Trente avril 2003. Il y a vingt ans le président Jacques Chirac, en préparation du sommet du G8 réuni à Évian en juin cette année-là, invitait les représentants de la société civile à l'Élysée. C'est à cette occasion qu'il lançait une réflexion sur le financement du développement et, au-delà, sur celui des biens publics mondiaux. Il a alors confié à Jean-Pierre Landau, assisté du signataire de cet avant-propos, la présidence d'un groupe de travail sur les nouvelles contributions financières internationales. Rappelons le contexte. Quelques mois plus tôt, en Afrique du Sud, Jacques Chirac s'écrie : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Et le premier semestre 2003 est occupé par la guerre en Irak. Pourtant, le sommet du G8 aura lieu et donnera une impulsion au dialogue avec l'Afrique ou au financement de l'eau. Lorsqu'il réunit après l'été les vingt personnalités membres de ce groupe, Jacques Chirac exprime très simplement son intuition : « La mondialisation doit payer pour la mondialisation. » On peut aussi rappeler que quelques mois auparavant et malgré les tensions internationales, avait été lancé le processus qui a abouti au financement innovant et non conventionnel du GAVI, l'Alliance mondiale pour la vaccination et l'immunisation. Dans ce cas, il s'est agi d'emprunter tôt, massivement et en amont des dons à recevoir, pour financer des campagnes de vaccination de plus grande ampleur et éviter les campagnes plus modestes à répétition. Les montants sont substantiels. Ils seront remboursés au fil du temps grâce aux engagements pris par les États sur une base pluriannuelle. Si un État X s'engage à contribuer à hauteur de 500 M$ sur cinq ans (par exemple 100 M$/an), il devient alors possible d'emprunter la somme dès aujourd'hui (soit 500 M$ immédiatement) et de frapper plus fort. Le groupe réuni par le pré sident Chirac a cet exemple à l'esprit. Ses travaux vont plus loin et aboutissent à la première taxation internationale, à ce qu'il est depuis convenu d'appeler « la taxe Chirac », soit une taxe sur les billets d'avion (bénéficiaires de la mondialisation) destinée à financer la recherche médicale mondiale (impactée par la mondialisation) (Landau, 2004). Ce sera la création de Unitaid. On le voit, il y a vingt ans, la créativité était à l'ordre du jour. Les États étaient en outre prêts à coopérer pour trouver ensemble des solutions innovantes à cette question faisant irruption dans le débat du financement des biens publics mondiaux, après l'adoption des objectifs de développement du millénaire. Force est de reconnaître que cet enthousiasme a depuis connu des hauts et des bas. Il faut en particulier nous remémorer l'année 2015 qui a vu l'approbation unanime par l'Assemblée générale des Nations unies des objectifs du développement durable, puis la signature des accords de Paris sur le climat. La dimension financière de ces engagements n'a pas fait la une à cette époque. L'auteur de cet avant-propos avait piloté en parallèle le rapport « From Billion to Trillions », qui soulignait la nécessité d'un changement d'échelle. Là où l'unité de compte traditionnelle était le milliard de dollars, il s'agissait maintenant de passer au millier de milliards de dollars si nous souhaitions être sérieux quant à la réalisation de ces objectifs collectifs et universels. En réalité, ce qui était dans les esprits à l'époque était une forme de confiance presque aveugle placée dans une main invisible qui aurait dirigé le marché dans la bonne direction. Les objectifs étant louables et approuvés par tous, ils s'imposaient. L'intendance devait suivre. Et trouver les moyens de financer nos ambitions collectives. Bien sûr, des maquettes financières et macroéconomiques ont été produites et – un peu – discutées. Les chiffrages ont été débattus. La crise financière de 2008 avait popularisé le terme « trillions ». Il devenait la nouvelle unité de compte internationale. Il en fallait quelques-uns par an pendant quinze ans et le compte était bon. Ils ont permis de souligner le gigantisme de nos ambitions et de les valoriser à propos. Mais nous ne nous sommes pas interrogés réellement à l'époque sur les outils ou les mécaniques de marché qui auraient dû nous permettre de financer nos engagements. Huit ans plus tard, nous n'y sommes pas. Et la main invisible n'a pas complètement effectué son travail. C'est pourquoi les pages qui suivent et les contributions de nos différents auteurs sont si importantes. Les défis sont connus. Ils sont immenses. Mais l'imagination a failli. Sur les outils comme sur les voies de coopération. Nous sommes de nouveau à un tournant. Le sommet réuni à Paris en juin 2023 par le président de la République, Emmanuel Macron, sur le nouveau pacte financier mondial a souligné les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Il n'a jamais été autant question de biens publics mondiaux pourtant. La mondialisation tourne mal. Et le multilatéralisme souffre. La question posée à Paris était entre autres la suivante : le climat et son financement risquent-ils de se substituer aux politiques de développement traditionnel et à la lutte contre la pauvreté ? Quelle place le financement des biens publics mondiaux doit-il occuper dans les financements des institutions financières multilatérales ? Le seul discours de l'équivalence climat-pauvreté ne suffit plus. Les doutes affleurent. Les tensions, sur fond d'émergence du « Sud Global », sont fortes. Une tribune signée par treize chefs d'État a cependant rappelé en ouverture que la lutte contre le changement climatique ne doit laisser personne sur le bord du chemin (Project Syndicate, 2023). Le discours fait mouche. Il doit trouver une traduction dans les faits. Alors même que l'enthousiasme collectif est en berne.
Ce numéro de la REF se veut une contribution au débat sur le financement de la production des biens publics mondiaux et leur protection. Nous sommes aujourd'hui à un tournant. Nous avons beaucoup réfléchi, écrit et dit. Il est temps d'agir. De passer outre la double tragédie des horizons et des communs pour refaire « planète ».
1er septembre 2023