Le 9 novembre 2008, le Conseil des affaires d’État de la République populaire de Chine annonçait un plan de relance sur 2009-2010 d’un montant de 4 000 MdRMB (renminbi) (586 Md$) afin de stimuler la demande intérieure. Toutefois, d’après les estimations de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le montant réel de ce plan s’est avéré bien supérieur, grossi notamment par les centaines de projets entrepris par les gouvernements locaux en marge du plan principal (cf. graphique 1 ci-après). Tandis qu’il était annoncé que les mesures couvriraient de multiples domaines, l’accent a clairement été mis sur les investissements en infrastructures.
Dans le montant des dépenses officielles, environ 1 200 MdRMB ont été le fait du gouvernement central, les autres dépenses ayant été réalisées par des gouvernements provinciaux et des entreprises publiques. Ces dépenses ont été de fait financées par le système bancaire, les autorités chinoises ayant expressément demandé aux banques de prêter de l’argent aux gouvernements provinciaux (cf. graphiques 1 et 2 ci-après et schéma 1 plus loin). En conséquence, en 2008-2009, le volume de crédits domestiques s’est élevé pour atteindre 14 500 MdRMB (soit 36 % du PIB de 2008). En 2010, la hausse s’est poursuivie, plus rapidement que celle du PIB nominal, malgré un ralentissement par rapport à 2009. Globalement, ce sont 7 900 MdRMB de crédits supplémentaires qui se sont accumulés en 2010 et même 11 700 MdRMB en ajoutant les crédits hors-bilan (cf. graphique 2 ci-après).
Si l’on se fie à l’expérience internationale, une croissance aussi rapide des crédits devrait, en elle-même, inquiéter les autorités chinoises. En effet, la littérature empirique concernant les causes des crises financières identifie généralement l’explosion des crédits comme l’un de leurs signes précurseurs clés. Il faut ajouter que le fait que les banques ont été « commandées » par les autorités chinoises (au moins par persuasion morale) pendant la période concernée par le plan de relance augure mal de la qualité des crédits accordés.
De plus, les gouvernements provinciaux – c’est-à-dire les propriétaires finals des projets financés – n’ont certainement pas vu leurs finances s’améliorer ces dernières années, et ce, pour deux raisons. Premièrement, leurs dépenses ont augmenté non seulement à cause de dépenses en infrastructures, mais aussi, plus récemment, du fait de la mise en place de financements plus importants pour la santé, l’éducation et les retraites (cf. graphique 3 ci-après).
Ensuite, leurs revenus sont étroitement liés aux ventes de terres qui seront très affectées par l’engagement de l’État à fournir des résidences abordables à une large part de la population. Ainsi, le 12ème plan quinquennal récemment annoncé prévoit la création de 36 millions de nouveaux logements à bas prix dans les cinq prochaines années. Cela signifie que les terres dont disposent les gouvernements provinciaux devront être utilisées pour la construction de résidences à bas prix plutôt que de logements luxueux, une finalité moins rentable.
La conjugaison de dépenses en augmentation et de revenus potentiellement en baisse implique que les gouvernements provinciaux pourraient ne pas vouloir, ou même pouvoir, intervenir si les projets de relance financés par le système bancaire n’apportent pas les bénéfices escomptés. Compte tenu de la part des crédits totaux représentée par les emprunts souscrits pour financer ces projets, un tel scénario pourrait considérablement nuire à la qualité des actifs des banques.
Concernant la structure des prêts pendant les deux années du plan de relance, la plupart de ces prêts étaient des crédits à moyen-long terme (cf. graphique 2 ci-avant) et une grande partie d’entre eux étaient détenus par les structures de financement des gouvernements provinciaux ou LGFV (local government financing vehicules). Ces structures ne disposaient pas d’un appui officiel de la part de ces gouvernements, mais plutôt d’une garantie implicite. Créées à l’origine pour contourner les contraintes d’équilibre budgétaire imposées à ces gouvernements1 et largement utilisées pour financer les dépenses en infrastructures de 2009, elles représentent officiellement 7 700 MdRMB des prêts en cours à la fin de juin 2010 et sont estimées à plus de 10 000 MdRMB à la fin de cette même année2.
Peu d’informations financières sont disponibles sur ces structures de financement et celles qui sont connues sont assez négatives. En effet, leur capital est faible (taux de retour sur capitaux propres inférieur à 5 %) et se compose majoritairement de terres (ce qui signifie que le capital réel est très sensible aux variations des prix des propriétés) (cf. schéma 1). De plus, elles financent principalement des projets d’infrastructure qui ne généreront pas de cash flows à court terme.
Dans certains cas, les autorités chinoises ont reconnu le risque que représentent les emprunts réalisés par ces structures. De sources non divulguées au sein de la China Banking Regulatory Commission (CBRC), la presse affirmait que 23 % de ces crédits seraient difficiles à recouvrir et que 73 % des LGFV sont incapables de générer assez de flux financiers pour tenir leurs engagements de remboursement.
De fait, des mesures ont été prises pour atténuer le problème, durcissant les normes de provisionnement et de capital et exigeant des gouvernements provinciaux qu’ils reconnaissent explicitement leurs dettes. Au vu des nouvelles règles plus strictes sur 2009, le taux obligatoire de couverture du provisionnement pour créances douteuses a augmenté de 100 % à 150 % les créances douteuses en cours, impliquant que les banques commerciales chinoises ont seulement augmenté leur provisionnement de 0,9 % des crédits accordés en 2009. En septembre 2010, le montant des provisions génériques a été établi à 2,5 % des prêts en cours, soit une hausse effective de 1 %. Le ratio de solvabilité est également passé de 8 % à 10 % pour les banques de petite et moyenne taille et à 11,5 % pour les institutions de grande envergure ; le ratio minimum de capitaux propres est passé à 75 % du capital total. En février 2011, la CBRC a exigé des banques qu’elles recalculent leur niveau de capital en considérant des pondérations plus fortes (jusqu’à 300 %) pour les risques des prêts contractés par les LGFV ou les gouvernements provinciaux. Les banques les plus importantes prévoyaient de lever 100 MdRMB en 2010 et environ 500 MdRMB de capital sur les quatre années suivantes, mais il n’est pas clairement établi jusqu’à quel point elles ont atteint ces objectifs.
En plus des conditions plus strictes d’exigence en capital et de qualité des actifs, en juin 2010, le Conseil des affaires d’État a enjoint à certains gouvernements provinciaux d’incorporer les prêts contractés par les LGFV dans leur budget et leur a interdit de garantir ces prêts.
Déjà vu : quelles similitudes avec 1998 ?
En 1998, à la suite de la crise financière asiatique, la Chine avait lancé un important plan de relance, tout comme elle vient de le faire. Le plan de relance de 1998 a également été financé par les emprunts bancaires. À l’époque, la situation était encore plus compliquée puisque en plus de financer des infrastructures, les banques commerciales avaient également pour obligation de soutenir des entreprises publiques non rentables. La quantité déjà élevée de créances douteuses (une conséquence de la crise des sociétés d’investissement et des trusts du milieu des années 1990) est passée de 28 % du PIB en 1998 à 41 % en 2000. Selon nos calculs – basés sur un échantillon biaisé en faveur des institutions les moins touchées –, plus de 28 % des prêts accordés à cette époque se sont transformés en créances douteuses dès la première année.
Peu après la mise en œuvre du plan de relance de 1998, les autorités chinoises ont débuté la restructuration du secteur bancaire qui s’est seulement terminée durant l’été 2010 avec la cotation en Bourse de la Banque agricole de Chine (BAC). Dans le cadre de cette restructuration, la plus grande partie des créances douteuses a été transférée à des organismes de défaisance (asset management corporations – AMC) ou au ministère des finances, mais seuls 25 % ont été recouvrés malgré des conditions économiques très favorables. Globalement, en considérant les prêts qui n’ont pas été radiés car définitivement irrécouvrables, le ratio de créances douteuses se situait aux alentours de 9 % en 2009, comparé à 1,6 % officiel annoncé par la CBRC pour les institutions bancaires (c’est-à-dire sans inclure les créances transférées aux organismes de défaisance ou au ministère des finances) (cf. graphique 5 plus loin).
Il est clair que la situation d’aujourd’hui est différente de celle de 1998, les banques commerciales sont mieux capitalisées et plus efficaces. En revanche, l’accumulation de crédits est bien plus importante que celle de 1998.
quel est le montant des pertes ?
La première interrogation concerne la proportion de l’actuelle expansion des crédits qui affectera négativement les finances des gouvernements provinciaux ou la qualité des actifs des banques, à moyen terme. Sur la période allant de 2008 à 2010, le volume total des prêts a augmenté de 22 400 MdRMB (71 % du PIB de 2008). Afin de déterminer le volume de créances douteuses, nous avons mis au point trois scénarios basés sur différentes hypothèses concernant le taux de défaut dû au non-remboursement et la croissance du PIB nominal, à comparer avec les chiffres « officiels » de la CBRC relayés par les médias. Étant donné l’excellente situation de la Chine aujourd’hui, le scénario le plus optimiste – celui induisant les pertes les plus faibles – devrait être, en principe, le plus probable. Cependant, des extrapolations aussi simples dissimulent d’importantes incertitudes.
Les hypothèses de notre stress test sont les suivantes. Le taux de défaut est supposé varier entre 7 % et 25 % du total des prêts contractés entre 2008 et 2010. En conséquence, la limite inférieure des 7 % fait partie d’un scénario relativement optimiste dans lequel les prêts souscrits pendant l’expansion actuelle sont de bien meilleure qualité que ceux souscrits pendant le plan de relance de 1998 et dans lequel la plupart des gouvernements provinciaux et des entreprises publiques seront capables de respecter leurs engagements de remboursement, conformément aux estimations officielles. La limite supérieure des 25 % considère un taux de défaut semblable à celui survenu après la crise asiatique. Ce taux sera associé à un environnement de tensions sévères dans lequel les LGFV ne seraient soutenus ni par les gouvernements provinciaux, ni par le gouvernement central. Enfin, la croissance du PIB nominal déterminera la base sur laquelle les créances douteuses pourront être réduites, ou non, dans le temps, en pourcentage du PIB. Pour ce faire, le stress test suppose que la croissance du PIB nominal dans la prochaine décennie sera comprise entre 8 % (pressions déflationnistes et faible croissance du PIB réel) et 14 % (inflation et croissance rapide). Nous sommes bien plus proches du second scénario, voire au-delà.
Cette simulation montre que sans considérer de scénarios extrêmes, le fardeau des créances douteuses serait compris entre 5 % et 12 % du PIB de 2009, s’ajoutant au stock de créances douteuses restant dans le secteur financier (un peu moins de 10 % du PIB) après la restructuration bancaire de la première moitié des années 2000. Cependant, ce problème de créances douteuses diminuera grâce à la croissance très élevée du PIB nominal. En 2020, le montant des nouvelles créances douteuses sera d’environ 2 %-4 % du PIB et le ratio de créances douteuses augmentera de 1 %-3 %, ce qui est significatif, mais gérable. Même en environnement pessimiste, les nouvelles créances douteuses devraient être inférieures à 10 % du PIB en 2020.
Tandis qu’à la base des problèmes actuels se trouvent le manque de financement alternatif des gouvernements provinciaux et une distribution de crédits très concentrés aux gouvernements locaux pour financer des projets d’infrastructure, en cas de tensions, il semble peu probable que le fardeau des finances publiques soit uniquement supporté par les banques commerciales. Cela irait à l’encontre des intérêts des actionnaires privés et de tous les efforts fournis pour jeter les fondations d’un secteur bancaire concurrentiel. Le scénario le plus probable en cas de crise est celui dans lequel le gouvernement central octroie de nouvelles sources de financement aux gouvernements provinciaux ou reprend les crédits contractés par leurs LGFV des bilans des banques.
Le boom immobilier et le système bancaire
Les prix de l’immobilier en Chine étaient déjà en augmentation depuis des années et l’existence d’une bulle immobilière était d’ailleurs un sujet de débat avant que la crise financière mondiale – tout comme les mesures prises pour ralentir le marché avant qu’elle ne se déclenche – ne gèle les prix pendant quelques mois. La pause dans l’augmentation des prix a dans tous les cas été très brève. Après l’annonce du plan de relance en novembre 2008, les prix ont repris leur ascension.
Au vu de la très rapide progression des prix en 2009 et en 2010 dans plusieurs villes, le débat concernant une potentielle bulle sur le marché immobilier chinois est de nouveau d’actualité. En réalité, d’après les modèles de prix d’équilibre du marché immobilier existant (Ahuja et al., 2010 ; BBVA, 2009) et les indicateurs d’accessibilité au logement, le niveau d’endettement des ménages et le volume de construction n’indiquent pas clairement une véritable bulle. Cependant, l’accessibilité des logements constitue un problème grandissant au vu de la très inégale répartition des ressources.
Dans tous les cas, il semble clair que les conditions très lâches de financement soient la cause d’une grande partie de l’explosion des prix des logements. En fait, les taux d’intérêt réels des prêts décroissent depuis un moment et sont en réalité en train de devenir négatifs avec l’inflation qui dépasse leurs augmentations.
Avant la crise financière, une bulle des prix des actifs s’était créée en Chine. Entre octobre 2007 et mai 2008, l’indice boursier de Shangai a augmenté de 460 %. De Bondt, Peltonen et Santabárbara (2010) déclarent que ce sont l’abondance de liquidités domestiques, les taux d’intérêt négatifs de l’épargne et le manque de placements alternatifs qui ont contribué à faire migrer une part grandissante de l’épargne privée sur les marchés boursiers. Les pertes cumulées survenues lors de l’éclatement de la bulle se sont élevées à plus de 70 %. Les autorités craignent la survenance d’un phénomène similaire sur le marché de l’immobilier.
Depuis avril 2010, les autorités chinoises ont commencé à prendre des mesures afin de calmer le marché de l’immobilier. Les objectifs sous-jacents étaient de stabiliser les prix des logements en restreignant la demande spéculative tout en augmentant l’offre afin de soutenir la construction et la croissance économique. Ces mesures ont été renforcées en janvier 2011 avec l’augmentation de l’acompte nécessaire à l’achat d’une résidence secondaire, l’injonction adressée aux résidents de ne pas posséder plus de deux maisons, l’introduction de taxes sur la revente à court terme de propriétés et même la mise en place d’impôts fonciers pilotes sur les appartements luxueux dans quelques provinces. De plus, la création de logements à prix réduit est encouragée. La relation entre l’évolution du marché de l’immobilier et le système bancaire se fait potentiellement selon trois grands canaux.
Le premier canal est celui de l’impact direct d’un ralentissement rapide et brusque des prix de l’immobilier sur la croissance économique qui devrait rester faible. En effet, tandis que les secteurs de la construction et de l’immobilier représentent 15 % du PIB et 25 % des investissements totaux, les mesures de ralentissement sont concentrées sur les principales métropoles, où la surévaluation semble plus importante, ce qui ne représente qu’environ 15 % des investissements globaux en immobilier. De plus, tout impact négatif de telles mesures devrait être, au moins partiellement, contrebalancé par les mesures visant à étendre les logements sociaux.
Le second canal est celui de l’exposition directe des banques au marché de l’immobilier, qui est une nouvelle fois limitée. Les prêts immobiliers représentent environ 20 % des prêts totaux et les créances hypothécaires des ménages (13 % des prêts) ont été accordées avec des ratios prêt/valeur effectifs inférieurs à 50 %. Les risques les plus importants se concentrent sur les prêts accordés aux promoteurs immobiliers qui, cependant, ne représentent que 6 % du total. Cela ne concerne évidemment que l’impact direct, l’impact général pourrait être plus important dans la mesure où les évolutions du secteur de l’immobilier peuvent affecter d’autres industries et où des biens immobiliers peuvent avoir servi de garantie pour d’autres prêts en plus des prêts immobiliers hypothécaires (Ahuja et al., 2010).
Le troisième et principal canal est celui de la dépendance des gouvernements provinciaux au foncier. Comme mentionné plus haut, le capital des organismes de financement des gouvernements provinciaux est basé sur les valeurs foncières qui pourraient être fortement influencées par les évolutions du marché de l’immobilier. Non seulement parce que les prix de l’immobilier pourraient se stabiliser conformément à la volonté des autorités chinoises, mais aussi parce que le programme visant à fournir des logements à bas prix (36 millions de logements en cinq ans) réduit de façon drastique la capacité des gouvernements provinciaux à vendre leurs terres au prix du marché. Ces différents facteurs devraient diminuer leur capacité à rembourser les emprunts contractés par le biais de leurs LGFV. Ces structures ne possédant pas de garantie explicite des gouvernements provinciaux, cela soulève donc des questions supplémentaires sur la santé du système bancaire, en lien avec les prêts accordés à ces gouvernements.
CONCLUSION
Le système bancaire chinois a réalisé de très bonnes performances ces dernières années, en comparaison de ses homologues de l’Ouest et de sa propre situation dans un passé récent. Les améliorations en termes de taille et de rentabilité sont la conséquence de sa restructuration, grâce à une recapitalisation par l’État et à l’élimination des créances douteuses. De plus, l’important plan de relance décidé par la Chine pendant la crise financière mondiale a permis aux banques de se développer en augmentant considérablement leurs volumes de prêts. Nombre de ces prêts se sont concentrés sur des structures de financement des collectivités locales dont les revenus dépendent directement des prix des terrains et de l’immobilier d’habitation en général.
Étant donné l’explosion des prix de l’immobilier en Chine, les autorités sont amenées à prendre des mesures strictes pour réduire le volume de crédits accordés (spécialement aux gouvernements provinciaux) et faire baisser les prix fonciers et de l’immobilier. Ces mesures pourraient remettre en question la solvabilité future des structures de financement des gouvernements provinciaux avec toutes les conséquences négatives qui pourraient en découler pour le système bancaire chinois.