de garanties occupe une place importante dans les politiques publiques et la recherche a beaucoup avancé sur l'évaluation empirique de leur impact ces dernières années. L'article de Julien Brault revient sur l'évaluation des dispositifs de garantie de crédit au niveau européen qui converge vers le constat d'un impact positif sur la croissance et le taux de survie des PME soutenues. Ce constat est partagé également par Mathilde Lê, qui examine plus particulièrement l'impact des garanties de Bpifrance sur les crédits à la transmission des TPE et des PME à partir de données françaises. Cette recherche illustre également la façon dont les banques peuvent utiliser ces dispositifs, sur des profils d'emprunteurs disposant initialement de moins de collatéral ou présents sur des territoires peu denses où les appariements cédants-repreneurs sont plus difficiles. Raphaël Chiappini, Kymble Christophe, Samira Demaria, Vincent Dortet-Bernadet, Benjamin Montmartin et Sophie Pommet reviennent sur plusieurs études qui ont évalué empiriquement l'impact de financements publics à l'innovation dans les PME et les ETI, sous formes de subventions, d'avances remboursables et de prêts bonifiés, distribués par Bpifrance. Les résultats pointent notamment l'impact, en contrefactuel, positif que ces financements peuvent avoir sur les dépenses de R&D (recherche et développement) de ces entreprises et leur développement.

Quels défis pour le financement des PME ?

Ce tour d'horizon de l'état de la recherche sur le financement des PME se termine par un examen des grands défis associés au finance ment des PME. Catherine Deffains-Crapsky pointe les enjeux spécifiques que posent la transition vers une économie décarbonée et les besoins de financement et d'accompagnement des PME, en particulier de la part des acteurs publics. Toutefois, les effets positifs à attendre du financement étant renforcés, voire conditionnés, par la qualité de l'entourage et de l'organisation interne des PME, deux contributions examinent ces questions. Fabrice Gilles, Yannick L'Horty et Ferhat Mihoubi étudient les effets de programme d'accompagnement des dirigeants de PME et d'ETI, les « accélérateurs » de Bpifrance, développés par la banque publique depuis 2016. Ces programmes de soutien, impliquant les services de conseil, de formation et de mise en réseau pour les dirigeants mais sans être accompagnés par un soutien monétaire concomitant, peuvent avoir des effets très significatifs sur la croissance, l'emploi et l'investissement des entreprises. Mais les caractéristiques internes de l'entreprise interviennent dans la décision de financement. C'est la conclusion à laquelle parvient Médéssè Carol F. Gandégnon qui montre comment les dirigeants de PME prennent leur décision de financement et dans quelle mesure cela peut affecter les modalités d'accompagnement.

 

12 juin 2023


Bibliographies

Beck T. et Demirgüç-Kunt A. (2006), « Small-Medium Enterprise Sector: Access to Finance as a Growth Constraint », Journal of Finance and Banking, vol. 30, no 11, pp. 2931-2943, https://doi.org/10. 1016/j.jbankfin.2006.05.009.

Belletante B., Levratto N. et Paranque B. (2003), Diversité économique et modes de financement des PME, L'Harmattan.

Berger A. N. et Udell G. F. (1998), « The Economics of Small Business Finance: the Roles of Private Equity and Debt Markets in the Financial Growth Cycle », Journal of Banking & Finance, vol. 22, no 6-8, pp. 613-673, https://doi.org/10.1016/S0378-4266(98)00038-7.

Bolton P. et Freixas X. (2006), « Corporate Finance and the Monetary Transmission Mechanism », Review of Financial Studies, vol. 19, no 3, pp. 829-870, DOI: 10.1093/rfs/hhl002.

Cummings M. E., Rawhouser H., Vismara S. et Hamilton E. L. (2020), « An Equity Crowdfunding Research Agenda: Evidence from Stakeholder Participation in the Rulemaking Process », Small Business Economics, vol. 54, no 4, pp. 907-932, https://doi.org/10.1007/s11187-018- 00134-5.

De Prijcker S., Manigart S., Collewaert V. et Vanacker T. (2019), « Relocation to Get Venture Capital: a Resource Dependence Perspective », Entrepreneurship Theory and Practice, vol. 43, no 4, pp. 697-724, https://doi.org/10.1177%2F1042258717739003.

Lopez-Gracia J. et Aybar-Arias C. (2000), « An Empirical Approach to the Financial Behaviour of Small and Medium Sized Companies », Small Business Economics, vol. 14, no 1, pp. 55-63, https://doi.org/ 10.1023/A:1008139518709.

Manigart S. et Sapienza H. (2017), « Venture Capital and Growth », in The Blackwell Handbook of Entrepreneurship, Blackwell Publisher Ltd, pp. 240-258, https://doi.org/10.1002/ 9781405164214.ch12.

Mason M. C., Floreani J., Miani S., Beltrame F. et Cappelletto R. (2015), « Understanding the Impact of Entrepreneurial Orientation on Smes' Performance, the Role of the Financing Structure », Procedia Economics and Finance, no 23, pp. 1649-1661, https://doi.org/10.1016/S2212-5671(15)00470-0.

Pandher G. (2019), « Financier Search and Boundaries of the Angel and VC Markets », Entrepreneurship Theory and Practice, vol. 43, no 6, pp. 1223-1249, https://doi.org/10.1177% 2F1042258718780476.

Psillaki M. (1995), « Rationnement du crédit et PME: une tentative de mise en relation », Revue internationale PME, vol. 8, no 3-4, pp. 67-90, https://doi.org/10.7202/1008359ar.

Zecchini S. et Ventura M. (2009), « The Impact of Public Guarantees on Credit to SMEs », Small Bus Econ, no 32, pp. 191-206, https://doi.org/10.1007/s11187-007-9077-7.