L'adoption de l'Accord de Paris le 12 décembre 2015, en conclusion de la 21e Conférence des parties (COP21) à la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), marque l'émergence de la question financière au plus haut niveau des négociations climatiques. L'article 2 de l'Accord stipule ainsi que les parties signataires s'engagent à rendre les flux financiers compatibles avec un niveau faible d'émissions de carbone et avec un développement économique adapté aux changements climatiques1. Cette évocation générale des « flux financiers » tranche avec les approches usuelles qui se restreignent à l'aide financière à l'atténuation et à l'adaptation pour les pays en développement2. On peut dès lors se féliciter que les parties signataires aient signifié l'urgence d'une réflexion d'ensemble quant au rôle du secteur financier dans les politiques climatiques.
L'évolution des réflexions depuis la COP21 témoigne néanmoins de la difficulté à se départir des réflexes anciens : du côté des négociations, l'éternelle (et en réalité marginale) question des 100 milliards de transferts annuels nord-sud à l'horizon 2020 ; du côté des réflexions économiques, le non moins éternel (et illusoire) appel à un prix mondial unique du carbone. Nulle place, dans un cas comme dans l'autre, pour un débat sur ce que cet alignement des flux financiers pourrait signifier. Ce sont finalement les regroupements d'intérêts sectoriels, financiers notamment, qui semblent le plus prendre à cœur de reconsidérer avec un œil extérieur leurs rapports aux questions climatiques. Le discours de Mark Carney, gouverneur de la banque centrale d'Angleterre, au Lloyd's de Londres en septembre 2015 (Carney, 2015) a posé pour la première fois à ce niveau la question des interactions entre changement climatique et stabilité financière. Rapidement, une Taskforce on climate-related financial disclosure est lancée en 2016 par le Financial Stability Board pour réfléchir aux moyens de créer et diffuser l'information sur le contenu carbone des actifs financiers. Parallèlement, le Green Climate Study Group créé par le G20 sous présidence chinoise, en 2016 également, rend des conclusions sur l'opportunité de créer des nouveaux marchés d'obligations vertes3. La relève a ensuite été prise au niveau européen par un High-Level Group on Sustainable Finance pour 2017.
La question climatique s'est donc étendue à des secteurs qui en étaient jusqu'alors éloignés, tout particulièrement le secteur financier et celui connexe de l'assurance. L'ampleur des besoins de financement estimés (AIE, 2014)4, la perception grandissante du caractère dévastateur des changements climatiques et de la nécessaire transformation des politiques pour s'en prémunir ou s'y adapter (IPCC, 2014) auraient pourtant dû spontanément introduire les thématiques financières dans les négociations climatiques. Encore fallait-il que l'analyse du rôle de la monnaie et de la finance dans les questions climatiques soit suffisamment avancée pour comprendre à la fois l'impact de risques climatiques, qui se surajoutent aux fragilités financières existantes, et les formes d'incitations ou de régulations, qui permettent de réaliser ou d'accélérer la décarbonation de l'économie.
Nous nous proposons ici d'aborder les apports et les limites des modèles intégrés économie-climat dans l'analyse des mécanismes de ce triptyque finance-croissance-climat. Dans une première partie, nous verrons comment le modèle séminal DICE développé par Nordhaus (2014) masque pour des raisons théoriques profondes l'essentiel des éléments de ce triptyque. Emblématique des integrated assessment models (ou modèles IAM), ce type de modèle fait (abusivement) primer la croissance sur les dommages que le climat pourrait engendrer ; les investissements dans un secteur bas carbone sont supposés entraîner systématiquement un effet d'éviction sur les autres secteurs, avec souvent des conséquences préjudiciables pour l'activité à court comme à long terme ; une telle redirection des investissements ne peut, par ailleurs, pas y provoquer de turbulences sur des marchés financiers supposés parfaits ; enfin l'équilibre de long terme de l'économie y est entièrement déterminé par les anticipations parfaites et rationnelles d'un agent économique représentatif, neutralisant ainsi de facto tout phénomène monétaire/financier durable. Dans le développement qui va suivre, ces hypothèses seront progressivement levées, tout en proposant une synthèse de la littérature émergente sur ce triptyque climat-finance-croissance.
Croissance et changement climatique
dans les modèles IAM
Le modèle DICE développé initialement par l'économiste William Nordhaus dès le début des années 1990 servira de cas-type à notre étude (Nordhaus, 1993). C'est le modèle le plus souvent mobilisé par le monde académique des économistes, et le premier à proposer une synthèse entre les théories de la croissance « à la Solow » (Solow, 1956) et la question climatique. On en trouve déjà une critique détaillée dans Pottier (2016). Sans reproduire l'intégralité de la structure du modèle et de ses équations, nous en schématisons les éléments saillants dans le schéma 1. Tout le lien entre croissance et changement climatique dans le modèle s'y trouve concentré dans la fonction de dommages qui traduit en termes monétaires les effets de l'augmentation de la température moyenne atmosphérique et océanique.
Or deux aspects sont cruciaux dans cette évaluation des dommages climatiques : la forme même de la fonction tout d'abord, qui repose sur des bases empiriques incertaines ; la manière dont ces dommages affectent l'économie ensuite, suivant qu'ils portent sur le niveau de production (PIB, produit intérieur brut), sur son taux de croissance, qu'ils affectent la productivité du travail ou même l'évolution de la population. Il se trouve que le modèle DICE combine dans ces deux aspects les hypothèses les plus favorables à la croissance de l'économie (Moyer et al., 2014) : des dommages en forme quadratique, qui portent simplement sur le niveau de PIB à chaque période. Ainsi les pertes liées au changement climatique atteignent 10 % du PIB mondial à la fin du siècle, quand bien même la hausse de la température atteindrait dans le même temps 6 °C. La crise climatique est ainsi structurellement secondaire par rapport à la croissance de long terme de l'économie. Toute combinaison moins favorable d'hypothèses sur ces deux aspects conduit à des impacts beaucoup plus massifs sur la croissance (Dietz et Stern, 2015), jusqu'à provoquer une décroissance de l'économie mondiale avant la fin du siècle dès lors que les dommages affectent entièrement le taux de croissance plutôt que le PIB en niveau.
Un certain nombre d'évolutions récentes de DICE tentent, par toutes sortes de variations sur la forme de la fonction de dommage, sur les variables de l'économie qu'elle affecte, sur sa perception par les agents économiques (Stern, 2007 ; Espagne et al., 2012), de montrer que l'impact économique du changement climatique sur la croissance pourrait bien être largement supérieur à celui obtenu dans le modèle initial. En particulier, la notion de dommages catastrophiques, de très faible probabilité d'occurrence, mais d'impact majeur, pousse à entrer aussi tôt que possible dans une transition très ambitieuse (Weitzman, 2009), à l'inverse de l'effort initialement modeste et progressif préconisé par William Nordhaus. Ces modifications permettent marginalement de prendre en compte la diversité des impacts que le changement climatique peut entraîner sur l'économie, et en particulier sur la croissance. En conservant toujours l'hypothèse d'anticipation intertemporelle rationnelle des agents, elles ne permettent pas, en revanche, de se rendre compte de la réaction des agents économiques face à des surprises liées au changement climatique, dommages climatiques ou politiques d'atténuation. Elles ne permettent pas de représenter les conséquences de flux financiers non alignés avec l'objectif des 2 °C, voire des 1,5 °C. Or ces questions sont bien au cœur de l'engagement de la communauté internationale au travers de l'article 2 de l'Accord de Paris et requièrent une introduction de la finance dans les modèles intégrés économie climat. Cela invite à s'affranchir du cadre de DICE et de cette génération de modèles IAM (Farmer et al., 2015 ; Pindyck, 2013).
La finance a minima des modèles IAM
Pour être exact, DICE et ses divers avatars contiennent bien un marché financier. Il est d'ailleurs possible de le représenter formellement dans une évolution du schéma 1 (supra).
Le schéma 2 (infra) fait apparaître clairement les hypothèses implicites de la majorité des modèles IAM du type de DICE concernant le rôle de la finance. Le secteur financier est ici explicité à travers l'égalité permanente des grandeurs épargne et investissement, au point que dans le modèle originel, la variable épargne n'apparaît même pas. Par la pro priété supplémentaire de l'anticipation parfaite de l'agent représentatif, toute l'information disponible aujourd'hui sur l'avenir est traduite dans une trajectoire d'investissement prévisible, que finance une trajectoire d'épargne en miroir. Le modèle DICE repose sur l'idée d'une finance efficiente par hypothèse. Efficiente au point d'en devenir invisible dans les équations mêmes. Quelle crise peut donc bien survenir dans un tel environnement ? Quelle incertitude sur l'ampleur du changement climatique peut bien modifier la dynamique de l'économie ? Plusieurs travaux récents tentent de répondre à ces questions sans relâcher le cadre financier général de DICE. Il apparaît rapidement qu'elles se résument à deux choix de modélisation également insatisfaisants.
On peut considérer, d'une part, que seule une incertitude probabilisable peut être représentée, qui ne fait qu'étendre l'univers certain de DICE à un ensemble d'univers certains, simplement pondérés suivant une certaine loi de distribution prédéterminée. Les marchés financiers efficients réagissent vis-à-vis de ce choix « certain pondéré » de manière absolument rationnelle suivant leur degré d'aversion au risque, de préférence pour le présent5. Il y a bien là une forme minimale d'optimisation de portefeuille entre les différents futurs envisagés. C'est la façon (insatisfaisante) de représenter l'incertitude dans la plupart des modèles intégrés dérivés du modèle DICE. On peut évaluer dans un tel monde les pertes financières liées à tel ou tel scénario de réduction du changement climatique (Dietz et al., 2016).
On peut considérer, d'autre part, qu'une information nouvelle et non anticipée par l'agent économique optimisateur, sur la nature réelle des dommages climatiques par exemple, viendrait perturber la dynamique initialement prévue de l'économie. On parle alors de choc stochastique, réellement non anticipé, même si la distribution de valeurs possibles du choc est, elle, bien connue du modélisateur. La finance est cependant supposée aussitôt reprendre une trajectoire optimale dès lors que le choc aura été connu. Les modèles de type DSGE dérivés de DICE permettent ce type de représentations d'événements extrêmes et non prévus. Ils commencent à être appliqués aux questions environnementales (Golosov et al., 2014).
C'est aussi cette forme de représentation du secteur financier a minima qui sert de cadre général aux initiatives du secteur financier sur le climat. Ainsi l'objectif implicite des mesures visant à accroître la transparence de l'information financière sur le contenu carbone des portefeuilles financiers (article 173 de la loi de transition énergétique en France, recommandations de la Taskforce on climate related financial disclosure à l'échelle des pays du Financial Stability Board) est bien de donner la possibilité aux acteurs financier de prendre des décisions rationnelles du point de vue du changement climatique à venir. Il s'agit bien, par l'information financière sur le contenu carbone des portefeuilles et uniquement par elle, de rendre à nouveau probabilisable l'incertitude climatique, donc de rétablir l'efficience de la finance (Christophers, 2017).
La monnaie voile et la séparation entre long terme et court terme
Si la finance est présente a minima dans DICE, on peut tout de même expliciter la représentation de la monnaie en imaginant une banque centrale qui aurait une offre de monnaie constante pour chaque unité de bien produite dans l'économie. Comme dans la quasi-totalité des modèles d'équilibre général calculable en économie d'ailleurs, la monnaie est pensée comme un voile, qui n'interfère en rien dans les échanges économiques, les prix s'adaptant parfaitement. Ainsi, sans que cela n'apparaisse à aucun moment dans la description de DICE, la monnaie est supposée exogène et n'agit sur la production ni à court, ni à moyen terme. Une implication importante de cette hypothèse initiale aura été de dissocier pendant longtemps les questions d'économie de l'environnement des questions plus générales de politiques macroéconomiques à court ou moyen terme. Seules pouvaient interagir avec le climat ou les politiques climatiques les facteurs structurels pesant sur la croissance à long terme de l'économie, tels que le changement technique (Acemoglu et al., 2012 ; Pottier et al., 2014). Long terme, d'une part, moyen et court termes, d'autre part, ne tissaient entre eux aucun lien particulier.
L'exploration assez récente des interactions entre politiques climatiques et cycles économiques ne vient pas contredire cette vision dualiste. En représentant les réactions des cycles économiques aux différentes formes de politiques climatiques mises en œuvre, Heutel (2012) considère la nécessaire adaptation du rythme de mise en œuvre des politiques climatiques aux variations cycliques, quelle que soit par ailleurs leur origine : choc technologique, choc de demande, etc. Il est justifiable d'amender la fonction de réaction de la politique monétaire, non qu'elle pourrait avoir un quelconque impact sur le sentier de croissance à long terme de l'économie, mais pour tenir compte des fluctuations cycliques que les politiques climatiques pourraient venir amplifier (Annicchiarico et Di Dio, 2016). La monnaie reste neutre à long terme, influencée uniquement par des facteurs d'offre, tandis que les fluctuations à court terme sont exclusivement dépendantes de facteurs de demande, que les politiques climatiques peuvent éventuellement affecter par divers canaux (Annicchiarico et Di Dio, 2015).
Néanmoins, en admettant que les politiques climatiques pourraient agir sur les cycles conjoncturels de l'économie, ces travaux lézardent déjà la séparation stricte entre court et long terme des modèles néo-classiques et néokeynésiens. Le changement climatique, phénomène par essence de long terme, qui déclenche par anticipation la mise en place de politiques climatiques immédiatement opérationnelles, modifie bien les cycles à court terme.
Quelles interactions entre monnaie et climat ?
Il sera impossible de montrer, dans les modèles précédents, comment les décisions des acteurs à court terme peuvent éventuellement engendrer des régimes de long terme différents. Les anticipations rationnelles d'agents à durée de vie supposée infinie rendent une transmission d'un cycle de court terme à un état de long terme illusoire. Un élément fondamental interdit ces interactions entre court et long terme : l'absence de contrainte de transmission de richesse dans le temps. Cette contrainte, que la monnaie ou des marchés financiers incomplets peuvent matérialiser, permet de modifier les choix des acteurs. Les modèles à générations imbriquées, faisant l'hypothèse raisonnable d'une durée de vie limitée des agents, et donc de stratégies d'épargne tout au long du cycle de vie, sont ainsi un premier pas dans cette direction, à l'image de celui de Eggertsson et al. (2017). Ils n'ont toutefois pas à notre connaissance été jusqu'ici appliqués au champ des politiques climatiques.
Nous irons d'emblée dans une direction autre, en représentant cette contrainte, non par l'articulation quelque peu fictive d'agents économiques jeunes ou vieux, possiblement contraints dans leur projet d'épargne selon leur cycle de vie, mais par l'explicitation du processus de création et de mise en circulation d'une quantité de crédit par les établissements bancaires et financiers. Tous les modèles cités jusqu'à maintenant relèvent d'une monnaie exogène qui n'a jamais de rôle à long terme et peut au mieux en avoir un à court terme. Les modèles postkeynésiens ouvrent la possibilité d'un impact des décisions d'investissement à court terme sur l'équilibre de long terme de l'économie6. Ils supposent généralement que l'entreprise a désormais une fonction de demande d'investissement autonome. Cette demande d'investissement est adressée à la banque commerciale, qui la finance par des prêts bancaires, éventuellement avec une restriction dépendante de sa propre appréciation de l'état de l'économie7. Cette approche de la monnaie, qui rejette explicitement l'idée d'un multiplicateur monétaire (Jakab et Kumhof, 2015) est aujourd'hui admise par les banques centrales et institutions financières (McLeay et al., 2014).
Introduire explicitement une représentation de la monnaie dans les modèles intégrés économie-climat donne les moyens de traiter de nouvelles questions au cœur des préoccupations liées à la transition écologique. L'une d'entre elles, régulièrement soulevée en économie écologique, consiste à défendre l'idée selon laquelle le système monétaire relié à un système bancaire de prêts à intérêt est intrinsèquement insoutenable en imposant une croissance du PIB pour le remboursement de ces intérêts (Costanza et al., 2013 ; Farley et al., 2013). Si l'on considère (comme c'est notre cas ici) que la production prend forme dans l'esprit des producteurs avant que la monnaie ne soit éventuellement créée pour en permettre la réalisation, alors en aucun cas le système bancaire de prêts à intérêt ne peut être considéré comme cause d'une croissance matérielle indéfinie. Tout au plus en est-il le vecteur bienveillant (Jackson et Victor, 2015). Si la compatibilité semble ainsi possible entre une monnaie et une finance à intérêt et une économie en état stationnaire, celle d'une économie financiarisée en croissance et d'un objectif d'émissions respectant un plafond de 2 °C reste à interroger.
En se concentrant sur la structure de la monnaie comme système de crédit à intérêt et ses liens avec un éventuel impératif de croissance, ces approches ont néanmoins jusqu'ici négligé les problématiques d'inflation propres aux risques climatiques et notamment à la survenue d'événements extrêmes, pourtant considérés empiriquement comme non négligeables (Batten et al., 2016 ; Heinen et al., 2016).
Quelles interactions entre finance et climat ?
L'analyse plus approfondie du rôle des liens entre finance et climat nécessite d'aller plus loin que la seule introduction de la monnaie bancaire. D'une part, les risques financiers face au changement ou aux politiques climatiques se situent autant sur les marchés financiers que dans les bilans bancaires, les deux étant d'ailleurs très imbriqués. D'autre part, c'est bien la complexité des relations bilancielles entre institutions financières qui prête le flanc à l'émergence d'un possible risque systémique climatique (Aglietta et Espagne, 2016). S'il a le mérite d'être une des premières études sur le risque climatique pour le système financier, le travail de Dietz et al. (2016) présente au moins trois biais critiquables : un modèle dérivé de DICE pour déduire des trajectoires de croissance (minimisant a priori l'impact sur la croissance des dommages climatiques) ; une hypothèse (simple mais abusive) de valorisation actualisée de la finance couvrant l'ensemble de la valorisation actualisée de l'économie ; une analyse du risque financier en value at risk (minimisant donc la possibilité d'événements extrêmes). Les approches plus convaincantes vont essentiellement dans deux directions : l'utilisation de l'analyse des systèmes complexes, que ce soit au travers de données réelles ou de modélisations agent-based (Balint et al., 2016) ; le développement plus avant des modèles postkeynésiens évoqués au paragraphe précédent, intégrant une dimension financière plus ou moins évoluée suivant les cas (Nikiforos et Zezza, 2017). Les deux approches commencent d'ailleurs à converger, sous la forme de modèles dits « AB-SFC » (pour agent-based and stock-flow consistent).
Les analyses qui vont dans la première direction se présentent sous la forme de stress-tests financiers du risque climatique (Battiston et al., 2017). Elles permettent de mettre en évidence des simulations de propagation d'un choc d'origine climatique sur la valorisation des bilans des actifs financiers (Comerford et Spiganti, 2016). À ce jour, elles laissent généralement voir un risque systémique limité sans pour autant être pleinement convaincantes, en raison de l'absence de scénario macroéconomique englobant. Elles peuvent, en revanche, permettre de développer des outils pratiques de mesure des risques financiers climatiques, comme la détention ou l'exposition aux gaz à effet de serre (Monasterolo et al., 2017). Utilisant des modèles agent-based, Safarzyńska et van den Bergh (2017) soulignent le risque financier lié à une transition trop rapide vers les énergies renouvelables, cumulant la fragilité financière des anciennes installations et le coût initial élevé du secteur renouvelable. Du strict point de vue financier, l'option intermédiaire du gaz naturel permet d'atténuer ce risque de transition.
Dans la seconde direction de représentation de la finance, les travaux de Jackson et Victor (2015) et Jackson et al. (2016) sont parmi les premiers à introduire les préoccupations environnementales dans des modèles postkeynésiens. Néanmoins les modèles de Dafermos et al. (2016) et Dafermos et al. (2017) vont un cran plus loin, tout d'abord en étendant la notion de cohérence en stocks et en flux aux ressources physiques et aux déchets en même temps qu'aux émissions, puis dans un second temps en essayant d'intégrer une banque centrale et des marchés financiers dans une problématique de mesure du risque physique engendré par le changement climatique pour le système financier. Campiglio et al. (2017) considèrent, quant à eux, le risque de transition pour le système financier dans un cadre assez proche.
On peut trouver deux champs futurs d'expansion de ces approches, au-delà des pistes déjà évoquées dans Hardt et O'Neill (2017). D'une part, la complexité des sphères financières représentées dans ces modèles reste encore bien en deçà de celle des systèmes financiers réels, notamment des marchés de produits dérivés et de ce que l'on appelle le shadow banking. Les motifs de spéculation de la finance en sont également jusqu'ici absents. Or il est clair que ces fragilités financières par ailleurs traitées indépendamment même de la question climatique dans la littérature académique et institutionnelle (FSB, 2016) devraient être encore renforcées par les risques propres au changement climatique. D'autre part, la question des liens entre finance, climat et croissance, porte aussi sur les modes de financement d'une transition bas carbone. Les modèles d'équilibre général calculables présupposent un effet d'éviction fort (voire total) entre investissements publics et privés (Pollitt et Mercure, 2017). Les modes de financement d'une transition bas carbone y sont donc neutres et donc substituables. Qu'il s'agisse des écoles schumpéteriennes ou postkeynésiennes, ces dernières donnent un bien plus grand rôle à la structuration des secteurs financiers et monétaires pour initier ou accompagner la transition, loin d'une neutralité bien imaginaire des circuits financiers (Matikainen et al., 2017).
Conclusion
Le texte de la COP21 et les initiatives annexes qui ont été officialisées au moment de la Conférence de Paris offrent une certaine vision du rôle que les secteurs financier et assurantiel ont à jouer. Mais l'intermédiation financière nécessaire à l'accomplissement de l'objectif final de la Convention, à savoir un horizon de neutralité mondiale des émissions de carbone atteint dans la seconde moitié du siècle, est encore loin d'être clairement établies. Paradoxalement, les inquiétudes actuelles quant aux fragilités du système financier global (FSB, 2016) pourraient offrir l'opportunité d'innovations institutionnelles dans le champ climatique. L'enjeu n'en est que plus grand. Encore faudra-t-il pour cela dépasser l'ambivalence de la sphère financière vis-à-vis des effets du changement climatique, entre la perception des opportunités que ces nouveaux risques créent pour le secteur (Carney, 2015) et la difficulté à reconnaître le caractère systémique du phénomène climatique (Aglietta et Espagne, 2016).
Les contraintes environnementales obéissent à une dynamique non linéaire, par la brutale altération d'un écosystème (risque de système), de sorte que l'hypothèse d'anticipation rationnelle et de connaissance parfaite des processus sera in fine impuissante à bien orienter les politiques environnementales. La finance verte, entendue dans ce sens, trouvera vite ses limites, tout comme les modèles intégrés économie-climat qui se limitent à cette approche. La crise de 2008 n'a certes pas (encore) provoqué les bouleversements tectoniques qu'elle aurait dû dans la compréhension du rôle de la monnaie et de la finance dans les grands cycles économiques. Elle a néanmoins replacé le secteur financier comme acteur économique à prendre en compte dans les dimensions positives et négatives des externalités qu'il produit pour les autres secteurs de l'économie, là où il était tout simplement ignoré auparavant, du fait de sa supposée neutralité. La coïncidence entre la crise de 2008 et l'échec des négociations climatiques à Copenhague peut, à cet égard, être vue comme emblématique de l'épuisement plus général d'une certaine approche de la question des biens communs, et de l'émergence encore incertaine d'une nouvelle approche qui ne pourra que se combiner avec un processus de réforme financière plus large.
Cet article propose ainsi une analyse critique des travaux de recherche les plus récents tentants d'intégrer les spécificités de la finance et de la monnaie dans le lien jusqu'ici sans ombres entre croissance et climat. Il s'avère que les modèles dérivés du célèbre modèle DICE de William Nordhaus ne sont pas appropriés pour représenter clairement les différents canaux par lesquels la finance et la monnaie peuvent perturber les équilibres bien établis entre croissance et dommages climatiques. Des pistes surgissent aujourd'hui, empruntant essentiellement à la grammaire des modèles postkeynésiens pour le rôle clé donné par ces modèles à la monnaie, à celle des systèmes complexes pour leur capacité d'appréhension des interactions entre bilans financiers. Néanmoins l'intégration des questions monétaires, financières et climatiques reste à ce jour l'introuvable tango à trois des modèles économie-climat.