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 Trading à haute fréquence : empreinte de marché et enjeux de régulation


Luc GOUPIL Maître de conférences, Institut d’études politiques de Paris (IEP).

Le trading à haute fréquence (THF) désigne les stratégies d’investissement exécutées par des algorithmes combinant l’extraction et l’analyse de l’information de marché et l’actualisation des positions d’achat et de vente à une fréquence toujours croissante, aujourd’hui inférieure à la milliseconde. Les résultats empiriques soulignent son effet positif sur l’efficience des prix et la liquidité des marchés, même si la significativité économique de son apport reste à préciser. Le THF interpelle le régulateur dans la mesure où il exerce des externalités sur les autres participants de marché et peut contribuer à exacerber des perturbations de marché. La maîtrise de ses effets suppose une mise à jour des instruments de supervision et de la doctrine de régulation. Pour garantir la stabilité, l’intégrité et l’équité des marchés financiers, les régulateurs doivent adopter une approche globale incluant non seulement les traders haute fréquence, mais aussi leurs contreparties potentielles ainsi que les plateformes de négociation.

Bien qu’ils représentent collectivement des volumes d’échanges majoritaires sur les principaux marchés actions, les traders haute fréquence, et surtout leur impact sur les marchés, sont mal connus. Le trading à haute fréquence (THF) désigne l’extraction quasi instantanée de l’information de marché par des ordinateurs et l’actualisation des positions d’investissement pour compte propre en conséquence. L’usage intensif des technologies de l’information ne constitue pas une spécificité du THF. Les marchés ont été parmi les premiers à s’informatiser dès les années 1970. Le NYSE (New York Stock Exchange, la Bourse de New York) introduisant, par exemple, en 1976 le système de cotation DOT (designated order turnaround) permettant un routage direct des ordres vers le marché sera suivi par l’ensemble des autres places de cotation au cours de la décennie suivante. Le THF doit aussi être distingué du trading algorithmique (TA) dont il constitue un sous-ensemble. Le TA peut être défini comme « la mise en œuvre automatisée de stratégies d’investissement et d’échanges » (Foucault, 2013) et rend compte d’une partie importante des volumes d’échanges du fait de sa généralisation parmi les brokers exécutant pour compte de client. Son usage vise à atténuer l’impact de marché des ordres afin de minimiser le coût total d’exécution d’une stratégie qui peut s’étaler sur un horizon de moyen terme. Par différence, les THF suivent des stratégies dont l’horizon ne dépasse pas la séance en cours et leur profitabilité repose essentiellement sur leur capacité à opérer avec un temps de latence (la vitesse d’interaction avec le marché) minimal.

Produit conjoint des évolutions des technologies de l’information et de l’organisation industrielle des marchés financiers, le THF affecte en retour leur fonctionnement, dans une mesure encore mal connue en l’état actuel de la connaissance académique. Très présent dans les activités de tenue de marché, il contribue structurellement à remodeler la chaîne d’intermédiation et le partage du gain à l’échange le long de cette chaîne. Un épisode tel que le flash crash de mai 20101 a par ailleurs mis en lumière l’importance du THF dans la compréhension et la prévention du risque systémique. Les questions auxquelles la recherche devra répondre dans les années qui viennent peuvent être formulées au prisme de la notion classique de surplus à l’échange généré par les transactions financières. Le THF peut tout d’abord affecter le niveau du surplus à l’échange : dans des conditions de marché raisonnables, dans quelle mesure le THF accroît-il l’efficience des échanges sur les marchés financiers ? Il peut aussi influencer sa distribution : comment se partage la valeur économique qu’il crée ? Enfin, il affecte sa variabilité : l’écosystème de marché, dont il est à la fois un produit et une force de transformation, se caractérise-t-il par des épisodes d’instabilité financière extrême plus fréquents et plus coûteux ?

En contribuant à transformer le fonctionnement de l’intermédiation, le THF interpelle le régulateur au titre des externalités qu’il exerce, d’une part, sur ses concurrents et, d’autre part, sur les clients finals. À n’en pas douter, sa montée en puissance dans la tenue de marché sur les actions les plus liquides relève pour partie d’une logique schumpétérienne d’éviction des intermédiaires moins efficaces. De fait, la gestion du risque à haute fréquence constitue un avantage comparatif qui permet d’offrir des spreads de tenue de marché plus étroits. Il appartient cependant au régulateur de s’assurer que cet avantage comparatif s’exerce sans préjudice de la transparence et de l’équité des conditions d’échange et de la stabilité financière. Au titre de la transparence, le THF apparaît symptomatique d’un phénomène plus général de dégradation, au moins perçue, de la lisibilité et de la prévisibilité des transactions. Le rétablissement de la confiance dans le fonctionnement équitable des marchés financiers suppose a minima une mise à niveau de la capacité de supervision et implique également une évolution plus large de la doctrine de régulation et des instruments de la surveillance des marchés. La mission de préservation de la stabilité financière implique, quant à elle, une double réflexion sur les mesures d’encadrement de l’activité des THF et, dans une perspective plus globale, sur les évolutions de l’organisation des échanges et l’opportunité d’un marché dominé par des acteurs à haute fréquence.

Cet article présente dans un premier temps les spécificités de l’industrie du THF et sa place sur les marchés financiers actuels. La deuxième partie propose une lecture des effets du THF sur les marchés financiers à partir des résultats issus des recherches académiques. La troisième partie rend compte de ses implications pour les autorités de supervision et de régulation.

Le THF : un acteur de marché devenu incontournable

Même si l’industrie se caractérise par la diversité des stratégies mises en œuvre, le THF apparaît bien comme un produit issu de l’innovation technologique et de l’évolution de la structure des marchés qu’elle induit. En retour, la place centrale acquise par le THF contribue à transformer l’ensemble de l’organisation des marchés financiers et des pratiques de leurs acteurs.

Les spécificités de l’activité du THF

Bien que sa définition soit encore ouverte à consultation de la part des régulateurs européen et américain, la spécificité du THF peut être appréhendée grâce à la typologie proposée par Hasbrouck et Saar (2011) qui distinguent les agency algorithms des proprietary algorithms2. Les premiers, principalement utilisés par les broker-dealers et les investisseurs institutionnels afin de minimiser les coûts d’exécution, correspondent au TA au sens générique. Les proprietary algorithms quant à eux sont conçus pour formuler et mettre en œuvre des stratégies de trading à horizon infrajournalier par l’exploitation instantanée des données de marché, en limitant autant que possible l’exposition à la clôture. En d’autres termes, les agency algorithms préservent le rendement de stratégies d’investissement données par la minimisation des coûts d’exécution et les proprietary algorithms visent à créer du rendement sur la base de l’extraction des signaux de marché. Biais et Woolley (2011) estiment que les stratégies des THF ont de spécifique le fait de s’attacher à extraire des variations de prix – et des mouvements du carnet d’ordres de façon plus générale – de l’information sur les stratégies de trading mises en œuvre par d’autres participants, dans la perspective de les exploiter à très court terme. Les algorithmes des THF exploitent ainsi des flux d’informations automatisés (data feeds) à la lumière de modèles économiques ou statistiques qui décrivent non seulement l’évolution des valeurs fondamentales des actifs, mais aussi du carnet d’ordres. À l’instar des autres intervenants de marché, les allocations de portefeuille des THF sont déterminées par la confrontation entre les conclusions dérivées de ces modèles, d’une part, et les contraintes de gestion du risque, d’autre part. Du fait de leur faible capitalisation, ces contraintes sont particulièrement mordantes pour les THF, notamment en termes de limites de position, ce qui peut porter à conséquence lors d’épisodes de stress de marché.

L’empreinte spécifique du THF sur les marchés, notamment en termes de comportements de passage et d’annulation d’ordres, découle de leur horizon d’investissement et de la nature diverse de leurs stratégies plutôt que de la vitesse de leurs opérations en elle-même. Les caractéristiques retenues dans la version actuelle du projet de révision de la directive MIF (marchés d’instruments financiers) peuvent être comprises dans cette perspective3. En première approche, on peut distinguer les stratégies, selon qu’elles relèvent du market making ou de l’arbitrage (Hasbrouck et Saar, 2011). L’electronic market making consiste à prendre des positions sur de multiples actifs simultanément et pour des périodes de temps extrêmement courtes afin d’extraire la marge de tenue de marché pour un risque minimal. La réduction du temps de latence permet d’améliorer la gestion du risque de l’activité de tenue de marché en réduisant les risques de sélection adverse, c’est-à-dire de confrontation avec une contrepartie supérieurement informée (Jovanovic et Menkveld, 2011). Indépendamment de leur possible appropriation par les THF, les gains à l’échange créés par les teneurs de marché à haute fréquence résultent d’une optimisation de la gestion du risque impliquant des ratios d’activités (nombre d’ordres passés, annulés et exécutés) élevés. L’arbitrage recouvre deux types de stratégies : l’arbitrage par consolidation des prix entre plates-formes (latency arbitrage) et le statistical arbitrage qui exploite les modèles potentiellement complexes des relations statistiques entre prix d’actifs ou états successifs du carnet d’ordres dans le but de repérer et d’exploiter les déviations temporaires des prix de leur valeur théorique. Ces stratégies utilisent plus intensivement des positions directionnelles et impliquent donc un niveau de risque supérieur. À un degré intermédiaire de sophistication et de risque directionnel se trouvent les stratégies fondées sur les relations structurelles entre actifs (par exemple, entre un actif et un dérivé ou entre des paires de devises sur le marché des changes).

Trois types d’acteurs peuplent le paysage du THF. En premier lieu, banques et broker-dealers utilisent intensivement le TA et constituent des acteurs du THF dans la mesure où ils le font pour compte propre. En second lieu, de nombreux hedge funds d’importance (Citadel, Renaissance, DE Shaw, SAC) consacrent tout ou partie de leurs moyens au THF. Enfin, en troisième lieu, existent un petit nombre de firmes indépendantes spécialisées (GETCO, Tradebot, IMC, Optiver, Sun Trading, RGM Advisors). Deutsche Bank Research (2011) estime qu’en 2010, sur les marchés d’actions américains, 48 % du volume THF est réalisé par des firmes indépendantes, 46 % par des banques et des broker-dealers pour compte propre et 6 % par des hedge funds.

Les parts de marché détenues par les THF sont difficiles à estimer dans la mesure où ils n’interviennent pas toujours en tant que tels sur les marchés, comme dans le cadre d’accords d’accès avec leurs brokers (direct market access). Quelques faits se dégagent néanmoins. La pénétration du THF est plus profonde aux États-Unis qu’en Europe. Le groupe Citadel estime ainsi (ESMA, 2011) que le THF représente 33 % du volume sur les actions européennes, contre 58 % aux États-Unis en 2010. Themis Trading (2009a) avance une part de marché de 70 % aux États-Unis. Dans l’échantillon de 120 titres du Nasdaq et du BATS entre 2008 et 2010 de Brogaard (2011), le THF représente 69 % de la part du volume total échangé.

Les THF réalisent une part des échanges d’autant plus importante que les marchés sont profonds et liquides, au premier rang desquels les principaux marchés actions. Brogaard (2011) trouve que la participation des THF croît avec la capitalisation totale et la liquidité des titres. Hendershott et al. (2011) rapportent également une activité algorithmique croissante avec la taille des titres. Viennent ensuite les marchés de futures sur lesquels le THF représenterait 45 % des volumes échangés en 2010 (AITE Group, 2010), les marchés d’options (25 %), les marchés des changes (25 %) et les marchés d’obligations (10 %). Sur le marché des changes, Chaboud et al. (2009) avancent ainsi que le TA en général représentait de 60 % à 80 % du volume sur le marché des changes pour les paires de devises les plus liquides (euro-dollar, dollar-yen et euro-yen) en 2007.

Du fait de leur modèle de fonctionnement privilégiant le volume sur les marges, les THF réalisent des marges très minces par transaction. Brogaard (2011) infère de son échantillon une profitabilité de 0,0075 %. Ses calculs impliquent un profit total sur les marchés d’actions américains compris dans une fourchette de 2,8 Md$ à 4,2 Md$.

Produit des évolutions technologiques et réglementaires, le THF rétroagit sur l’écosystème de marché

La technologie constitue d’évidence le moteur du développement du THF comme de l’informatisation des marchés de façon générale : les marchés algorithmiques précèdent les traders algorithmiques et a fortiori les THF. De plus, l’activité des THF est économiquement pertinente dans un environnement de concurrence entre lieux de négociation : le THF permet alors la consolidation de l’information et la convergence quasi instantanée des prix entre marchés. La capacité à opérer avec un temps de latence minimal est alors cruciale d’un point de vue concurrentiel. Les contextes américain et européen doivent à cet égard être distingués. Aux États-Unis, l’absence historique de monopole boursier a donné lieu à une multiplicité de lieux de cotation, qui s’est vue accentuée avec le développement de plates-formes automatisées (electronic communication networks, alternative trading systems), telles qu’Island ou Archipelago dès les années 1990, ou plus récemment BATS ou DirectEdge. Cette concurrence a été réglementairement actée et organisée de longue date. La mise à jour réglementaire de 2005 (Reg NMS) pousse ainsi le principe de concurrence jusqu’à obliger les plates-formes à rediriger les ordres vers le concurrent le mieux-disant le cas échéant (trade-through rule). En Europe, l’explosion du volume d’échanges réalisé par le THF coïncide durant la dernière décennie avec la transition d’un marché concentré autour des monopoles historiques nationaux à un marché multipolaire, dans le sillage de la directive MIF. La fin de la concentration des ordres a permis à des acteurs tels que Chi-X, BATS Europe ou Turquoise de gagner des parts de marché significatives sur les marchés européens. Même si la directive MIF instaure une concurrence entre plates-formes et entre traders moins pure que celle qui prévaut aux États-Unis, en autorisant, par exemple, Euronext à intercaler un critère d’inscription comme membre de marché entre le critère de prix et le critère de temps, la multiplicité des plates-formes incite ces dernières à attirer les flux d’ordres des THF par des politiques tarifaires ou de diffusion de l’information qui contribuent grandement à la profitabilité de leur activité (Menkveld, 2013).

Le développement du TA, et en particulier du THF, contribue en retour à remodeler l’organisation des échanges sur les marchés financiers. La présence d’acteurs THF compétitifs permettant aux plates-formes d’attirer des volumes d’échanges via les règles de meilleure exécution, particulièrement aux États-Unis. Les plates-formes sont incitées à mettre en place des dispositifs de subvention, des flux d’ordres des THF, dits de « liquidity rebates »4. Une autre possibilité est de proposer des remises de frais en fonction du volume et des coûts d’exécution. Foucault et al. (2013) documentent l’étendue de ces subventions croisées entre offreurs et consommateurs de liquidité et montrent qu’une tarification asymétrique permet d’optimiser la liquidité offerte par un marché. Plus spécifiquement dédiées aux THF, mais aussi plus contestables du point de vue de l’équité des marchés, la location par les plates-formes de serveurs dans leurs locaux (colocation) ou la vente de flux d’informations privilégiées (Cespa et Foucault, 2013) participent également d’une politique d’attraction des THF.

L’empreinte du THF sur les marchés

Plusieurs travaux empiriques signalent de manière concordante la contribution du THF à l’efficience des prix d’actifs et à la liquidité des marchés sur lesquels ils sont présents. Il reste cependant à mieux intégrer au sein d’une évaluation globale de la significativité économique de l’apport du THF la qualité de cet apport en liquidité, son inégale distribution selon les caractéristiques des actifs et le passage des gains à l’échange aux investisseurs finals.

Dans un marché de plus en plus fragmenté, le THF contribue à la consolidation de l’information et des prix entre plates-formes de négociation

De par la nature même de son activité, le THF contribue positivement à la consolidation de l’information et des prix entre marchés. Bien qu’il soit difficile de mener une analyse contrefactuelle tout à fait robuste de l’évolution de la convergence interplates-formes des prix en fonction de l’intensité de l’activité du THF, il existe, à cet égard, des indications convaincantes du rôle positif du THF. Par exemple, Brogaard (2011) montre qu’au cours d’une journée, les meilleures offres consolidées d’achat et de vente (au sens non strict) sur les marchés actions américains dans leur ensemble (national best bid offer − NBBO) sont postées pendant 65 % du temps par des THF. Menkveld (2013) montre de son côté que la participation de la firme de THF Getco à l’animation de la plate-forme Chi-X contribue fortement à la compétitivité des cotations de cette dernière par rapport au marché historique (Euronext). La fonction de consolidation des marchés des THF est complémentaire de l’émergence de nouvelles plates-formes dans le processus d’érosion du pouvoir de monopole des marchés historiques, phénomène qui enveloppe les effets concurrentiels positifs de pression à la baisse sur les commissions d’exécution des plates-formes.

La question de savoir si les THF contribuent à l’efficience des marchés au-delà de leur fonction de consolidation de l’information et des prix reste empiriquement ouverte. Si tel est le cas, l’impact des ordres passés et exécutés par les THF devrait correspondre plus fréquemment à un changement de valeur fondamentale que quand d’autres acteurs effectuent les mêmes opérations, c’est-à-dire être en moyenne plus persistant. Brogaard et al. (2013) indiquent que les échanges réalisés par les THF sur les marchés actions ont un contenu informationnel supérieur à ceux des autres acteurs. Selon les résultats de Hendershott et al. (2011), ce sont les ordres passés – mais non nécessairement exécutés – par les THF qui améliorent l’incorporation de l’information dans les prix. Cependant, Brogaard (2011) note que ce résultat ne vaut que pour les moyennes et grosses capitalisations et s’inverse même pour les petites capitalisations. De surcroît, Chaboud et al. (2009) trouvent que les ordres passés par les agents humains contiennent plus d’informations que ceux des THF sur le marché des changes.

L’ampleur de l’impact du THF sur les coûts d’exécution reste incertaine dans l’état actuel des travaux académiques

La baisse de l’impact de marché des ordres et des spreads ainsi que leur rôle de mise en concurrence des plates-formes et de consolidation de marché indiquent que le THF a un effet positif sur les coûts totaux d’exécution. Tout d’abord, une partie des coûts de transaction correspond au coût de recherche du meilleur prix consolidé. À cet égard, en contribuant à la convergence des prix entre marchés, le THF devrait conduire à une réduction des coûts de transaction. De plus, Hendershott et al. (2011) montrent que, au moins sur les titres à forte capitalisation, le TA permet aux offreurs de liquidité de diminuer les coûts de sélection adverse. Cette gestion optimisée du risque de sélection adverse participe de leur capacité à offrir des spreads plus étroits, ce qui constitue également un facteur de baisse des coûts, et à réduire l’impact de marché des ordres.

La baisse des coûts de transaction unitaires, mise en évidence, par exemple, dans Foucault et Menkveld (2008), ne signifie pas nécessairement que le coût total d’exécution d’un ordre d’une taille donnée diminue d’autant pour l’investisseur. Un tel hiatus est possible si les investisseurs doivent, du fait de l’environnement de marché plus complexe, mais aussi pour minimiser leur impact de marché, recourir à des stratégies de fractionnement des ordres génératrices d’un volume de commissions supérieur à celui prévalant auparavant, ou s’ils doivent engager des dépenses conséquentes de mise à niveau de leurs infrastructures. La perception de l’évolution des coûts d’exécution par les investisseurs institutionnels peut aussi être parasitée par la complexité accrue de l’environnement de marché de manière générale.

La réponse à cette question pourrait venir d’une étude systématique de l’évolution du coût total d’exécution des gros ordres, qui distinguerait l’effet de la fragmentation accrue du marché, de la réduction tendancielle de la taille des ordres5 et de l’apport spécifique du THF.

Que vaut la liquidité offerte par les THF ?

Il est établi de manière robuste que le THF a un effet moyen positif sur la liquidité des marchés actions en réduisant la taille des spreads réalisés et cotés. Haasbrouck et Saar (2011) trouvent que quand la part des échanges à faible latence augmente dans le carnet d’ordres du Nasdaq, les spreads cotés ont tendance à baisser, que le marché exhibe une volatilité anormalement élevée ou pas. Hendershott et al. (2011) montrent que le TA augmente la liquidité et réduit les spreads sur les actions du NYSE. L’étude de Brogaard (2011) conclut également qu’une présence accrue du THF exerce une pression à la baisse sur la largeur des spreads. Les résultats de Menkveld (2013) suggèrent que la présence de Getco sur Chi-X permet une amélioration significative de la liquidité offerte sur cette plate-forme. Enfin, Chaboud et al. (2009) concluent à un effet bénéfique du THF sur la liquidité du marché des changes.

Pour évaluer l’effet du THF sur la liquidité, plusieurs aspects complémentaires doivent être pris en compte. Des doutes sont souvent exprimés quant à la redondance, la robustesse aux conditions de marché, la profondeur et la significativité économique de la liquidité offerte par le THF. Une question connexe est celle de l’appropriation des gains à l’échange par l’industrie du THF au détriment des autres acteurs de marché.

Les bénéfices du THF en termes de liquidité sont inégalement distribués selon les caractéristiques des actifs. Sur les marchés actions, l’effet du THF varie selon la capitalisation des titres. Selon Brogaard (2011), les THF fournissent plus de liquidités sur les grosses capitalisations du Nasdaq que sur les petites. Dans l’échantillon de Hendershott et al. (2011), l’effet est positif sur les grosses capitalisations et non significatif sur les petites et moyennes capitalisations. Certains résultats dans Brogaard (2011) indiquent également que la participation du THF à la liquidité des titres dépend de leur volatilité idiosyncratique. La liquidité supplémentaire apportée par le THF est donc en partie redondante, puisque concentrée sur les titres qui sont initialement les plus liquides. Sous cet aspect, l’activité de THF apparaît peu pertinente en termes d’animation de marché, son bénéfice se résumant à son effet sur les spreads des plus grosses capitalisations.

La fourniture de liquidités par les THF semble robuste à des périodes de volatilité accrue. Brogaard (2011) rapporte une participation plus intense du THF aux échanges les jours où la volatilité de marché (mesurée par l’indice VIX) est plus forte, même si dans de telles situations de marché, les THF ont tendance à augmenter plus fortement leur demande que leur offre de liquidité. Hasbrouck et Saar (2011) contrastent une période de conditions de marché « normales » sur 200 actions échangées sur le système Inet du Nasdaq (juin 2007) et une période de stress de marché (octobre 2008) caractérisée par une plus forte volatilité, et concluent dans les deux cas que le THF conduit à une diminution des spreads et à une profondeur accrue. Hendershott et Riordan (2011) montrent que les TA offrent de la liquidité quand elle est rare (et donc plus fortement rémunérée). Sur le marché des changes, selon les résultats de Chaboud et al. (2009), les THF augmentent leur offre de liquidité dans l’heure suivant la publication d’informations macroéconomiques, potentiellement génératrices d’un surcroît de volatilité. En revanche, la liquidité qu’ils apportent n’a pas contribué à stabiliser le marché lors du flash crash de mai 2010. Selon Kirilenko et al. (2011), bien que les THF aient initialement absorbé une partie de la pression vendeuse sur le marché des futures sur le S&P 500, le débouclage rapide de leurs positions, commandé par leurs limites de position, les a empêchés d’enrayer la baisse des prix. Les auteurs en concluent qu’ils n’ont ni causé, ni amplifié le flash crash, mais qu’ils ont échoué à en modérer l’ampleur6.

Le retrait des teneurs de marché à haute fréquence au cours du flash crash reflète une caractéristique plus générale de leur offre de liquidité, à savoir le peu de profondeur à laquelle elle est associée. Brogaard (2011) trouve que la contribution des THF à la profondeur du carnet d’ordres est quatre fois moins importante que celle des acteurs non-THF. Dans Hendershott et Riordan (2011), le lien entre profondeur disponible à la meilleure cotation et présence de TA n’est pas robuste à la mesure de la profondeur.

L’évaluation de la significativité économique des apports du THF en termes d’évolution des coûts d’exécution, d’efficience de marché et de liquidité constitue un exercice délicat d’un point de vue empirique en l’absence d’une métrique univoque. Le modèle de fonctionnement des THF ainsi que certains résultats empiriques donnent à penser que la valeur créée par les THF pour l’ensemble des autres acteurs de marché est en tout état de cause faible.

Le THF monopolise-t-il les gains à l’échange ?

À supposer que les économies de coût permises par le THF soient significatives, il ne va pas de soi que les contreparties des THF en profitent. Comme dans toute industrie, la répartition des gains à l’échange dépend du caractère concurrentiel de l’offre. Hendershott et al. (2011) reportent ainsi une augmentation des profits agrégés des offreurs de liquidité à la suite de l’automatisation de la cotation sur le NYSE, due à la faible intensité de la concurrence entre traders algorithmiques, suivie d’une compression des profits consécutive à l’entrée de nouveaux concurrents sur ce segment dans la seconde partie des années 2000. Celent Research (2011) estime que le taux de pénétration du THF a d’ores et déjà atteint son pic en Europe et aux États-Unis. Pour Friederich et Payne (2011), la période d’expansion rapide du secteur touche à sa fin, comme en témoigne la moindre profitabilité de l’acteur THF marginal sur les marchés d’actions britanniques. Menk-veld (2013) note également que les revenus des teneurs de marché électroniques déclinent à la fin des années 2000 avec l’augmentation de la pression concurrentielle, même si l’estimation du profit est sensible aux hypothèses sur le coût de capital. À l’opposé, Foucault (2013) estime que la concentration persistante du secteur (mesurée par le rapport entre le nombre de firmes de THF et leur part de marché agrégée) invite à penser qu’elles continuent de bénéficier de pouvoir de marché. La question de l’appropriation des gains à l’échange par les THF doit également être abordée du point de vue de l’interaction entre THF et acteurs non-THF. La vitesse de réaction qui leur permet d’optimiser leur gestion du risque et de proposer des spreads plus étroits peut aussi contribuer à reporter le risque d’antisélection en réalisant des échanges avec des contreparties n’ayant pas encore intégré l’arrivée d’information nouvelle. L’externalité négative sur les acteurs plus lents peut conduire ces derniers à poster ex ante des ordres moins compétitifs, voire à renoncer à des marchés où les volumes sont accaparés par les THF (Biais et al., 2011). Leur avantage de réactivité peut aussi permettre aux THF de s’approprier les gains à l’échange non plus en intégrant plus vite l’information nouvelle, mais en anticipant les ordres à venir. Brogaard (2011), par exemple, trouve que les THF anticipent une partie des ordres, même s’il conclut qu’ils ne sont pas capables de le faire systématiquement.

De plus, la concurrence des THF réduit les revenus des autres teneurs de marché, selon une logique schumpétérienne classique, à ceci près que les gains pour l’investisseur final sont incertains si les THF parviennent à positionner leurs ordres en haut du carnet d’ordres en vertu de leur avantage de vitesse (time priority), plutôt qu’en améliorant les prix proposés par d’autres teneurs de marché (price priority). Des indications de ce type de stratégies, souvent dénoncées comme une forme de front running (par exemple, Themis Trading, 2009b), peuvent être trouvées dans Brogaard (2011) : alors que les THF fournissent les meilleures cotations au sens non strict pendant 65 % du temps, ce chiffre descend à 20 % pour les meilleures cotations au sens strict. Leur prééminence dans les échanges refléterait alors en partie leur capacité à poster plus rapidement des ordres qualitativement identiques à ceux de leurs concurrents.

Enjeux de régulation

D’évidence, pour garantir la stabilité, l’intégrité et l’équité des marchés, le THF appelle une mise à jour des instruments de supervision et de régulation à la disposition des autorités compétentes. La régulation du THF doit être comprise dans une perspective large, d’une part, prenant en compte son insertion dans le paysage actuel du trading et, d’autre part, faisant autant que possible le lien entre les sources de bénéfice de l’activité et ses possibles effets indésirables.

Le THF pose en de nouveaux termes des questions classiques d’équité d’accès à l’information et de manipulation de marché

Une partie des enjeux d’équité de marché posés par le THF émerge de son interaction avec les modèles économiques des plates-formes d’échanges. En complément des politiques tarifaires, les plates-formes d’échanges se sont dotées, pour attirer les THF, de mécanismes d’accès privilégiés à l’information. Les dispositifs tels que ceux de direct feed (flux de données de carnets d’ordres augmentés proposés en temps réel aux THF) autorisent ainsi une meilleure exploitation de l’information contenue dans le flux d’ordres. La colocation peut également être considérée comme une forme d’accès discriminé à l’information. Ces pratiques, en magnifiant l’avantage de vitesse des THF, voire en le doublant d’un avantage en termes de contenu informationnel, peuvent faciliter la mise en œuvre de stratégies anticipatoires confinant à la manipulation de marché. De plus, dans la mesure où les plates-formes sont individuellement incitées à surinvestir dans la réduction du temps de latence au regard de l’optimum social (Biais et al., 2011) et à trop subventionner l’activité de THF car sa présence leur permet de gagner des parts de marché (Menkveld, 2013), il est légitime de réfléchir à un encadrement des pratiques tarifaires, des conditions de dissémination de l’information et des politiques d’investissement en infrastructures. À ce titre, la diffusion gratuite (ou au coût marginal) de l’information par une consolidated tape ou un carnet d’ordres européen consolidé contribuerait à réduire la disparité entre acteurs dans l’accès à l’information.

Les ruptures d’équité dans l’accès à l’information présentent en outre le risque de favoriser des stratégies de THF assimilables à de la manipulation de marché. Les comportements d’anticipation d’ordres (front running), qui consistent à inférer de l’évolution du carnet d’ordres l’arrivée imminente d’un ordre important d’achat ou de vente, peuvent ne découler que de la vitesse de réaction des THF et de la qualité de leurs modèles statistiques et ne pas relever de l’abus de marché. Néanmoins, ces stratégies sont considérées par la SEC (2010) comme potentiellement manipulatoires et peuvent être facilitées par la dissémination asymétrique de l’information ou l’autorisation d’usage de certains types d’ordres (flash orders, pinging orders).

Le différentiel de vitesse entre les THF et les autres participants de marché ouvre la voie à de nouvelles formes de manipulation de marché des premiers au détriment des seconds. Les stratégies dites de smoking et de quote ignitions consistent à poster dans un premier temps des ordres à prix attractifs pour attirer un flux d’ordres symétrique, puis à annuler les premiers ordres et à passer une seconde série d’ordres qui sont exécutés de manière profitable contre le flux d’ordres entrant. Le layeringconsiste à combiner des ordres cachés et des ordres publics afin d’exécuter au meilleur prix. Un trader peut placer de façon transparente des ordres de vente à un prix inférieur au prix de marché afin de susciter une pression vendeuse, exécuter un achat au nouveau prix via un ordre caché et annuler ses ordres de vente avant qu’ils ne deviennent eux-mêmes exécutables. Le quote stuffing suppose de placer un important volume d’ordres voués à ne pas être exécutés afin de surcharger les systèmes de traitement des plates-formes ou algorithmes d’analyse des compétiteurs (éventuellement THF) et d’obtenir un avantage de vitesse suffisant à exploiter prioritairement les informations de marché pertinentes. Dans tous les cas, la capacité des THF à anticiper l’évolution du carnet d’ordres et à inverser assez rapidement leurs positions joue un rôle crucial.

Enfin, les interactions entre THF ou entre THF et TA peuvent être génératrices de formes nouvelles d’abus de marché. Les stratégies de type algo-sniffing visent, par exemple, à inférer de l’historique des positions prises par un algorithme tiers les déterminants de son comportement. Puisque les TA et les THF sont soumis à des contraintes de risque d’inventaire fortes, une possibilité est d’estimer la valeur de leur limite de position afin d’exploiter les mouvements automatiques de rééquilibrage.

La surveillance des pratiques potentiellement abusives du THF suppose de rendre les autorités de surveillance à nouveau aptes à superviser et analyser les données de marché. La proposition de révision de la directive sur les abus de marché (MAD – Market Abuse Directive) mentionne au premier chef la nécessité de mieux identifier les stratégies haute fréquence problématiques. La SEC (2013) soutient le perfectionnement et l’unification des fichiers de données postmarché des différentes plates-formes en un fichier unique (consolidated audit trail) qui permettrait au régulateur d’identifier l’ensemble des ordres passés et exécutés. Cette infrastructure pourrait, par exemple, être financée par une surtarification des plus gros consommateurs d’infrastructures, selon une logique de pollueur-payeur. Les derniers développements des travaux de la Commission européenne envisagent des mesures similaires.

Le THF met à l’épreuve la résilience technique des systèmes de négociation et appelle un encadrement renforcé du fonctionnement des infrastructures d’échanges

Au niveau des plates-formes prises individuellement, le nombre élevé d’ordres postés et non exécutés par les THF présente un risque de congestion et donc de rupture de la continuité de fonctionnement et de l’intégrité des marchés. De nombreux acteurs de marché, rejoints par certains académiques (par exemple, Biais et Woolley, 2011 ; Egginton et al., 2012), estiment ainsi qu’une partie du flux de messages en provenance des THF est imputable à des stratégies de type quote stuffing. Gai et al. (2012) détectent ainsi sur le Nasdaq des corrélations plus élevées entre les volumes de messages sur les actions dont le traitement passe par le même canal informatique, indice d’un comportement de congestion délibéré de la part de THF. Egginton et al. (2012) calculent qu’en 2010, 74 % des actions cotées aux États-Unis ont été sujettes à des épisodes de quote stuffing. Premières concernées, les plates-formes internalisent une partie des incitations à contrôler le volume total des ordres. À titre d’exemple d’une pratique largement répandue, le dispositif du Nasdaq pénalise de 0,1 cent à 1 cent par ordre (selon ses caractéristiques) les acteurs qui envoient plus de 1 million de messages dans la journée tout en générant moins de 1 échange pour 100 messages. Les politiques tarifaires mises en place par les plates-formes ne sont toutefois pas nécessairement optimales du point de vue de la stabilité financière, d’une part, parce qu’elles sont sous-incitées à mettre en place les mesures nécessaires par la concurrence qu’elles se livrent pour attirer les THF et, d’autre part, car des tarifications individuellement optimales peuvent être mal coordonnées dans un environnement de trading multipolaire (SEC, 2013). Dans cette perspective, une taxation assise sur le volume d’ordres des THF (à l’exemple de la taxe française sur les annulations d’ordres) apparaît justifiée. Il faut cependant garder à l’esprit que la taxation présente l’effet indésirable de cibler la source même des bénéfices de l’activité, particulièrement s’il s’avère que les stratégies de tenue de marché impliquent des ratios d’activités relativement plus élevés que les stratégies d’arbitrage. Au risque de créer des distorsions de concurrence entre places financières et entre acteurs privés, chacun adoptant un comportement de passager clandestin vis-à-vis des mesures vertueuses prises par d’autres, l’harmonisation des pratiques tarifaires et de la taxation du THF doit s’opérer dans le cadre d’une approche uniforme et coordonnée, incluant autant que possible l’ensemble des juridictions nationales et des segments de marché (marchés organisés et dark pools).

Une autre source d’inquiétude pour les acteurs privés comme pour les régulateurs a trait à l’effet du THF sur la stabilité de marché. En premier lieu, en contrepartie de leur activité de consolidation entre plates-formes et entre actifs, les THF participent également de l’augmentation de la vitesse de propagation des chocs. Un exemple est fourni par le flash crash au cours duquel le dysfonctionnement du marché de futures sur indices, en partie provoqué par une erreur d’exécution, s’est immédiatement propagé au cours du S&P 500. Au regard de ces risques, plusieurs propositions ont été avancées, parmi lesquelles l’instauration d’un temps minimum de maintien des ordres dans le carnet (minimum resting time). Là encore, et en faisant abstraction de la faisabilité de ce type de mécanismes dans un écosystème de trading multipolaire, le gain en termes de stabilité de marché doit être jugé à l’aune des bénéfices de la réactivité en termes de coûts de gestion du risque et de liquidité. De plus, la résilience de la technologie et l’organisation des marchés sont autant en cause que le modèle de fonctionnement des THF en lui-même. En termes de résilience de la technologie, il s’agit d’identifier dans la chaîne opérationnelle les points de fragilité potentiels, non de manière restreinte aux THF, mais dans leur interaction avec le fonctionnement des plates-formes et la segmentation de l’information. Dans la mesure où les parties prenantes privées (THF, brokers, plates-formes) sont incitées à se doter de systèmes de gestion du risque opérationnel dans le cadre du contrôle du risque prémarché, il n’est pas forcément pertinent pour le régulateur de réclamer un droit d’inventaire sur la structure des algorithmes utilisés. Cette solution nécessiterait un investissement technique et humain conséquent de la part des régulateurs concernés. La régulation individuelle des THF pourrait plutôt passer par des exigences accrues de capitalisation et de collatéralisation des positions dans la perspective d’améliorer leur capacité à soutenir des pertes, ainsi qu’en une mise sur un pied d’égalité de leur statut juridique et prudentiel, impliquant notamment de mettre en question les pratiques d’accès sponsorisé par lesquelles les THF utilisent les accès aux marchés des brokers sans se soumettre aux obligations afférentes. Dans le domaine de l’organisation de marché, des dispositifs de circuit-breakers ont tout leur sens. Ceux-ci doivent a minima s’appliquer aux différentes places de cotation d’un même titre (approche cross-market), voire aux substituts proches d’un titre donné, afin de limiter la contagion par arbitrage statistique ou structurel (approche cross-asset). D’ailleurs, les dispositifs de ce type actuellement en place aux États-Unis semblent mordants, puisque à la suite de leur extension en septembre 2011 à un ensemble plus large de titres, leur fréquence d’activation a fortement augmenté.

Le THF appelle une refonte des incitations à la tenue marché

Les THF peuvent générer des épisodes d’instabilité des marchés de par la nature de leurs stratégies et leurs interactions, entre eux ou avec d’autres participants de marché. En premier lieu, un aspect potentiellement problématique pour la stabilité des marchés concerne la corrélation élevée entre les stratégies des THF. Brogaard (2011), sur le marché des actions, et Chaboud et al. (2009), sur le marché des changes, montrent que les stratégies des THF sont en moyenne plus corrélées entre elles que celles des non-THF. Il existe donc un risque de réaction moutonnière (herding) à des événements de marché qui peut en magnifier l’impact selon un mécanisme de ventes forcées. Brogaard (2011) trouve en outre que les stratégies des THF exhibent une autocorrélation significativement positive de leurs positions (positive feedback trading) dont on peut craindre qu’elle ne se transforme en mécanisme d’amplification des perturbations de marché. Si la corrélation des stratégies n’est pas spécifique aux THF, leur faible capitalisation peut contribuer à aggraver le risque systémique en ce qu’elle limite leur capacité d’absorption des chocs, les conduit à exiger une rémunération trop élevée de la liquidité pendant les périodes de forte volatilité (Nagel, 2011) et les force à solder brusquement leurs positions.

Les modifications de l’activité de tenue de marché dans son ensemble peuvent également présenter des risques en termes de stabilité de marché. Dans la mesure où l’activité des THF exerce une pression à la baisse sur les marges de l’ensemble des teneurs de marché, il est possible que le THF évince d’autres teneurs de marché opérant plus loin de la frontière technologique selon un business model différent, provoquant une dégradation de la liquidité et de la capacité agrégée d’absorption du risque lors d’épisodes d’instabilité des marchés. Une partie de cet effet d’éviction reflète une concurrence par les coûts accrue et correspond donc au revers de la baisse du coût moyen d’exécution. Cela dit, si le market making traditionnel repose sur des subventions implicites entre périodes de faible et de forte volatilité et si le THF compromet la capacité à extraire une rente des premières pour absorber les chocs dans les secondes, alors il est possible – mais pas avéré – que les THF soient en partie responsables d’un assèchement de liquidité en période de forte volatilité par éviction des teneurs de marché traditionnels. De manière plus générale, le régulateur se trouve en demeure de répondre à la question non triviale du degré optimal de diversité des acteurs de la tenue de marché au regard de la stabilité financière. Une piste d’intervention consiste à réviser les statuts de teneur de marché. La fragmentation accrue du trading, en réduisant la profitabilité de la tenue de marché formelle, a largement vidé de leur substance les contrats traditionnels de tenue de marché. Un retour à des obligations de tenue de marché en continu doit cependant être considéré avec précaution : en particulier, l’impossibilité de se retirer du marché augmenterait le risque extrême (tail risk) auquel sont sujets les THF, ce qui pourrait se traduire par une hausse des spreads moyens qu’ils offrent, au détriment de la liquidité des marchés.

Le THF ne constitue à bien des égards que la pointe avancée de l’évolution des marchés financiers contemporains, déterminée par les développements de la technologie et la recherche de la meilleure exécution dans un contexte de concurrence exacerbée entre acteurs et entre lieux de négociation. En ce sens, il est un symptôme particulièrement saillant de dysfonctionnements sur les marchés financiers bien plus qu’il n’en est une cause majeure, malgré l’abondance des critiques à son égard. Le THF n’en appelle pas moins une réponse sur le double plan de la connaissance et de la régulation, ne serait-ce que parce que sa prééminence dans les volumes d’échanges exerce en retour une force de transformation sur les autres parties prenantes aux transactions financières. Indiscutablement, le diagnostic complet de ses effets sur les marchés, en particulier sur le risque d’instabilité financière, reste à établir en partie à cause du manque d’information disponible à ce sujet. Cet exercice suppose le renforcement de la capacité de supervision des autorités de marchés et la prise en compte de leurs interactions avec l’ensemble des autres acteurs financiers. Ce préalable rendra possible une discussion plus sereine des options de régulation, étant entendu que la complexité des marchés financiers actuels, et de l’activité de THF en elle-même, exclut l’existence de solutions réglementaires optimales uniques, ou du moins universellement reconnues comme telles.


Notes

1 Le 6 mai 2010, le S&P 500 et les futures, options et ETF (exchange-traded funds) associés ont perdu plus de 5 % de leur valeur avant de rebondir dans un intervalle de trente minutes.
2 La distinction entre agency algorithms et proprietary algorithms est également utilisée par la SEC pour définir le THF. Avoir un horizon inférieur à un jour, rechercher la réduction du temps de latence, annuler une partie importante des ordres et liquider ses positions à la clôture sont les autres caractéristiques retenues par la SEC pour distinguer le THF, en l’attente des conclusions du groupe de travail lancé en mars 2012 devant aboutir à une définition définitive du THF.
3 À savoir qu’une stratégie est considérée comme à haute fréquence si cinq des six caractéristiques suivantes sont réunies : (1) opérer pour compte propre, (2) utiliser des services de colocation, (3) un taux de renouvellement quotidien du portefeuille d’au moins 50 %, (4) un ratio d’annulation d’au moins 20 %, (5) un ratio d’ordres passés surexécutés d’au moins quatre, (6) la majorité des positions sont débouclées dans la journée, (7) au moins 50 % des ordres passés sont éligibles à une tarification préférentielle au titre de la fourniture de liquidités de la part de la plate-forme sur laquelle ils sont placés.
4 C’est, par exemple, le principe des contrats SLP (supplemental liquidity provider) d’Euronext qui tarifie différemment les ordres « preneurs » de liquidité et les ordres « faiseurs » de liquidité.
5 Kim et Murphy (2011) montrent que les mesures traditionnelles de spread surestiment l’effet bénéfique des THF en échouant à distinguer l’effet propre du THF de celui de la réduction tendancielle de la taille des ordres.
6 Ce diagnostic du rôle des THF au cours du flash crash n’est pas consensuel. Leland (2011) considère que le retrait des THF a amplifié le flash crash.

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