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 Finance et politique : la bourse préfère-t-elle la gauche ?


Gérard CHARREAUX Professeur émérite en sciences de gestion, université de Bourgogne et de Franche-Comté (IAE Dijon), Crego EA 7317. Contact : gerard.charreaux@gmail.com.

Aux États-Unis, les performances boursières semblent significativement plus élevées lorsque les Démocrates sont au pouvoir. Bien que les tests soient plus rares, il semble qu'une telle prime partisane existe également en France sous la gauche. L'objectif de cet article est de vérifier si l'existence d'une telle prime se confirme sur la période 1981-2016 lorsqu'on recourt à une méthode permettant de neutraliser l'incidence de la conjoncture internationale. Le point de vue considéré est celui d'un investisseur américain qui gère un portefeuille diversifié internationalement. Les résultats confirment l'existence d'une prime partisane en faveur de la gauche.

En période préélectorale, la question d'un éventuel lien entre la performance boursière et la couleur politique du président peut préoccuper les gestionnaires de portefeuilles. Le préjugé habituel est que, la droite étant, en principe, plus favorable aux entreprises et à la finance, les valorisations boursières devraient être plus élevées lors des périodes où elle détient le pouvoir. Ainsi, en cas de succès éventuel de la droite lors de la prochaine échéance électorale française, le gestionnaire d'un portefeuille internationalement diversifié aurait tout intérêt à y renforcer le poids des valeurs françaises.

La question d'un éventuel lien entre la bourse et la politique a été traitée relativement fréquemment aux États-Unis sur différentes périodes. Huang (1985) est l'un des premiers à mettre en évidence, sur la période 1929-1980, que la rentabilité annuelle moyenne obtenue sous les Démocrates est supérieure de plus de 9 % (14,1 %, contre 4,9 %). Plus récemment, dans une étude portant sur la période 1927-1998, Santa-Clara et Valkanov (2003) confirment l'existence d'une performance supérieure obtenue pendant les mandats présidentiels démocrates : l'avantage est de 9 % sur la base de la rentabilité différentielle entre le taux de rentabilité du marché et le taux des bons du Trésor (taux ajusté), pour les grandes capitalisations. Cette différence, très significative, est encore plus prononcée pour les petites capitalisations boursières et ne peut s'expliquer par un différentiel de risque, ce dernier apparaissant plus important sous les Républicains.

Qu'en est-il pour la France, qui nous intéresse plus directement ? La performance plus élevée obtenue sous les Démocrates aux États-Unis se constate-t-elle également lors des périodes dominées par la gauche ? Une première réponse peut être apportée par les résultats de l'étude de Bialkowski et al. (2007) qui porte sur la période 1980-2005. Cette étude ne permet de conclure à une différence statistiquement significative entre droite et gauche que pour cinq pays, dont la France1 : la rentabilité annuelle moyenne obtenue sous la gauche est de 13,45 %, contre 1,55 % sous la droite, soit un écart substantiel de près de 12 %.

Ces diverses études qui concluent à une prime partisane souffrent cependant d'un défaut important. Elles sont conduites uniquement d'un point de vue « local ». Autrement dit, elles sont réalisées du point de vue d'un investisseur national, indépendamment de toute prise en compte de l'environnement international, par exemple, de la survenance d'une crise mondiale. Une telle démarche apparaît a priori peu pertinente pour plusieurs raisons. Premièrement, l'évolution des indices boursiers nationaux habituellement utilisés pour évaluer la performance est principalement déterminée par les capitalisations boursières des multinationales dont les activités sont le plus souvent fortement diversifiées sur le plan international. Deuxièmement, ces multinationales ont un actionnariat fréquemment dominé par les grands fonds internationaux qui adoptent un point de vue global. Ainsi, à la fin de 2014, les entreprises du CAC 40 étaient détenues à 45,3 % (Bui Quang, 2015) par des investisseurs étrangers à dominante institutionnelle. Si l'on y ajoute les investisseurs institutionnels français, l'actionnariat institutionnel qui pratique habituellement une diversification internationale des portefeuilles est largement majoritaire dans les sociétés cotées françaises (Davydoff et al., 2013). Enfin et troisièmement, la conjoncture internationale qui explique une partie majeure de l'évolution des indices boursiers échappe pour l'essentiel au contrôle des dirigeants politiques nationaux2, il est donc légitime de la neutraliser pour évaluer l'influence partisane.

C'est pourquoi nous proposons de réexaminer l'existence d'une prime partisane en France en retenant le point de vue d'un investisseur international localisé aux États-Unis (ou qui évalue sa gestion en USD) qui tente d'apprécier la performance nationale française, en neutralisant autant que possible l'effet de la conjoncture mondiale, et de façon comparative avec les performances nationales d'autres pays ou zones géographiques sur les mêmes périodes.

La période retenue commence par l'arrivée au pouvoir, en mai 1981, de François Mitterrand et s'achève à la fin du mois d'août 2016, neuf mois avant la fin du mandat de François Hollande, soit un total de 423 mois (plus de 35 ans), se partageant entre 227 mois sous mandat de la gauche et 196 mois sous mandat de la droite. Les périodes de cohabitation (où Jacques Chirac, Édouard Balladur et Lionel Jospin étaient Premiers ministres) ont été incluses dans les périodes de gauche et de droite en fonction de la couleur politique du Premier ministre. Ce dernier choix se justifie en fonction des caractéristiques du système politique français.

Précisons, dès à présent, que l'objectif de cet article est limité à l'identification d'une éventuelle prime partisane. Même si l'on peut subodorer un lien entre l'existence de cette prime, le parti au pouvoir et certaines variables économiques fondamentales, cet aspect amplement développé dans la littérature, traitant du lien entre bourse, politique et cycle des affaires, n'a pas fait l'objet d'une investigation spécifique.

Au-delà de la confirmation de l'existence d'une prime partisane en France, le principal apport de cet article réside dans le point de vue retenu, celui d'un investisseur qui diversifie ses placements sur le plan international, et dans la proposition d'une méthode originale qui permet d'évaluer comparativement les performances des portefeuilles nationaux en neutralisant l'influence de la conjoncture internationale. Cette méthode, qui trouve ses fondements dans la littérature théorique en gestion de portefeuille, n'avait pas jusqu'alors été utilisée pour étudier le lien entre couleur politique et performance boursière. Elle permet, en principe, en mettant en évidence la performance spécifiquement nationale, de mieux appréhender le lien avec la couleur politique.

Le plan de cet article est le suivant. Dans un premier temps, la méthode permettant de neutraliser l'incidence de la conjoncture internationale est présentée. Dans un deuxième temps, le caractère significatif des différences de performance entre gauche et droite est testé. Dans un troisième temps, les différences de performance sous la gauche et sous la droite sont analysées en examinant ce qui s'est passé, sur les mêmes périodes, dans trois autres pays (États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni) ainsi que dans le monde et en Europe.

Le point de vue d'un investisseur international : la neutralisation de l'effet de la conjoncture internationale

Pour procéder à cette neutralisation, du point de vue d'un investisseur américain, nous avons eu recours au MEDAF (modèle d'équilibre des actifs financiers) international sous sa forme la plus simple selon laquelle les taux de rentabilité anticipés sur les indices nationaux (exprimés en USD) sont tels que :

E(Ri) = RF + βi,ME(RM – RF)

  avec :

  • E(Ri) les taux anticipés sur les indices i représentatifs des marchés nationaux évalués sur la base des indices exprimés en USD,

  • RF le taux sans risque pour l'investisseur américain,

  • E(RM) le taux de rentabilité anticipé pour l'indice mondial M évalué en USD,

  • βi,M le coefficient bêta exprimant la covariabilité de l'indice national i par rapport à l'indice mondial M.

Il suffit alors, pour évaluer les performances en dehors de l'influence de la conjoncture internationale reflétée par l'indice de marché mondial, de régresser les taux observés Ri,t corrigés des taux sans risque RF,t pour les différents mois t sur les taux observés de l'indice mondial RM,t corrigés également des taux sans risque. Autrement dit, les régressions se font sur les taux ajustés, c'est-à-dire les taux de rentabilité diminués des taux sans risque.

L'équation de régression est la suivante :

Ri,t – RF,t = αi,t + βi,M(RM,t – RF,t) + εi,t

  • pour l'indice de la nation i, les quatre nations considérées par la suite sont l'Allemagne, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, ainsi que la zone Europe assimilée à une nation ;

  • les taux de rentabilité observés Ri,t pour les différents indices nationaux i considérés dans l'étude au cours des mois t ont été évalués sur la base des indices mensuels MSCI (Morgan Stanley Capital International) standards, évalués en USD. Les indices MSCI ont l'avantage, d'une part, d'être établis de façon homogène (en particulier, ils tiennent compte du réinvestissement des dividendes), d'autre part, de représenter plus largement les marchés financiers nationaux que les indices phares, type CAC 40. L'indice standard qui est évalué à partir des grandes et des moyennes capitalisations a été choisi pour des raisons de durée de disponibilité des données. Il exclut donc les petites capitalisations. L'indice étant pondéré en valeur sur la base des capitalisations boursières, cette omission n'entraîne pas de biais important ;

  • pour RF,t, le taux de rentabilité observé pour l'actif sans risque sur le mois t, nous avons retenu le taux des obligations d'État à dix ans pour les États-Unis de préférence au taux des bons du Trésor à trois mois plus habituel, car ce taux nous semble plus représentatif des décisions d'investissement à long terme3. Les taux annuels sont issus de la base de données de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ils ont été ramenés à une base mensuelle par un calcul de taux équivalent ;

  • le taux de rentabilité RM,t observé pour l'indice mondial M, évalué en USD, pour le mois t a été évalué à partir de l'indice mondial MSCI standard ;

  • le coefficient bêta de risque systématique βi,M exprime la sensibilité du taux associé à l'indice national par rapport au taux de rentabilité associé à l'indice mondial :

  • αi,t est le terme représentant la sous-performance ou la surperformance de l'indice national par rapport à l'indice mondial et pour le mois considéré. Il permet d'évaluer la performance nationale corrigée de l'influence de la conjoncture internationale, tout en prenant en compte le risque systématique. Il correspond à l'indice défini par Jensen pour évaluer la performance des titres en gestion de portefeuille ;

  • εi,t est le terme d'erreur.

L'un des problèmes posés par cette méthode, en raison des évaluations en USD, est que la performance évaluée dépend non seulement de l'évolution de l'indice national (en monnaie locale), mais également de l'évolution du taux de change. Ainsi, pour la France, la performance obtenue dépend du taux de change USD/FRF, avant la mise en place de l'euro, puis du taux de change USD/EUR, après cette mise en place.

Nous ne pensons pas, cependant, que la dimension change invalide cette mesure de performance pour deux raisons principales. Premièrement, les travaux sur le MEDAF international (par exemple, Grauer et al., 1976) montrent que si les marchés financiers internationaux sont intégrés et si la relation de parité de pouvoir d'achat (PPA) est respectée, cette dimension peut être négligée pour évaluer les actifs. Or, sur le long terme, on considère habituellement que la PPA est approximativement respectée4. Deuxièmement, même si tel n'est pas le cas, les décisions d'investissement des investisseurs internationaux se prennent en principe en tenant compte des différentiels d'inflation et de taux d'intérêt entre nations et donc des taux de change anticipés qui conditionnent également les exigences de rentabilité sur les marchés nationaux. Globalement, l'investisseur américain, lorsqu'il compare deux investissements locaux – un investissement au Royaume-Uni comparativement à un investissement en France, par exemple –, anticipe non seulement les évolutions spécifiques des bourses nationales, mais également celles des taux nationaux d'inflation, des taux d'intérêt et des taux de change en tenant compte des relations entre ces variables. Or ces différentiels dépendent, au moins en partie, des politiques macroéconomiques mises en œuvre par les dirigeants politiques ; il est donc normal de les inclure dans l'évaluation de la performance. Si, par exemple, un investisseur américain anticipe que l'arrivée de la droite au pouvoir entraînera une baisse de l'inflation, une baisse des taux d'intérêt et une amélioration du taux de change USD/monnaie nationale, il ajustera ses exigences de rentabilité en conséquence, ce qui provoquera un ajuste ment de l'indice national. Autrement dit, pour juger de l'influence de la couleur politique sur la performance boursière, il ne semble pas pertinent de prétendre que la composante change de cette performance, dans le cas où elle est significative, échappe à la responsabilité des politiques5 et doive être neutralisée, même si cette responsabilité est partagée en cas, par exemple, d'union monétaire.

Y a-t-il une différence significative de performance entre les périodes gauche et droite ?

Avant de rapporter les résultats obtenus en neutralisant l'incidence de la conjoncture internationale, nous présentons les résultats issus de l'application de la méthode locale traditionnelle de façon à disposer d'un benchmark permettant de comparer les résultats des différentes méthodes.

Le tableau 1 montre que le différentiel de performance déjà constaté par Bialkowski et al. (2007) en faveur de la gauche est confirmé et qu'on l'évalue à partir des taux de rentabilité diminués ou non du taux d'intérêt à long terme. Selon le cas, il est de 14,85 % (taux non ajusté) ou de 12,79 % (taux ajusté). La volatilité évaluée à partir des taux mensuels (écart type annualisé) se révèle plus faible sous la gauche que sous la droite, le différentiel de performance ne peut donc s'expliquer par un risque plus élevé. Si l'on rapporte la performance au risque en recourant au ratio de Sharpe, la surperformance obtenue sous la gauche se confirme.

Tableau 1
Indicateurs de performance boursière pour la France
(taux moyens annualisés)

Source : d'après l'auteur.

Ces écarts importants sur le plan économique sont également significatifs sur le plan statistique comme le montre le tableau 2. Cette significativité a été testée en régressant les taux ajustés sur la variable muette opposant la gauche à la droite6.

Tableau 2
Coefficient de la variable muette et p critiques

* : significatif au seuil de 10 % ; ** : significatif au seuil de 5 %.

Source : d'après l'auteur.

Cette différence significative se retrouve-t-elle si l'on neutralise la conjoncture internationale en s'appuyant sur la relation du MEDAF international ?

Une première manière de tester si la performance a été significativement différente sous la gauche est d'opérer la régression précédemment définie au niveau international en y ajoutant une variable muette M associée à la couleur du pouvoir en place (gauche = 1 ; droite = 0).

Ri,t – RF,t = αi,t + βi,M(RM,t – RF,t) + M + εi,t

Tableau 3
Résultats des régressions sur les taux ajustés
(Rentabilité indice France – Taux sans risque)/ (Indice mondial en USD – Taux sans risque)
(valeurs en USD)

** : significatif au seuil de 5 % ; *** : significatif au seuil de 1 %.

Source : d'après l'auteur.

Les résultats obtenus confirment la surperformance obtenue sous la gauche. Les différences de performance apparaissent significatives au seuil de 5 % pour la régression concernant l'opposition gauche/droite. L'indice mondial, donc la conjoncture internationale, explique environ 63 % de la variance, ce qui confirme la nécessité de neutraliser son incidence pour évaluer la performance nationale. Une fois celle-ci neutralisée, on constate que l'investisseur américain obtient une rentabilité supplémentaire annuelle de près de 9 % sur les périodes pendant lesquelles la gauche a été au pouvoir.

Ces 9 % ne sont pas directement comparables au différentiel de 12,8 % obtenu par la méthode locale. D'une part, ce différentiel a été obtenu après neutralisation de l'effet de la conjoncture internationale et il tient compte du risque systématique (à travers le coefficient bêta). D'autre part, il peut être affecté par les variations de taux de change survenues sur les différentes périodes. Toutefois l'existence d'une prime partisane significative en faveur de la gauche apparaît confirmée.

De nouveau, on peut s'interroger pour savoir si au moins une partie du différentiel de rentabilité ne peut s'expliquer par une différence de risque. En particulier, la méthode utilisée ne permet pas de savoir si le coefficient de risque systématique – le bêta – a été identique sous la droite et sous la gauche, puisque le bêta a été évalué sur la période totale.

Pour le savoir, il suffit de régresser les taux France sur l'indice mondial (avec les taux ajustés) en faisant successivement les régressions sur les périodes « gauche au pouvoir » et les périodes « droite au pouvoir ».

Tableau 4
Différences de risque systématique sous la gauche et sous la droite

Source : d'après l'auteur.

Comme le met en évidence le tableau 4, le risque systématique apparaît sensiblement plus élevé sous la droite (1,222) que sous la gauche. Si l'on prend en compte l'écart de risque systématique, le différentiel de performance entre gauche et droite s'accroît et passe de 8,95 % à 10,53 %. La surperformance constatée sous la gauche ne peut donc s'expliquer par un risque systématique plus élevé, puisque, au contraire, ce dernier apparaît plus élevé sous la droite.

Comparaison avec les performances des autres pays sur les mêmes périodes : rentabilités « anormales » cumulées

Une analyse plus précise des performances comparées réalisées sous la gauche et la droite peut se faire en comparant les rentabilités anormales cumulées (RAC) obtenues sur les mêmes périodes pour les différentes nations ou zones géographiques (l'Europe, la France, les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni), sur la base des indices MSCI qui les représentent. Ces RAC s'obtiennent tout d'abord en évaluant, pour chaque mois, les rentabilités anormales (RA) (par rapport à l'indice mondial) en régressant les rentabilités nationales ajustées (valeurs USD et taux à long terme (LT) américains) sur les rentabilités mondiales ajustées (valeurs USD et taux LT américains)7. Une fois les RA obtenues (pour les 423 mois) – qui correspondent aux coefficients alphas de Jensen –, il suffit de les cumuler pour les différentes sous-périodes examinées pour obtenir les RAC. Ces dernières expriment donc la surperformance ou la sous-performance de l'indice national par rapport à l'indice mondial, sur les périodes considérées, en tenant compte du risque systématique.

Au-delà de la France, nous avons évalué les RAC pour l'Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Europe (sur la base de l'indice MSCI Europe8) ; les valeurs obtenues figurent dans la première partie du tableau 5 (infra). Ces RAC, cependant, ne peuvent être comparées directement, car les durées des périodes sont inégales entre gauche et droite. Nous avons en conséquence procédé à une standardisation des performances en ajustant, de façon proportionnelle, les performances à une durée de 60 mois, qui correspond à l'actuelle durée (cinq ans) du mandat présidentiel. Ces RAC ajustées figurent dans la seconde partie du tableau 5. Enfin, dans la troisième partie du tableau sont présentés les écarts de RAC standardisés obtenus en soustrayant les performances obtenues par la France, les performances respectives réalisées par l'Europe, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis. Ces écarts de performance ont également été évalués entre l'Europe et les États-Unis. À des fins analytiques, nous avons également calculé les RAC depuis le début de la crise financière (octobre 2007) et depuis la mise en place de l'euro (janvier 2002).

Tableau 5
Comparaison des performances en termes de RAC
(durées non ajustées et durées standardisées à 60 mois)

Source : d'après l'auteur.

Avant d'analyser l'écart entre les performances réalisées sous la droite et la gauche en France, on peut déjà noter que, sur la période totale de 423 mois (performance non standardisée), la meilleure performance est réalisée par la France avec 70,6 %. Ce pourcentage représente le supplément de performance par rapport à l'indice mondial ajusté (corrigé du taux sans risque), compte tenu du risque systématique. Rapportée à 60 mois, cette surperformance est de 10 %. La France précède de peu l'Allemagne avec des performances de 66,4 % (performance non ajustée pour la durée) et de 9,4 % (sur 60 mois). Les performances respectives des États-Unis sont de 49,1 % (7 % avec l'ajustement), de l'Europe de 11,7 % (1,7 % avec l'ajustement) et du Royaume-Uni de –30 % (–4,3 % avec l'ajustement).

On peut remarquer que cette bonne performance relative de la France s'est dégradée depuis l'introduction de l'euro. En termes de performance ajustée sur 60 mois, depuis cette introduction, la France a perdu 0,4 % par rapport à l'Europe (sur la base de l'indice Europe MSCI), 13,2 % par rapport à l'Allemagne et 10,4 % par rapport aux États-Unis. Le seul pays par rapport auquel elle a progressé depuis cette date est le Royaume-Uni (+7,5 %). On notera également que, sur cette période, l'Europe a reculé de 10 % par rapport aux États-Unis. Il semble donc que le renforcement de l'intégration européenne qui s'est opéré avec le passage à l'euro ne se soit pas traduit tant pour la France que pour l'Europe par une meilleure performance boursière. On peut cependant déduire9 des chiffres du tableau 5 (supra) que l'Allemagne a bénéficié du passage à l'euro en surperformant l'Europe de 12,5 % et les États-Unis de 2,5 %. Cette conclusion conforte le préjugé traditionnel selon lequel le passage à l'euro aurait surtout profité à l'Allemagne.

Cette dégradation relative depuis le passage à l'euro s'est particulièrement accentuée depuis le déclenchement de la crise financière en octobre 2007 (cf. troisième partie du tableau 5 supra). Si la position de la France sur cette période s'est légèrement améliorée par rapport à celle de l'Europe (+0,5 %) et plus sensiblement par rapport à celle du Royaume-Uni (+5,3 %), en revanche, elle s'est fortement détériorée par rapport à celle de l'Allemagne (–11,6 %) et surtout par rapport à celle des États-Unis (–35,2 %). Ce décrochage, très important par rapport aux États-Unis, vaut pour l'Europe comme ensemble (–35,7 %), y compris pour l'Allemagne qui perd 23,6 % par rapport aux États-Unis, tout en continuant à surperformer l'Europe de 12,1 %. Il correspond, au niveau boursier, au décrochage qui s'est manifesté sur la même période en termes d'activité macroéconomique entre l'Europe et les États-Unis. Autrement dit, les divergences de politiques macroéconomiques entre les États-Unis et l'Europe se sont traduites par un fort recul de la performance boursière européenne relativement à la performance américaine.

Pour revenir à la question centrale, qu'en est-il des performances relatives obtenues pour les périodes où la gauche et la droite ont été au pouvoir en France ? Pour effectuer cette comparaison équitablement, il faut retenir la performance ajustée pour la durée. Sur une même base de 60 mois, la performance obtenue sous la gauche est de +30,7 %, contre –14 % sous la droite, soit un différentiel de 44,7 %. Rapporté à une base annuelle, ce différentiel serait de 8,9 %, ce qui correspond au résultat figurant dans le tableau 3 (supra).

À l'instar des résultats obtenus par la méthode traditionnelle, mais avec une méthode qui neutralise l'effet de la conjoncture mondiale et qui tient compte du niveau de risque systématique encouru, on aboutit de nouveau à un différentiel très significatif en faveur de la gauche. Le fait que le différentiel soit également important – mais à un degré sensiblement moindre – en Allemagne (+27,6 %), alors que la dimension politique française n'est pas censée avoir a priori d'influence significative sur la performance de ce pays, laisse cependant supposer que des facteurs communs non pris en compte à travers l'indice mondial ont pu avoir une influence10.

On peut également s'interroger sur l'évolution du différentiel entre gauche et droite sur la dernière décennie en comparant les performances obtenues sous les quinquennats Sarkozy et Hollande, ce dernier quinquennat étant incomplet à la date de l'étude. Dans les deux cas, la performance est négative, –27,3 % sous Nicolas Sarkozy et –11,1 % sous François Hollande (pour des durées standardisées à 60 mois), ce qui signifie que l'investisseur américain a réalisé une perte relative par rapport à l'indice mondial en tenant compte du risque systématique. Le différentiel en faveur de la gauche reste cependant positif de 16,2 %. On peut remarquer qu'il est sensiblement inférieur aux 44,7 % obtenus sur la période totale. Peut-être peut-on voir dans cette réduction l'effet de la contrainte européenne qui s'est renforcée et qui laisse moins de latitude aux dirigeants politiques nationaux sur la période récente ? Autrement dit, un accroissement de l'intégration européenne aurait pour effet, en réduisant le pouvoir des dirigeants politiques français – par exemple, en imposant un objectif de déficit public de 3 % du produit intérieur brut (PIB) –, d'atténuer les différences de politique macroéconomique entre droite et gauche, ce qui se traduirait par un moindre écart de performance boursière.

Conclusion

À l'instar du traditionnel puzzle associé à la prime habituellement identifiée, lorsque les Démocrates sont au pouvoir aux États-Unis, il semble qu'une énigme similaire existe en France lorsque les Socialistes sont au pouvoir (tout au moins depuis l'accès au pouvoir de François Mitterrand) avec une prime d'ampleur au moins comparable. Outre le fait que les résultats obtenus corroborent ceux de Białkowski et al. (2007), la convergence des conclusions obtenues par les différentes méthodes laisse fortement présumer que l'existence du phénomène observé est robuste.

Cette prime partisane ne semble pas pouvoir s'expliquer par un différentiel de risque, puisque le risque qu'il soit total ou systématique apparaît plus important sous la droite. Sur ce point aussi, le résultat est similaire à celui établi aux États-Unis par Santa-Clara et Valkanov (2003). De plus, la conclusion obtenue, au vu de la méthode originale proposée, ne dépend pas de l'effet de la conjoncture internationale qui a été neutralisé.

Cependant la prime constatée tant qu'elle ne repose pas sur un modèle explicatif convaincant sur le plan économique risque de n'être qu'un artefact statistique. Il faudrait alors se tourner vers les littératures reliant la bourse aux variables macroéconomiques fondamentales, et ces dernières à la politique. Santa-Clara et Valkanov (2003) entreprennent une telle démarche en tentant de distinguer une partie anticipée du différentiel de performance fonction des conditions macroéconomiques11 et une partie non anticipée censée refléter une surprise du marché. La partie anticipée est liée au modèle « partisan », l'un des modèles centraux visant à expliquer le lien entre la politique et les cycles d'affaires (Alesina et al., 1997 ; Drazen, 2000). Selon ce modèle12, les partis de gauche et de droite auraient des objectifs macroéconomiques différents, à l'origine de la composante anticipée du différentiel de performance. Les résultats du test réalisé par Santa-Clara et Valkanov révèlent que la prime obtenue sous les Démocrates serait d'origine non anticipée sur le plan macroéconomique13. Autrement dit, le marché serait systématiquement surpris par une gestion meilleure que prévue, sous les Démocrates, et réagirait en conséquence, faisant apparaître une surperformance non anticipée. Ce serait, par exemple, le cas s'il existait une présomption d'incompétence relative des Démocrates en matière de gestion macroéconomique aux yeux des investisseurs. Cette présomption serait levée au vu des résultats effectifs, ce qui pourrait expliquer la surperformance. Toutefois, comme la prime semble pérenne, il faudrait en conclure – tout au moins aux États-Unis – que les investisseurs seraient incapables d'apprendre de leurs erreurs au cours du temps, ce qui constituerait une anomalie importante par rapport à la traditionnelle hypothèse d'efficience des marchés financiers14. Si l'explication avancée pour le marché américain est transposable au marché français, la prime partisane obtenue sous la gauche s'expliquerait par une meilleure performance que ce qu'anticipaient les investisseurs.


Notes

1 Inversement, l'étude de Bohl et Gottschalk (2006), qui porte sur quinze pays, conclut à une non-significativité pour la France.
2 À l'exception peut-être des pays les plus importants comme les États-Unis.
3 Les évaluations ont été faites avec les deux types de taux représentatifs de l'actif sans risque sans qu'il en résulte de différences notables.
4 Dans le cas contraire, il faut faire appel à des modèles alternatifs tels que celui de Adler et Dumas (1983) qui suppose une segmentation du marché financier international. Cavaglia et al. (2002) montrent, en confrontant différents modèle d'évaluation, que l'hypothèse selon laquelle le risque de change n'est pas valorisé semble la plus robuste. On trouvera une recension récente des différents modèles portant sur l'évaluation des actifs dans un cadre international dans Lewis (2011).
5 Dans le cas contraire, on pourrait se tourner vers les formes du MEDAF international qui permettent de distinguer clairement cette composante de la performance. Elles sont multiples (Lewis, 2011) et posent des problèmes relativement complexes d'estimation qui dépassent l'objet de cette étude. On ajoutera que, dans le cas de la France, sur l'ensemble de l'horizon considéré par la présente étude, la composante de la performance liée au change apparaît assez faible. Il peut cependant en être différemment pour certaines sous-périodes.
6 L'utilisation de séries de taux de rentabilité pose traditionnellement des problèmes d'estimation économétrique en raison de l'existence fréquente d'autocorrélation et d'hétéroscédasticité. Pour les résoudre, Santa-Clara et Valkanov (2003) ont eu recours pour estimer les p critiques des coefficients des variables muettes, d'une part, à la procédure de Newey et West (1987) mobilisant des estimateurs HAC (heteroscedasticity and autocorrelation consistent) pour estimer les variances, d'autre part, à une procédure de bootstrap, procédure réutilisée ici.
7 Précisons que dans cette méthode, les coefficients de sensibilité bêta sont évalués pour l'ensemble de la période, quel que soit le pouvoir en place. On ne prend pas en compte les différences de risque systématique constatées précédemment entre les différentes périodes.
8 L'indice MSCI Europe est constitué de valeurs appartenant à seize pays européens. Les pays qui pèsent le plus sont le Royaume-Uni, la France, la Suisse et l'Allemagne. Les autres pays représentés sont l'Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, l'Espagne et la Suède.
9 Les pourcentages pour l'Allemagne, comparativement à l'Europe et aux États-Unis, s'obtiennent très simplement par des opérations élémentaires à partir des chiffres de la troisième partie du tableau 5.
10 L'évolution proche des performances différentielles entre la France et l'Allemagne peut cependant être due à l'imbrication des deux économies. On peut, par exemple, supposer qu'une politique de relance concernant le secteur automobile mise en œuvre en France aura des conséquences également favorables pour l'industrie automobile allemande.
11 La partie anticipée dépendrait des variables macroéconomiques observées avec un décalage d'une période. La méthode utilisée pose cependant problème si, comme le concluent certaines études, la bourse anticipe l'évolution des principales variables macroéconomiques (voir, par exemple, Sturm, 2013).
12 En testant ce modèle sur dix-huit pays de l'OCDE, Alesina et Roubini (1990) concluent que le modèle partisan a un pouvoir explicatif significatif pour sept pays, dont la France.
13 Pour la composante anticipée, il y a un écart de 1,8 % en faveur des Républicains ; en revanche, pour la composante non anticipée, l'écart est de 10,8 % en faveur des Démocrates.
14 Il s'agirait alors d'un biais cognitif d'origine idéologique, mais les biais idéologiques semblent aussi persistants que les biais comportementaux d'origine psychologique.

Bibliographies

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Annexe

Statistiques descriptives des données utilisées

(taux mensuels diminués du taux sans risque ; 423 mois de juin 1981 à août 2017)

Source : d'après l'auteur.