Surcharge systémique, capital contingent, bail in contractuel, bail in statutaire, pouvoirs de résolution, fonds de résolution, living wills (testaments bancaires) sont, outre les mesures prudentielles déjà définies par le Comité de Bâle, autant de pistes mises en avant par les différentes instances internationales concernées (G20, Fonds monétaire international – FMI –, Conseil de stabilité financière – CSF –, Comité de Bâle, Commission européenne) pour tâcher de diminuer le risque des crises bancaires et en faciliter le traitement, tout en limitant au maximum l’appel à la puissance publique et aux contribuables.
La variété de ces approches, leur cumul et leur traitement plus ou moins coordonné entre instances proches mais distinctes appelaient à une réflexion d’ensemble. En prévision des négociations internationales, le ministre en charge de l’économie nous a confié la mission d’élaborer sur le sujet, à l’usage des Pouvoirs publics, en liaison avec la place de Paris, une position française cohérente et argumentée telle :
- qu’elle réponde aux objectifs de la France de faire en sorte qu’une crise financière comme celle de 2007-2009 ne se reproduise pas et qu’à défaut, elle soit gérée sans mettre en danger l’économie, les intérêts des épargnants et les finances publiques ;
- que simultanément, la solidité et la capacité des établissements de crédit à financer l’économie dans les meilleures conditions ne soient pas inutilement altérées et que ces établissements puissent continuer à soutenir au mieux la croissance française.
Cet article, qui porte sur le traitement des crises systémiques, s’appuie sur les conclusions du rapport remis par Jean-François Lepetit au ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie le 14 avril 2010 (cf. annexe). Sur une matière particulièrement mouvante et sur laquelle la réflexion pourra évoluer au fil des discussions à venir, il s’agit ici de proposer une ligne de conduite et d’argumentation directement opérationnelle sur les principaux sujets en cours d’examen dans les instances internationales liés à la prévention et au traitement des crises bancaires systémiques.
Surcharge systémique
La surcharge systémique consiste en la mise en place d’une exigence prudentielle accrue pour les établissements présentant un risque systémique. Il s’agit d’une idée simple, mais défectueuse. Dès lors qu’un mécanisme comme le bail in est utilement mis en place pour contenir le hasard moral, l’instauration d’une surcharge systémique vient rompre l’égalité de concurrence entre établissements selon une catégorisation ex ante et contestable de ces derniers (leur « caractère systémique ») et en affectant davantage ceux qui se refinancent de manière conventionnelle que ceux qui exportent le risque systémique vers le secteur financier non régulé via la titrisation.
Toute décision de principe visant à s’engager dans la voie d’une surcharge systémique doit donc être au mieux écartée, au pire reportée à l’issue d’un examen global de l’ensemble des instruments de traitement envisagés. De même, la constitution d’une liste a priori des « établissements systémiques » ne correspond pas à la réalité qui relève plutôt de « situations » et « d’activités » systémiques que de la nature des établissements.
Mécanismes d’absorption des pertes (loss absorbency) : principe
Il s’agit de prévoir la possible réduction ou conversion en capital d’instruments de dette bancaire dans des situations de crise, ce qui doit répondre à trois objectifs :
- contenir le hasard moral dont ont bénéficié jusqu’ici les créanciers des établissements systémiques ;
- éviter l’appel au contribuable ;
- se traduire ipso facto par un coût de refinancement supérieur, évalué par le marché, pour les établissements jugés les moins solides (libre alors à ces derniers, hors toute surcharge systémique, de rassurer les investisseurs en accroissant leurs fonds propres).
Sur le principe, la mise en place de tels instruments mérite donc d'être soutenue. En revanche, il faut en définir préalablement les modalités et l’assortir d’une condition impérative : cette possibilité ne doit, dans la très grande majorité des cas, aucunement excéder le champ de la dette junior (dette subordonnée, supersubordonnée…). Les créanciers senior, c’est-à-dire chirographaires (créanciers interbancaires, obligataires, déposants…), ne peuvent être intégrés dans ce dispositif, sauf à le rendre inopérant, pour ne pas dire dangereux. Si le but du traitement de crise est bien de sauver l’établissement (going concern), y attraire les créanciers senior conduirait, à l’inverse, à paralyser immédiatement le fonctionnement de la banque (run des déposants, paralysie de l’interbancaire…) et à provoquer sa chute à la première rumeur de crise, fondée ou non. Procéder différemment conduirait à regarder l’intégralité du passif bancaire concerné comme subordonné ou subordonnable, avec les risques de fragilisation accrue et de dégradation de la rentabilité qui s’ensuivraient pour le secteur. L’éligibilité même des titres de banque au refinancement de l’Eurosystème pourrait être mise en doute. Les premières réactions recueillies auprès des investisseurs soulignent le risque élevé d’étiolement de la dette de marché senior, essentielle au refinancement des banques, au profit des instruments sécurisés (covered bonds) ou de la sortie de bilan (titrisations).
À noter qu’en dehors du cas d’Anglo Irish Bank (sujet à traiter sans doute de manière séparée en termes d’ampleur des pertes, mais aussi de stratégie de développement et de contrôle par les autorités de régulation), il semble qu’aucune crise de banque régulée n’aurait nécessité depuis 2007 une conversion au-delà de la dette junior pour rétablir les ratios de « core tier 1 » aux niveaux requis.
La situation de la dette senior ne peut être regardée différemment que dans le cas d’une dissolution ordonnée (disparition de l’entité juridique ou économique préexistante) mise en œuvre dans le cadre d’un régime spécial de résolution.
Mécanismes d’absorption des pertes : modalités en going concern
Ces mécanismes d’absorption des pertes, parfois génériquement qualifiés de bail in, recouvrent des instruments très différents :
- les titres de capital contingent, dont le déclencheur de réduction ou de conversion, automatique, est paramétré à l’émission (le seuil d’un ratio prudentiel, par exemple) ;
- les titres de bail in contractuel, dont le déclenchement, tel qu’inscrit au contrat, est laissé à la main du régulateur ;
- le bail in statutaire, correspondant à un pouvoir reconnu par la loi à l’autorité prudentielle, après réduction à zéro des droits des actionnaires existants, de réduire ou de convertir une partie du passif bancaire dès lors qu’elle estime que cela est nécessaire à la survie de l’établissement.
S’agissant du capital contingent et du bail in contractuel, il apparaît en principe souhaitable de ne considérer l’émission de ces instruments que comme une simple faculté à la disposition des banques. En revanche, il ne semble pas opportun d’accepter que ces instruments puissent être imposés sur le plan prudentiel pour augmenter la capacité d’absorption des pertes des institutions systémiques. Ils présentent en effet un paramétrage extrêmement complexe (notamment le bail in contractuel dans lequel le pouvoir de conversion repose sur des bases indéterminables a priori et pour lequel les clauses pourraient fortement varier d’un contrat et d’une juridiction à l’autre) et seront sans doute très difficiles à noter, tandis que la base d’investisseurs pour y souscrire a toutes les chances d'être fort étroite.
Surtout, on peut douter qu’ils apportent une véritable solution : leur masse serait sans doute trop limitée pour fournir une réserve prudentielle significative ; leur complexité pourrait se prêter aisément à contentieux, empêchant une application effective dans l’urgence ; enfin, même en cas de succès, leur conversion en capital se traduirait par l’entrée d’investisseurs nouveaux (hedge funds, distressed funds) dont l’objectif pourrait se heurter à celui de l’autorité prudentielle et à l’intérêt public.
Au total et dans l’état présent de l’analyse, de tels mécanismes de marché ne pourraient à eux seuls constituer une solution à une situation qui exige de toute façon l’intervention de l’autorité de résolution. En revanche, le bail in statutaire, limité comme indiqué à la dette junior, doit pouvoir constituer un instrument adéquat et pourrait en principe être privilégié dès lors que les deux conditions suivantes seraient remplies :
- obligation fixée à l’échelle internationale, ou a minima européenne, de mise en place dans les lois nationales d’un dispositif de bail in statutaire et définition harmonisée de ses modalités de fonctionnement ;
- pleine reconnaissance du bail in statutaire comme un instrument permettant de satisfaire la capacité supplémentaire d’absorption des pertes susceptible d'être exigée des institutions systémiques. Dans le cas où le bail in statutaire ne pourrait être reconnu comme un tel instrument, il pourrait être envisagé de recourir à du bail in contractuel adaptant ses modalités de telle manière qu’il s’apparente en pratique à du bail in statutaire (inscription d’une clause de bail in dans les contrats d’émission sur une base parfaitement standardisée au niveau international).
À noter que le bail in statutaire devrait nécessiter une adaptation propre aux établissements mutualistes pour lesquels il pourrait conduire à une désagrégation de la structure capitalistique. À cet égard, on peut souligner que se fait jour, à partir des émissions de capital contingent déjà réalisées, l’idée d’une préférence des investisseurs pour des titres de dette susceptibles d'être réduits et affichant un plafond de pertes plutôt que pour des titres convertibles en actions de plein exercice en cas de difficultés.
Mécanismes de résolution, fonds de résolution
Le traitement des crises bancaires, notamment systémiques, requiert sans conteste des outils complémentaires entre les mains de l’autorité de résolution : celle-ci doit pouvoir intervenir rapidement sur un établissement, mettre en œuvre une augmentation de capital, une cession d’actifs ou de fonds de commerce, une restructuration et jusqu’au démembrement de l’établissement (good bank, bad bank, bridge bank). Elle doit pouvoir aussi recourir, le cas échéant, à la force de frappe que constitue un fonds de résolution.
Pour des raisons de droit, d’efficience et d’égalité de concurrence, ces mécanismes doivent :
- être mis en place au travers du droit européen (ou au-delà) ;
- n'être contestables devant les tribunaux que sous forme indemnitaire (pas de remise en cause du fond) ;
- respecter les bases du droit de propriété et la hiérarchie des créances ;
- tout en permettant un traitement différencié entre créances de même rang (par exemple, dépôts ou passifs liés à un fonds de commerce, d’une part, obligations, d’autre part).
En conséquence, la résolution ne pourra être menée que pour autant qu’aucun créancier ne sera moins bien traité que dans le cas d’une liquidation pure, ou qu’il sera indemnisé en tant que de besoin. Dans ce seul cadre d’une dissolution ordonnée, et pour la partie d’un établissement traitée de cette manière, une réduction/conversion de dette allant au-delà des créances junior est par ailleurs, le cas échéant, envisageable.
Parce que des systèmes d’indemnisation, c’est-à-dire d’ajustement entre créanciers de même catégorie, devront être prévus, ou parce qu’il pourra s’agir de transférer les dépôts vers une entité saine ou encore de capitaliser une bridge bank, l’utilisation de financements préconstitués pourrait être nécessaire, et donc la mise en place de fonds spécifiques (de résolution).
Aujourd’hui, les fonds de garantie des dépôts sont déjà utilisés pour financer ex post, et pour certains ex ante, le coût de tout ou partie d’une crise bancaire. Pour des raisons d’efficience et de proximité, il sera nécessaire :
- que les fonds de garantie des dépôts acquièrent les pouvoirs d’intervention préventive leur permettant de remplir la fonction des fonds spécifiques évoqués ci-dessus ;
- d’exclure la constitution de fonds de résolution parallèlement aux fonds de garantie existants.
Au niveau communautaire, cela doit conduire à globaliser les discussions sur les mécanismes de résolution et sur la refonte de la directive relative à la garantie des dépôts. À noter que pour la France, les ajustements requis par rapport aux pouvoirs existants de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et du Fonds de garantie des dépôts seront limités. Mais ils seront déterminants, notamment le pouvoir reconnu à l’ACP de réduire les dettes d’un établissement.
Les living wills
Le sujet des living wills, susceptibles de décrire ex ante les possibilités de démembrement d’un établissement défaillant, apparaît très structurant pour les établissements bancaires et doit susciter pour le moment une grande prudence, dans la mesure où l’un des objectifs affichés de certains de leurs promoteurs est d’en faire un levier pour obtenir une modification de la structure des groupes transfrontières. Une telle modification ne plaide pas nécessairement en faveur du modèle français qui est pourtant l’un de ceux qui a le mieux résisté à la crise.
Les livings wills peuvent certes prétendre faciliter le démantèlement d’un groupe bancaire en cas de crise et sont sans doute relativement faciles à imaginer pour des établissements dont les différents métiers sont filialisés et donc relativement détachables. Mais on peut s’interroger sur la faisabilité effective de cet instrument face à des crises qu’il sera toujours difficile de prévoir. Il risque également de remettre en cause la centralisation de la trésorerie des établissements. Une fuite de ces documents en dehors du cercle des superviseurs pourrait être catastrophique pour l’établissement concerné. La gestion même de la communication d’un living will d’un superviseur home à un superviseur host n’est pas non plus sans soulever des questions. Enfin, rien n’empêche a priori un superviseur bancaire aujourd’hui d’avoir déjà ce type de dialogue avec les établissements qu’il contrôle.
En résumé, notre réflexion conduit à recommander pour la suite des débats européens et internationaux :
- l’exclusion d’une surcharge systémique ;
- un accord de principe sur la mise en place de mécanismes d’absorption des pertes en continuité d’exploitation (going concern), dès lors que les instruments de capital contingent et de bail in contractuel garderaient un caractère simplement facultatif, que le bail in statutaire serait pleinement reconnu comme un instrument permettant de réduire les risques liés aux institutions systémiques et que ce même bail in statutaire resterait limité au champ des créanciers subordonnés (junior). La réduction de dette senior serait ainsi exclue. Elle ne serait envisageable que dans le cadre de la dissolution ordonnée d’un établissement (gone concern), ne relevant pas de la continuité d’exploitation ;
- l’instauration de pouvoirs nouveaux au profit de l’autorité prudentielle pour imposer une augmentation de capital ou démembrer un établissement ;
- une extension correspondante des possibilités d’intervention des fonds de garantie des dépôts et le refus de la constitution de fonds de résolution parallèles ;
- une attitude de prudence sur le sujet des living wills.
À ce stade des discussions, il convient enfin de mettre en avant trois constats essentiels.
Le cumul des différentes mesures envisagées par la communauté internationale pour mieux prévenir et gérer les crises bancaires constitue en soi un redoutable défi pour le secteur bancaire et un très fort sujet d’inquiétude. Aux mesures évoquées ici s’ajoutent en effet le renforcement des exigences prudentielles (Bâle III), l’augmentation de la taille des fonds de garantie des dépôts, une refonte en Europe des mécanismes de garantie des investisseurs (assortie d’une croissance très marquée de la taille des fonds de garantie correspondants) ainsi que les projets de taxe bancaire.
Les différentes mesures envisagées, notamment celles portant sur le relèvement des exigences de solvabilité, à titre systémique ou non, mais aussi toutes celles qui impactent le refinancement des banques pousseront à l’accroissement de la fragmentation des bilans bancaires (covered bonds, obligations foncières ou à l’habitat) et du hors bilan (titrisations). Elles conduiront donc à remettre en cause le mode de financement de l’économie en Europe continentale, au profit d’un mode de financement de type anglo-saxon, et à déplacer vers le secteur financier non régulé (shadow banking system) une partie du risque systémique que l’on cherche à combattre.
Ceci soulève d’autant plus la question du contrôle du risque systémique au sein du système non régulé. Le sujet des institutions bancaires et du risque systémique qu’elles portent relève en partie d’une réflexion plus générale encore sur la régulation. La plupart des mesures examinées défrichent insuffisamment le volet essentiel de la prévention. Or celle-ci ne passe pas seulement par la surveillance individuelle des établissements. Elle suppose aussi et plus encore une vision globale du marché et des risques qui s’y créent. Cela renvoie notamment à la mise en place de capacités d’observation, d’analyse et d’évaluation des activités de marché à caractère systémique afin de pouvoir identifier les évolutions des risques macrofinanciers ou de liquidité. Cela renvoie également à une réflexion quant à la place que doivent occuper dans les équilibres financiers les dépôts bancaires, d’un côté, et les OPCVM monétaires, de l’autre côté, et, par là, aux responsabilités respectives du régulateur de marché (Autorité des marchés financiers – AMF) et du régulateur prudentiel (ACP) ainsi qu’à la coordination de leur action.