Ce numéro de la Revue d’économie financière est consacré aux interactions entre la technologie, l’innovation et les systèmes financiers. Il s’agit ici d’éclairer par quelques témoignages et analyses nos lecteurs sur les transformations en cours et leurs implications tant pour les modèles d’affaires des institutions financières que pour l’action des régulateurs. Loin de nous de prétendre faire un examen exhaustif de la question, car ses contours sont en renouvellement constant ; il s’agit plutôt de proposer un « point sur la situation et ses perspectives ».
Nous procédons en quatre chapitres combinant les points de vue d’universitaires et de praticiens. Le premier chapitre est consacré à la nouvelle donne créée par la technologie tant au plan stratégique qu’au plan managérial. Le deuxième chapitre s’intéresse aux transformations qui en résultent pour le positionnement commercial et les modèles économiques des institutions financières. Le troisième chapitre porte sur les modifications des marchés de transactions de masse comme les paiements et les titres. Enfin, le dernier chapitre aborde les aspects relatifs à la maîtrise des risques, notamment systémiques, et au rôle de la régulation.
De cette revue émergent cinq grands thèmes, qui fournissent une grille de lecture et de réflexion pérenne permettant d’anticiper les déformations futures du paysage.
- Les technologies « nouvelles » stricto sensu apparaissent et existent bien avant qu’elles ne puissent transformer les marchés et les habitudes. C’est leur diffusion large qui crée les ruptures. Par exemple, le protocole internet existe depuis 1973. Au titre des conditions d’une diffusion efficace et réussie des innovations, les articles de ce numéro mettent clairement en évidence la nécessité de combiner une vision stratégique, des actes managériaux forts et une appropriation de méthodes précises. Certains auteurs soulignent les effets amplificateurs de la « boule de neige » technologique : mieux une institution est préparée à intégrer des innovations, plus vite elle peut en tirer les bénéfices.
- Les modifications les plus profondes sont la résultante de quatre facteurs intervenant de façon presque concomitante : (1) la maturité d’une innovation, caractérisée notamment par une technologie stable et son appropriation par un grand nombre de producteurs, (2) l’émergence de nouvelles réglementations, (3) l’apparition de concurrences inédites et (4) l’adoption par des utilisateurs. Ainsi se définissent, progressivement, de nouveaux cadres pour l’exercice d’un métier traditionnel ou d’un nouveau métier. Les quatre éléments sont nécessaires pour assurer une masse critique aux nouveaux marchés et leur bon fonctionnement, mais l’initiation des transformations peut prendre sa source dans un seul des quatre facteurs, sans ordre particulier pour le processus d’initialisation. Les articles montrent à l’envie que les ruptures correspondantes dans les modèles d’affaires offrent autant d’opportunités de développement que de risques d’obsolescence.
- Les ruptures, voulues ou involontaires, nécessitent, pour être créatrices de valeur à moyen terme, une collaboration étroite entre les intervenants de marché et les régulateurs. Un retard de la prise en compte de l’innovation par la réglementation crée des inefficacités de marché, profitables à certains, dommageables pour d’autres, et entraîne souvent un délai supplémentaire pour introduire des adaptations, voire des corrections.
- Mais comment le régulateur peut-il trouver le bon équilibre entre, d’une part, favoriser a priori toute innovation et, d’autre part, garantir la sécurité des transactions, la liquidité des marchés et la maîtrise des risques systémiques ? Quelques exemples illustrent la réalisation de ce dosage fin entre réglementation et innovation, qui passe par un dialogue entre les différents acteurs et requiert parfois un degré suffisant de normalisation.
- Un dernier thème apparaît en filigrane : alors que les maîtres-mots pour les intervenants de marché et pour les régulateurs deviennent agilité, rapidité, adaptation et adoption, les interdépendances liées à la mondialisation sont aujourd’hui un facteur de complexité, parfois de lenteur, pour la concrétisation des bénéfices des innovations. Par exemple, des technologies nouvelles, comme la chaîne de blocs (blockchain), pourraient s’accompagner d’une difficulté à identifier et localiser les régulateurs compétents ou à coordonner leurs actions, au moins dans les métiers de transaction, étant donné la nature « transhumante » du teneur de marché.
En conclusion, il semble que l’énergie créatrice de tous les acteurs du système financier s’accompagne toujours du mouvement de « destruction créatrice », si cher à Joseph Schumpeter, créant un décalage avec les régulateurs que ceux-ci chercheront à réduire.
Comment faciliter la diffusion de l’innovation dans un système financier dont la régulation se renforce ? La clé pourrait être l’application stricte des règles de bonne conduite financière (financial conduct) coordonnées par le Conseil de stabilité financière et visant à assurer un traitement équitable au client, éviter des situations d’abus de marché et promouvoir une éthique des affaires à tous les niveaux du système financier.
Idéalistes ?