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 Entre régulation financière et innovation : le financement du logement et des infrastructures en Inde


Morgane LAPEYRE
La crise financière de 2008 a mis en avant les dangers de certaines innovations financières apparues dans un contexte de dérégulation généralisée. En Inde, comme dans les autres pays émergents dont les marchés financiers sont peu développés, les autorités pourraient être tentées de prendre, en réaction, des mesures contrariant l’apparition de produits financiers innovants ayant une réelle utilité. Ce point de vue est illustré par l’exemple du marché du financement immobilier indien qui s’est tari en 2008 en raison des difficultés rencontrées par les principaux financeurs, banques commerciales et HFC. Compte tenu de l’importance des besoins en infrastructures et logements en Inde, l’auteur plaide pour le développement de la titrisation des crédits immobiliers qui lui paraît une alternative au financement bancaire si elle est accompagnée d’une régulation et d’une supervision adaptée.

La crise financière de 2007-2008 a montré les dangers de l’innovation financière dans un contexte de dérégulation généralisée. Il existe un risque que les décideurs dans les pays émergents, où les marchés financiers sont encore sous-développés par rapport aux économies avancées, cherchent par conséquent à limiter ou empêcher l’émergence de pratiques et de produits financiers nouveaux, plus complexes. Dans le cas de l’Inde, la régulation est déjà très conservatrice. Si les autorités décidaient de la renforcer au point qu’elle devienne paralysante, la croissance économique pourrait en être affectée.

Il serait préférable de trouver le bon équilibre entre régulation et innovation de manière à répondre correctement aux énormes besoins du pays en infrastructures et en logements. Le recours aux banques commerciales traditionnelles, qui représentent 60 % de l’ensemble du système financier (CFSA, 2009), n’est pas la bonne solution. Nous pensons qu’il existe en Inde de vastes perspectives pour le développement d’un marché solide et sophistiqué de titrisation des hypothèques.

Équilibre entre innovation et régulation

Les banques indiennes ont résisté avec succès à la crise financière. La rentabilité du secteur est restée stable et les ratios de capitaux pondérés du risque sont au-dessus des minima fixés par les accords de Bâle (environ 13 %). À titre d’indication de la qualité des actifs, le ratio des prêts non performants (PNF) semble n’avoir augmenté que légèrement depuis le début de la crise. En outre, selon le Fonds monétaire international (FMI), les stress tests effectués sur les trente plus grandes banques indiennes montrent que si la qualité de leurs actifs se détériorait (par exemple, si les PNF doublaient à 5 %), cela ne devrait pas sérieusement affecter leurs ratios de capitaux1.

Cette solidité découle cependant du développement limité du secteur financier de l’Inde. En revanche, l’expérience de deux économies avancées, l’Australie et le Canada, pendant la crise donne à penser que la sophistication financière, y compris la titrisation, ne menace pas nécessairement la stabilité financière si elle se déploie dans un contexte approprié de régulation et de supervision.

Dans ces deux pays, on reconnaît que l’innovation financière peut être tout aussi bénéfique que déstabilisante. En conséquence, alors que dans la plupart des autres économies avancées, les banques ont été ébranlées en raison d’un endettement excessif et d’une exposition aux actifs liés aux subprimes, elles ont remarquablement bien résisté en Australie et au Canada. Elles sont entrées dans la crise avec de solides ratios de capital, de saines pratiques de gestion des risques et une titrisation des hypothèques reposant sur des actifs aux fondamentaux adaptés. Ces deux pays ont également des dispositifs de régulation qui leur permettent de rester en phase avec les modifications du contexte financier tout en répondant aux risques inhérents à l’innovation financière (coordination adéquate entre superviseurs, contacts réguliers avec le secteur bancaire et contrôle du système financier), ainsi qu’un cadre précis et adapté de résolution des faillites bancaires.

Sur la base de ces deux cas particuliers, on peut tirer la leçon que l’Inde, où une multiplication et une diversification des sources de financement et des types d’investisseurs sont nécessaires, doit mettre soigneusement au point de nouveaux produits financiers et des pratiques assorties d’un système de régulation et de supervision adéquat.

Le système indien de financement du logement

L’apparition d’un système organisé de financement du logement remonte à la fin des années 1980 avec la création de la National Housing Bank (NHB), une filiale de la Reserve Bank of India (RBI), qui avait pour objectif d’augmenter les flux de financement disponible pour le secteur du logement et de favoriser la création d’institutions vouées au financement de ce secteur. À cette époque, près de 80 % du parc de logement du pays était financé par le secteur financier informel (usuriers, prêteurs sur gage…) (CFSR, 2009).

Au départ, le système de financement du logement était principalement constitué de sociétés financières non bancaires (non-banking financial companies – NBFC) réglementées par la RBI, parmi lesquelles des petites sociétés de construction qui offraient également des crédits au logement (CFSA, 2009). Depuis l’accession à l’indépendance jusqu’au début des années 1990, une série de programmes de construction ont été mis en œuvre par le gouvernement central. L’intervention publique était considérée comme indispensable pour répondre aux besoins de logement particuliers des populations vulnérables.

Ces programmes gouvernementaux consistaient essentiellement à soutenir des programmes de construction de logement et d’urbanisme par le biais de la Housing and Urban Development Corporation (HUDCO), instaurée dans le cadre du 4e plan quinquennal (1969-1974).

Ce n’est qu’à partir du 7e plan quinquennal (1985-1990) que le gouvernement a reconnu la nécessité de conférer la responsabilité principale de la construction de logement au secteur privé. La plupart des housing finance companies (HFC) ont été créées à l’initiative des banques et supervisées par la NHB. Elles levaient des fonds à travers divers types de dépôts pour financer des activités de prêts hypothécaires ou grâce à des prêts directement accordés par la NHB dans le cadre de son mandat d’aide au développement.

La Housing and Habitat Policy lancée en 1998 avait pour objectif de fournir un «  abri à tous  » grâce à des partenariats publics-privés. Une série de réformes (avantages fiscaux, normes juridiques et réglementaires) ont progressivement abouti à la création d’un véritable secteur financier du logement. L’apparition de promoteurs immobiliers dans les grandes villes, la croissance des affaires et des revenus ainsi que des taux d’intérêt bas2 ont soutenu la croissance du logement en Inde. En conséquence, le volume des prêts hypothécaires a plus que triplé entre la fin des années 1980 et le début des années 2000.

L’absence d’autres sources de financement a cependant restreint l’offre de prêts hypothécaires. L’illiquidité intrinsèque de ces prêts à long terme pour l’immobilier commercial et résidentiel en fait une activité risquée. Seule l’apparition d’un marché secondaire des hypothèques similaire à celui qui existe déjà dans les économies avancées permettrait aux HFC de développer leurs activités dans ce domaine. En autorisant le transfert des risques de taux d’intérêt, de crédit et de maturité inhérents aux prêts au logement à de tierces parties et en offrant de nouveaux fonds à investir dans des actifs plus liquides, nous pensons que la titrisation peut jouer un rôle important en faveur du secteur des infrastructures, qui manque cruellement de ressources, et accroître l’accès au logement.

Une première étape a été franchie en 2000 par la NHB lorsqu’elle a émis ses premiers residential mortgage-backed securities (MBS, titres adossés à des hypothèques) en association avec HDFC Bank et LIC Housing Finance (Sridhar, 2002). Le gouvernement a également mis sur pied un groupe de travail sur la titrisation des actifs. La NHB a depuis tenu un rôle important en favorisant l’apparition d’un marché secondaire pour les crédits au logement en jouant le rôle de SPV (special purpose vehicle). Cependant, d’importants obstacles juridiques et réglementaires subsistent encore aujourd’hui, qui freinent le développement d’un marché des MBS. La plupart des États indiens pratiquent des droits de timbre élevés sur les transactions en matière de titrisation (Sridhar, 2002). En outre, l’absence d’une législation efficace en termes de saisies en cas de défaut génère une forte incertitude pour les prêteurs et constitue un facteur dissuasif. Au mieux, cette situation se traduit par des conditions très sévères à l’octroi d’un prêt (notamment un loan-to-value ratio élevé) qui confinent l’accès aux prêts hypothécaires aux seules élites.

Pour tenter de remédier à cette situation, le gouvernement indien a permis à des assureurs privés d’hypothèques d’accéder au marché de l’assurance au début des années 2000. L’assurance des hypothèques peut jouer un rôle important dans le développement des marchés de MBS en protégeant les prêteurs contre les pertes dues aux défauts et en augmentant le volume des hypothèques accessibles aux emprunteurs grâce à une réduction du montant de l’apport initial. Le marché indien de l’assurance des hypothèques reste néanmoins relativement jeune et ses conditions sont encore très conservatrices.

Le système de régulation et de supervision en Inde

Il existe de nombreux organismes de régulation et de supervision en Inde qui sont responsables de différents segments du système financier. Créée en 1935, la RBI supervise l’ensemble du système financier. Le Securities and Exchange Board of India, institué en 1992, organise et contrôle le fonctionnement des marchés de valeurs mobilières et protège les intérêts des investisseurs. Les sociétés d’assurances et les fonds de pension sont régulés par les regulatory and development authorities correspondantes et la NHB supervise les HFC.

Mais si certains domaines du système financier ont de multiples régulateurs, d’autres, qui pourraient présenter des risques systémiques, n’en ont pas (CFSR, 2009). Par exemple, il existe un double contrôle des banques coopératives agricoles et urbaines par les state registrars of cooperative societies, d’un côté, et la National Bank for Agriculture and Rural Development (NABARD)3, d’un autre côté. En outre, des organismes d’autorégulation sont autorisés à exercer des pouvoirs réglementaires sur certains segments du secteur financier, mais ils sont en général exemptés de la tutelle des superviseurs.

Un autre défaut du système indien en matière de supervision vient du manque de coopération entre les superviseurs. Le Board of Financial Supervisors institué sous l’égide de la RBI en 1994 supervise les banques coopératives urbaines, alors que leurs homologues ruraux sont sous la supervision de la NABARD (CFSR, 2009). L’efficacité de la supervision est également affectée par le fait que les superviseurs ont tendance à exercer d’autres compétences. Par exemple, la NABARD apporte également une assistance financière aux coopératives rurales et aux banques régionales afin d’améliorer leurs connaissances techniques, de surveillance et d’évaluation. Elle s’emploie également à soutenir le développement de l’agriculture et de l’artisanat local en surveillant les flux de crédits et les politiques d’émission et en édictant des directives de fonctionnement aux institutions financières rurales.

Un certain degré de coordination existe cependant entre les superviseurs grâce au High Level Coordination Committee (HLCC) qui regroupe de manière informelle régulateurs, représentants des grandes banques et fonctionnaires du ministère des finances. En outre, en vertu du programme d’examen du secteur financier d’octobre 2006, la RBI a pris ces dernières années un certain nombre de mesures visant à améliorer la structure et l’efficacité de la supervision (en procédant à des évaluations régulières des cadres supérieurs, par exemple). Cependant, le gouvernement continue de plaider en faveur d’un niveau plus élevé de coopération entre les organismes de régulation pour améliorer les échanges d’information et la coordination des politiques.

Quelques recommandations

L’Inde devrait s’efforcer de renforcer la législation relative au financement du logement et les activités de titrisation. Réduire l’incertitude des créanciers concernant les saisies en cas de défaut et les défauts de paiement sur les biens4, par exemple, permettrait d’augmenter rapidement le volume des prêts au logement, y compris à des emprunteurs moins solvables. Le loan-to-value ratio devrait également être relevé à un niveau qui favorise l’inclusion financière. Enfin, une assurance des hypothèques jouerait un rôle important en permettant un assouplissement progressif des conditions de souscription.

Les mêmes obstacles réglementaires qui avaient initialement freiné le développement du marché de la titrisation en Australie, notamment le droit de timbre sur les transactions, devraient être abolis en Inde. Il serait également important d’accroître la connaissance et la compréhension de la titrisation dans les banques, les agences de notation de crédit et, plus généralement, celles des marchés financiers. Les activités de titrisation devraient être adéquatement régulées de manière à ce que les fondamentaux propres à la souscription des hypothèques restent soutenables, que les banques soient incitées à effectuer un examen sérieux de la solvabilité des emprunteurs et qu’elles détiennent suffisamment de fonds propres en contrepartie de leurs activités de titrisation.

Une initiative récente de la RBI constitue un pas dans cette direction. Elle propose de nouvelles règles de titrisation conformes aux directives adoptées par les régulateurs des États-Unis et de l’Union européenne. Le but de celles-ci est d’assurer que les originateurs de prêts hypothécaires soient suffisamment financièrement impliqués dans les opérations pour qu’ils veillent à ce que la qualité des titres adossés à des hypothèques (MBS – mortgage-backed securities) ne se dégrade pas en raison d’une vérification insuffisante de la solvabilité des emprunteurs et que la qualité générale des actifs détenus par les banques émettrices ne soit pas altérée par la poursuite de leur activité de titrisation, notamment sous la forme de soutien implicite.

Si l’Inde prenait en compte les exemples de l’Australie et du Canada en ce qui concerne tant les mécanismes de régulation et de supervision que l’attitude à l’égard de l’innovation, cela ouvrirait également d’importantes perspectives.

La proposition du Committee on Financial Sector Reform (CFSR, 2009) visant à harmoniser la structure de la régulation et de la supervision afin d’éviter les incohérences, les failles et les redondances en réduisant le nombre d’organismes est indiscutablement un grand pas dans cette direction. Des compétences distinctes bien définies et la création d’un cadre unique pour des réunions régulières permettraient d’assurer un meilleur contrôle de l’évolution de la situation du secteur financier et une meilleure identification des risques potentiels. Comme le montrent les exemples de l’Australie et du Canada, ce dispositif peut considérablement améliorer la coordination et le partage des informations. Dans cet ordre d’idées, le CFSR propose la création d’une Financial Sector Oversight Agency (FSOA) qui comprendrait les directeurs des organismes de régulation et serait chargée d’évaluer les risques à l’intérieur du système financier. Un nombre minimum de réunions devrait être fixé et les discussions entre la FSOA et la direction des institutions d’importance systémique devraient être fondées sur un ensemble de principes généraux plutôt que sur des règles formelles (CFSR, 2009).

Le CFSR a également recommandé la création d’un working group on financial sector reforms (groupe de travail sur la réforme du secteur financier), présidé par le ministre des finances, qui piloterait les réformes du secteur financier et contrôlerait la vente des différents produits et le degré de transparence dans la formation des prix. Ces propositions doivent encore clarifier la responsabilité exacte de ces nouveaux organismes. Par exemple, on ne sait pas encore si la FSOA remplacerait le HLCC et si le working group on financial sector reforms ferait office d’organe d’information pour la FSOA.

Enfin, nous soutenons que la régulation et la supervision devraient davantage soutenir l’innovation. Certaines dispositions microprudentielles sont trop rigoureuses, notamment en matière de contrôle sur les taux d’intérêt et de réserves obligatoires, et tendent à peser sur les capacités et la volonté des banques à prêter. Dans le cadre du Banking Regulation Act, les banques sont soumises à autorisation pour des questions de routine comme l’ouverture d’une agence bancaire. Le cadre réglementaire de l’Inde repose essentiellement sur des règles formelles (CFSA, 2009). Mais certains éléments montrent que ces règles peuvent en fait s’avérer contre-productives en incitant les banques à chercher des moyens de les contourner.

Nous pensons qu’une évolution progressive vers une supervision fondée sur des principes généraux, comme l’a récemment proposé un rapport du CFSR, peut permettre la mise en place d’un cadre de régulation et de supervision davantage favorable à l’innovation. En favorisant une attitude plus souple à l’égard de la régulation et en orientant la supervision vers l’analyse des risques émergents, elle devrait encourager l’apparition de nouveaux produits et pratiques financiers tout en préservant la solidité et la stabilité de chaque institution.

Enfin, la RBI est connue pour son attitude prudente à l’égard de l’innovation. Les instruments financiers offerts par les banques commerciales doivent être officiellement autorisés par la loi ou être « spécifiquement approuvés ou ne pas avoir été désapprouvés par la RBI » (Reddy, 2010). En outre, la RBI marque une préférence pour le réinvestissement des ressources financières dans des fonds d’État et pour l’octroi de prêts à des secteurs prioritaires plutôt que d’encourager les banques à participer activement aux innovations financières (Reddy, 2010).

Conclusion

La création d’un environnement favorable à l’innovation financière est essentielle pour l’Inde. Depuis le début de la crise, on observe un déclin du nombre des HFC et les banques commerciales sont actuellement les acteurs dominants dans le domaine des prêts au logement. Certaines HFC ont connu des problèmes de liquidité en raison de leur dépendance au marché des prêts à court terme qui s’est asséché en 2008 (CFSA, 2009). Dans ces circonstances, et à l’avenir, nous pensons que la titrisation constituerait une nouvelle et intéressante source de financement en lieu et place du marché de gros de fonds à court terme pour répondre aux besoins importants du pays en matière d’infrastructures et de logements.

À la lumière des expériences de l’Australie et du Canada, nous recommandons que l’Inde favorise le développement d’un marché de créances hypothécaires (MBS) profond et liquide et instaure un cadre plus favorable aux prêteurs pour encourager le financement des infrastructures et du logement. Pour ce qui est de la régulation et de la supervision, nous soutenons avant tout qu’une rationalisation des structures de régulation et de supervision, une supervision davantage basée sur des principes généraux et une restructuration du système bancaire devraient être considérées comme des priorités dans la réforme du système financier indien.


Notes

Économiste.
1 Les ratios de capitalisation resteraient au-dessus des minima réglementaires (IMF, 2009).
2 En raison d’un excédent de liquidité dans le secteur bancaire et de perspectives plus basses d’inflation.
3 La NABARD est une development bank de dernier ressort dont le but est de faciliter les flux financiers pour la promotion et le développement de l’agriculture, les petites industries, les industries de village ou domestiques, l’artisanat et d’autres métiers ruraux.
4 D’autres réformes juridiques importantes concernent la défense des droits de propriété, la législation en matière de location, la résolution des litiges et les directives en matière d’insolvabilité (Reddy, 2010).

Bibliographies

CFSA (Committee on Financial Sector Assessment) (2009), India’s Financial Sector an Assessment, Report, vol. 1.
CFSR (Committee on Financial Sector Reforms) (2009), A Hundred Small Steps, Report.
IMF (International Monetary Fund) (2009), India: 2009 Article IV Consultation, Staff Report.
Reddy Y. V. (2010), « Financial Sector Regulation in India », Economic and Political Weekly, 3 avril.
Sridhar V. (2002), « Securitization in India: Opportunities and Obstacles », PGP, IIM Calcutta, Discussion paper.