Un lien fédéral a toujours uni, du moins en théorie, les États de l'Allemagne. De 962 à 1806, ce fut le Saint-Empire romain germanique. Au xviie siècle, les violences de la guerre du Palatinat et l'appétit de gloire de Louis XIV ont entraîné une première apparition du sentiment national allemand, nourri par l'hostilité populaire contre la France. Cette première exaltation patriotique n'était pas très profonde et fut sans lendemain. C'est Napoléon Ier qui provoqua le grand éveil du patriotisme allemand et les aspirations à l'unité. Consciente de son unité morale et intellectuelle, l'Allemagne rougit de l'humiliation à laquelle l'avaient conduit son morcellement et son organisation surannée. Tandis que la Prusse bouleverse son administration, sa structure sociale et son organisation militaire, les philosophes et les poètes adressent de vibrants appels aux sentiments patriotiques. L'idée directrice de la nouvelle Confédération germanique est de réunir, par un lien fédéral, toutes les populations de langue allemande. Jusqu'en 1871, date de la création du Reich wilhelmien, il est ainsi aisé de distinguer trois grandes périodes dans l'histoire économique et politique de l'Allemagne. La première, 1815-1848, est une période d'équilibre relatif grâce à l'entente de l'Autriche et de la Prusse. À partir du 1834, l'influence de la Prusse s'accroît grâce à l'établissement de l'union douanière. La seconde période s'étend de 1848 à 1850. Elle est extrêmement troublée et riche en incidents et péripéties. Elle est caractérisée par diverses tentatives infructueuses de substituer à la Confédération germanique un lien fédéral plus étroit. Enfin la période 1850-1866 est marquée par la rivalité grandissante entre l'Autriche et la Prusse. L'action de Bismarck aboutit au triomphe de la Prusse et à la disparition de la Confédération germanique.
Quant à l'histoire financière, les conditions de la mise en place du système monétaire allemand reflètent, elles aussi, la division politique de l'Allemagne. En 1870, à la veille de la guerre franco-prussienne, Knut Borchardt nous rappelle que sept systèmes sont en vigueur en même temps, trente-trois banques et vingt États mettent encore un très grand nombre de billets en circulation (Borchardt, 1976). Cette confusion monétaire résulte du développement économique des années 1840 et 1850, ainsi que de la création des banques d'émission (Zettelbanken). En fait, seule la Prusse a un système monétaire bien organisé et régulé par la Banque de Prusse (Preussische Notenbank, qui trouve son origine dans la Königliche Giro- und Lehnbank).
La première tentative en direction d'un meilleur système monétaire est prise en mars 1870. Une loi est votée, impliquant que le privilège d'émission de billets peut uniquement être obtenu avec l'autorisation fédérale. Cette loi a été élaborée comme une mesure provisoire jusqu'à ce qu'une solution permanente puisse être trouvée et être acceptée par toutes les parties concernées. Pour ce faire, Bismarck suggère, en 1872, une loi qui transforme la Banque de Prusse en banque centrale de l'Allemagne. À la suite de l'opposition farouche du ministre des Finances prussien, la proposition est retirée avant même d'avoir été présentée au Reichstag. Deux ans plus tard, une nouvelle loi est présentée. Désormais le projet de création d'une banque centrale devient une visée acceptable.
Le 22 septembre 1875, l'unification monétaire de l'Allemagne est décrétée. À partir du 1er janvier 1876, le système monétaire entre en vigueur sur l'ensemble du territoire. La réforme bancaire érige la banque de Prusse en banque centrale de l'Empire avec la nouvelle appellation de Reichsbank chargée de fournir des crédits au gouvernement impérial et de mener une politique active du taux de l'escompte.
Pour des raisons liées à la conjoncture économique, la Reichsbank doit, avant la Première Guerre mondiale, plusieurs fois se départir de sa réserve statutaire. La période de 1876 à 1894, par exemple, débute par une très longue récession (de six ans environs) suivie d'une faible reprise, insuffisante pour surmonter une nouvelle dépression, de 1883 à 1887, marquée par un chômage important et une baisse du revenu de larges couches de la population. Pendant ces années, les banques privées ont tenté de prendre une position prépondérante sur le marché moné taire. La Reichsbank est alors contrainte de pratiquer l'escompte au-dessous de son propre taux, afin de conserver le contrôle du marché en période d'excessive liquidité. Il en est ainsi jusqu'en 1896. Les cinq dernières années du siècle sont, en revanche, une période d'extraordinaire expansion pour l'Allemagne. Malgré les courtes dépressions de 1901 et de 1908, il en est de même jusqu'en 1913.
En fait, l'économie allemande devient de plus en plus dépendante de l'extérieur. Sa balance des paiements courants demeure pourtant positive grâce aux excédents de la balance des services notamment. À cette époque, la Reichsbank ne craint donc aucune tension sur le mark provoquée par les sorties d'or. La conjoncture générale est favorable, les bénéfices des entreprises augmentent très rapidement et cela malgré le renchérissement des matières premières et des produits alimentaires. Cela provient, pour l'essentiel, d'un progrès technique intense et d'une organisation économique et commerciale très dynamique, fondée sur une forte concentration verticale et horizontale, ainsi qu'une étroite liaison entre les secteurs industriels et bancaires. Progressivement, le mark devient l'une des monnaies-or les plus solides du monde !
Mais il faut aussi préparer la guerre d'un point de vue financier. Ainsi, dès 1911, on perçoit une sorte de convergence des réformes économiques et financières vers un but politique déterminé. À cette époque, la préparation monétaire à la guerre consiste à discipliner les banques pour qu'elles constituent des encaisses plus élevées, à persuader le public d'utiliser le chèque plutôt que la monnaie métallique (pour ne pas mettre les réserves d'or à contribution) et, pour la Reichsbank, à accroître ses avoirs en or, à accaparer tout l'or à la limite pour ne laisser circuler que du papier. Telle est, en tout cas, la préoccupation de la loi qui autorise l'émission de billets de 20 marks et de 50 marks, et celle des industriels patriotes qui se mettent à payer systématiquement leurs ouvriers en petits billets. Notables et commerçants de Berlin vont suivre l'exemple, les administrations également, avec comme ambition, croyait-on, de contribuer à l'amélioration de l'armement de guerre. En somme, une sorte de trésor de guerre, dont Hume parlait déjà ironiquement au xviiie siècle, en référence à l'argent accumulé par le roi-sergent, Frédéric-Guillaume Ier.
Le résultat de cet ensemble de mesures a été assez extraordinaire. Le dernier bilan de paix de la Reichsbank, celui du 23 juillet 1914, dépasse tout ce que l'on peut espérer, puisque, pour la première fois, la monnaie en circulation est couverte à 90 % par l'encaisse, sans compter l'appoint du trésor de guerre. La marge d'émission non imposable dépasse alors les 3 MdF. La mobilisation financière s'opère donc aussi aisément que la mobilisation militaire (dès l'ultimatum de l'Autriche-Hongrie à la Serbie). La Reichsbank est prête à jouer son rôle de « banque de guerre », c'est-à-dire son rôle d'accumulateur des réserves en or en vue d'achats aux pays non belligérants, et cela jusqu'au moment où l'or russe est exigé à Brest-Litovsk. Suit, après la Première Guerre mondiale, la dépréciation accélérée et la faillite totale du mark, un événement de caractère unique dans l'histoire monétaire. Elle correspond à une période d'opposition politique violente, de grandes misères, mais aussi d'enrichissement pour les investisseurs avisés.