Cet article passe en revue les dispositions de la législation européenne en matière de protection des investisseurs de détail dans le cadre de la prestation de services d'investissement et leur évolution au cours des dernières décennies. Certaines caractéristiques propres aux marchés financiers font ressortir plusieurs défaillances liées à des asymétries d'information, à la complexité du marché et à un risque élevé de comportement opportuniste. Les mesures de protection des investisseurs visant à surmonter ces défaillances bénéficient à la fois aux investisseurs particuliers et aux acteurs du marché en assurant un niveau élevé de participation des investisseurs de détail sur les marchés financiers et en améliorant la liquidité du marché.
Au fil du temps, l'Union européenne (UE) a considérablement renforcé la protection des investisseurs de détail, d'abord en se concentrant sur les obligations d'information, puis en mettant en place des mesures de protection plus détaillées et plus interventionnistes. Au vu des caractéristiques des marchés des valeurs mobilières, le principe de responsabilité de l'acheteur (caveat emptor) a été délaissé au profit d'un important renforcement de la protection des investisseurs. Entrée en vigueur il y a peu, la directive MiFID II (Markets in Financial Instruments Directive) comporte des mesures intrusives telles que des exigences en matière de gouvernance des produits et des pouvoirs d'intervention sur les produits.
La nature transfrontalière des marchés financiers de l'UE ajoute encore à la complexité de la protection des investisseurs. En effet, le prestataire des services financiers et l'autorité de surveillance compétente peuvent se trouver dans une autre juridiction que l'investisseur. Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures pour faire en sorte que le prestataire des services financiers et l'autorité de surveillance compétente prennent suffisamment en compte les intérêts des investisseurs situés dans d'autres juridictions. Ces mesures s'appuient sur divers outils dont dispose l'AEMF (Autorité européenne des marchés financiers) pour assurer la convergence de la surveillance au sein de l'UE.
L'exercice effectif de la surveillance et des pouvoirs de sanction par les autorités nationales compétentes en matière de mesures de protection des investisseurs prévues par la législation européenne est indispensable à cette convergence. Dans ce contexte, l'AEMF a réalisé plusieurs évaluations des pratiques nationales de surveillance. Ces études ont révélé la persistance de divergences au sein de l'UE et d'une manière générale un nombre assez limité de décisions de sanctions.
Pour terminer, cet article traite brièvement du droit des contrats, qui influe lui aussi fortement sur le niveau de protection des investisseurs particuliers. Dans ce domaine, les progrès en matière de convergence réglementaire sont nettement moins significatifs et d'importantes divergences persistent au sein de l'UE, notamment en ce qui concerne les possibilités de réparation pour les investisseurs de détail en cas de préjudice.
Les défaillances des marchés financiers
Les marchés financiers, et en particulier le marché de l'investissement de détail, font partie des marchés de services les plus étroitement réglementés et surveillés. Le marché des services médicaux est l'un des rares marchés de services aux consommateurs aussi fortement réglementé.
Pour justifier les interventions en matière de réglementation et de surveillance sur les marchés, les arguments économiques classiques se fondent sur les « défaillances du marché ». L'efficacité des marchés peut être améliorée grâce à l'intervention des pouvoirs publics. Toutefois les interventions en matière de réglementation et de surveillance peuvent également s'appuyer sur le principe d'équité : au vu de l'importance du bon fonctionnement des marchés financiers pour l'ensemble de l'économie et de l'inclusion financière, la réglementation et la surveillance des marchés financiers doivent permettre une forte participation des investisseurs de détail. Les marchés financiers possèdent diverses caractéristiques pouvant entraîner des défaillances, notamment en termes d'asymétries d'information, de complexité du marché et de risque élevé de comportement opportuniste.
Asymétries d'information
Pour estimer la valeur d'un service financier, y compris d'une offre d'instrument financier, l'investisseur de détail a besoin de nombreuses informations. Le prestataire de services est la principale source de ces informations. Il pourrait toutefois être incité à ne pas divulguer certaines informations, soit pour améliorer l'attractivité de l'offre, soit pour les utiliser à son propre profit. L'intervention des pouvoirs publics est donc nécessaire pour faire en sorte que les acteurs du marché fournissent toutes les informations utiles aux investisseurs de détail dans le cadre de la prestation de services.
Complexité
Les marchés financiers sont complexes. De ce fait, il est extrêmement difficile pour la plupart des investisseurs particuliers de comprendre les services qu'ils achètent. Cette complexité découle de divers facteurs. En premier lieu, pour comprendre la valeur des services financiers, il faut comprendre certains concepts tels que les coûts du capital, l'inflation et les intérêts composés. Ensuite, il est très difficile de démêler l'impact des différents facteurs sur les performances d'un service financier : quels facteurs peuvent être influencés par le prestataire de services et quels facteurs sont exogènes au prestataire ? Enfin, pour les investisseurs de détail, les bénéfices des services financiers sont particulièrement significatifs à long terme. Toutefois, il est très difficile de comprendre l'impact des différents facteurs, et de leurs interactions, sur la valeur d'un service financier à long terme. Une réglementation visant la standardisation et la simplification, confortée par une surveillance adéquate, peut contribuer à corriger cette défaillance du marché.
Risque élevé de comportement opportuniste
Sur de nombreux marchés, le principal mécanisme permettant de discipliner les acteurs du marché, et d'éviter les comportements opportunistes, se fonde sur la participation régulière des acheteurs sur le marché et les bénéfices dans le temps que peuvent espérer les prestataires qui se sont forgés une bonne réputation. Cependant, sur les marchés financiers, de nombreux investisseurs de détail ne sont actifs que sporadiquement. En outre, les bénéfices ponctuels découlant de comportements opportunistes peuvent être substantiels pour les acteurs du marché. Ce risque est accru en présence d'incitations divergentes qui entraînent des conflits d'intérêts. Ainsi l'important mécanisme de marché fondé sur la réputation ne fonctionne pas correctement. Les mesures de réglementation et de surveillance visant à corriger cette défaillance incluent plusieurs obligations pour les acteurs du marché, parmi lesquelles la gestion de l'honorabilité, de l'expérience et de l'expertise ainsi que des exigences de gouvernance et de contrôle, sans oublier la réglementation des conflits d'intérêts, et des incitations (inducements en anglais).
Le risque de défaillances sur les marchés financiers n'a rien d'hypothétique. À cause des défaillances du marché, diverses pratiques qui portent préjudice aux investisseurs de détail subsistent encore aujourd'hui. Parmi les exemples les plus récents, on peut citer : (1) l'autoplacement : pendant la crise financière, certaines banques ont tenté avec succès de transformer des dépôts en capital à risque, sans informer suffisamment les consommateurs de détail du changement du profil de risque de leur portefeuille ; (2) l'indexation cachée (closet indexing) : certains fonds d'investissement prétendent avoir une stratégie d'investissement active, alors qu'ils ont en réalité une stratégie passive tout en appliquant la tarification et les frais d'une stratégie active ; (3) les contrats financiers avec paiement d'un différentiel (CFD) et les options binaires : la vente agressive de produits risqués et à fort effet de levier sur lesquels seule une toute petite minorité d'investisseurs de détail bénéficient de rendements positifs.
S'il est certain que les marchés financiers doivent être réglementés et surveillés, la nature des mesures à prendre pour corriger les défaillances est bien moins évidente, notamment en ce qui concerne le degré d'interventionnisme. À l'origine, comme nous l'évoquerons dans la section suivante, la réglementation et la surveillance se focalisaient sur les obligations d'information, limitant ainsi les asymétries d'information. Toutefois, au fil du temps, ces mesures sont devenues plus exigeantes, renforçant les obligations organisationnelles imposées aux acteurs du marché et leurs responsabilités quant à l'obtention de bons résultats pour les investisseurs de détail.
Enfin, autre point théorique important, on peut se demander dans quelle mesure l'amélioration de la protection des investisseurs de détail les fait renoncer à s'informer eux-mêmes quant à leurs investissements, y compris quant aux risques, et à sélectionner soigneusement leurs investissements. Le principe de responsabilité de l'acheteur (caveat emptor) incite fortement les investisseurs particuliers à assurer leur propre protection. Ils sont également soumis au risque d'aléa moral. Alors que le renforcement de la réglementation et de la surveillance a probablement légèrement dissuadé les investisseurs de détail de se protéger eux-mêmes contre certains risques, de nombreux éléments démontrent que la communication d'informations plus détaillées, ajoutée à la publication de mises en garde, ne suffit pas à elle seule au bon fonctionnement des marchés financiers.
Au-delà des obligations de communication :
l'évolution de la législation
sur les services d'investissement
La directive sur les services d'investissement
Il y a déjà de nombreuses années que la législation européenne sur les marchés des valeurs mobilières a reconnu la nécessité d'aller au-delà du principe de responsabilité de l'acheteur (caveat emptor). Au fil du temps, elle a mis en place un ensemble organisé de mesures de protection pour les clients des entreprises d'investissement et des établissements de crédit proposant des services d'investissement (« intermédiaires » ou « entreprises »)1. On peut identifier plusieurs tendances globales en matière de réglementation :
le passage d'un dispositif basé sur l'autodiscipline du marché et l'information pour corriger les défaillances du marché (jusqu'aux années 1980) à une législation fondée sur des principes définissant un cadre d'harmonisation minimale (dans les années 1990), puis à une législation plus détaillée, souvent organisée à différents « niveaux »2, avec une diminution progressive de la discrétion des États membres ;
une attention croissante accordée à la protection des investisseurs, identifiée à la fois comme un objectif clé de la réglementation elle-même et comme une condition nécessaire à l'intégration des marchés européens des valeurs mobilières ;
l'implication croissante des acteurs techniques au niveau de l'UE3 ;
dans une certaine mesure, l'adoption de réglementations directement applicables au lieu de directives.
La directive 93/22/CEE (DSI ou directive sur les services d'investissement) fut la première directive à réglementer les services d'investissement. La protection des investisseurs était l'un des objectifs de cette directive. Le préambule invoquait la protection des investisseurs comme l'une des raisons pour exiger des entreprises l'obtention d'un agrément pour la prestation de services d'investissement. Certains principes essentiels de réglementation de la prestation de services figuraient dans cette directive.
La DSI reconnaissait l'importance d'informer les clients. L'article 11 obligeait les entreprises « à communiquer d'une manière appropriée les informations utiles dans le cadre des négociations avec [leurs] clients ».
Outre les obligations de communication, l'article 11 de la DSI mentionnait déjà plusieurs autres principes que les entreprises devaient respecter dans le cadre de leurs interactions avec leurs clients :
agir loyalement et équitablement, dans l'exercice de leur activité et agir avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent au mieux des intérêts des clients ;
s'informer de la situation financière des clients, de leur expérience en matière d'investissement et de leurs objectifs ;
veiller à ce que les clients soient traités équitablement en cas de conflits d'intérêts.
La DSI a donc établi le premier dispositif de réglementation de la conduite des intermédiaires financiers qui allait au-delà de la communication d'informations aux clients.
Outre ces règles de conduite, la DSI reconnaissait également l'importance de l'organisation des entreprises pour la protection des investisseurs. En effet, dans le contexte de ce même article 11 sur les règles de conduite, les entreprises étaient tenues d'avoir et d'utiliser « avec efficacité les ressources et les procédures nécessaires pour mener à bonne fin [leurs] activités ». L'article 10 complétait ce dispositif en obligeant les entreprises à observer certaines exigences organisationnelles d'ordre général incluant la sauvegarde des fonds et des instruments financiers des investisseurs.
L'évolution des objectifs politiques de l'UE en faveur de l'intégration du marché financier a mis en lumière les limites du cadre réglementaire existant, jugé « trop lent, trop rigide, trop complexe et mal adapté au rythme des changements survenant sur les marchés financiers mondiaux »4.
L'article 11 de la DSI sur les règles de conduite a été identifié comme incompatible avec l'ambitieux objectif de l'UE. En effet, même s'il instaurait d'importants principes de protection des investisseurs, cet article mettait en place un cadre d'harmonisation minimale souvent inutilement ambigu et laissant une grande discrétion aux États membres. Par ailleurs, la directive reconnaissait explicitement la possibilité d'adopter des mesures nationales en matière de protection des investisseurs pour des raisons d'intérêt général.
Comme l'a remarqué le Comité européen des régulateurs des marchés des valeurs mobilières (CERVM, ou en anglais CESR pour Committee of European Securities Regulators) en 2002, « la diversité actuelle des règles de conduite est susceptible de compromettre non seulement la liberté des entreprises à proposer leurs services dans toute l'Europe, mais également la garantie d'un niveau de protection adéquat pour les investisseurs européens. Il est donc nécessaire d'entamer un processus de convergence dans ce domaine, à la fois pour assurer des conditions équitables aux entreprises et pour favoriser la confiance du public envers le marché unique des services financiers »5.
Le CERVM a fortement contribué à poser les fondations d'un régime plus transparent et plus harmonisé en adoptant une série de normes, complétées par des règles plus détaillées6.
L'une des principales normes mettait l'accent sur l'information des clients, afin de leur permettre de prendre leurs décisions d'investissement en connaissance de cause, de réagir rapidement en cas de pertes potentielles ou réelles et de réfléchir à la cohérence entre leurs objectifs et leurs stratégies d'investissement et la composition réelle de leur portefeuille.
Parallèlement, un chapitre important était consacré à l'obligation de connaître son client et au devoir de diligence. Il établissait un cadre plus détaillé pour le recueil d'informations auprès des clients et proposait une gradation préliminaire du devoir de diligence prévu en fonction de la nature du service d'investissement fourni. Il incluait le conseil en investissement qui n'était jusque-là pas considéré comme un service d'investissement au titre de la DSI.
Le CERVM a également souligné la nécessité d'identifier clairement les différentes catégories de clients et de différencier la réglementation à appliquer en fonction du degré de protection requis.
Selon le CERVM, les normes et les règles étaient « destinées à acquérir un caractère obligatoire ». En parallèle, le CERVM reconnaissait ses limites : « Les membres devront s'efforcer de mettre en œuvre les normes et les règles définies dans ce document dans leurs objectifs réglementaires et, dans la mesure du possible, dans leurs réglementations respectives. Si un membre du CERVM n'est pas habilité à mettre en œuvre une norme ou une règle en particulier, il préconisera cette norme ou cette règle à son gouvernement et à l'autorité de réglementation compétente. » C'est dans ce contexte que la DSI a été révisée.
La directive concernant les marchés d'instruments financiers
La nouvelle directive sur les marchés d'instruments financiers (MiFID)7 a été adoptée en 2004. Elle pose alors les bases d'un marché unique des services financiers au sein de l'UE et inspirera la réglementation des services bancaires et d'assurance en matière de protection des investisseurs.
Cette directive suivait le nouveau modèle de législation européenne : le dispositif réglementaire incluait une loi fondamentale adoptée par le Parlement européen et le Conseil, complétée par des actes d'exécution de la Commission européenne, qui bénéficiait pour sa part des conseils techniques du CERVM.
En matière de protection des investisseurs, le dispositif MiFID incluait les directives 2004/39/CE et 2006/73/CE et, dans une certaine mesure, le règlement (CE) n° 1287/2006. Cette nouvelle loi plaçait la conduite des intermédiaires au cœur de la prestation de services d'investissement et repoussait les limites imposées par la DSI en apportant plusieurs nouveautés :
extension de la portée des services et activités d'investissement, incluant le conseil en investissement8 ;
introduction d'un système articulé de catégorisation des clients pour distinguer les investisseurs de détail des clients professionnels et des contreparties éligibles ;
identification, parmi les services d'exécution, du service d'« exécution simple » ou réception et transmission des ordres du client ;
gradation de la protection en fonction du type de client et du type de service.
Les obligations de communication conservaient un rôle important dans le cadre de MiFID. Selon l'un des principes fondamentaux, toute information adressée aux clients et aux clients potentiels, qu'elle soit à caractère promotionnel ou non, devait être exacte, claire et non trompeuse. En outre, la directive obligeait les entreprises à communiquer aux clients ou aux clients potentiels toute information utile, sous une forme compréhensible, relative à l'entreprise et à ses services, aux instruments financiers et aux stratégies d'investissement proposées, aux infrastructures d'exécution et aux coûts et aux frais liés. La communication d'informations aux investisseurs devait leur permettre de comprendre raisonnablement la nature et les risques du service d'investissement et le type spécifique d'instrument financier afin qu'ils prennent des décisions d'investissement en connaissance de cause.
Les obligations d'information imposées par MiFID s'appliquaient à tous les services fournis, y compris l'exécution simple. D'un point de vue subjectif, elles s'appliquaient également graduellement à la prestation de services aux clients professionnels. La seule exception à ce large champ d'application était la prestation de services aux contreparties éligibles9.
Toutefois les obligations d'information, même avec un vaste champ d'applications et des informations exactes, claires et non trompeuses, ne constituaient qu'une partie des obligations des entreprises vis-à-vis des clients. Les intermédiaires devaient se plier à plusieurs exigences de fond allant bien au-delà de la communication d'informations :
connaître leurs clients, principe appliqué de façon graduelle à tous les services d'investissement (à la seule exception de l'exécution simple). Pour le conseil en investissement et la gestion de portefeuille en particulier, les entreprises devaient évaluer l'adéquation des instruments financiers (suitability test). Pour la prestation d'autres services, un examen moins intrusif était utilisé (appropriateness test) ;
prendre toutes les mesures raisonnables pour obtenir, lors de l'exécution des ordres, les meilleurs résultats possibles pour leurs clients (meilleure exécution). Une obligation similaire s'appliquait au service de gestion de portefeuille et de réception et transmission des ordres ;
mettre en œuvre des procédures et des mesures garantissant l'exécution rapide et équitable des ordres des clients ;
respecter des règles spécifiques limitant la possibilité de percevoir ou de verser des avantages pécuniaires ou non pécuniaires dans le cadre de la prestation de services aux clients (incitations).
La plupart des exigences susmentionnées s'appliquaient y compris dans le cadre du régime de l'exécution simple, pour lequel on aurait pu se fier essentiellement à la communication d'informations. Par ailleurs, les services d'exécution simple étaient soumis à certaines conditions : ils devaient notamment porter sur des instruments financiers non complexes et être réalisés à l'initiative du client.
Plusieurs exigences organisationnelles clés complétaient le tableau des obligations auxquelles les entreprises étaient soumises dans le cadre de la prestation de services d'investissement (conformité et autres contrôles internes, gestion des plaintes, protection des actifs du client, conflits d'intérêts, externalisation et enregistrement des opérations).
MiFID II/MiFIR
Entré en vigueur en 2007, le dispositif MiFID s'est rapidement retrouvé confronté à la nécessité d'une importante révision à la suite de la crise financière qui a mis en évidence les faiblesses de la législation et de la surveillance des marchés de capitaux dans le monde entier.
Au terme de négociations complexes, le nouveau dispositif réglementaire est entré en vigueur le 3 janvier 2018. En matière de protection des investisseurs, le dispositif inclut principalement la directive 2014/65/UE, le règlement 600/2014, la directive déléguée 2017/593 et les règlements délégués 2017/565 et 2017/567, ainsi que plusieurs normes techniques.
Tout en confirmant largement le dispositif MiFID I en ce qui concerne la protection des investisseurs, MiFID II prévoit d'importantes améliorations, notamment en matière d'obligations de communication et propose des approches innovantes dans certains domaines. Parmi les nouvelles règles figurent :
la gouvernance des produits en anticipant l'application de la réglementation au stade initial de l'élaboration des produits d'investissement ;
les incitations, interdites dans le cas du conseil indépendant et de la gestion de portefeuille ;
le renforcement des obligations d'information, en particulier pour ce qui concerne les coûts et les frais et l'extension de certaines obligations d'information à la prestation de services aux contreparties éligibles ;
la réduction du champ d'application pour les services d'exécution simple ;
l'extension de MiFID II aux dépôts structurés ;
la limitation des exemptions.
Les exigences en matière de gouvernance et d'organisation sont renforcées. La promotion des intérêts du client devient un objectif explicitement rattaché au rôle des organes de direction, qui sont effectivement chargés de définir, superviser et corriger toute défaillance en lien avec l'organisation, les politiques et les dispositions de l'entreprise dans le cadre de la prestation de services aux clients.
L'une des évolutions les plus marquantes de ce nouveau dispositif concerne les pouvoirs d'intervention sur les produits accordés aux autorités européennes10 et nationales. Même s'ils sont soumis à diverses conditions juridiques, ces pouvoirs permettent aux autorités de surveillance d'interdire ou de limiter la commercialisation, la distribution ou la vente d'un instrument financier, une activité financière ou une pratique.
L'AEMF a apporté son concours à ce nouveau dispositif conformément à sa première tâche, telle que définie dans l'article 8 du règlement AEMF, à savoir contribuer à la création de normes et de pratiques communes de grande qualité en matière de réglementation et de surveillance. Elle a en effet prodigué des conseils à la Commission européenne et a proposé des normes techniques sur plusieurs sujets afin de contribuer à la mise en œuvre du dispositif législatif MiFID II et conformément à l'objectif de mise en place d'un « recueil réglementaire unique » (single rule book) au sein de l'UE. Par ailleurs, elle a complété ce dispositif par une série d'orientations sur les principales exigences en matière de protection des investisseurs11.
Ce nouveau dispositif doit se mettre en place. Des besoins de clarification vont continuer à émerger. Par ailleurs, même si le dispositif MiFID II/MiFIR apporte d'importants progrès et améliorations en matière de protection des investisseurs, l'efficacité et l'efficience de ce dispositif dépendent de son application et de sa surveillance en pratique.
Favoriser l'efficacité et la convergence
de l'application des règles
et de la surveillance financière :
rappel des tâches,
pouvoirs et actions de l'AEMF
La surveillance de l'application des règles de protection des investisseurs relève avant tout de la responsabilité des États membres par l'intermédiaire de différents organes nationaux. Cette responsabilité peut être directement exercée par des agences dédiées dotées d'une compétence générale dans tous les secteurs de l'économie et (ou) indirectement via la surveillance des entreprises financières. Ainsi que le prévoit le droit des contrats, si les investisseurs pensent que leurs droits en tant qu'investisseurs n'ont pas été respectés, ils peuvent intenter une action directe contre les entreprises financières concernées devant le médiateur des entreprises, le médiateur national ou la juridiction nationale compétente. Ils peuvent également alerter l'autorité nationale de surveillance financière en cas d'éventuelles violations des dispositions légales inscrites dans la réglementation financière visant à protéger les investisseurs.
Comment l'AEMF peut-elle soutenir la protection des investisseurs au sein de l'UE, au-delà de sa contribution au « recueil réglementaire unique », mentionnée dans la deuxième partie ? Elle peut exercer un contrôle sur les innovations financières et sur le marché et travailler à la convergence en matière de surveillance, comme nous allons le montrer en passant en revue les tâches, les pouvoirs et les actions de l'AEMF.
Mission de protection des investisseurs
Comme le précise le règlement portant sa création12 (ci-après « règlement AEMF »), l'objectif fondamental de l'AEMF13 est de protéger l'intérêt public en contribuant à la stabilité et à l'efficacité du système financier pour l'économie de l'Union, ses citoyens et ses entreprises. Renforcer la protection des clients fait partie intégrante de cet objectif, au nom duquel l'AEMF doit agir de manière indépendante et objective dans le seul intérêt de l'Union.
Les tâches et les pouvoirs de l'AEMF incluent le devoir de « favoriser la protection des investisseurs »14. Un article dédié (Article 9 du règlement AEMF – Tâches relatives à la protection des consommateurs et aux activités financières) précise en outre que l'AEMF « assume un rôle prépondérant dans la promotion de la transparence, de la simplicité et de l'équité sur le marché des produits ou des services financiers, dans l'ensemble du marché intérieur ».
Pour remplir cette mission, l'AEMF est habilitée, entre autres, à recueillir, analyser et rapporter les tendances de consommation15, à contribuer au développement de règles communes en matière d'information, à surveiller les activités financières et à adopter des orientations et des recommandations en vue de promouvoir la sécurité et la santé des marchés et la convergence des pratiques réglementaires. Elle peut également émettre des alertes lorsqu'une activité financière constitue une menace grave pour ses objectifs statutaires. Elle a, par exemple, émis des alertes sur la vente de produits complexes et spéculatifs aux investisseurs de détail, tels que les CFD et les options binaires (alertes émises en juillet 2016 et juin 2017) ou les levées de fonds en crypto-monnaies (ICO pour initial coin offerings) ; alerte émise en novembre 2017. Enfin, et surtout, elle peut temporairement interdire ou restreindre certaines activités financières. Ces pouvoirs sont effectifs depuis l'entrée en vigueur du règlement MiFIR, comme nous l'avons vu supra. L'AEMF exerce ces pouvoirs en étroite liaison avec toutes les autorités nationales compétentes qui participent à ses activités.
Dans le cadre de la révision du règlement fondateur de l'AEMF, la Commission européenne a proposé16 d'allonger cette liste de tâches. Elle suggère, par exemple, à l'AEMF d'entreprendre des études thématiques approfondies des comportements des marchés afin de détecter les problèmes potentiels et d'analyser leur incidence. Elle recommande également à l'AEMF d'élaborer des indicateurs de risque pour la clientèle de détail afin de détecter rapidement les causes potentielles de préjudice pour les consommateurs et les investisseurs.
Même s'ils ne sont pas juridiquement contraignants, les pouvoirs actuels de l'AEMF constituent des outils efficaces pour favoriser la protection des investisseurs en aidant les autorités nationales compétentes qui sont membres de l'AEMF à fixer les bons objectifs et en alertant le marché et le grand public quant aux risques potentiels pour les investisseurs.
Cependant les missions de l'AEMF en matière de protection des investisseurs ne se limitent pas aux tâches relatives à la protection des consommateurs énoncées dans l'article 9. De nombreuses tâches qui donnent des résultats tangibles en termes de protection des investisseurs découlent en réalité de la contribution de l'AEMF à la promotion de la convergence en matière de pratiques de surveillance.
Les directives et les règlements adoptés ces dix dernières années ont imposé (ou demandé aux États membres d'imposer) des exigences spécifiques aux entreprises financières et ont imposé (ou demandé aux États membres d'imposer) l'octroi aux autorités nationales de surveillance de pouvoirs de sanction spécifiques ou même d'imposition d'amendes minimales. Les règlements élaborés par l'AEMF dans les limites de son champ d'application et de ses pouvoirs ont été rédigés afin que les dispositions de protection des investisseurs soient mises en application par les pouvoirs publics via les autorités de surveillance (essentiellement nationales). Dans ce contexte, l'exécution effective et cohérente de ces dispositions ainsi que l'utilisation effective et cohérente des pouvoirs de sanction deviennent essentielles pour que l'AEMF puisse mener à bien sa mission de protection des investisseurs. À ces fins, les travaux en faveur de la convergence de la surveillance sont d'une grande importance.
Convergence en matière de surveillance
La deuxième tâche de l'AEMF, telle que définie dans l'article 8 du règlement AEMF, consiste à contribuer à l'application harmonisée des actes juridiquement contraignants de l'UE, notamment en participant à l'instauration d'une pratique commune en matière de surveillance, en évitant l'arbitrage réglementaire, en assurant la médiation et le règlement des différends entre autorités compétentes et en veillant à la surveillance effective et rationnelle des acteurs des marchés financiers. À ces fins, l'AEMF peut adresser des orientations et des recommandations aux autorités nationales compétentes, procéder à des examens par les pairs, adresser des recommandations aux autorités nationales compétentes en cas de violation constatée du droit de l'UE ou arrêter des décisions individuelles adressées aux autorités nationales compétentes dans le cadre d'une médiation à caractère juridiquement contraignant, pour ne citer que les outils les plus interventionnistes. L'AEMF a également mis au point des outils spécifiques tels que la diffusion de guides pratiques en matière de surveillance (supervisory briefings) auprès des autorités nationales de surveillance. Elle facilite les échanges entre les autorités nationales compétentes par le biais de comités permanents, de groupes de travail opérationnels, de réseaux ou d'autres groupes ad hoc.
Dans ses orientations stratégiques 2016-202017, l'AEMF plaide clairement en faveur d'une réorientation des priorités et des ressources pour privilégier la convergence en matière de surveillance en lieu et place du « recueil réglementaire unique ». À cela s'ajoute l'élaboration d'un programme de travail annuel dédié à la convergence des pratiques de surveillance, dont l'objectif est d'influencer les priorités des États en matière de surveillance. Depuis lors, la protection des investisseurs figure systématiquement parmi les priorités essentielles de l'AEMF. Pour 2017 et 2018, c'est la défense de la libre circulation des services via une protection adéquate des investisseurs dans le cadre de la prestation de services transfrontaliers qui a été identifiée comme axe prioritaire. Cela implique une surveillance constante de la commercialisation transfrontalière de produits dérivés auprès des clients de détail, par le biais d'initiatives ad hoc18, d'éventuelles mesures d'intervention temporaires sur certains de ces produits au niveau de l'UE et de la coordination de l'élaboration de mesures nationales pérennes si nécessaire, en mettant en place un réseau d'autorités chargées de l'exécution leur permettant de discuter des problèmes et des meilleures pratiques à toutes les étapes d'une procédure disciplinaire.
Au-delà des violations du droit de l'UE ou des pouvoirs d'intervention sur les produits financiers, l'AEMF utilise depuis longtemps un autre instrument de convergence : l'examen par les pairs (peer review). Cet outil, qui suit une méthodologie rigoureuse19, a été amélioré au fil du temps et prévoit désormais des visites sur site aux autorités nationales compétentes ainsi que l'implication des parties prenantes, s'il y a lieu. Les conclusions des examens par les pairs font aujourd'hui systématiquement l'objet d'un suivi sous forme de lettres de la présidence. Les résultats sont rendus publics dans un rapport de suivi. Plusieurs examens par les pairs ont été consacrés à l'évaluation de la mise en application et de l'exécution des mesures de protection des investisseurs prévues par la MiFID telles que les règles de conduite et la meilleure exécution. Ces examens ont mis en lumière des divergences en termes d'approches et d'attention accordée à ces règles au niveau national. En 2015, le rapport de l'examen par les pairs relatif à la meilleure exécution20 a conclu que le niveau de mise en application des mesures de meilleure exécution et le niveau de convergence des pratiques de surveillance générale par les autorités nationales compétentes étaient relativement faibles. Il a notamment été mis en évidence que quinze autorités nationales compétentes n'appliquaient que partiellement, voire pas du tout, les critères considérés comme essentiels pour garantir l'efficacité de la meilleure exécution au titre de MiFID. Le rapport de suivi21 publié en janvier 2017 a montré de nettes améliorations s'agissant de l'attention accordée par les autorités nationales compétentes à la surveillance des exigences de meilleure exécution. La plupart de ces quinze autorités nationales compétentes avaient pris des mesures générales ou spécifiques qui devraient permettre une application effective des dispositions de meilleure exécution, directement ou indirectement. Ces rapports permettent également d'identifier et de partager les bonnes pratiques de surveillance : plusieurs autorités avaient réalisé des travaux thématiques spécifiques portant sur la meilleure exécution ou s'étaient engagées en amont en formulant des recommandations claires à leur secteur pour favoriser le développement d'outils et de procédures innovants et efficaces pour la gestion de la meilleure exécution.
L'examen par les pairs pose un défi particulier en raison de la discrétion inhérente à toutes les activités de surveillance et à l'exercice des pouvoirs de sanction. La plupart, sinon la totalité, des autorités de surveillance utilisent des approches fondées sur le risque, qui constituent un outil efficace pour optimiser l'affectation de ressources limitées aux secteurs ou aux entreprises perçus comme les plus à risque, y compris pour les investisseurs. Toutefois cela ne justifie pas la mise à l'écart pendant plusieurs années consécutives de la surveillance de dispositions essentielles du droit de l'UE. L'exécution est soumise à une discrétion encore plus grande pour permettre aux autorités nationales compétentes d'adapter leurs pouvoirs de sanction aux circonstances ad hoc. Les règles de procédure disciplinaire et les responsabilités respectives des autorités de surveillance et des autorités judiciaires peuvent différer d'un État membre à l'autre. Néanmoins, en cas de violations similaires, les conséquences devraient être similaires, quel que soit le lieu où se produisent ces violations : il s'agit d'une composante nécessaire à la mise en place d'un véritable marché unique et d'une condition indispensable à un dispositif de protection des investisseurs efficient et efficace.
Conclusion
La période qui a suivi la crise financière a vu une forte augmentation du nombre de règles de l'UE imposées aux entreprises financières en vue d'assurer une protection des investisseurs renforcée et harmonisée au sein du marché unique. En parallèle, de nouvelles tâches et de nouveaux pouvoirs ont été confiés à l'AEMF pour favoriser la cohérence de l'application de ces règles et améliorer la protection des investisseurs en agissant au niveau de l'UE. Le principe de responsabilité de l'acheteur (caveat emptor) ne suffit pas à garantir la protection des investisseurs, ni à assurer une participation suffisante des investisseurs de détail sur les marchés financiers.
D'importantes améliorations de la protection des investisseurs peuvent être obtenues par une réglementation et une surveillance des marchés financiers plus protectrices de leurs intérêts. Toutefois le principe de responsabilité civile n'appelle-t-il pas lui aussi la convergence, si ce n'est l'harmonisation, des règles du droit des contrats pour les contrats d'investissement au sein de l'UE ? D'aucuns diront que c'est le droit des contrats ainsi que les droits de recours des consommateurs qui constituent la pierre de touche de l'efficacité du droit de l'Union en matière de protection des investisseurs. Une chose demeure certaine : il existe au sein de l'UE des modèles très différents pour organiser l'interaction entre la réglementation financière et le droit des contrats de chaque pays.
Dans son programme de travail 201822, la Commission européenne a annoncé une « nouvelle donne pour les consommateurs », en vue d'améliorer l'exécution judiciaire et les procédures de recours extrajudiciaire en matière de droits des consommateurs et de faciliter la coordination et une action efficace des autorités nationales de protection des consommateurs. Cette « nouvelle donne » arrive à point pour compléter dans le domaine des droits de recours l'harmonisation des règles de protection des investisseurs déjà en place dans le secteur des services financiers et constitue un élément essentiel pour une véritable union des marchés de capitaux.