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 Innovation financière et fiscalité


Bertrand LAVAYSSIÈRE * Managing Director, zeb Consulting. Contact : Bertrand.Lavayssiere@zeb.co.uk.

Cet article tente d'illustrer, sans ambition d'exhaustivité, quelques aspects de la relation entre l'innovation financière et la fiscalité. Trois angles de vue sont pris pour éclairer le sujet. Le premier explore la relation existante entre les décisions fiscales liées aux budgets des États et leurs implications sur la création de produits ou leurs évolutions. Le second illustre comment certains produits vont être utilisés de manière créative pour optimiser des situations fiscales spécifiques, par exemple le niveau de bénéfice ou le montant des dividendes. Le troisième angle concerne la création de marchés nouveaux liés à des décisions fiscales, comme la taxe carbone.

L'innovation financière est une activité créatrice quotidienne des banquiers, des assureurs, des courtiers, des intermédiaires, pour s'adapter aux évolutions des besoins des clients, aux changements de nature de la concurrence, de la distribution, de la réglementation ou encore de la technologie, ou une combinaison de ces différents facteurs. Néanmoins le secteur des services financiers est probablement celui qui dépose le moins de brevet. En effet, les innovations sont souvent non brevetables par nature, un « produit financier » est souvent, dans la réalité, un contrat. Par ailleurs, la capacité des institutions financières de partager les risques avec d'autres fait souvent partie intégrante de la qualité ou de la viabilité d'une innovation financière soit pour des produits, soit pour des services.

Ces dernières années, l'explosion de l'accès à l'Internet a bouleversé bien des modes de consommation. Pour illustrer, dans certains marchés européens, les transactions élémentaires bancaires (consultations de compte, virements, transferts internationaux) sont réalisées à l'aide d'un smartphone dans plus de 70 % des cas ou pour l'une des premières banques européennes, 45 % des produits vendus aux particuliers sont contractualisés directement en ligne. Cela a un impact immédiat sur l'activité des agences bancaires. Cette innovation-là a un impact durablement transformationnel.

Cet article a pour ambition d'illustrer comment des innovations financières sont liées aux sujets de fiscalité et de taxation. Il tente ainsi d'illustrer, sans ambition d'exhaustivité, quelques aspects de la relation entre l'innovation financière et la fiscalité. Trois angles de vue sont pris pour éclairer le sujet. Le premier explore la relation existante entre les décisions fiscales liées aux budgets des États et leurs implications sur la création de produits ou leurs évolutions. Le deuxième illustre comment certains produits vont être utilisés de manière créative pour optimiser des situations fiscales spécifiques, par exemple le niveau de bénéfice ou le montant des dividendes. Le troisième concerne la création de marchés nouveaux liés à des décisions fiscales, comme la taxe carbone.

Premier angle de vue : les impératifs du budget
ou de politiques des États
et l'innovation financière

Le sujet de l'innovation pour les produits et les services dans les services financiers revient très régulièrement dans les discussions stratégiques de comités de direction des établissements financiers, notamment lors des phases de faible croissance ou de marge d'intérêt pincée. Nous nous sommes interrogés pour présenter des réflexions sur l'innovation. Il y a des vrais sujets, comme l'évolution de la distribution, de l'expérience clients, de la complétude des services, du pricing et de la facturation, pour n'en citer que quelques-uns. Cependant, en matière d'innovation sur les produits et les services, comme le disaient plusieurs de mes clients : « L'innovation financière en matière de produits, notamment dans la banque de particulier, est faite au ministère des Finances ! »

Cette boutade n'en est pas totalement une. Quels que soient les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), les produits bancaires et d'assurance élémentaires sont contraints par des ambitions réglementaires liées aux dispositions politiques ou budgétaires, celles-ci souvent accompagnées, voire sous-tendues, par des fiscalités spécifiques. Quelques exemples illustrent ce propos.

Il n'y a pas un pays d'Europe qui facture (même après SEPA et PSD1/2) les comptes courants de la même manière. En France, à l'origine, un compte courant est gratuit pour faciliter la mensualisation des salaires qui permet, à son tour, de tenter de contrôler le travail au noir et les paiements en espèces. Les commissions d'incident et les services additionnels, dont les cartes, ont permis petit à petit de contrebalancer cela. En Italie, longtemps, la taxe sur les comptes courants était dissuasive, rendant les banques collectrices d'impôts (certains diraient que c'est le cas partout). En Angleterre, les soldes de comptes courants étaient rémunérés et taxés. Cela a conduit à une disparité significative des offres de banques de particulier, qu'il est si difficile d'harmoniser aujourd'hui en Europe. Ce n'est pas seulement la variété des approches, mais aussi la variété des régimes sous-jacents de taxation.

Les mêmes logiques s'appliquent aux livrets d'épargne. En France, l'intérêt du livret A est non taxé pour favoriser le logement social, du moins à l'origine. Partout en Europe, l'épargne de précaution a un régime fiscal différent.

L'assurance-vie est un autre exemple de produit à la structure fiscale liée aux contraintes du budget de l'État, du moins à l'origine. « Il était une fois » un État qui émettait de la dette et avait besoin d'investisseurs pour se financer à long terme. Créer un produit d'épargne long avec un avantage fiscal (réduction des droits de succession, des rendements, etc.) pour une durée plus ou moins longue (elle a varié dans le temps entre dix et six ans). En faisant une comparaison européenne, des écarts significatifs apparaissent sur la pénétration de l'assurance-vie. Le montant investi en assurance par habitant varie de 1 à 20 selon les pays pour une moyenne de 1 400 euros en primes annuelles, ou un total de primes de 4 % du PNB (produit national brut), mais avec des pays à 0 % et d'autres proches de 10 %. La France est à 6 % en 20161. En regardant dans le détail, ces différences s'expliquent par le champ de ce que recouvre l'assurance-vie, et comment l'État a décidé de faire financer sa dette. Les produits d'assurance-vie couvrent trois grands besoins des consommateurs : l'assurance-décès qui verse un capital lors d'un décès, l'assurance-vie en cas de vie qui offre des produits d'épargne et enfin (souvent par apérition d'assurance dommages en fonction des codes d'assurance locaux) l'assurance maladie, invalidité, incapacité. L'assurance-vie est donc au confluent de trois domaines : l'assurance (protection d'un risque), l'épargne et la protection sociale. L'historique des constructions de ces produits/services et de leurs marchés en Europe, et leur contexte fiscal, a conduit à une grande variété de situations. Cela explique la disparité des poids de l'assurance-vie dans chacun des pays, sans bien sûr aborder ici les fiscalités spécifiques liées au monde de la retraite ou à des couvertures médicales ou sociales.

Ces exemples illustrent sommairement le propos : un nombre certain de produits élémentaires de l'offre de services financiers est contraint par des choix fiscaux qui, souvent, n'ont rien à voir avec les besoins initiaux des clients. Il est néanmoins nécessaire que pour que les consommateurs adoptent ces produits, ils y trouvent un intérêt souvent fiscal. Ce n'est pas toujours vrai : par exemple, en Angleterre, le gouvernement a identifié un financing gap sur les retraites. Le système étatique, d'inspiration ultralibéral, verse des retraites bien en dessous d'un niveau minimum de « survie », certes pour des cotisations non significatives. L'État impose alors un système de cotisation obligatoire dit « auto-enrolment » avec abondement des entreprises, et un avantage fiscal pour le collaborateur, forçant ainsi les entreprises et les actifs à combler cet écart de financement des retraites (cela est un raccourci simplificateur). Les 401k aux États-Unis sont une autre version du même mécanisme. Ce mécanisme illustre par un autre angle que les décisions de l'État créent des produits laissant peu de place à la créativité sur les produits eux-mêmes. Les banques et les institutions financières se différencient alors par le positionnement de ces produits dans l'offre vis-à-vis de segments de clients donnés ou en termes de communication.

En conclusion de cette partie : de nombreuses innovations financières, notamment pour le marché des particuliers, sont liées à des décisions fiscales des États et ne laissent la place qu'à l'innovation sur les services liés ou au positionnement spécifique d'une gamme de produits et de services.

Deuxième angle de vue : la créativité financière
pour minimiser les taxes

Le propos n'est pas ici de discuter le bien fondé des impôts, droits de timbre, forfaits, contributions, participations, et autres inventions des législateurs. Il n'est pas plus le propos de juger si les impacts sont positifs ou négatifs, ou s'ils atteignent l'objectif initialement prévu. Leurs définitions et leurs corollaires de subtilité dans l'application de régimes dérogatoires, les variations d'assiette et de taux, et leurs exceptions sont le terreau d'une activité permanente de recherche de l'évitement et, parfois, de tricheries. L'imagination est au pouvoir des deux côtés (taxeurs et taxés), et quel que soit le pays. C'est le phénomène physique bien connu d'action/réaction.

L'innovation financière abordée ici correspond à l'utilisation de produits financiers définis dans un contexte particulier utilisé à des fins d'optimisation fiscale.

Les illustrations sont potentiellement infinies dans tous les domaines financiers, de la gestion privée à la finance d'entreprise. Deux exemples, avec quelques données chiffrées, seront succinctement décrits : l'utilisation des dérivés pour optimiser les résultats des entreprises et les prêts-emprunts de titres dans le traitement fiscal des dividendes.

Une thèse nord-américaine de 2015 quantifie l'utilisation des produits dérivés financiers (les dérivés, dans la suite du texte) dans l'optimisation fiscale des entreprises2.

Les dérivés permettent deux types d'optimisation fiscale. La première, assez naturelle, est liée à la théorie de gestion des risques lorsqu'une couverture est recherchée afin de se prémunir des variations fortes de l'un des composants de formation du résultat (prix des matières premières, taux de change, etc.). L'objectif est alors de lisser le résultat dans le temps et particulièrement de limiter les résultats trop élevés qui pourraient apparaître artificiels ou liés à des effets d'aubaine temporaires.

La deuxième manière d'utiliser les dérivés est de combiner les dérivés pour reproduire des modèles économiques et tirer parti des insuffisances des codes fiscaux. En effet, les dérivés permettent de recréer à l'envi tous les actifs sous-jacents d'activités ou créer des profils économiques nouveaux. Par ailleurs, le traitement fiscal des dérivés est souvent très incomplet par rapport à la variété existante et à la création continue dans les marchés. Cette non-exhaustivité des traitements fiscaux des résultats des dérivés est une opportunité d'optimisation. De plus, la taxation des dérivés peut aussi dépendre des opérations sous-jacentes et de leur forme de transaction (contrats spécifiques, utilisation de société ad hoc, hedge funds, etc.). Ces contrats ou véhicules présentent aussi des régimes fiscaux différents. Ainsi la créativité peut s'exprimer en fonction de la nature de taxation à optimiser, de son horizon de temps, de sa localisation, etc. Comme toujours, l'interprétation des codes fiscaux peut être rigoriste ou flexible. La localisation de certains de ces véhicules dans des pays à la fiscalité favorable ou à la transparence économique douteuse rend le travail des autorités plus complexe.

L'utilisation des dérivés dans l'optimisation fiscale prend deux grandes formes, une forme « passive » et une forme « active » ou agressive.

La forme passive est la forme naturelle d'utilisation des dérivés pour couvrir les risques de volatilité. Sur la base d'un échantillon3 d'entreprises pratiquant ces couvertures, l'estimation de l'optimisation fiscale est de l'ordre de 5 % d'impact sur la volatilité du résultat. Cet effet relativement restreint conduit à s'interroger sur l'importance de l'impact par rapport à la complexité de sa mise en œuvre.

La deuxième utilisation des dérivés, plus agressive, est quantifiée sur un échantillon d'entreprises produisant un reporting détaillé et cohérent sur huit ans. L'échantillon couvre environ tous les ans pendant 8 ans 2 000 entreprises cotées et non cotées produisant des informations sur les dérivés dans leurs rapports annuels (Form 10-K enregistré à la SEC – Securities and Exchange Commission). Les instruments utilisés concernent les swaps, les futures/forward et les options sur des sous-jacents de dette/taux d'intérêt, de taux de change, de matières premières, et dans tous les secteurs d'activité non financiers, à travers les États-Unis.

Le résultat montre que les utilisateurs réguliers de dérivés, sur l'échantillon, génèrent une optimisation fiscale dont le montant est entre 3 Md$ et 7 Md$, suivant les hypothèses, soit entre 15 % et 20 % de réduction du résultat. De plus, des impacts complémentaires de l'utilisation des dérivés sont tangibles : une réduction de la volatilité des cash-flows, une réduction des risques notamment financiers. Il est à noter que la taille de l'entreprise, et donc sa capacité supposée de sophistication, n'est pas un facteur différenciant.

Sous cet angle de vue, de minimisation des taxes par l'utilisation créative de produits financiers classiques ou sophistiqués, un grand classique est l'utilisation de prêts-emprunts de titres (repos), notamment lors de la période de paiement des dividendes.

Pour des utilisations multiples, les prêts-emprunts de titres sont une pratique très répandue. Le prêt/emprunt de titres est une opération pratiquée sur les marchés financiers consistant à prêter, respectivement emprunter, des titres contre la promesse de restituer des titres de même nature à une date future, généralement dans quelques jours ou quelques semaines, et moyennant une commission payée par l'emprunteur au prêteur (ou inversement).

L'emprunt de titre est généralement associé à la vente à découvert. L'investisseur ayant un avis négatif sur une valeur sans qu'il la détienne en portefeuille peut effectuer une vente à découvert et assurer la livraison des titres vendus en les empruntant préalablement.

L'emprunt sur une très courte période permet également de suppléer à une défaillance technique ; par exemple, un retard de réception de titres risque de retarder à son tour une livraison dans le cadre d'une autre opération, ou d'entraîner un tirage sur la masse, c'est-à-dire une livraison par prélèvement sur des titres appartenant à la clientèle, une situation généralement prohibée dans les réglementations nationales. L'emprunt permet ainsi à l'établissement financier, teneur de compte, d'assurer des obligations de livraison tout en respectant le principe de ségrégation des comptes.

Récemment, une fraude fiscale à l'échelle européenne a été démontée. Des individus de différentes nationalités s'échangeaient en abondance et rapidement des actions lors du versement de dividendes. La manœuvre permettait de brouiller la véritable identité des porteurs et de jouer sur la TVA entre pays. La « créativité » de traders, de banquiers et d'avocats aurait coûté au moins 55 Md€ en quinze ans à plusieurs États européens.

Ces utilisations correspondent à des utilisations dont l'objet permet de protéger l'intérêt de chacun dans un contexte fiscal clairement circonscrit.

Imaginons que les taux de taxation entre des établissements financiers et des entreprises ou des particuliers soient très différents. Transférer des titres, sous cette méthode, pendant la période de versement des dividendes à la partie prenante à l'avantage fiscal clair permet à chacune des parties prenantes de trouver un bénéfice additionnel.

Ces deux exemples sont juste deux illustrations de la mise au service de l'optimisation fiscale de produits/services qui sont nés de besoins tangibles.

Quand une taxe crée un marché financier :
le cas de la taxe carbone

La taxe carbone est une taxe environnementale sur les émissions de dioxyde de carbone, le gaz à effet de serre. Son but est de renchérir les énergies fossiles ainsi que les biens et les services qui en utilisent pour leur production et leur distribution. L'augmentation des prix, proportionnelle à leur contenu CO2, envoie un signal-prix aux producteurs et aux consommateurs, les incitant à réduire leur consommation et à s'orienter vers les produits générant le moins d'émissions de CO2. Elle incite à une plus grande sobriété et à une meilleure efficacité énergétiques, ainsi qu'à la « décarbonation » de l'économie. Elle vise à modifier les comportements et à orienter les achats et les investissements.

C'est une taxe basée sur le principe pollueur-payeur qui donne un prix au carbone des énergies fossiles, ajouté au prix de vente, et fait payer tout ou partie de leurs impacts négatifs. Ces conséquences sont les coûts cachés des dommages causés, dès maintenant et plus encore à long terme, par le réchauffement climatique.

La taxe carbone est l'un des deux principaux outils destinés à donner un prix au carbone, l'autre étant les quotas d'émissions négociables (via une bourse du carbone). La taxe fixe le prix du carbone sans maîtriser les quantités de CO2 émises, alors que les quotas fixent les quantités émises sans maîtriser le prix du carbone sur les marchés. Les deux systèmes peuvent coexister, la taxe permettant notamment d'impliquer les très nombreux petits émetteurs diffus, difficiles à soumettre au système des quotas.

Une quarantaine de pays dans le monde utilisent la taxe carbone dans le cadre de leur politique de lutte contre le réchauffement climatique.

La taxe carbone peut également avoir pour objectif de préparer progressivement la société à un épuisement des ressources d'énergies fossiles. La Banque mondiale a mis en place une unité spécialisée pour financer les projets « environnementaux ». L'estimation est que les besoins d'investissement sont de l'ordre de 90 000 Md$ dans le monde pour les dix ans à venir.

Comme il y a parfois un déséquilibre entre les droits liés à l'activité et leur utilisation réelle, un système d'échange de vente et d'achat de droits a été mis en place. Il existe aujourd'hui une vingtaine de places pour ce marché.

En Europe, le système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) a été établi par la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 afin de, selon l'article premier de celle-ci, « favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes ».

La mise en œuvre du SCEQE s'effectue en plusieurs phases ou « périodes d'échanges » :

  • phase 1 : 2005-2007 : du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007 s'est déroulée une phase pilote encadrée par la directive 2003/87/CE. Il s'agissait d'établir un prix du carbone et les quotas nationaux ;

  • phase 2 : 2008-2012 : cette phase correspond à l'application du Protocole de Kyoto (du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012).

Les quotas sont alloués gratuitement aux installations. Si une entreprise dépasse les quotas, elle peut soit adapter son installation, soit acheter, au prix du marché, des quotas supplémentaires à une entreprise n'en ayant pas besoin. À partir de 2012, le SCEQE s'applique aux émissions de CO2 de l'aviation civile en application de la directive 2008/101/CE du 19 novembre 2008.

Phase 3 : 2013-2020 : la phase 3 est un renforcement du système dans l'optique d'obtenir une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en 2020 (par rapport à 1990). Ainsi, à partir de 2013 :

  • l'application du système sera élargie ;

  • les plafonds d'émission nationaux seront remplacés par un plafond unique européen ;

  • le quota est réduit linéairement chaque année ;

  • les quotas deviendront progressivement payants (la mise en œuvre se fera secteur par secteur, le secteur électrique étant le premier à passer à une allocation 100 % aux enchères avec certaines exceptions).

Le 16 avril 2013, le Parlement européen refuse néanmoins par un vote de retirer 900 M€ de droit d'émission du marché du carbone. L'objectif de cette proposition était de faire remonter le cours de la tonne de CO2, descendue en dessous de 4 euros sous l'effet de la crise.

Le Parlement européen s'est prononcé le 24 février 2015 pour la création d'une « réserve de stabilité de marché » pour la fin de décembre 2018, soit trois ans plus tôt que ce qui était proposé par la Commission européenne. Ce nouveau mécanisme permettrait de réguler le marché en retirant des quotas d'émission de CO2 en période de récession et, à l'inverse, en en redistribuant en période de croissance. La France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne souhaitent que la réserve soit mise en œuvre dès 2017, mais plusieurs pays européens de l'Est, menés par la Pologne, sont réticents et préconisent d'attendre 2021.

La Commission européenne propose en juillet 2015, dans un « paquet d'été » sur l'énergie, une réforme du marché du carbone pour l'après-2020 qui durcit sensiblement les conditions d'octroi des quotas d'émission, en vue de transcrire dans des actes juridiques l'objectif que s'est fixé l'Union européenne de réduire ses émissions d'au moins 40 % d'ici à 2030. Elle propose notamment de réduire de 21 % la quantité globale de quotas de CO2 (droits à émission) alloués entre 2021 et 2030, par rapport à la période 2013-2020, soit – 2,2 % par an. Une partie croissante de ces quotas (57 %) sera dès aujourd'hui soumise à un système d'enchères et seulement 47 % seront attribués gratuitement. Les allocations gratuites seront réservées aux secteurs qui présentent le plus grand risque de délocalisation de leurs activités de production en dehors de l'Union européenne. Le nombre d'industries éligibles à 100 % de quotas gratuits sera réduit de 180 à 50. L'acier, l'aluminium et la chimie en feront partie. Un fonds pour l'innovation sera alimenté par le produit des enchères de 400 millions de quotas (estimé à environ 10 Md€) et destiné à soutenir l'investissement dans les énergies vertes ou encore la séquestration du carbone. Cette réforme, ajoutée à la « réserve de stabilité » adoptée quelques jours auparavant par le Parlement européen, pour mise en œuvre à compter de 2019, devraient faire remonter le prix du carbone : Thomson Reuters prévoit 17 euros en 2020 et 30 euros en 2030, alors que la tonne de CO2 a évolué en 2017 entre 5 euros et 10 euros, niveau jugé insuffisant pour orienter les investissements vers des industries moins émissives. Au premier semestre 2018, le cours fluctue entre 11 euros et 16 euros.

Phase 4 : 2021-2030 : le 10 novembre 2017, la présidence du Conseil des ministres de l'Union européenne et le Parlement européen sont parvenus à un accord sur la réforme du marché carbone (EU-ETS ou SCEQE) pour la période 2021-2030. Cet accord politique doit maintenant être formellement approuvé par le Parlement européen et le Conseil. Dans le cadre de l'objectif de réduction des émissions européennes de 40 % entre 1990 et 2030, les émissions des 11 000 centrales électriques et sites industriels gros émetteurs de CO2 couverts par le marché carbone européen devront être réduites de 43 % par rapport à 2005. La réforme vise à atteindre cet objectif et à résorber progressivement les quelque 2 milliards de quotas en surplus afin de mettre un terme à la déprime du marché. Conseil et Parlement se sont accordés sur une réduction annuelle de l'allocation des quotas de 2,2 %, contre 1,74 % par an actuellement. Cela permettra une réduction supplémentaire des émissions de quelque 556 millions de tonnes au cours de la décennie. L'accord prévoit que la question soit réexaminée en vue d'augmenter ce taux de réduction annuelle à partir de 2024. La Commission espère que cette réforme permettra de porter le prix européen du CO2 d'un peu moins de 8 euros la tonne en 2015 à 25 euros à 30 euros en 2030. L'autre point clé de la réforme est le doublement de la capacité de la réserve de stabilité, qui pourra accueillir jusqu'à 24 % des excédents annuels de crédits.

Au milieu de novembre 2018, le cours du carbone est remonté à 20 euros la tonne, alors qu'il était à 4,38 euros la tonne en mai 2017 ; selon le think tank Carbon Tracker, il pourrait passer à 25 euros la tonne à la fin de 2018 et atteindre entre 35 euros et 40 euros la tonne en 2023, niveau suffisant pour rendre les centrales électriques à charbon plus coûteuses que celles à gaz ; il pourrait en résulter une réduction d'émissions de CO2 de 60 Mt (millions de tonnes) en 2019 et 90 Mt en 2020-2021.

Dans sa phase actuelle, le SCEQE est un marché permettant d'échanger des quotas de CO2 émis. Ces quotas sont attribués gratuitement ou aux enchères par chaque État. Les entreprises ont ensuite la possibilité de vendre ou d'acheter des quotas, créant ainsi un marché du carbone. L'objectif des deux premières périodes est de mettre en œuvre le protocole de Kyoto qui vise une réduction globale des émissions. Depuis la troisième période, il n'existe plus de lien explicite avec le protocole de Kyoto.

Vingt ans après l'initiation de la taxe carbone, c'est un marché établi, mais de nombreuses vicissitudes et chausse-trappes ont émaillé son émergence. Les deux points de contention les plus forts sont d'abord la remise en cause de son utilité, ses effets pervers (d'où l'exonération de nombreux secteurs) et ensuite les grandes variations de son prix.

En même temps, des « incidents » ont entamé sa crédibilité. Par exemple, des escrocs ont appliqué la recette de la fraude à la TVA à la nouvelle bourse du carbone, la bourse d'échange de quotas d'émission de CO2. Pendant dix-huit mois, les mêmes quotas carbone font des rotations entre la France et l'étranger, en passant par des sociétés fictives. Il s'agissait d'acheter des quotas hors TVA dans une société fictive dans un pays étranger, avant de les revendre en France à une autre société fictive à un prix incluant la TVA, puis d'investir les fonds dans une nouvelle opération. La TVA, elle, n'était jamais reversée à l'État. Cette fraude a permis de détourner entre 1,6 Md€ et 1,8 Md€ en France en 2008 et 2009 et entre 5 Md€ et 10 Md€ pour l'ensemble des États membres de l'Union européenne selon Europol. Devant l'ampleur de la fraude, les opérations ont été exonérées de TVA à partir de juin 2009 en France.

D'autres incidents comme la fermeture prématurée de la bourse BlueNext est une illustration des difficultés de ces marchés.

Le trading des quotas d'émission est établi dans une vingtaine de marchés (19), spot et futures, pour environ trente-neuf pays appliquant une forme de taxe carbone. La Banque mondiale estime que le montant annuel de la taxe carbone est de l'ordre de 20 Md$. Le trading total varie évidemment en fonction de l'activité économique, mais les volumes annuels dépassent pour les principaux marchés environ 1 200 millions de tonnes de carbone pour une valeur estimée à 30 Md$4.

Conclusion

Cet article tente de démontrer, de manière non exhaustive, que l'innovation financière et la fiscalité sont intimement liées. Trois angles de vue ont permis de l'illustrer :

  • la consanguinité des produits des services financiers et des décisions fiscales et budgétaires des États ;

  • l'innovation impulsée par la loi de la physique d'« action-réaction », si une taxe est créée comment en minimiser l'impact ou la contourner. Mais aussi comment utiliser les produits financiers, comme les dérivés, pour minimiser les impôts, de manière normale ou agressive ;

  • des taxes, comme la taxe carbone, peuvent créer des marchés significatifs.


Notes

1 Source : Insurance Europe 2016.
1 Source : Insurance Europe 2016.
2 Donohoe M. P. (2015), « The Economic Effects of Financial Derivatives on Corporate Tax Avoidance », Journal of Accounting and Economics.
2 Donohoe M. P. (2015), « The Economic Effects of Financial Derivatives on Corporate Tax Avoidance », Journal of Accounting and Economics.
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Échantillon d'entreprises :

  • source : base de données EDGAR de la SEC/NY/NYC Form 10-K ;

  • année 2000-2008 ;

  • total de 17 446 observations d'entreprises sur huit ans, soit environ 2 000 par an.

3

Échantillon d'entreprises :

  • source : base de données EDGAR de la SEC/NY/NYC Form 10-K ;

  • année 2000-2008 ;

  • total de 17 446 observations d'entreprises sur huit ans, soit environ 2 000 par an.

4 Sources : Banque mondiale, IETA.
4 Sources : Banque mondiale, IETA.