L’année 2010 a été, pour la devise chinoise, marquée par des transformations notables après des années de statu quo ou d’évolutions marginales. Les autorités monétaires ont en effet introduit deux innovations dont l’importance respective n’a pas toujours été interprétée de façon appropriée.
Tout d’abord, le 19 juin 2010, les références utilisées pour fixer le taux de change de la devise chinoise ont été modifiées. Ce « geste » a été exécuté dans un contexte de tension avec les États-Unis. Devant a priori conduire à une réévaluation progressive du yuan, la décision semblait être un retournement majeur de la politique chinoise, à la fois réponse favorable donnée aux attentes occidentales et mise en accord avec les termes de l’échange chinois, qui ne dépendait plus uniquement du marché américain.
Ensuite, tout au long de l’été 2010, puis jusqu’à la fin de cette même année, l’introduction d’un marché du yuan non-résident (déconnecté du marché domestique) a ouvert des perspectives inattendues. C’est peut-être là que l’innovation principale et les changements les plus radicaux sont à attendre, sans que l’on puisse dire à ce stade si, effectivement, on a affaire à un test en laboratoire ou s’il s’agit de la première étape d’un mouvement programmé dans le temps.
Quoi qu’il en soit, deux routes sont désormais possibles pour la devise chinoise :
- une première route, potentiellement indiquée par l’attitude accommodante vis-à-vis des demandes occidentales, en accord avec le statut grandissant de la Chine dans le concert des puissances, y compris monétaire, rapprocherait le yuan du statut de « devise de réserve », voire de paiements internationaux, sur tous les continents, pour peu que soit franchie l’étape de la convertibilité totale ;
- une seconde route, si cette étape n’était effectivement pas franchie, serait celle qui consisterait à maîtriser l’étendue de la zone et l’accessibilité du renminbi non-résident. Cela conduirait à privilégier la régionalisation, voire une certaine forme d’internationalisation. Celle-ci n’impliquerait pas forcément l’instauration de la convertibilité.
Aussi semblables que ces deux voies puissent paraître à un observateur occidental, habitué à un système de changes flottants entre devises convertibles, il faut rappeler que le modèle établi n’est pas forcément celui que la Chine poursuit. Un arbitrage ultérieur, probablement déterminé par le contexte international, permettra de trancher entre les deux scénarios possibles. L’intérêt suprême de la Chine au moment voulu sera sans nul doute le critère de décision.
Conclure des deux décisions prises en 2010, et qui n’ont ni l’une ni l’autre à ce stade été contredites, que l’évolution du renminbi suivra un chemin « classique » est certainement prématuré. En effet, la crise de 1997 a déjà démontré que la politique monétaire chinoise sait s’adapter aux risques majeurs, voire systémiques, et trouve par avance les moyens d’y répondre et de s’y préparer. La littérature académique chinoise démontre à quel point la prise en compte d’autres cas critiques dans les histoires monétaires a joué un rôle d’« épouvantail », en particulier face aux velléités de libéralisation ou d’internationalisation (c’est le cas en particulier de ce qui se dit en Chine à propos des déboires du yen à partir des accords du Plaza). Enfin, il est certain que l’absence de retour à la normale du système monétaire international, tel que le voient les observateurs chinois, plaide aussi pour l’invention d’une solution originale permettant d’éviter les pièges, désormais trop bien identifiés, d’un système monétaire que l’on pourrait qualifier de « libéral ».
L’objet de cet article est d’étudier, parmi les nombreux scénarios possibles pour l’avenir du renminbi dans le système international, ceux qui pourraient conduire la monnaie chinoise à être un pivot du système régional. Analyser ces scénarios implique d’abord de se demander quels sont les critères indispensables pour qu’une devise joue un rôle déterminant dans une région donnée. Il faut aussi comparer ces critères à la situation actuelle et à ce qui peut être prévisible dans un futur proche pour la devise chinoise.
Finalement, en tenant compte des réformes, ou plutôt des innovations récentes, il s’agira de bâtir des hypothèses sur les différents statuts de « pivot » que pourrait prendre le renminbi dans la région.
Bases théoriques de la question à partir d’exemples historiques récents
Dans une dimension complexe, la livre sterling au XIXème et au XXème siècle et bien sûr le dollar après la grande crise des années 1930 avaient acquis le statut de devise-pivot de l’ensemble du système mondial1.
Mais le meilleur exemple historique d’une devise qui parvient à organiser autour d’elle les échanges d’une région, puis devient le pivot du système monétaire est naturellement le deutschemark dans les deux décennies qui ont précédé l’avènement de l’euro. A contrario, la devise japonaise, qui a été assez largement utilisée en Asie jusqu’à la crise de 1997, a été une impasse évolutive. Ces deux exemples sont très intensément analysés par des chercheurs chinois pour justifier la plupart du temps la prudence avec laquelle il faut engager le processus d’ouverture, fût-il celui de la régionalisation ou de l’internationalisation (Gao et Yu, 2009). Il est fait ici une nouvelle fois référence et recours à des sources que l’auteur de cet article a traduites et recensées dans d’autres publications (Di Meglio, 2010 a).
Le rôle du deutschemark dans les années 1980 et 1990 peut se résumer de façon schématique comme suit :
- c’était la devise du pays, moteur de la croissance de la région ;
- l’économie de ce pays était très fortement intégrée dans la région, les échanges de cette économie ouverte concernant largement les voisins, incluant d’ailleurs les économies fermées et nationalisées des pays de l’Est, où le deutschemark exerçait le plus son rôle de devise de référence, circulant largement et servant de référence aux prix de la région, y compris dans le bloc soviétique ;
- l’attractivité de cette devise – le potentiel d’appréciation et l’intérêt (la sécurité) attaché à la détention du deutschemark hors transactions commerciales – comme pure réserve était considérée par les acteurs institutionnels et privés comme incontestable ;
- la position des autorités du pays, outre la rigueur appliquée dans la politique monétaire, n’était pas nécessairement de promouvoir expressément une « zone mark » même si, effectivement, la promotion d’exportations libellées dans la devise était un objectif clairement développé ;
- la politique monétaire de la Bundesbank était considérée comme rigoureuse et transparente, du moins lisible.
Les autres devises européennes, avant et pendant le règne du « serpent » monétaire européen, pouvaient bénéficier du lien des économies concernées avec le mark et garder néanmoins la flexibilité que le système des changes de l’époque – et le « serpent » aussi – autorisait. On avait donc là l’ébauche d’une zone monétaire qui déboucha finalement, au vu du constat des imperfections du système « serpent », sur la création de la monnaie unique européenne.
Il a été assez souvent dit que l’euro avait été placé sous la double influence du choix fait de la parité Ostmark-Westmark et des taux de participation des pays et de leur devise dans la constitution de l’euro en 1999. Le rôle joué dans la région par le mark ainsi que les conséquences que ce rôle continue d’avoir ont donc été considérables et c’est bien l’une des questions qui peuvent être posées à propos de l’avenir de la région asiatique (ou de certaines de ses composantes) et de celui de la devise chinoise elle-même.
Il est intéressant de noter a contrario, au même moment, que l’embryon d’internationalisation qui a concerné le yen a fini par tourner court à la fin du siècle dernier. Cela s’est produit dans les années 1990 et cette internationalisation, dont on aurait pu penser qu’elle pouvait conduire le yen à accroître la dépendance des économies régionales vis-à-vis du Japon et de ses banques, a surtout été financière et non commerciale. En effet, les banques japonaises, appuyant les initiatives des investisseurs japonais dans la plupart des cas, ont prêté leur devise. Lorsque l’endaka (appréciation uniforme du yen après les accords du Plaza) a commencé en 1985, de nombreuses entreprises japonaises ont en effet dû délocaliser leur production vers l’Asie du Sud-Est pour garder leur compétitivité. Cela les a amenées à prêter à la fois aux filiales des grands groupes japonais, mais aussi à d’autres industries locales, et elles l’ont fait en yen. Par ailleurs, les autorités monétaires japonaises ont consenti à ce que leur devise serve pour des émissions obligataires de non-résidents sur le marché domestique et pour des émissions sur des marchés étrangers, émissions dans ce cas lancées par des entreprises non japonaises (les samurais et les daimyo bonds). De leur côté, les analystes chinois considèrent que cette internationalisation du yen a été l’une des causes de la « décennie perdue », en particulier du fait de la perte de contrôle par les autorités japonaises de ce qui arrivait à leur devise. En fait, un œil occidental2 a plutôt tendance à juger ce mouvement comme une tentative très timide qui n’a pas abouti et qui ne saurait en aucun cas condamner les initiatives de pays influents dans la sphère financière à internationaliser leur monnaie sans dommages. Le yen est assurément une monnaie de réserve, mais bien marginalement par rapport au dollar (la devise japonaise constitue rarement plus de 10 % des réserves des pays tiers détenteurs) et même par rapport à l’euro qui a tout simplement hérité dans ce rôle la position de feu le deutschemark (les pourcentages constituant les réserves s’établissant pour la devise européenne entre 20 % et 30 %) d’après les différentes sources de la Banque des règlements internationaux (BRI) ou des banques centrales concernées.
D’une certaine façon, ces deux internationalisations ne se distinguent pas seulement par l’ampleur de leur aboutissement. Régionalisé plutôt qu’internationalisé, le deutschemark a remarquablement bénéficié de cet élargissement et il est à ce point devenu le « pivot » de la monnaie européenne que celle-ci en a emprunté de nombreux traits (les statuts de la banque centrale et même sa localisation en témoignent). En revanche, l’internationalisation réticente et subie du yen n’était que partielle au moment de la grande crise asiatique de 1997, à laquelle elle a sans doute contribué, car le retrait massif des crédits octroyés en yen par les banques japonaises ainsi que la dévaluation des monnaies dans lesquelles étaient produits les revenus destinés à rembourser lesdits emprunts en yen ont aggravé la situation de la région.
Ainsi, ces deux cas limites peuvent-ils sans doute nous éclairer à propos du destin potentiel de la devise chinoise. Il faut noter que l’internationalisation d’une devise comporte naturellement des charges, en particulier celle de voir la masse monétaire d’un pays en partie détenue par des mains étrangères dont les intentions sont moins prévisibles et contrôlables que celles des ressortissants domestiques. Mais aussi, l’avantage de « battre monnaie » (le « seigneuriage ») permet au pays émetteur de payer dans sa devise sans avoir à opérer d’opérations de change, de couverture. Donc le coût des « frottements » généraux liés au fonctionnement d’une économie qui serait traditionnellement très ouverte sur le monde (par rapport à ceux d’une économie également ouverte, mais ne traitant pas dans sa propre devise) est abaissé par l’acceptation plus ou moins délibérée des autorités monétaires de transformer la devise en véritable instrument d’échanges avec les principaux pays partenaires.
Les critères nécessaires à l’accession au rôle de « pivot »
À partir de ces exemples, comment définir ce qu’il faut pour qu’une devise devienne un « pivot » régional ?
Tout d’abord, l’existence d’une économie forte, garante de la valeur de la monnaie imprimée par le pays concerné, demeure la première condition nécessaire : c’était d’ailleurs le cas pour l’Allemagne et le Japon, mais cela ne suffisait pas.
L’ouverture et la solidité du système financier doivent accompagner cet élément fondateur. En effet, le système financier doit pouvoir se prêter à des interventions dans le jeu monétaire et bancaire d’intervenants extérieurs et il doit aussi garantir aux intervenants domestiques qu’ils ne seront pas placés dans une concurrence défavorable par rapport à ces nouveaux intervenants potentiels. Enfin, cette solidité préalable permet aussi de garantir aux entrants étrangers que le système financier dans lequel ils sont invités à opérer ne risque pas une crise majeure à un horizon visible.
Il y a donc des étapes logiquement franchissables avant d’étendre le rôle d’une devise et de la faire circuler dans tout ou partie des échanges extérieurs au pays :
- avant tout un dispositif de régulation délimitant bien le rôle respectif des intervenants et offrant des garanties nécessaires de fonctionnement efficient, obéissant à des normes généralement acceptées en termes de comptabilité et de réglementation. Le degré de transparence du système est un bon critère d’évaluation de ce point ;
- lié à ce point et aux conséquences qu’il détermine, le niveau de prêts non performants générés par le système financier en général est aussi une bonne indication de la viabilité et de l’attractivité du système financier national considéré ;
- indéniablement, le « potentiel » d’expansion et surtout d’appréciation de la devise est un facteur additionnel d’internationalisation et la rend attractive d’abord dans la région, agissant comme un refuge, et au-delà, agissant comme une référence (naturellement, cet aspect se manifeste surtout du côté de la valeur de réserve d’une devise, l’appréciation étant une qualité potentiellement « perverse » pour le point suivant) ;
- en effet, sans marché financier développé, la capacité d’expansion du rôle d’une devise est limitée. Il s’agit de savoir si tous les éléments de marché (bancaire, obligataire, boursier) sont accessibles, disponibles et efficients. En particulier, l’existence d’une courbe de taux reflétant des marchés monétaires et obligataires actifs, et éventuellement liquides et profonds, est un constituant indispensable ;
- l’ouverture de marché, incluant le marché obligataire et le marché boursier, à des intervenants extérieurs « signe » aussi très fortement le degré d’évolution, d’attractivité. Cela serait naturellement contredit par des barrières protectionnistes ou techniques rendant difficile l’approvisionnement en liquidités, par exemple, ou l’accès aux dépôts, tout simplement ;
- enfin, la « dérivée » naturelle de cet élément, c’est-à-dire la convertibilité sans restrictions.
S’agissant du cas de la devise chinoise et avant de regarder dans la suite de ces développements les mesures réformatrices des deux dernières années, on peut schématiquement résumer de la façon suivante le positionnement chinois3. Sur l’essentiel des trois premiers points, concernant l’augmentation du rôle de la devise, un travail considérable a été accompli depuis les réformes des années 1990 répartissant à la fois les rôles respectifs des institutions bancaires elles-mêmes, mais aussi des instances de régulation, les mettant en place, définissant leur statut et assignant aux banques existantes des domaines d’action spécifiques. L’entrée de la Chine dans l’OMC (Organisation mondiale du commerce) s’est faite en 2001, mais c’est seulement en 2006 que le secteur financier a été englobé dans cette appartenance, à l’occasion d’une mise à niveau des institutions et de la promulgation d’une nouvelle loi bancaire, garantissant un level playing field en principe aux étrangers, dans un contexte de transparence accrue et de stabilité assurée par les instances régulatoires. Par ailleurs, le travail sur les prêts non performants qui avaient résulté de la croissance forte des années 1990 dans un environnement encore peu réglementé s’est déroulé à partir du début du millénaire : des institutions de « défaisance » permettant d’assainir le bilan des banques les plus atteintes, suivies de mesures originales et assez agressives de recapitalisation, avant même qu’une partie du capital des banques chinoises soit mise sur le marché, ce qui a été réalisé entre 2004 et 2010. Naturellement, le sujet des prêts non performants reste délicat en Chine, le plan de relance destiné à contrecarrer les effets redoutés de la crise financière mondiale de 2008 sur l’économie chinoise ayant rouvert les vannes du crédit qui avaient été considérablement resserrées à partir de la deuxième moitié de 20074. À la suite de l’augmentation considérable du volume des crédits bancaires, on ne peut pas exclure une nouvelle augmentation des prêts non performants, en particulier issus de banques provinciales qui auraient bénéficié des changements de condition après une période très restrictive. Le test de « l’après-relance » sera effectivement efficace pour confirmer que sur ce plan-là aussi, la Chine a changé de camp et a intégré les rangs des pays les plus vertueux dans un domaine clé qui permet de rendre attractif le marché financier chinois, à supposer qu’il s’ouvre et à confirmer le potentiel d’évaluation de la devise qui demeure encore partiellement inconvertible. Sur ce dernier point, les nombreuses réclamations internationales, en particulier américaines, portant sur une sous-évaluation supposée de la devise chinoise en disent long sur le potentiel d’appréciation de cette monnaie encore inconvertible.
À l’inverse et au regard des conditions nécessaires pour permettre à une devise de jouer un rôle régional, voire un rôle-pivot, un certain nombre d’éléments d’évolution de la devise chinoise sont aujourd’hui trop embryonnaires et offrent très peu d’ouvertures concrètes.
Ces points sont très liés entre eux. Aujourd’hui et même après le décloisonnement du rôle des banques et la mise en place d’une régulation et d’autorités assurant ce rôle, le système évolue effectivement dans un cadre étroit. Les réglages économiques et financiers (création de monnaie, encadrement du crédit, émissions obligataires) sont effectués top-down comme il se doit, mais surtout sans laisser aucune place au marché. L’une des conséquences directes est le poids du taux de réserve dans les activités bancaires (l’un des principaux instruments de réglage de la liquidité du système), la fixation rigide de taux administrés pour les dépôts, les dépôts à terme, les prêts dans la devise locale. Cela peut se résumer à l’absence quasi totale de marché financier.
Concernant le marché des changes (rapporté au « renminbi domestique » tout au moins), il est limité aux opérations très encadrées menées par les opérateurs autorisés et même si un marché du swap (contrats de change à terme contre des devises étrangères) existe à Shanghai, les maturités et les volumes restent très restreints. Des instruments parallèles se sont aussi constitués (non-delivery forwards) et représentent en fait un marché de gré à gré institué en dépit des règles par les banques avant la libéralisation dont il est question dans cet article.
En résumé, l’arsenal d’instruments financiers est, au plan domestique, encore assez rudimentaire malgré de lentes et régulières innovations.
À propos du marché boursier, il faut aussi noter que la dichotomie entre A shares et B shares, les unes réservées aux résidents, les autres aux non-résidents, le premier marché représentant environ dix fois plus de capitalisations et de volumes que le second, contribue considérablement au cloisonnement des activités financière chinoises et à ce que l’on pourrait appeler un ringfencing. Il s’agit d’un cordon sanitaire destiné à permettre à toute mesure prise par les autorités chinoises pour lutter contre la création monétaire, l’inflation et la surchauffe d'être immédiatement efficace, sans les complications qu’apporteraient une trop grande profondeur de marché ou la présence d’acteurs moins contrôlables. Parmi les mesures destinées à développer ces marchés, il faut noter l’existence de quotas de QFII (qualified foreign institutional investors) sur le modèle taiwanais de la fin des années 1990. Quelques autres mesures, dans la foulée de la loi bancaire de décembre 2006, ont rendu possible, sinon facile, l’intervention d’étrangers dans le jeu financier. La nécessité d’approbation préalable et d’obtention de licences spécifiques pour la plupart des produits ou des champs d’action (banques de détail, marchés de taux, dérivés…) persiste.
Aussi, le niveau d’exigences prudentielles ou simplement capitalistiques ou encore réglementaires (validation des responsables in tuitu personae) demeure. En apparence, ces points sont reliés de façon seulement lointaine avec l’enjeu de la présente réflexion qui est de savoir si la devise chinoise peut effectivement devenir un pivot régional, mais on verra qu’ils contribuent à renforcer l’une des hypothèses positives formulées plus loin, dans le cas où la réponse à la question serait positive.
Pour finir, le critère clé permettant de débloquer la situation actuelle et d’accomplir, dans les différents scénarios, les progrès rapprochant la devise chinoise d’un statut et d’une influence régionale est la convertibilité.
Sur l’arrière-fond de littérature abondante qui a cours sur la question de l’internationalisation de la devise chinoise5, il faut souligner l’ambiguïté de ce débat : l’internationalisation n’implique pas dans le contexte chinois un passage à un statut convertible. Or la clé la plus logique permettant d’ouvrir au yuan le statut de « devise-pivot » est classiquement l’accession à un statut de devise convertible.
En résumant cette très brève revue systématique des « points acquis » par la devise chinoise, il est clair que l’on est en face d’un processus en gestation dont les mutations ne sont pas achevées, mais dont l’évolution reste incertaine : les nouveaux fondamentaux (rénovation du système bancaire, par exemple) sont assurés, mais leur solidité peut être remise en cause par des soubresauts de l’économie intérieure. Par ailleurs, le chemin encore à parcourir reste jalonné d’étapes importantes. La détermination est encore à démontrer. Aujourd’hui, aucun des différents « gestes » sur la gestion du yuan – y compris ceux qui ont été définis durant l’année 2010 – ne permet d’affirmer que la marche dans cette direction est réellement enclenchée. Pour autant, on ne peut pas dire qu’il y a eu déviation par rapport aux réflexions théoriques datant déjà de nombreuses années, qui ont été ravivées et approfondies lors des derniers mois et qui vont être discutées maintenant.
Les réformes monétaires chinoises récentes : bases académiques, autres sources théoriques, développements concrets
Nous décrirons ici ce que les mesures de 2010 recouvrent techniquement et quelles sont les conséquences directes de marché de ces évolutions à la fin de cette partie, mais il convient dans un premier temps de revisiter le cadre théorique qui avait été préparé pour les déterminer.
Ce cadre théorique est une réflexion souvent agitée dans les cercles universitaires en Chine continentale, mais aussi à Hong Kong, sur l’« internationalisation » de la devise chinoise et ses conséquences. Néanmoins, avant de l’analyser, il faut bien distinguer ces réflexions des débats publics, y compris internationaux, portant sur le taux de change. En effet, le point de vue occidental fait deux amalgames parallèles :
- « toute discussion interne en Chine sur l’internationalisation de la devise sous-entend une harmonie avec le souhait occidental de soumettre le yuan aux forces de marché » ;
- « tout geste conduisant à l’appréciation du yuan est une prise en compte fondamentale du point de vue occidental et nous rapproche d’un accord global sur le rôle futur de la devise chinoise ».
Si la lecture de nombreux articles universitaires peut effectivement laisser de la place à ces amalgames, il faut nuancer l’étude de tels documents par la prise en compte de nombreux débats internes qui continuent à prévaloir et qui portent essentiellement sur les modalités et la probabilité d’une « régionalisation », voire d’une « internationalisation » de la devise chinoise : elles ne prendraient pas nécessairement les formes que nous avons en tête d’un point de vue libéral et occidental. La Chine, sur la base des observations historiques rappelées plus haut et avec l’expérience que lui donnent les multiples emprunts à des systèmes économiques qu’elle seule a pu réconcilier, projette sans doute là aussi la production d’un modèle qui sera ou non compatible avec l’ordre mondial actuel, mais qui, sans aucun doute, sera différent de ce que l’on a déjà vu et pratiqué dans le passé, y compris après Bretton Woods.
Depuis que l’environnement financier chinois a pris sa forme actuelle, que nous venons de décrire, c’est-à-dire après la résolution de la question des crédits non performants dont l’origine remontait à la première phase de l’ère Zhu Rongji6 et après la recapitalisation des premières banques chinoises, avant même leur mise sur le marché, des réflexions académiques ont planifié l’évolution future du système. En résumé, on peut simplement mentionner qu’au travers de nombreux travaux, la période allant de 2020 à 2030 a été identifiée très tôt et de très loin comme celle qui permettrait de parachever la modernisation entamée et, à l’époque, d’envisager (une partie de la littérature évoquée émanait de Hong Kong, place libérale par définition) une convertibilité totale obtenue par étapes successives. Voici, par exemple, ce que l’on peut trouver sous la plume de Ding (2010) : « Il faudrait fixer le cours du renminbi en fonction d’un panier de monnaies pondérées par leur poids dans le commerce international, ce qui a semblé annoncer une évolution vers le taux de change flottant. »
En marge de cette littérature académique, très homogène et qui a tracé depuis longtemps le cadre de modernisation et de libéralisation des échanges concernant la devise chinoise, le débat interne, y compris dans des revues non directement concernées par les sujets financiers, a été ouvert dès 2009 lorsque se sont manifestés de façon claire à la fois l’ampleur de la crise financière, l’implication de la Chine dans la possible résolution de la crise et le spectre du piège potentiel dans lequel cette implication pourrait projeter la Chine (le contre-exemple du Japon dont la devise, selon les interprétations chinoises, a été « trop » internationalisée, comme évoqué plus haut).
Mais c’est surtout dans ces débats qu’apparaissent les sous-jacents d’un malentendu majeur entre les deux parties prenantes (l’occidentale et la chinoise). La partie chinoise met en effet clairement en perspective les gradations possibles de l’ouverture et de la libéralisation par la Chine des marchés monétaires. Par exemple, si dans l’un des articles mentionnés, la convertibilité est clairement envisagée comme l’étape ultime de la libéralisation désormais entamée ou si parfois elle est sujette à discussion, il apparaît aussi une autre ligne « dure » qui s’exprime de la façon suivante : le yuan est désormais une monnaie qui compte et il y a de la place pour une « régionalisation », éventuellement une internationalisation de sa circulation, sur la base d’accords existants. En revanche, il n’est absolument pas nécessaire de franchir le pas de la convertibilité. Ainsi, une théorie originale se fait jour. Si elle n’était pas mise en œuvre « en miniature », ou en « laboratoire », pourrait-on dire, elle pourrait paraître farfelue ou peu crédible.
En revanche, ce qui s’est passé depuis juin 2010 ouvre clairement la voie à des options nouvelles pouvant conduire à différents statuts pour un yuan clairement « rehaussé » dans son statut et sa valeur, probablement pas réévalué au sens où les interlocuteurs (en particulier américains) l’entendent et en tout cas ne subissant pas forcément les impacts du marché, donc se réévaluant surtout par décision politique et non du fait d’une direction nécessairement donnée par des marchés où la devise s’échangerait librement.
Principes sous-jacents de ces réformes et nouvelles perspectives ouvertes
De nombreux faux départs avaient marqué les évolutions du renminbi depuis 2005. Ils étaient très anxieusement attendus, scrupuleusement analysés, rarement correctement interprétés dans les premières semaines suivant l’annonce de la décision. Par exemple, en juillet 2005, l’annonce que la bande de fluctuations de la devise chinoise serait élargie autour d’un cours pivot avait certes bien été comprise comme la volonté d’opérer une réévaluation significative. Cependant, il n’était pas tout à fait évident à l’époque que cette réévaluation s’opérerait de façon continue et atteindrait l’ampleur que l’on a connu jusqu’en novembre 2008, date de l’arrêt de ce mouvement pour cause de manifestation très marquée de l’impact de la crise financière sur la Chine et du ralentissement de son taux de croissance et potentiellement aussi de ce qui en est le principal moteur, les exportations. Le faux départ suivant intervint après la « pause » sur le taux de change que l’on vient de rappeler. Après que la réévaluation du yuan commencée en juillet 2005 ait marqué le pas à l’occasion de la crise financière, une nouvelle annonce est venue changer la donne : non plus l’élargissement de la bande de fluctuations, mais la référence à un panier diversifié de monnaies. Sur la base des événements précédents, les attentes se sont tournées vers un nouveau mouvement d’appréciation, mais elles furent déçues. À la fin de 2010, l’appréciation totale de la devise face à son ancienne « référence unique » n’était que de 4 %. Il faut aussi rappeler les raisons objectives qui ont déclenché les décisions : au tout premier plan, les pressions étrangères, surtout américaines, en faveur d’une réévaluation de la monnaie chinoise pour atteindre une parité « juste », et l’imminence, à chaque fois que des décisions chinoises ont été prises, d’une réunion importante.
En réalité, en 2010, « une réforme en a d’abord caché une autre ». Alors que les attentes les plus fortes ont été placées du côté de la convertibilité, donc de la mise sur le marché du yuan en vue d’une évidente réévaluation, les principaux changements ont concerné la création d’un nouveau marché de la devise à Hong Kong.
Ainsi, une nouvelle entité est créée, une sorte de « yuan non-résident » qui n’est fongible qu’avec de grandes réserves au renminbi circulant en Chine.
Cette entité obéit à des règles de création et de change très définies7 et qui sont mises en place dans la logique et la continuité des premières mesures de libéralisation concernant la devise domestique circulant déjà à Hong Kong depuis 2009.
Très schématiquement, les nouvelles mesures permettent :
- de placer des dépôts en renminbis à Hong Kong, sans liens avec des transactions effectuées réellement en Chine ;
- et de créer un marché actif d’un « frère jumeau » du yuan à Hong Kong doté de nombreux instruments indispensables, en particulier ceux qui font encore défaut en Chine, de façon à faire exister une courbe des taux, des benchmarks et une liquidité suffisante pour des échanges valides sur ces différents instruments.
Il est donc facile de comprendre que l’objectif qui correspond tout à fait à la méthode expérimentée dans le long processus des réformes chinoises est :
- de tester en taille réduite (comme cela avait été le cas il y a très longtemps pour les « zones économiques spéciales ») le fonctionnement d’un marché ouvert de la devise chinoise en prenant le risque de l’internationalisation, mais aussi de la convertibilité ;
- d’éviter le piège des « devises internationalisées malgré elles », un peu comme le yen l’avait été, et celui d’une internationalisation contre la réglementation domestique (au départ, la mise en circulation de l’euro-dollar n’était rien d’autre, la création de l’euro-franc, quant à elle, était destinée à propager le rôle du franc français hors de la zone domestique réglementée). Ces deux pièges portent en germe le même risque : celui d’une création monétaire non contrôlée. Mais la méthode adoptée par les autorités monétaires chinoises se distingue d’expériences précédentes en ce sens que le domaine de circulation de la nouvelle devise est centré sur une seule place et, naturellement, la plus contrôlée, même de loin, par la Chine. Par ailleurs, un contrôle supplémentaire est ajouté du fait du rôle de quasi-clearer officiel attribué à la Bank of China (rappelons que cette banque bénéficiaire, comme Hong Kong Bank et Stanchart, du privilège d’émission des Hong Kong dollars – HKD – n’est qu’une banque commerciale et non une banque centrale). Pour finir, les montants mis en circulation sont supposés être sévèrement restreints de façon à susciter une création monétaire sans rapport avec les activités économiques sous-jacentes, même si l’on est purement ici dans le domaine financier et même fiduciaire ;
- d’ajouter une autre méthode de test aux méthodes alternatives envisagées dans le passé récent. En effet, il faut se souvenir qu’une sorte de mondialisation de la devise chinoise était considérée lorsque de nombreux accords de swap étaient passés avec des pays très actifs dans le commerce avec la Chine ;
- d’élargir prudemment la zone d’influence du yuan. En effet, même sans initiative de ce type, la devise chinoise, ou plus exactement sa représentation matérielle (le renminbi sous forme de billets), a commencé d’avoir cours et même d'être activement échangée depuis quelques années dans la région : à Taiwan, où ce n’est pas le moindre paradoxe, mais aussi en Asie du Sud-Est, du fait de la présence active de commerçants chinois dans ces pays (à cause de l’imbrication de plus en plus grande des deux économies et de la circulation de plus en plus active des personnes entre « les deux rives ») rendant commode, sinon quasiment logique, la mise en circulation de billets. L’idée d’officialiser une zone d’échanges entre les yuans de l’intérieur et ceux qui, officiellement, régulièrement (comme résultat d’opérations commerciales ou d’opérations de change dûment validées) ou irrégulièrement sont désormais en circulation redonne l’initiative et le contrôle aux autorités chinoises.
Depuis les réformes de fond du système financier chinois, la nouvelle loi bancaire à l’occasion de l’entrée de la Chine à l’OMC et après les différentes innovations apportées au statut du yuan, beaucoup de changements ont indéniablement eu lieu. Simplement, il faudrait décrire ces changements plutôt comme des adaptations progressives à des contraintes extérieures que des étapes conduisant à un inéluctable changement fondamental. Néanmoins, le décor est planté pour ce changement sans que l’on puisse dire dans quelle direction précise il s’orientera réellement.
Le refrain habituellement entonné par les partenaires internationaux de la Chine sur les questions monétaires est que « la Chine n’a pas encore ajusté son rôle dans le système monétaire à l’influence qu’elle a commencé d’exercer depuis la crise financière ». Ce point de vue est naturellement sous-tendu par l’impossible dialogue avec les États-Unis ainsi que par l’accroissement inéluctable des réserves de change. On pourrait néanmoins imaginer que ce point de vue trouve, en creux, un écho complètement différent en Chine. Outre la posture officielle indiquant que la Chine a besoin de temps pour mener à bien ses réformes monétaires et aussi qu’elle n’est pas responsable des désordres monétaires internationaux, on peut supposer qu’elle continue de travailler à partir d’une analyse différente. Comme souvent, ce point de vue inclurait deux hypothèses contradictoires, mais inégalement probables.
La première hypothèse serait le maintien d’un système monétaire international reconduit sur les principes actuels de fluidité et de convertibilité des principales monnaies et reposant sur les principaux acteurs de l’économie mondiale (c’est à partir de cette hypothèse, qu’elle n’invalide pas, que la Chine a demandé et obtenu un rôle accru au sein du Fonds monétaire international – FMI). La difficulté de cette hypothèse, considérée comme la seule valable par l’ensemble des pays libéraux, est qu’elle contraint la Chine à subir le rythme des pressions extérieures concernant la libéralisation de son régime de change et de sa devise. Mais rien ne dit qu’elle n’est pas prête à le faire : la création du CNH (yuan chinois à Hong Kong), la mise en place d’une courbe de taux dans cette devise et la multiplication des émissions encouragées par la Chine et, dans certains cas, lancées par des émetteurs non chinois vont très exactement dans ce sens. À supposer qu’au bout de quelques années, le marché du CNH prenant de l’ampleur n’exagère pas les tensions à l’arbitrage entre des parités potentiellement divergentes, c’est bien l’instrument qui permettrait l’entrée de la Chine dans le système global, après la levée probable de la barrière entre le CNH et le CNY (dénomination codée de marché généralement acceptée du yuan) et la résolution du « problème » du HKD. Si cette résolution était effectivement une fusion du CNH et du HKD, déterminant automatiquement la fin du currency board établi à Hong Kong depuis 1984, deux zones monétaires de la région utiliseraient ainsi le yuan comme devise de référence. D’ici là, on peut imaginer que l’intégration progressive de l’économie taiwanaise à l’économie du continent et de Hong Kong permettrait certainement l’entrée de l’économie de l'île dans le nouveau système monétaire, sans pour autant nécessiter la disparition de la devise domestique taiwanaise qui n’a jamais acquis de rayonnement régional. Dans cette configuration, il resterait à voir quel serait le stade ultérieur : une zone progressive d’union monétaire procédant par des étapes semblables à celles qu’a connues l’Europe dans le premier scénario ECU (XEU), puis dans le schéma « euro » (EUR) pourrait être envisagée. A minima et en excluant un tel processus qui aurait besoin d’un apaisement des relations politiques et diplomatiques dans la région, la circulation accrue d’un yuan régionalisé pourrait sans aucun doute être la devise de la région dans le cadre d’une évolution « en douceur » reflétant tout simplement l’importance prise par la Chine dans les flux d’investissement et le commerce régional. Ce serait une évolution « à la deutschemark » des années 1980-1990, qui n’exclut naturellement pas celle vers un système monétaire intégré.
La deuxième hypothèse, qui, sans aucun doute, présente avec un degré de probabilité difficile à établir, mais qui est peut-être de moins en moins nul, dans les plans de la banque centrale chinoise, mais aussi d’un certain nombre d’observateurs chinois, des soubresauts d’après-crise, peut fort bien être conforme aux grands principes que l’on retrouve dans certains propos diplomatiques chinois. C’est ainsi que Gu Xiaosong, directeur de l’Institut des études sur l’Asie du Sud-Est à Nanning et vice-président de Guangxi Academy of Social Sciences, confirmait lors du sommet de Nanning sur « le corridor », qui réunissait les pays limitrophes du Guangxi au début de septembre 2010, que « le yuan sera prochainement utilisé comme devise pour les échanges avec l’Inde, le Pakistan, la Russie, le Japon et la Corée ».
Une telle évolution ferait de la Chine le pilier d’une zone émergente de plus en plus isolée, sinon repliée sur elle-même, mais certainement immunisée des risques de crise financière ultérieure. Dans ce cas, ainsi qu’une certaine littérature de think-tanks chinois l’évoque, le modèle serait en fait un élargissement de la « pensée monétaire » chinoise à d’autres zones plutôt que l’entrée de la Chine dans un système vis-à-vis duquel elle est de plus en plus méfiante. Un retour à un pseudo Bretton Woods et en tout cas à des parités fixes ou faiblement flottantes entre les devises-piliers de chaque région (l’Europe, l’Asie et le monde libéral très ancré sur une dépendance aux États-Unis) contraindrait naturellement la Chine à jouer un rôle plus actif, mais restreint à sa zone d’influence. Dans ce cas, la « porosité » de l’utilisation des devises clés entre les trois (ou plus) zones monétaires serait faible. Un véhicule-transit d’échanges serait adopté entre ces zones : ce pourrait être le même dollar, peut-être le SDR (special drawing right), peut-être un nouveau mixte entre les différentes devises-reines (la question du yen reste ouverte). Mais dans un tel schéma, sans aucun doute, la Chine aurait un grand intérêt à pousser l’utilisation étendue de sa devise dans la région. Effectivement, le yuan deviendrait bien le « pivot » de l’Asie. La Chine exercerait un « seigneuriage » qu’elle est naturellement loin de pouvoir exercer dans le scénario le plus libéral. Mais on peut se demander si au vu des craintes que suscite en Chine la dépendance à des principes monétaires libéraux qu’elle approuve et maîtrise finalement tout aussi peu que les autres piliers du libéralisme, cette version, quoique la moins probable, ne jouirait pas des préférences de Pékin.
Le principal risque d’un tel scénario pour la Chine (autrement plus risqué pour les économies concernées en dehors de la potentielle « zone renminbi » d’isolationnisme asiatique) est celui de l’augmentation incontrôlée de la masse monétaire, danger toujours omniprésent dans les esprits chinois et porteur de grands dangers politiques, comme on l’a constaté dans l’histoire. Se pose alors la question du rôle actif que la Chine et ses représentants dans les instances de réflexion et de gouvernance internationale (en particulier le G20) sont prêts à interpréter. Naturellement, il faut vivement espérer que sans nouvelle manifestation de tensions et de crises, ses acteurs jouent le jeu libéral dans lequel la Chine a bien fini par entrer. Une entrée à reculons ou chargée d’arrière-pensées dans ses réflexions, avec quelques cartes qu’elle garde par-devers elle, serait plus catastrophique que les très nombreux scénarios qui en l’état actuel des parties prenantes après la crise et dans la phase de reconstruction dans laquelle nous nous trouvons pourraient avoir cours.
Ces scénarios sortent clairement du champ visible de ce qui est prédictible techniquement aujourd’hui, mais tiennent compte de tendances à long terme. Nous avons aussi essayé d’extrapoler « dans un contexte local » l’histoire retracée au début de cette contribution, les évolutions de différentes devises du système actuel, à des stades antérieurs de son évolution. Mais ce système est indéniablement voué à des évolutions (sinon condamné à évoluer sous la pression des événements). L’avenir du yuan n’est sans doute pas celui d’un « nouveau dollar », peut-être celui d’un partenaire stratégique d’un dollar et d’un euro dont les statuts auraient changé par rapport à la situation actuelle. Alternativement, le yuan pourrait devenir le « deutschemark asiatique » des années 2020 et préparer l’avenir d’une nouvelle zone dont nous ne pouvons aujourd’hui qu’imaginer les contours.