L'Argentine est la troisième économie d'Amérique latine et la vingt-quatrième économie mondiale, avec un produit intérieur brut (PIB) de 550 Md$ prévu en 2016 et un revenu par tête d'environ 12 500 dollars. Elle dispose d'un clair avantage comparatif dans le secteur primaire – l'agriculture et l'agroalimentaire notamment, mais aussi les ressources minières qui représentent aujourd'hui une source essentielle de devises. 60 % des exportations sont des produits primaires ou primaires transformés. La filière soja pèse près de 30 % des exportations, soit 20 Md$ (voir Williamson, 2016, pour un état des lieux du secteur agricole argentin depuis la crise de 2001). En outre, l'Argentine détiendrait les réserves de pétrole et de gaz de schiste parmi les plus importantes au monde, les conditions de rentabilité de leur exploitation n'étant pour l'instant pas réunies.
Cette forte spécialisation constitue un facteur de vulnérabilité à l'évolution des cours mondiaux, d'autant que l'Argentine est exposée, plus que ses voisins, à des facteurs d'instabilité économique internes. Le pays a connu huit épisodes de crise économique depuis 1955, révélant des difficultés chroniques à maîtriser l'inflation et entamant durablement la confiance dans la monnaie locale. Ces éléments structurants ont un impact déterminant sur le financement de l'économie argentine au sens large (Kiguel, 2015). En tant qu'économie de taille moyenne dépendant des cours mondiaux des matières premières, l'environnement externe a toujours été un facteur explicatif important de la conjoncture économique argentine, dans ses phases haussières aussi bien que baissières.
Coupée des financements internationaux depuis la crise de 2001, l'Argentine a enregistré une phase de croissance exceptionnelle entre 2003 et 2011, soutenue par de forts gains des termes de l'échange.
La hausse des prix à l'exportation a permis d'enclencher un cycle de forte croissance sur la période 2003-2011, de 7 % en moyenne, soutenue dans un premier temps par un effet de rattrapage consécutif au très fort ajustement de l'économie durant la grande crise de 2001 et, parallèlement, par l'essor des capacités productives dans le secteur du soja.
Cette phase de croissance portée par le secteur agro-exportateur aura permis à l'Argentine de ne pas s'attaquer aux problèmes structurels de son économie (inflation et faible productivité notamment) et de différer son retour sur les marchés de capitaux internationaux, desquels elle s'est trouvée coupée depuis la cessation de paiement sur sa dette extérieure en 2001.
Encadré
L'Argentine et les « fonds vautours » : un litige au retentissement international
En décembre 2001, l'Argentine s'est déclarée en cessation de paiement sur l'ensemble de sa dette extérieure, s'élevant à 88 Md$, 93 % de cette dette étant détenue par des créanciers privés. Les 7 % restant étaient détenus par des organismes multilatéraux, le Fonds monétaire international (FMI) notamment, ainsi que des créanciers bilatéraux du Club de Paris.
Afin de restaurer la soutenabilité de sa dette, l'Argentine a procédé à une opération d'échanges de titres auprès des créanciers privés en 2005, au cours de laquelle 76,15 % des titres ont été restructurés. En 2006, elle a remboursé la totalité de sa dette auprès du FMI, puis a procédé, en 2010, à une nouvelle opération d'échanges de titres avec le secteur privé, portant le total des créances restructurées à 92,4 %, avec des prises de pertes de la part des investisseurs à hauteur de 66 % de la valeur faciale des titres.
En 2011, des fonds procéduriers américains détenteurs d'obligations argentines non restructurées, émises sous droit des États-Unis, ont engagé une procédure devant les Cours de justice américaines afin d'obtenir le remboursement complet de leurs créances. Dans certains cas, les titres avaient été acquis à prix de marché après le défaut argentin, soit avec une décote très importante et sans subir le préjudice du défaut1.
Le 7 décembre 2011, le juge américain Thomas Griesa, en charge de l'affaire, a rendu un premier verdict favorable à ces fonds, emmenés notamment par NML et Aurelius, spécialistes de ce type d'opérations, estimant que l'Argentine avait enfreint l'une des clauses des contrats obligataires sous droit américain, dite « pari passu », en ayant procédé au paiement d'obligations restructurées sans rembourser les créanciers n'ayant pas participé à l'échange. Selon l'interprétation du juge Griesa, la clause pari passu implique que tout paiement à une classe d'investisseurs doit s'accompagner d'un paiement proportionnel (ratable) aux autres créanciers.
En février 2012, le juge Griesa a notamment interdit à l'Argentine de payer sa dette restructurée sans en faire de même, au préalable, auprès des créanciers ayant refusé la restructuration. Pour souligner les risques que fait peser cette décision sur le bon fonctionnement des processus de restructuration des dettes souveraines, plusieurs pays, dont la France et les États-Unis, se sont portés amicus curiae auprès des Cours américaines. Au cours de cette première partie du conflit, les fonds procéduriers NML et Aurelius ont en outre, à plusieurs reprises, tenté de saisir des actifs argentins, sans succès.
Après avoir épuisé les voies de recours, auprès de la Cour d'appel de seconde instance de New York (août 2013), puis de la Cour suprême des États-Unis (juin 2014), l'Argentine s'est trouvée condamnée à se mettre en conformité avec les décisions de la juridiction américaine. Alors qu'elle s'apprêtait à payer 539 M$ aux créanciers restructurés, le juge Griesa a ordonné le blocage des fonds, le 30 juillet 2014, générant un événement de crédit pour l'Argentine et l'entrée en situation de défaut partiel (selective default).
Au début de septembre 2014, l'Argentine a tenté de contourner la décision des juridictions américaines en votant une loi permettant aux créanciers restructurés l'échange de leurs obligations sous droit états-unien contre de nouvelles obligations sous droit argentin ou français. À la suite de cette tentative qui se révélera infructueuse, le juge Griesa a déclaré le pays coupable d'« outrage au tribunal », sans toutefois appliquer de pénalité immédiate.
Durant le second semestre 2014, les autorités argentines ont justifié le refus de paiement aux fonds procéduriers en indiquant que tout paiement aux créanciers non restructurés sur la base de la décision du juge Griesa aurait donné droit aux créanciers restructurés de demander le même traitement, annulant tout le bénéfice de la restructuration.
Dans un premier temps limité à la demande originelle de quelques fonds, pour un montant nominal de 1,33 Md$, la procédure a progressivement concerné davantage de créanciers ayant refusé la restructuration (ou holdouts). Entre juin et septembre 2015, le juge Griesa a instruit favorablement plusieurs demandes collectives de détenteurs d'obligations non restructurées, souhaitant bénéficier d'un traitement similaire à NML et Aurelius.
La sortie du défaut partiel est intervenue à l'issue de plusieurs semaines de négociations entre les nouvelles autorités argentines et les créanciers holdouts. Le 5 février 2016, l'Argentine a présenté une offre à ses créanciers non restructurés, proposant une décote de 27,5 % par rapport au montant entériné par un tribunal, ou 150 % du capital initial si le créancier ne bénéficie d'aucune décision judiciaire favorable. Le juge Griesa a indiqué qu'il suspendrait ses mesures d'interdiction frappant l'Argentine si le pays remboursait les créanciers avec qui un accord a été trouvé avant le 29 février. À cette date, l'Argentine avait trouvé des accords de principe portant sur plus de 85 % des créances détenues par les fonds procéduriers2.
Caractéristiques structurelles de l'économie argentine et développements économiques récents
Si l'économie s'est fortement « dé-dollarisée » depuis la crise économique de 2001, la formation des prix demeure encore très dépendante de l'évolution du dollar
La crise économique de 2001, l'une des plus sévères qu'un pays ait jamais enregistrée (plus de 1 million d'emplois auraient été détruits selon le FMI), a révélé de profonds déséquilibres dans le mode de financement de l'économie argentine. La surévaluation du change, le plan de convertibilité mis en place dans les années 1990 sous Carlos Menem (fixant la valeur du peso à celle de 1 dollar) et un endettement extérieur en devise excessif ont conduit à un ajustement brutal des comptes extérieurs, qui s'est traduit rapidement par une crise économique majeure. La forte exposition au dollar du bilan des institutions financières et du secteur privé de manière générale a conduit à une restructuration profonde du système financier (le nombre d'institutions est passé de plus de deux cents en 1993 à environ quatre-vingts ces dernières années3). Les nombreuses restructurations (dans les secteurs public et privé) et la non-résolution de nombreux litiges (cf. infra) ont entraîné une moindre dépendance aux financements en devise étrangère. En 2014, la part des crédits en devise dans le volume de crédit total au secteur privé n'atteignait que 6 % (BCRA ou Banque centrale de la République argentine, et calculs des auteurs), en baisse constante depuis le début des années 2000.
Si le bilan des agents s'est dé-dollarisé à la suite de la crise financière de 2001, le dollar demeure la monnaie de référence pour la fixation des prix de biens durables (immobiliers, par exemple) et le support d'épargne privilégié4. L'évolution des prix affiche ainsi une forte corrélation aux fluctuations du change, une dépréciation entraînant généralement une hausse de l'inflation (cf. graphique 1 représentant le taux de change effectif réel du peso sur le long terme, qui a continué à s'apprécier tendanciellement depuis 2002, malgré de nombreuses dépréciations nominales du peso). Cette dépendance constitue un problème central puisqu'elle empêche, à terme, l'Argentine de maintenir ses gains de compétitivité-prix (à noter cependant que le secteur agro-exportateur dépend, quant à lui, de l'évolution des cours mondiaux des céréales, en particulier du soja ; la dynamique inflationniste grève la compétitivité du secteur industriel, automobile, par exemple).
Le besoin de financement extérieur s'est creusé sur la période 2010-2015, le modèle de croissance s'étant déséquilibré du fait de la hausse de la demande intérieure
L'appréciation réelle du taux de change argentin sur la période 2010-2015 (cf. graphique 1 et commentaires supra), couplée aux nombreux chocs externes défavorables, a dégradé les comptes extérieurs argentins. La balance courante est devenue déficitaire à partir de 2010 (–1 % du PIB en 2014) et le solde commercial a été négatif en 2015, pour la première fois depuis plus de quinze ans, l'Argentine étant traditionnellement exportateur net.
L'épargne nationale ne permet pas de financer l'investissement qui se trouve par ailleurs à un niveau très faible. La faiblesse du taux d'épargne s'explique notamment par une dégradation tendancielle du déficit budgétaire, particulièrement marquée en 2015, un taux d'épargne des ménages structurellement faible, la croissance ayant été fortement tirée par la consommation ces dernières années et une économie informelle de taille importante. À moins de 20 % du PIB et compte tenu des besoins en capital, le taux d'investissement national apparaît en outre particulièrement faible, en deçà de la moyenne régionale déjà peu élevée (21 % en 2015 selon le FMI).
En tendance, les investissements directs étrangers (IDE) ont de moins en moins couvert les besoins de financement extérieurs. Les IDE entrants évoluent en moyenne à 2 % du PIB depuis 2011, conséquence de la méfiance grandissante des investisseurs étrangers à l'égard de l'Argentine :
le contrôle des changes mis en place en 2011 s'est traduit progressivement par l'impossibilité pour les filiales étrangères de rapatrier les dividendes aux maisons mères et par l'impossibilité de solder les dettes commerciales, estimées à la fin de 2015 à environ 5 Md$ ;
le comportement des autorités sur certains dossiers a pu envoyer des signaux de défiance aux investisseurs. En 2012, notamment, le gouvernement argentin a exproprié la filiale du groupe espagnol Repsol en Argentine. De manière générale, le retournement de la conjoncture internationale à partir de 2011 a généré un interventionnisme croissant de l'État dans l'économie ;
l'Argentine est l'un des pays enregistrant le plus de litiges au CIRDI (Centre international de règlement des différends), l'une des principales cours internationales de règlement des différends entre les États et les investisseurs étrangers, conséquence notamment de la « pesification » de l'économie en 2001 ;
le strict contrôle des importations mis en place en 2011, condamné par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et remplacé à la fin de 2015 par un système plus souple, a par ailleurs nui à l'implantation d'entreprises étrangères en Argentine et a fortement pesé sur les entreprises déjà présentes. Les licences d'importations obligatoires en vigueur sous l'administration Kirchner imposaient aux entreprises souhaitant importer de justifier un fort contenu local ou des contributions aux exportations du pays.
Parallèlement, les réserves ont fortement diminué depuis 2010, passant de 52 Md$ à 25 Md$ à la fin de 2015, en dépit de la mise en place d'une ligne de crédit (swap) avec la Banque populaire de Chine (BPDC) de 11 Md$. Cette ligne de financement prévoit un échange de devises nationales entre les deux parties de maturité d'un an. Les liquidités prêtées par la BPDC sont donc libellées en yuans et convertibles en dollars moyennant le paiement d'une prime (dont le montant n'est pas rendu public).
La nécessaire correction des déséquilibres macroéconomiques a été entamée à la fin de 2015
L'une des promesses de campagne de Mauricio Macri, élu en novembre 2015, était de lever le contrôle des changes instauré par la précédente administration. Le 17 décembre, soit à peine quelques jours après l'entrée en fonction du gouvernement, le nouveau ministre des Finances Alfonso Prat-Gay a annoncé la suppression des contrôles de capitaux et la flexibilisation du change. De fortes craintes préexistaient en amont en raison du faible niveau des réserves (cf. supra) et du risque de dévaluation non contrôlée. La transition a pu s'opérer sans soubresaut majeur sur le marché des changes du fait de la bonne préparation de l'administration pour implémenter la levée des contrôles.
Le taux de change officiel a convergé vers le taux de change du dollar qui existait sur le marché parallèle5 (aussi appelé « dollar blue », cf. graphique 2).
Les nouvelles autorités ont flexibilisé le régime de change et ne défendent pas de parité particulière, même si la BCRA se réserve le droit d'intervenir. Le niveau des réserves continue toutefois à constituer un indicateur de fragilité important à surveiller, même si les récentes émissions obligataires internationales et l'amnistie fiscale en cours avaient, à la fin d'octobre 2016, permis d'augmenter le niveau de réserves à hauteur de 40 Md$ (contre 25 Md$ à la fin de 2015).
La normalisation des relations financières devrait conduire les bailleurs multilatéraux à renforcer leur présence en Argentine
La période 2011-2014 a été marquée par un ralentissement significatif du volume de financements engagés par les institutions multilatérales de développement en Argentine, la Banque mondiale notamment, lié à deux facteurs principaux.
Premièrement, l'attitude politique générale de l'ancienne administration Kirchner était ouvertement défiante à l'égard des États-Unis et plus généralement des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec le souhait de développer une diplomatie « non alignée » auprès de partenaires tels que le Venezuela, la Chine ou la Russie.
La recrudescence des mesures protectionnistes, discrétionnaires et parfois ouvertement provocantes (par exemple, en 2012, lors de la nationalisation d'YPF, la filiale argentine du groupe espagnol Repsol) a par ailleurs conduit au refus par un certain nombre d'actionnaires de pays de l'OCDE et de la Banque mondiale de voter en faveur des projets d'investissement en Argentine. De fait, le groupe Banque mondiale, dont l'IFC (International Finance Corporation), n'a engagé aucune nouvelle activité dans le pays sur la période 2011-2014. L'accord trouvé au Club de Paris en mai 2014 (cf. supra) a permis un léger regain d'activité des bailleurs internationaux dans le pays en 2015. À la suite de la normalisation opérée par le gouvernement Macri depuis décembre 2015, les perspectives sont favorables pour les prochaines années (Malik, 2016).
Deuxièmement, la mauvaise notation de crédit de l'Argentine, notamment son entrée en situation de défaut sélectif à l'égard des créanciers restructurés en juillet 2014, a entraîné un renchérissement du crédit à l'Argentine pour les entités multilatérales, avec des exigences de provisions en capital plus importantes, pesant de fait sur la capacité d'intervention des bailleurs dans le pays. La sortie du défaut sélectif de l'Argentine et la révision de sa notation souveraine par les agences de notation devraient ainsi conduire la BIRD à dégager une enveloppe de financement complémentaire à hauteur de 300 M$ en 2016 et favoriser le redéploiement de l'activité des autres banques multilatérales de développement comme la Corporation andine de financement et la Banque mondiale.
Le financement de l'État après la sortie du défaut
La résolution du litige avec les fonds procéduriers américains (cf. encadré supra) a permis au pays de lever des financements sur les marchés internationaux en avril 2016, pour la première fois depuis quinze ans. L'assurance que les créanciers procéduriers seraient remboursés, écartant de fait toute tentative de saisie de créances sur l'Argentine postérieurement à l'adjudication, a permis d'apporter la sécurité juridique nécessaire au bon déroulé de l'opération, dont le succès a été remarquable. Avec un montant levé de 16,5 Md$, il s'agissait de l'émission obligataire la plus importante jamais enregistrée dans un pays émergent6, supérieure à celle réalisée par l'entreprise brésilienne Petrobras en 2013 (11 Md$ pour une demande de 43 Md$).
Les obligations émises contiennent des clauses d'action collective (CAC) permettant à l'Argentine de restructurer l'ensemble de sa dette si au moins 75 % des créanciers y sont favorables, et ce, afin d'éviter l'apparition de minorités de blocage (ces CAC ont été introduites par amendement de la Chambre des députés au projet de loi de règlement des créanciers holdouts).
Le secteur financier et les enjeux du financement de l'économie argentine
Les entreprises peinent à trouver des financements pour investir
Dans un contexte de quasi-fermeture aux capitaux étrangers, de hausse de la prime de risque argentine et de l'atrophie du système bancaire argentin, les sociétés privées ont eu très largement recours à l'autofinancement pour développer leurs activités et les investissements. La dette extérieure du secteur privé non financier ne s'élevait ainsi qu'à 10 % du PIB en 2015 (FMI ; INDEC ou Instituto Nacional de Estadística y Censos). Si la capitalisation boursière en Argentine se compare favorablement à celle des autres pays de la région, les nouvelles émissions sur la période récente ont été très limitées. L'essentiel du financement des entreprises provient du secteur bancaire. Le nouveau gouvernement travaille actuellement à une loi visant à faciliter l'accès au financement via les marchés de capitaux, très peu développés en Argentine (cf. tableau 2).
Les petites et moyennes entreprises (PME) ont bien évidemment été les plus vulnérables face à la raréfaction des fonds disponibles à moyen long terme. Le gouvernement a lancé en 2010 le « programme de financement productif du bicentenaire », un dispositif destiné à stimuler l'investissement. Près de 375 entreprises ont pu bénéficier d'un financement dans le cadre de ce programme, pour un total de 6,9 Md$ depuis 2010 ; 85 % de ces prêts ont été octroyés par des banques publiques et la majorité a visé les PME. En 2012, les autorités ont par ailleurs lancé un programme de crédit spécifiquement dédié aux PME7, renouvelé chaque semestre, contraignant les banques totalisant plus de 1 % des dépôts du système bancaire à octroyer de nouveaux prêts aux PME à hauteur de 7,5 %8 du montant de leurs dépôts.
Le secteur bancaire est de petite taille et le marché du crédit en pesos très peu développé
Le système bancaire argentin est d'une taille extrêmement modeste. Ainsi, s'ils atteignaient plus de 20 % du PIB dans les années 1990 et 25 % en 1998, les prêts du secteur bancaire au secteur privé non financier représentent aujourd'hui environ 15 % du PIB, soit le niveau le plus faible d'Amérique du Sud (110 % au Chili, près de 70 % au Brésil, 53 % en Colombie, 35 % au Pérou et 27 % en Uruguay, selon la Banque mondiale).
Cette atrophie s'explique principalement par la perte de confiance dans la monnaie locale et le système financier dans son ensemble9, une grande partie de l'épargne étant constituée en liquide ou dans des banques étrangères, et par des taux d'intérêt réels négatifs sur les dépôts depuis 2001 (cf. graphique 6).
Le secteur bancaire argentin est particulièrement concentré : en 2014, les dix premières banques détenaient environ trois quarts des dépôts et 75 % des actifs. Les entités publiques représentent environ 40 % du marché, les banques privées locales 30 % (Galicia, Macro, Credicoop, Hipotecario ou Supervielle) et les acteurs internationaux 20 % (Santander, BBVA Francés, HSBC ou ICBC)10. La banque publique nationale Banco Nacion domine le marché bancaire avec 27 % des actifs du secteur suivi par Banco Provincia (8 %), l'espagnole Santander Rio (7 %) et la banque Galicia (7 %)11.
La rentabilité économique du secteur financier est bonne et atteignait près de 6 % à la fin de 2015 (7,2 % en 2014), tandis que la rentabilité financière globale (c'est-à-dire le rendement des fonds propres) a atteint 45 %. Cette rentabilité s'explique par les importantes marges d'intermédiation financière, notamment pour les prêts à la consommation dont la part a progressé, et les opérations de placement de trésorerie auprès de la BCRA12.
Le niveau de capitalisation du secteur bancaire argentin est satisfaisant et certaines des normes Bâle III sont en cours d'implémentation ou ont déjà été implémentées. Les actifs, liquides, sont essentiellement composés de placements auprès de la BCRA, s'élevant à plus de 30 % des actifs totaux en 2015. En outre, plusieurs éléments viennent renforcer la solidité du secteur : (1) l'exposition à l'État reste modeste, les prêts au Trésor représentant une part de plus en plus réduite de l'actif de banques (8 % en 2014, contre 47 % en 2003) ; (2) les crédits sont largement couverts par les dépôts13 ; (3) la part des crédits non performants reste faible, aux alentours de 2 %.
Si le mandat de la banque centrale est désormais quasi exclusivement concentré sur la lutte contre l'inflation, la portée de sa politique de taux d'intérêt est relativement limitée. En dépit d'une hausse « agressive » des taux d'intérêt au moment de la dévaluation du 16 décembre 2015 (le taux du LEBAC à 90 jours a alors été rehaussé de 29 % à 38 %), l'inflation a fortement augmenté à la suite de la dévaluation, atteignant certains mois plus de 40 % en rythme annuel. Le faible niveau de bancarisation (un adulte sur deux n'est pas titulaire d'un compte bancaire selon la Banque mondiale) et de développement du système bancaire dans son ensemble limite la transmission de la politique monétaire et réduit par conséquent les marges de manœuvre de la BCRA afin de lutter contre l'inflation par le canal des taux d'intérêt.
La bancarisation limitée et le faible niveau des dépôts pèsent sur le développement du marché du crédit et l'investissement. Les banques ont notamment été exposées, ces dernières années, à l'interventionnisme du gouvernement14. La BCRA a récemment lancé un programme de développement du crédit hypothécaire, visant dans un premier temps à stimuler l'offre en sécurisant la banque émettrice sur la valeur réelle des échéances. La réussite du programme dépendra toutefois des perspectives de stabilisation de l'inflation du côté de la demande.
Une politique visant à une plus grande transparence financière et un rapatriement des actifs détenus à l'extérieur
Le degré d'informalité de l'économie argentine est très élevé. 50 % seulement de la population âgée de 15 ans ou plus détenait un compte dans une institution bancaire en Argentine en 2014 (Banque mondiale). Ce faible taux de bancarisation s'explique par les facteurs structurels mentionnés supra concernant le secteur bancaire. Ces dernières années, l'informalité des transactions a par ailleurs été exacerbée par le développement d'un marché du dollar parallèle, à la suite de la mise en place des contrôles de capitaux en 2011 (cf. supra).
Selon diverses études d'instituts privés (Tax Justice Network, cabinet Ferreres), le secteur privé argentin détiendrait environ 400 Md$ d'actifs à l'extérieur. L'INDEC estime ce stock à environ 270 Md$ à la fin de 2015. Une part importante de ces avoirs, la moitié selon la plupart des études disponibles sur le sujet, ne serait pas déclarée. En outre, un montant considérable d'épargne en dollars détenue par le secteur privé argentin, en liquide, se trouve hors du système financier formel et non déclaré auprès des administrations fiscales.
Plusieurs tentatives ont eu lieu ces trente dernières années afin de rapatrier et blanchir les avoirs argentins, via des plans d'amnistie fiscale aux succès limités. Deux lois d'amnistie fiscale avaient été adoptées par la précédente administration : une première en 2008 qui incluait des pénalités de régularisation comprises entre 1 % et 8 % selon le type d'actif rapatrié et l'investissement subséquent ; une seconde en 2013, alors que le contexte extérieur se durcissait et que le gouvernement recherchait de nouvelles sources de devises étrangères, sans pénalités. Selon le quotidien La Nacion15, la loi d'amnistie fiscale de 2013 aurait permis de régulariser un peu moins de 2,5 Md$ (contre 4 Md$ initialement envisagés).
Dans le cadre de la lutte internationale contre les paradis fiscaux et l'évasion fiscale, l'Argentine prévoit de mettre en place d'ici à septembre 2017 l'échange automatique d'informations fiscales avec cent un pays signataires (cinquante-cinq pays à partir de 2017 et quarante-six en 2018) selon un nouveau standard promu par l'OCDE (Accord sur la transparence et l'échange d'information fiscale). En parallèle de ce programme, auquel les États-Unis n'ont pas adhéré, l'Argentine négocie avec les autorités américaines une convention d'échange bilatéral d'information fiscale. Dans cette perspective, les contribuables détenant des avoirs à l'extérieur non déclarés en Argentine seront incités à régulariser leur situation, une régularisation qui sera facilitée par le nouveau régime d'amnistie voté par le Parlement le 30 juin 2016. Lors de la rédaction de cet article, les premiers chiffres communiqués par l'administration argentine faisaient état d'un fort taux de participation à ce nouveau programme d'amnistie fiscale, qui doit se terminer à la fin de mars 2017 (les contribuables qui auront déclaré des avoirs avant la fin de décembre 2016 bénéficieront d'une pénalité moindre : 10 % des sommes déclarées).
Conclusion
À partir de 2011, la dégradation des termes de l'échange et une politique économique peu favorable à l'offre ont fait entrer l'économie dans un régime de « stagflation », caractérisé d'un point de vue financier par les éléments suivants : une atrophie du secteur bancaire, incapable de financer l'économie compte tenu de dépôts très faibles et d'un manque de confiance généralisé de la part des épargnants, un financement de plus en plus important du déficit public par émission monétaire, une situation de défaut à l'égard de créanciers publics jusqu'en 2014 et l'entrée en défaut sélectif à l'égard des créanciers privés en juillet 2014 s'étant traduit par l'impossibilité de se financer sur les marchés de capitaux internationaux.
L'élection de novembre 2015 et les réformes engagées depuis ont fait entrer l'Argentine dans un nouveau cycle. Les autorités ont commencé à normaliser leurs relations financières avec la communauté internationale. En septembre 2016, pour la première fois depuis dix ans, le FMI a mené ses consultations avec les autorités argentines au titre de l'article IV de ses statuts. L'Argentine s'est par ailleurs engagée dans le processus d'adhésion à l'OCDE et sa note de crédit au sein du Comité des crédits à l'exportation a été réévaluée à la fin d'octobre 2016, après plusieurs années au niveau de notation le plus mauvais.
Si les perspectives sont favorables à moyen terme, la conjoncture internationale fait peser de nombreuses incertitudes sur le scénario de croissance argentin. De manière plus structurelle, l'enjeu central consistera à la mise en œuvre réussie, sans peser sur l'économie, de la trajectoire de désinflation à moyen et long terme. Le rôle du secteur bancaire et des intermédiaires financiers sera à cet égard déterminant, via le développement d'un marché du crédit et de supports d'épargne en pesos à moyen et long terme. La confiance des agents dans la capacité du pays à retrouver un sentier de croissance durable sera fondamentale.