L’opinion publique et les décideurs politiques semblent avoir redécouvert le rôle des banques centrales2 en matière de stabilité financière lors de la crise de 2007-2008. Il s’agit pourtant de l’une de leurs missions historiques fondamentales. Premièrement, leur rôle de prêteur en dernier ressort a été théorisé dès le xixe siècle (Thornton, 1802 ; Bagehot, 1873). Dans l’approche classique de Bagehot, le prêteur en dernier ressort procure de la liquidité aux institutions illiquides, mais solvables. Cette liquidité est fournie contre un collatéral de bonne qualité et à un taux pénalisant (c’est-à-dire supérieur au taux du marché). Dans la pratique, ces grands principes n’ont pas toujours été totalement respectés au cours de la dernière crise et les banques centrales ont parfois dû composer avec la réalité pour répondre à l’ampleur des défis. Par ailleurs, la création de certaines banques centrales est parfois la conséquence directe d’une crise financière. C’est le cas notamment de la Federal Reserve (Fed) mise en place aux États-Unis en 1913, au sortir de la crise de 1907. Le contexte économique et historique dans lequel naissent ou opèrent les banques centrales est déterminant pour la définition de leur mandat ou son évolution. Le cas présent en constitue la parfaite illustration. En réponse à la crise, de très nombreuses banques centrales ont vu leur mandat s’étendre à des fonctions macroprudentielles avec, en outre, pour certaines d’entre elles, la centralisation des fonctions de supervision et de régulation microprudentielles. Une telle concentration des responsabilités en matière de stabilité financière au sein des banques centrales soulève toutefois quelques interrogations quant à leur capacité à les assumer conjointement en toute indépendance. Comment articuler plus spécialement la conduite de la politique monétaire et la fonction de prêteur en dernier ressort, deux missions tout aussi essentielles ? La question se pose en particulier pour la Banque centrale européenne (BCE), dont les statuts fixent le mandat avec précision en visant explicitement la stabilité des prix. Deux options sont concevables : la première consiste à coordonner l’ensemble de ces nouvelles fonctions, y compris avec les autres politiques avec lesquelles elles interfèrent, la seconde à utiliser le principe d’affectation des instruments développé par Mundell. Cette dernière solution nous paraît préférable.
Un nouveau rôle ?
L’objectif prioritaire de stabilité des prix…
Dans le nouveau modèle de banque centrale qui émerge au cours des années 1980-1990, la mission fondamentale de stabilité financière est subordonnée à l’objectif prioritaire de stabilité des prix. Ce nouveau cadre stratégique, qui devient rapidement dominant, s’appuie sur les éléments suivants.
Un objectif prioritaire de stabilité des prix
La plupart des banques centrales se voient assigner un objectif prioritaire, sinon unique, de stabilité des prix. La délégation de cet objectif à une banque centrale indépendante vise notamment à corriger certains maux, mis en évidence lors des épisodes de forte inflation des années 1970, tels que les problèmes d’incohérence temporelle (Kydland et Prescott, 1977 ; Barro et Gordon, 1983). L’incohérence temporelle renvoie à des situations dans lesquelles une politique économique, par exemple monétaire, qui est optimale à un moment donné, ne l’est plus à une période ultérieure. L’une des illustrations de cette incohérence temporelle est la tentation de la banque centrale de surprendre les agents en générant un surcroît d’inflation de façon à concilier des objectifs potentiellement contradictoires à court terme. En théorie, cette situation résulte du fait que, dans les modèles utilisés, la banque centrale intervient seulement une fois que tous les autres agents ont pris leurs décisions. En pratique, elle découle du choix de la banque centrale de se montrer plus tolérante envers l’inflation pour favoriser la croissance (voir le cas de la Fed dont le mandat comprend plusieurs objectifs3). Ce type de comportements a des implications directes sur la gestion de la dette publique. Si une banque centrale s’est, par exemple, engagée à maintenir une politique monétaire restrictive, le gouvernement peut être tenté, une fois ses titres de dette publique émis, de faire pression sur la banque centrale pour qu’elle conduise une politique monétaire inflationniste afin de réduire la charge réelle de sa dette. Anticipant de telles incitations, les investisseurs exigent alors des taux d’intérêt supérieurs sur les titres de dette publique. Une façon de sortir de cette situation consiste à rendre indépendante la banque centrale et à confier l’objectif de stabilité des prix à un banquier central « conservateur » (Rogoff, 1985).
Une stratégie dominante : le ciblage d’inflation
Cet objectif de stabilité des prix fait partie d’un cadre stratégique cohérent dans lequel la stabilité des prix est définie sous la forme d’un objectif d’inflation à court ou moyen terme. La banque centrale est indépendante, au moins en ce qui concerne ses instruments, le principal d’entre eux étant le taux d’intérêt4. En contrepartie de cette indépendance, elle s’engage à être transparente et doit rendre compte de ses décisions devant les représentants nationaux (le Parlement). Afin de réduire les sources d’incertitude au moment des prises de décision monétaire, il est préconisé de suivre des règles plutôt que d’agir de façon discrétionnaire (Barro et Gordon, 1983). Dans ce cadre stratégique, les prévisions d’inflation jouent un rôle structurant. La plupart des grandes banques centrales adoptent cette stratégie dans les années 1990, comme la Banque d’Angleterre, ou s’en rapprochent progressivement dans les années 2000, comme la Fed ou la BCE qui modifie sa stratégie en 2003 pour atténuer notamment le rôle initialement joué par son premier pilier monétaire.
Un cadre théorique, inspiré du modèle canonique « nouveau keynésien » (Clarida et al., 1999)
D’après ce modèle, le fonctionnement d’une économie peut être représenté sous une forme réduite par trois composantes : la demande agrégée de biens et de services (courbe IS), la courbe d’offre agrégée, représentée par la nouvelle courbe de Phillips, et la fonction de réaction de la banque centrale, qui détermine le niveau du taux d’intérêt, représentée sous la forme d’une règle de Taylor. Dans ce cadre conceptuel, l’inflation demeure un phénomène monétaire comme dans l’approche monétariste (Friedman, 1970), mais la place accordée à l’offre de monnaie est réduite (ce qui est conforme à la décision prise par la BCE en 2003).
…et la stabilité financière
Ce cadre stratégique et conceptuel doit contribuer à la stabilité financière car il assure tout d’abord l’ancrage des anticipations d’inflation autour de l’objectif d’évolution des prix de la banque centrale. Dans un contexte où la banque centrale est crédible, les risques d’hyperinflation ou de déflation sont a priori écartés. L’ancrage des anticipations élimine en outre les sources d’incertitude pouvant découler de la dérive du système des prix relatifs. Les agents économiques peuvent ainsi économiser des ressources qui seraient autrement dédiées à la couverture du risque d’inflation. Le système des prix relatifs étant préservé, il en découle que l’objectif de stabilité des prix contribue à l’allocation optimale des ressources dans l’économie.
Dans ce contexte, le consensus qui émerge dans la communauté des banques centrales est qu’il n’est pas nécessaire de se soucier de l’évolution des prix d’actifs au-delà de leur contenu en information sur l’évolution future des indices de prix propres au secteur productif et à la consommation. Cette doctrine, élaborée par la Fed, repose sur deux « principes » : le Greenspan put, selon lequel il est préférable de ne pas agir lors de l’apparition d’une bulle sur les prix d’actifs, ou de déséquilibres financiers, mais plutôt d’agir après son éclatement. L’application de ce principe conduit à inonder le marché de liquidité après l’éclatement d’une bulle ou à prévenir les risques de récession économique. Le deuxième principe, formulé par Donald Kohn, vice-président de la Fed de 2006 à 2010, pose qu’une intervention ex ante de la banque centrale est justifiée lorsque les trois conditions suivantes sont réunies : (1) la banque centrale doit être suffisamment certaine qu’une bulle existe ; (2) le coût de faire éclater la bulle doit être suffisamment bas (en particulier, la bulle doit réagir à de faibles modifications des taux d’intérêt directeurs) ; (3) le coût de ne rien faire ou d’agir après l’éclatement de la bulle doit être suffisamment élevé. En pratique, il est considéré que ces trois conditions ne sont généralement pas satisfaites simultanément. En outre, l’exemple du Japon, dont la banque centrale a déclenché dix ans de déflation en décidant de faire éclater une bulle immobilière, a constitué un frein puissant au renouvellement de l’expérience.
Le rôle prépondérant joué par la stabilité des prix aboutit au principe de séparation entre l’objectif de politique monétaire et l’objectif de stabilité financière (Bordes et Clerc, 2010 et 2012). Ce principe trouve notamment sa traduction directe dans la mise en œuvre de la politique monétaire, qui s’effectue en deux étapes : dans un premier temps, la décision de taux d’intérêt est généralement prise par un comité monétaire sur la base d’informations macroéconomiques, financières et conjoncturelles, mais sans considération du montant de liquidité à injecter ou à retirer du marché pour atteindre le niveau de taux d’intérêt compatible avec l’objectif d’inflation ou de stabilité des prix ; dans un deuxième temps, les opérateurs de marché de la banque centrale ajustent l’offre de réserves de façon à faire converger le taux du marché monétaire vers le taux cible. Cette pratique conduit également aux principes d’indépendance des instruments (principe de Tinbergen) : les taux d’intérêt pour la stabilité des prix, la gestion des réserves pour la stabilité financière (c’est-à-dire du marché monétaire).
Dans ce cadre stratégique et opérationnel, il subsiste une exception justifiée au contrôle démocratique : la fonction de prêteur en dernier ressort, qui reste cependant enfermée dans la doctrine classique et sans application pratique.
Un cadre qui s’est avéré peu adapté pour faire face aux défis de la crise
La crise, qui se déclenche à l’été 2007, va très rapidement montrer les limites de ce cadre stratégique et de la doctrine des banques centrales. Actives dès les premières manifestations de la crise, les banques centrales vont en effet devoir s’en émanciper pour mettre en œuvre de nouvelles mesures, dites « non conventionnelles », et assumer des missions qui vont parfois au-delà de ce qu’implique leur mandat de stabilité des prix. Le principe de séparation s’effondre du fait de la difficulté croissante à distinguer clairement politique monétaire et politique de stabilité financière. De façon un peu paradoxale, les banques centrales sortent renforcées de la crise, avec une crédibilité quasiment intacte, ce dont témoignent le relativement bon ancrage des anticipations d’inflation et un mandat élargi.
À l’été 2007, les incertitudes entourant la valorisation des actifs adossés au marché des subprimes américains et le manque de transparence sur les expositions bancaires se sont rapidement traduits par une crise de liquidité sur les marchés monétaires, forçant les banques centrales à intervenir. Cette intervention prend tout d’abord la forme d’injections temporaires, massives et stérilisées de liquidités. Dans un premier temps, les banques modifient principalement le profil de leurs réserves, concentrant, par exemple, l’essentiel de leur demande de réserves en début de période de maintenance de leurs réserves obligatoires en Europe, à des fins d’assurance contre les chocs présents ou anticipés de liquidité. La réponse des banques centrales est donc conventionnelle et conforme à leurs missions : baisse, parfois agressive, comme aux États-Unis, des taux d’intérêt pour contrer les effets récessifs du choc financier, et actions de prêteurs en dernier ressort pour assurer la liquidité du marché. S’agissant de ces dernières, les banques centrales prennent soin de gérer la liquidité de façon à ce qu’elle n’affecte pas les anticipations des agents sur l’orientation de la politique monétaire et à s’assurer que la volatilité du taux du marché monétaire n’affecte pas la courbe des taux d’intérêt.
L’effondrement de Lehman Brothers, en septembre 2008, conduit à un changement radical de situation. Les tensions sur le marché monétaire sont à leur apogée, les spreads de taux atteignant des niveaux jamais observés, de l’ordre de 350 points de base (pdb). Le 8 octobre 2008, la BCE, la Fed, la Banque d’Angleterre, la Banque du Canada, la Banque nationale suisse (BNS) ainsi que la Riksbank baissent conjointement leur taux d’intérêt de 50 pdb. Il s’agit là d’un mouvement sans précédent. Cette date marque également le recours aux actions non conventionnelles des banques centrales.
Plusieurs facteurs expliquent ce changement d’orientation : (1) l’ampleur systémique non anticipée du défaut de Lehman Brothers et la crainte d’une spirale déflationniste mondiale ; (2) le bas niveau des taux d’intérêt directeurs nominaux, qui atteint dans plusieurs pays son minimum et se heurte à la « contrainte zéro » ; (3) le dysfonctionnement du mécanisme de transmission de la politique monétaire conventionnelle du fait de la paralysie du marché interbancaire et de l’illiquidité de certains actifs. Dans ce contexte, les banques centrales modifient profondément leurs modalités d’intervention. Les opérations d’injection de liquidités ne sont plus stérilisées, même si les banques en conservent une grande partie sous forme de dépôts à la banque centrale. Il en résulte une forte expansion de leur bilan et de la base monétaire.
Ces mesures non conventionnelles des banques centrales5 ont pris trois formes principales.
- Des achats d’actifs de grande ampleur (opérations dites de « quantitative easing ») effectués notamment par la Fed et la Banque d’Angleterre
Ces opérations visent à injecter des réserves, c’est-à-dire la forme d’actifs la plus liquide, contre des titres moins liquides, voire illiquides, ou des titres publics de façon à soutenir les crédits à l’économie, fournir du cash aux banques, ce dernier étant utilisé sous forme de collatéral dans les opérations interbancaires, et peser sur la courbe des taux d’intérêt par des effets de portefeuilles dans le cas de l’achat de titres publics. La Term Asset-Backed Securities Loan Facility (TALF) lancée par la Fed en novembre 2008, pour un montant total de 1 000 Md$, ou le programme d’achat de papier commercial lancé par la Banque d’Angleterre et, dans les deux cas, les achats massifs de titres publics (QE2 – quantitative easing – et QE3 aux États-Unis) en constituent des illustrations ; le programme d’achat de titres publics (Securities Markets Programme – SMP) lancé par la BCE à partir de mai 2010, bien que de moindre ampleur, s’inscrit aussi dans cette logique. Il vise notamment à restaurer le fonctionnement des marchés obligataires et à corriger un niveau jugé excessif de primes de risque sur les titres souverains de certains pays sous tension (Irlande, Portugal, Espagne).
- Des achats massifs de titres représentant des crédits à l’économie (billets de trésorerie, obligations privées ou covered bonds) et qui visent à assouplir les conditions de crédit (opérations dites de « credit easing »)
C’est l’orientation choisie par la BCE, notamment en raison du rôle prépondérant joué par le financement bancaire dans l’économie de la zone euro. Les opérations de la BCE ont changé d’ampleur du fait de l’approfondissement de la crise souveraine en Europe et des risques de contagion. En décembre 2011 et février 2012, la BCE a ainsi lancé deux opérations exceptionnelles de refinancement à trois ans, élargissant pour l’occasion la gamme des collatéraux éligibles aux crédits bancaires privés. Il est à noter toutefois que les risques liés à ces opérations sont portés par les banques centrales nationales acceptant ces collatéraux, et non mutualisés au niveau de l’Eurosystème comme le sont traditionnellement les opérations de politique monétaire. Ce traitement, qui se rapproche de celui de la fourniture de liquidités d’urgence, montre que les considérations de stabilité financière sont devenues prépondérantes. Ce sont près de 1 000 Md€ qui sont ainsi injectés, en particulier à destination des banques des pays de la zone euro alors sous tension (Italie, Espagne).
- Une stratégie de communication sur le maintien à moyen terme de taux d’intérêt directeurs particulièrement bas (encore appelée « forward guidance »), mise en œuvre plus récemment
Elle vise notamment à ancrer les anticipations de taux d’intérêt nominaux à de bas niveaux, afin de limiter la volatilité des taux d’intérêt et favoriser le cas échéant une détente des conditions monétaires réelles dans l’économie. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, le maintien des taux bas est conditionné de façon nécessaire, mais non suffisante, à un certain niveau du taux de chômage, contrairement à la zone euro où il n’est assorti d’aucune condition. Dans ce dernier cas, cependant, la BCE a clairement indiqué, à l’occasion de l’annonce de son programme d’achat direct de titres publics (OMT – outright monetary transactions), qu’elle prendrait toutes les décisions nécessaires, « whatever it takes » selon les mots de son président, Mario Draghi, en août 2012, pour maintenir la pérennité de la zone euro. Cette communication a eu des effets décisifs sur les marchés financiers et a été à l’origine d’une forte détente des conditions de financement dans la zone euro.
Un nouveau mandat ?
Les banques centrales ont-elles outrepassé leur mandat ?
Ces évolutions appellent plusieurs remarques.
Tout d’abord, l’indépendance des banques centrales leur a permis d’agir vite en tenant compte des expériences passées et des erreurs de politique monétaire commises au moment de la Grande Crise de 1929, sans nécessairement avoir à se concerter ou à négocier avec qui que ce soit. Le principe d’indépendance des banques centrales est toutefois bien défini et hérité du cadre présenté en début d’article. Il porte sur un objectif prioritaire de stabilité des prix et l’indépendance qui importe est celle des moyens pour y parvenir. La crise, par sa nature et son ampleur, a profondément estompé pour un temps la frontière entre les objectifs de politique monétaire et de stabilité financière. Les risques de disruption de cette dernière étant de premier ordre, le second objectif est sans doute devenu prépondérant dans l’action quotidienne durant la crise. Il est en effet difficile de ne pas voir, derrière les injections de liquidités, des opérations de prêteurs en dernier ressort de grande ampleur en faveur d’institutions financières, voire d’États.
Les banques centrales ont également, à l’occasion de ces opérations, accumulé des risques dans leur bilan. L’une des garanties de leur indépendance repose sur leur indépendance financière. Qu’arriverait-il alors en cas de pertes ? Pour le moment, les banques centrales n’ont pas été confrontées à cette situation. Elles sont cependant exposées à des risques de pertes sur les titres privés et publics acquis durant la crise. Certes, leurs opérations prennent en compte ce risque via des décotes appropriées. Dans le cas de la BCE, toutefois, l’interaction entre risque bancaire et risque souverain, mise en évidence durant la crise souveraine en Europe, crée une situation potentiellement périlleuse : en prêtant à des banques parfois peu solvables, qui empruntent des liquidités centrales contre des titres d’États eux-mêmes très endettés, voire insolvables, ne s’expose-t-elle pas à ce type de risques ? En outre, contrairement à la doctrine classique, n’a-t-elle pas continué à accepter les titres grecs, dont l’État a fait défaut, quitte à relâcher ses critères d’exigibilité ? Pour certains observateurs, comme Buiter (2012), ce type d’interventions va bien au-delà des missions traditionnelles de prêteur en dernier ressort. Elles prennent la forme d’opérations quasi fiscales, à la fois ex ante si le risque de crédit n’est pas suffisamment valorisé – elles correspondent à une forme de subventions par la banque centrale – et ex post si des pertes sont constatées – elles correspondent à un transfert ou une forme de taxes.
Se pose enfin la question des incitations données par les banques centrales aux banques et aux États et du risque d’aléa moral qui en découle. S’agissant des banques tout d’abord, la fourniture abondante, voire illimitée, de liquidités à des conditions de marché très favorables ne crée guère d’incitations à venir se financer sur le marché interbancaire. Le rôle d’intermédiation est entièrement assuré par la banque centrale et les banques gèrent leur liquidité de façon passive et pas nécessairement responsable. Il en résulte une forme d’accoutumance et de dépendance à l’abondance de liquidités qui rend difficiles les conditions et les stratégies de sortie de ce type de politique6. En ce qui concerne les États, on peut non seulement s’interroger sur la part de l’action discrétionnaire de la banque centrale, mais également sur la nature de l’opération. S’agit-il, par exemple, d’un simple prêt-relais en attendant l’argent public ? Cette intervention vise-t-elle à pallier la défaillance publique, les errements budgétaires ou, dans le cas européen, l’absence de mécanismes de résolution au niveau fédéral ? Pour certains, comme Athanasios Orphanides, ancien gouverneur de la Banque centrale de Chypre et, à ce titre, ancien membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, elle serait allée trop loin (Orphanides, 2013). Qu’il s’agisse des différentes phases du programme SMP ou de l’annonce des OMT (en août et septembre 2012), les actions entreprises par la BCE seraient autant d’opportunités manquées. Elles seraient intervenues trop tôt, incitant les gouvernements européens à ne rien entreprendre sur les plans budgétaire et structurel. Pour d’autres, comme les représentants allemands au Conseil des gouverneurs de la BCE, qu’il s’agisse d’Axel Weber, de Jürgen Stark, tous deux démissionnaires, ou plus récemment de Jens Weidmann, l’actuel président de la Bundesbank, ces différents programmes constitueraient des formes de financement monétaire de pays membres de la zone euro, incitant non seulement à l’irresponsabilité budgétaire et à l’inaction, mais aussi qui seraient porteuses de risques futurs pour la stabilité des prix. Il est difficile de trancher en l’absence d’analyse contrefactuelle. Le résultat n’aurait-il pas été pire si les banques centrales, en particulier la BCE, n’étaient pas intervenues ? La succession probable et chaotique des défauts n’aurait-elle pas créé une situation économique, sociale et politique non maîtrisable ?
Un mandat enrichi
En dépit du caractère peu adapté de leur cadre stratégique et de leur doctrine, les banques centrales voient, pour la plupart, leur rôle renforcé et leur mandat élargi à l’issue de la crise. Leur rapidité d’action et le caractère approprié de leurs réponses, leur capacité à agir pour l’intérêt général au-delà de leur mandat expliquent sans doute cette évolution.
De nombreuses banques centrales voient ainsi leur mandat élargi pour y intégrer, de façon explicite, un mandat de stabilité financière. Cette modification résulte directement de leur implication ou de l’attribution de nouvelles fonctions dans le domaine macroprudentiel. C’est notamment le cas de la Banque d’Angleterre, qui devient l’autorité compétente en la matière et s’est dotée d’un nouveau comité, le Financial Policy Committee. C’est également le cas en France et en Allemagne où, à la suite des recommandations du Conseil européen du risque systémique, de nouvelles autorités macroprudentielles ont été créées sous la forme de conseils7 dans lesquels les banques centrales jouent un rôle très important, notamment par la capacité qui leur est donnée de formuler, à titre exclusif, des propositions relatives aux principaux instruments macroprudentiels (coussins contracycliques et systémiques, conditions de crédit) ainsi que d’exercer un pouvoir de veto, implicite dans le cas français, explicite dans le cas allemand. Le schéma américain est similaire avec la forte implication de la Fed dans le Financial Stability Oversight Council (FSOC). Cette implication des banques centrales dans, voire cette attribution pure et simple, des fonctions macroprudentielles ne fait guère débat, compte tenu de leur connaissance avérée des mécanismes de financement, des marchés, des institutions financières et bancaires, mais également de leur approche traditionnellement macroéconomique et transversale, de leurs responsabilités en termes de stabilité financière (supervision et bon fonctionnement des systèmes de paiement, prêteurs en dernier ressort) et de leur indépendance. En outre, l’objectif de ces politiques est la prévention du risque systémique et la diminution de la procyclicité du système financier. Du fait du rôle joué par le crédit dans ces deux objectifs, une articulation avec la politique monétaire paraît également souhaitable.
Enfin, la crise n’a pas seulement mis en cause le bien-fondé d’une approche uniquement microprudentielle de la réglementation bancaire et financière, elle s’est également traduite, dans certains cas, par un transfert des responsabilités de supervision à la banque centrale. C’est notamment le cas à la Banque d’Angleterre qui centralise donc toutes les fonctions, mais également à la BCE qui devient le superviseur unique des banques de la zone euro. La Fed voit également sa responsabilité de supervision des institutions systémiques renforcée, sans pour autant centraliser cette fonction. Il s’agit là d’une inversion de tendance, la fin des années 1990 et le début des années 2000 ayant été plutôt marqués par une autonomisation des différentes fonctions de supervision. Les interconnexions entre institutions, marchés et produits à l’origine de la crise ayant largement échappé aux autorités responsables, cette centralisation marque le retour à une approche holistique de la régulation financière.
Le type de banque centrale multifonctions qui apparaît ainsi, avec des variantes, dans les pays développés, essentiellement en Europe et en Amérique, est plus difficile à dessiner qu’auparavant. Les banques centrales avaient conquis leur indépendance en vue de fixer, hors de toute influence politique, les taux d’intérêt à court terme convenant à un objectif précis d’inflation basse, comme expliqué précédemment. Leur indépendance est inscrite dans leurs règles de fonctionnement. Si le champ de leur activité se diversifie, ces règles demeurent. Le rôle de prêteur en dernier ressort au profit d’une banque ou d’un État les place déjà devant un choix interne entre deux objectifs parfois peu compatibles. Elles ont le pouvoir de faire ce choix en toute autonomie, puisque tel est leur format institutionnel. Cependant, leurs nouvelles sortes d’intervention peuvent exercer des contraintes directes sur des acteurs qui leur sont extérieurs, y compris les États qui leur ont octroyé une indépendance initialement bien ciblée. Pourraient-elles, par exemple, cesser rapidement, à un certain stade, de poursuivre des opérations non conventionnelles de grande ampleur parce que l’inflation pointe son nez, quelles que soient les conséquences pour la banque soutenue, pour l’État soutenu, pour leurs clients, prêteurs ou citoyens, pour l’environnement international ?
Bien entendu, les banques centrales, comme on vient de l’exposer, se sont montrées particulièrement responsables et avisées dans les circonstances récentes. Mais les voilà engagées pour l’avenir dans un processus où la délimitation même de leur indépendance prête à confusion. On le voit bien par l’engagement de la BCE dans les négociations qui concernent le soutien de la Grèce par des États tiers, serait-ce directement ou par le truchement d’un mécanisme fédéral financé par des contributions budgétaires d’États membres. La BCE s’y trouve associée avec une institution fédérale, la Commission européenne, et avec une institution internationale, le Fonds monétaire international (FMI). Hors du champ d’action solitaire sur les taux d’intérêt, elle doit composer et parvenir à un consensus avec des pairs. La Fed est exposée aux mêmes nécessités, mais ses relations avec le Trésor des États-Unis ont suscité moins de débats juridico-théoriques que ce ne fut le cas en Europe. Non contrainte sur les taux d’intérêt dans le modèle classique, la banque centrale, devenue multifonctions, doit implicitement accepter le compromis en dehors de ce champ. Des questions similaires peuvent surgir à propos du contrôle des banques. La décision de fermer une institution systémiquement majeure pour un pays, son pays d’origine ou même seulement un pays tiers où elle a pris une position dominante dans son expansion internationale, peut avoir une implication politique et éventuellement économique forte. La solution consiste alors à déléguer la décision de liquider une telle institution à un conseil indépendant.
De nouveaux défis ?
Cette concentration des pouvoirs n’est cependant pas forcément nouvelle. Elle rappelle des situations où une banque centrale (comme la Banque de France, par exemple) cumulait les fonctions de supervision bancaire (la Commission bancaire lui étant adossée), la conduite de la politique monétaire (selon une stratégie de ciblage monétaire) et le maniement d’instruments que l’on qualifierait aujourd’hui de « macroprudentiels » dans le contexte des politiques d’encadrement du crédit8. Dans un article récent, Elliott et al. (2013) font également apparaître le recours à de tels instruments contracycliques aux États-Unis depuis le début du xxe siècle. Ils recensent ainsi 245 cas différents d’utilisation d’instruments macroprudentiels depuis 1913, destinés notamment à contrer des cycles de crédit et prenant la forme de contraintes quantitatives sur la distribution du crédit (comme lors de la bulle immobilière des années 1950, de la contraction du crédit dans les années 1960, de la poussée inflationniste du début des années 1980 ou encore de la crise des savings and loans de la fin des années 1980 et du début des années 1990, par exemple). Évidemment, le contexte institutionnel et économique a profondément changé. Les banques centrales n’étaient pas nécessairement indépendantes, en tout cas en Europe ; le contexte économique était plutôt celui d’une économie relativement fermée où il était plus facile de contrôler la masse monétaire et ses contreparties : en particulier, le contrôle des changes limitait l’impact des flux de capitaux.
La complexité croissante du système financier et les nombreuses interconnexions entre institutions financières constituent très certainement un argument en faveur d’une centralisation de toutes ces fonctions au sein d’une même institution. Cela suppose cependant une structure de gouvernance permettant d’assurer une bonne circulation de l’information entre les différentes parties prenantes, un processus de décision qui limite les conflits potentiels d’objectifs9 et d’intérêts. Le schéma retenu par la Banque d’Angleterre est de ce point de vue intéressant en ce qu’il permet cette interaction entre les différents comités monétaires, macro et microprudentiels, tout en conservant un certain degré d’indépendance entre ces différentes fonctions.
Cette question de l’indépendance est primordiale. En effet, comme on l’a vu, l’indépendance donnée à une banque centrale protège l’institution dans son ensemble, même si ses fonctions s’étendent au-delà de la politique monétaire stricto sensu pour laquelle elle a été conçue. Elle est essentielle dans la conduite de la supervision microprudentielle, tout comme dans la mise en œuvre des mesures macroprudentielles. La centralisation des fonctions est cependant source de difficultés si des erreurs commises dans un domaine nouveau nuisent à l’institution dans son ensemble et affectent l’efficacité ou la crédibilité de la politique monétaire. Elle suppose enfin un partage clair et explicite des responsabilités avec les autres institutions et autorités (notamment budgétaires).
Le partage des responsabilités est particulièrement complexe dans le cas européen du fait des nombreuses initiatives prises pour préserver la stabilité financière. En effet, devant la crise de la dette souveraine dans la zone euro, un Mécanisme européen de stabilité (MES) a été créé, faisant suite à deux programmes de financements temporaires : l’European Financial Stability Facility (EFSF) et l’European Financial Stabilization Mechanism (EFSM). Son objet est de fournir une assistance financière directe aux États qui éprouveraient des difficultés budgétaires en raison d’une crise financière. L’accord intergouvernemental, intervenu le 18 décembre 2012, n’a pas permis de définir précisément ses modalités d’intervention dans la recapitalisation des banques, en particulier pendant la période transitoire de dix ans qui doit conduire à la constitution d’un fonds de résolution unique européen. Toutefois, le schéma général des conditionnalités attachées à une recapitalisation directe par le MES a fait l’objet d’un accord de l’Eurogroupe le 20 juin 2013. Dans le cas des aides aux États, cet accord précise que : (1) l’État demandeur doit être incapable de secourir son secteur bancaire sans mettre en danger la soutenabilité de sa dette publique et son accès au marché ; (2) l’assistance du MES doit être indispensable pour garantir la stabilité financière de la zone euro. S’agissant de la recapitalisation directe des banques10, les conditions d’intervention du MES sont les suivantes : (1) la banque doit être incapable de faire face à ses exigences en capital, le constat étant établi par la BCE en tant que superviseur unique ; (2) sa viabilité doit dépendre d’une injection de capital et d’une restructuration ; (3) elle doit représenter un risque systémique ou une menace pour la stabilité financière.
Le programme OMT, annoncé le 6 septembre 2012, complète ce dispositif. Mais, en créant la possibilité d’acheter des quantités illimitées de titres publics à des États européens en difficulté, à des maturités d’un à trois ans sous des critères stricts de conditionnalité, la BCE reconnaît implicitement que les États de la zone euro ont besoin d’un prêteur en dernier ressort. En effet, elle seule est en mesure de prêter instantanément des montants illimités à des États qui connaîtraient une situation de crise bancaire systémique. Le MES, dont la capacité d’intervention est limitée à 500 Md€, ne peut en effet constituer un substitut (Wyplosz, 2012). En outre, du fait du degré d’interconnexion des banques européennes et de ses responsabilités de superviseur unique du système bancaire européen, l’intervention de la BCE est inévitable. Le programme OMT est conditionné au fait que l’État concerné doit déjà bénéficier d’un programme d’aide du MES ou de l’EFSF, incluant la possibilité d’achats de titres sur les marchés primaires.
Qui décide que les conditions d’une intervention sont satisfaites ? Pour le MES, c’est son Conseil des gouverneurs, constitué par les ministres des finances de la zone euro. Mais ce sont ensuite la Commission européenne et la BCE, éventuellement aidées par le FMI, qui négocieront le plan de financement avec l’État concerné. Il n’est cependant pas précisé quelle institution devra mener l’évaluation de la soutenabilité budgétaire de l’État demandeur. Pour la recapitalisation des banques, l’évaluation est pilotée par le MES et effectuée par la Commission européenne et la BCE. Cette dernière est en outre, du fait de sa position, la seule capable de juger si le risque est de nature systémique ou si la stabilité financière est menacée en Europe. S’agissant du programme OMT, elle conserve une marge de manœuvre discrétionnaire, les conditions posées pour sa mise en œuvre étant nécessaires, mais non suffisantes. Dans le contexte du Mécanisme de surveillance unique (MSU ou SSM – Single Supervisory Mechanism), elle se trouve en première ligne en cas de résolution d’une institution dont les activités couvrent plusieurs États membres du MSU. Les notions d’autorités home et host, présentes dans le projet européen de directive sur le redressement et la résolution bancaire, n’ont en effet plus de sens dans le contexte d’un superviseur unique, mais le conservent pleinement en l’absence d’homogénéisation des régimes juridiques des faillites ou de hiérarchie des créanciers en Europe et d’implication des États dans la gestion et la prise en charge des coûts de la crise. Dans quelle mesure les décisions de la BCE seront-elles vraiment indépendantes de celles de l’Eurogroupe ou de la Commission européenne ? Et ne devra-t-elle pas négocier au cas par cas ses interventions avec les États ? Dans ce type d’interventions, qui s’apparentent à celles du prêteur en dernier ressort, elle doit, en outre, s’assurer que le coût final sera supporté in fine par le gouvernement concerné et non par elle.
Ce cumul des fonctions soulève enfin la question du contrôle démocratique, indispensable quand l’action de la banque centrale s’exerce en dehors du mandat qui a lui été assigné. C’est notamment le cas quand, dans l’exercice de son objectif de stabilité financière, la banque centrale prend des mesures de nature quasi fiscale. C’est aussi le cas dans la conduite de la politique macroprudentielle qui influe potentiellement différemment selon les agents économiques. L’indépendance de la banque centrale est indispensable à la réussite de ses missions, mais elle peut être mise en cause du fait de l’extension de ses missions.
Deux options sont concevables pour atteindre cet objectif. La première option est celle de la coordination des différentes politiques. C’est notamment l’option proposée par Betbèze et al. (2011) dans un récent rapport du Conseil d’analyse économique. Elle implique cependant, comme le reconnaissent les auteurs, une adaptation de la notion d’indépendance des banques centrales vis-à-vis des pouvoirs publics, plus de comptes à rendre et de partage d’informations, ainsi que plus de coopération avec les autres autorités et la société civile. Elle peut toutefois s’avérer inefficace lorsqu’il y a désaccord entre les différentes parties prenantes. La seconde option, prônée par Bordes (2011) dans ce même rapport ou encore Yellen (2010), propose l’application du principe d’allocation des instruments de Mundell selon lequel chaque instrument doit être affecté à la réalisation de l’objectif pour lequel il est le plus performant. Dans un tel cadre, la politique monétaire doit tenir compte des implications dans son propre domaine des politiques macroprudentielles, voire microprudentielles, et réciproquement, sans nécessairement faire de concessions. Cette seconde option nous paraît plus à même de garantir l’autonomie des décisions, notamment en termes de politique monétaire, et d’éviter la capture réglementaire, notamment en ce qui concerne les politiques prudentielles. Le nouvel « art » du banquier central sera de trouver cet équilibre.
Il n’en reste pas moins que le retrait du prêteur en dernier ressort, soit à l’égard d’une institution privée ou publique surendettée, soit par l’assèchement de la surliquidité de l’économie, peut placer un jour les États membres de l’Union européenne devant la nécessité d’y substituer des soutiens budgétaires impopulaires. Toute crise politique qui en résulterait ne pourrait être résolue que par des décisions politiques au plan national ou fédéral. On ne peut attendre d’une banque centrale indépendante qu’elle règle toutes les situations critiques dans le cadre de son mandat.
Conclusion
Le cadre stratégique et la doctrine des banques centrales qui prévalaient avant la crise ont donc été soumis à rude épreuve : il est apparu non seulement que l’objectif de stabilité des prix ne garantissait pas la stabilité financière, mais aussi que le coût économique et social de ne rien faire lorsqu’une bulle financière se développait est exorbitant. Les politiques de baisse agressive des taux d’intérêt se sont rapidement heurtées à la « contrainte zéro », conduisant les banques centrales à mener des politiques monétaires non conventionnelles et à sortir largement du cadre explicite de leur mandat. Au plus fort de la crise, la frontière entre les objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière s’est estompée et le risque de voir s’effondrer le système financier est devenu de premier ordre. La crispation budgétaire aux États-Unis ou l’absence de coordination et d’action en Europe ont enfin conduit les banques centrales de ces zones économiques à mener des politiques quasi fiscales.
Les banques centrales sortent pourtant renforcées de la crise. De façon que certains pourraient juger paradoxale, le cadre stratégique de ciblage d’inflation ne semble pas fondamentalement remis en cause. Les banques centrales se voient même confier de nouvelles responsabilités : macroprudentielles pour toutes, ce qui introduit clairement l’objectif de stabilité financière et signale la nécessité de prendre des mesures préventives pour lutter contre le risque systémique et l’apparition de déséquilibres financiers, et microprudentielles pour certaines, ce qui souligne la nécessité pour ces banques centrales de mieux surveiller la santé financière de leurs contreparties.
La véritable question qui se pose est celle de la capacité des banques centrales à mener à bien toutes ces missions, à la fois en évitant les conflits d’objectifs et d’intérêts, mais surtout en toute indépendance. Or l’indépendance est la garantie du succès de leurs missions fondamentales de maintien de la stabilité des prix et de prêteurs en dernier ressort.
Les stratégies de sortie de crise vont être l’occasion de tester très rapidement cette capacité : après plus de six ans de crise et de politiques de liquidités abondantes, les banques centrales vont devoir progressivement retirer ces liquidités à la faveur de la reprise économique, dans un contexte où les marchés, les banques et les États ont bénéficié des avantages procurés par ces conditions monétaires particulièrement accommodantes, sans avoir été toutefois incités à procéder aux ajustements nécessaires de leurs bilans.