Depuis les années 1980, les dépenses publiques locales n'ont cessé de croître ; elles ont même augmenté plus rapidement que la richesse nationale1. La décentralisation est certes à l'origine d'une part de cette augmentation. Cependant les transferts de compétences qu'elle a occasionnés n'expliquent pas tout (Richard, 2006). Les collectivités locales ont déployé d'elles-mêmes un ensemble d'actions en vue de contribuer au développement et à l'aménagement de leurs territoires. Au nom d'objectifs formulés en termes d'attractivité ou de cohésion territoriale, elles ont été à l'origine d'une bonne part de l'accroissement de l'offre de services publics locaux en direction des ménages ou des entreprises. Ces initiatives entretiennent des liens avec les évolutions démographiques, avec les transformations urbaines. Incontestablement, l'intensité et la forme de ces actions publiques locales diffèrent selon les lieux. Les besoins et les réponses qui leur sont apportées ne peuvent en effet pas être les mêmes dans les localités rurales, dans les villes moyennes ou dans les zones en déprise, voire dans les territoires les plus agglomérés ou dans les métropoles. Partant, elles n'engagent pas les mêmes montants financiers. L'action publique conduite par les collectivités, les dépenses qu'elle occasionne et la mobilisation des ressources nécessaires comportent de la sorte une indéniable dimension territoriale.
Une lecture institutionnelle permettrait de saisir une part de la diversité des situations financières locales. Selon que l'on considère les institutions régionales, départementales, les communes ou leurs intercommunalités, les volumes budgétaires en jeu ne sont pas les mêmes. Au sein des dépenses des collectivités (territoriales) et de leurs groupements à fiscalité propre (soit près de 200 Md€ en 2016), l'essentiel (54 %) provient des collectivités du bloc local2 ; de fait, la part relative des départements (36 %) et surtout celle des régions (15 %) sont bien moindres. Sans nier l'importance des politiques publiques conduites par ces deux niveaux de gouvernement (ou sous leur égide), force est de reconnaître que les communes et leurs intercommunalités sont porteuses des enjeux financiers les plus massifs, au moins en termes de volumes. Aussi portons-nous l'attention sur ces collectivités, sur les problématiques majeures affectant leurs dépenses et également leurs sources de recettes.
En lien avec ce choix, un premier temps est consacré à l'analyse de l'affirmation progressive de l'importance financière du bloc local, à la mise en évidence des ressorts fiscaux et financiers qui l'ont favorisée. Un ensemble de dispositions (nationales voire supranationales) enserrent actuellement la trajectoire des finances publiques locales : ces mesures interpellent quant à la capacité des communes et de leurs groupements à agir au plus près des enjeux territoriaux quand pourtant ces missions leur sont confiées. Nous explorons ces contradictions dans un second temps.
L'affirmation du bloc local
Au cours des trois dernières décennies, les collectivités du bloc local ont été l'objet de plusieurs vagues réformatrices, relevant d'une volonté politique d'affirmation de leur rôle et tout particulièrement de celui des groupements de communes.
Ne serait-ce qu'entre 1999 (Loi dite « Chevènement » du 12 juillet 1999) et 2017 (Loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain), les textes se sont accumulés en vue de promouvoir la création d'intercommunalités, de conforter les compétences et les moyens de ces dernières. Ainsi de nombreuses dispositions ont-elles été initiées, afin d'aboutir dans un premier temps à la couverture intégrale du territoire national par des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre (Loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales) avant, dans un second temps, de s'acheminer vers la réduction de leur nombre et le renforcement de leur degré d'intégration (Loi NOTRe – Nouvelle organisation du territoire de la République – du 7 août 2015).
En parallèle, les compétences confiées aux intercommunalités se sont fortement développées, venant compléter les actions conduites par les communes dans le cadre de la clause de compétence générale dont ces dernières disposent. Ainsi les métropoles3, qui représentent la forme d'intercommunalité la plus intégrée, sont désormais en charge d'une large panoplie d'activités allant de la maîtrise de la planification et de la gestion du droit des sols aux compétences en matière de politique du logement et de politique de la ville, d'organisation des transports, des services publics culturels et de loisirs, sans oublier les interventions dans le domaine de l'environnement4.
Plus récemment, à la faveur de la Loi de Modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles (Loi MAPTAM du 27 janvier 2014), elles ont récupéré des compétences importantes en matière de développement économique en partage avec les régions et des possibilités d'intervention dans le domaine social.
Les autres formes d'intercommunalités, communautés d'agglomération et communautés urbaines, ainsi que les communautés de communes ont également vu leurs compétences se renforcer au cours des dix dernières années. Parmi les domaines d'action ayant connu le développement le plus marquant concernant ces territoires, on peut citer les interventions en matière d'urbanisme, de logement et d'environnement. Pour cette catégorie d'intercommunalités, les compétences sont exercées en lien avec les communes dans le cadre des nombreuses possibilités d'organisation partagée offertes par le législateur5.
L'attention soutenue apportée au couple commune-intercommunalité s'inscrit dans une volonté récurrente de simplifier, de rationnaliser l'organisation institutionnelle du territoire national. Cette modernisation est censée garantir une meilleure prise en compte des besoins des citoyens, en leur apportant des réponses qui soient conformes à des visions partagées de la solidarité et de l'équité territoriale, tout en étant gage de l'attractivité même des territoires. En accord avec ces intentions, on pourrait escompter que les volumes des budgets des collectivités concernées aient progressé.
Les données disponibles attestent bien des dynamiques affectant le bloc local ainsi que de leur intensité (cf. graphique infra). Au cours des vingt dernières années, les dépenses des communes ont été multipliées par près de 2 (1,69), celles de leurs groupements par près de 4 (3,7)6. L'expansion des charges et du budget du bloc local signe son affirmation. Celle-ci résulte principalement de la mise en place du nouvel échelon institutionnel que constituent les intercommunalités, ainsi que de l'implication croissante de ces niveaux de gouvernement dans l'action publique (locale) de proximité, au nom des compétences qui leur sont dévolues.
Les dépenses d'équipement des communes et de leurs intercommunalités s'élèvent à près de 23 Md€ (cf. tableau 1 infra). Elles contribuent à ce que les collectivités occupent la première place au sein de l'investissement public7. Sous le poids des créations régulières d'équipements (loisirs, culture, sport, etc.) et d'infrastructures (voirie, réseaux de transport, bâtiments administratifs, installations d'environnement, etc.), les entités du bloc local sont aujourd'hui détentrices d'un patrimoine conséquent (Duchêne et al., 2016 ; Banque postale et AdCF, 2018) qu'il leur revient d'entretenir, de réhabiliter, ce qui pèse sur leurs budgets.
La fourniture de services publics locaux à partir de ces équipements impose en outre des charges de personnel (environ 42 Md€) ainsi que des achats réguliers de biens et de prestations (un peu plus de 21 Md€). Ces deux postes constituent l'essentiel des charges courantes (ou de fonctionnement) du bloc local ; ils ont progressé (régulièrement), en lien avec l'expansion continue du rôle des communes et de leurs groupements.
La progression des dépenses des collectivités du bloc local a en particulier été entretenue par celle de leurs recettes, elle-même alimentée par deux facteurs qui sont intervenus simultanément.
En premier lieu, l'attribution aux intercommunalités d'une fiscalité propre, distincte de celle des communes, a conféré aux groupements des moyens dont leurs élus ont été (et sont encore) en mesure d'ajuster la progression selon les besoins de l'action intercommunale, qu'elle relève de l'exercice des compétences auparavant communales ou de la concrétisation des projets établis pour le développement des territoires communautaires. Cette attribution d'un pouvoir fiscal (autonome) vaut pour les EPCI placés sous le régime de la fiscalité additionnelle (FA)8 et aussi et surtout pour ceux dits à fiscalité professionnelle unique (FPU)9. Le fait d'attribuer à ces derniers la taxe professionnelle d'alors a eu comme effet de les doter d'une ressource fiscale particulièrement dynamique. En procédant de la sorte, le législateur a posé les conditions de la progression de l'intercommunalité et notamment de celle existant ou se créant dans les territoires les plus urbains (Hertzog et Siat, 2000).
En second lieu, l'institution d'une enveloppe de dotation spécifique, la dotation d'intercommunalité, versée par l'État aux groupements sans que pour autant les communes soient dépourvues de la dotation globale de fonctionnement (DGF)10 leur revenant, a constitué un réel moteur de la dynamique d'intercommunalisation. Bon nombre de territoires se sont en effet laissés convaincre par cet apport de moyens, abondant les budgets locaux et contribuant à conforter les actions conduites localement, profitant pour certaines d'un effet d'aubaine.
La nature des ressources en jeu, les conditions de leur progression11 tout comme les clauses de partage préservant chacun des partenaires du couple communes-intercommunalités ont constitué les ingrédients à la base de l'essor budgétaire constaté pour le bloc local. Au cours de cette phase d'expansion, le rythme de progression des dépenses communales et intercommunales est demeuré inférieur à celui des recettes dont ont disposé ces collectivités. De la sorte, leur épargne (brute) a augmenté12. Parallèlement à la croissance de leur taux d'épargne (cf. tableau 2), les communes et leurs intercommunalités ont vu diminuer leur taux d'endettement13. Leur capacité à rembourser leur dette et à investir s'est améliorée. Leur soutenabilité budgétaire serait ainsi à la fois plus assurée, plus certaine qu'il y a quelques années. Ce qui témoignerait à sa façon que, conjointement à leur affirmation au sein de la sphère publique locale, leur système ou leur modèle financier est robuste, qu'il a fait jusque-là la preuve de sa pérennité.
Pour se perpétuer ou se renforcer, dans ses adaptations aux besoins et aux spécificités des territoires, l'action publique des collectivités du bloc local trouvera-t-elle, comme par le passé, les ingrédients qui l'ont accompagnée jusqu'à maintenant ?
Vers une remise en cause
des enjeux territoriaux ?
Baisse de la DGF et encadrement de la dépense publique
Si le législateur a encouragé, en lien avec les lois de décentralisation, d'importants transferts de compétences en direction des collectivités locales, la progression des dépenses de ces dernières va révéler plusieurs contradictions et mettre en relief les enjeux territoriaux.
Ainsi, dès 2005, le rapport de Pébereau (2005) pointe la situation préoccupante de la progression de la dette publique. Parmi ses préconisations figure celle de mieux associer les collectivités territoriales à l'objectif de maîtrise des dépenses publiques.
À la suite de cette alerte, les gouvernements successifs vont mettre en place différents plans ou programmes14 proposant des pistes d'optimisation dans l'usage des fonds publics. Il s'agit de revoir en profondeur l'ensemble des missions de l'État dans un objectif de réalisation d'économies et de modernisation de la fonction publique15.
Parallèlement, les lois de programmation des finances publiques votées au Parlement en amont des lois de finances vont définir une stratégie de redressement des comptes publics impliquant l'ensemble des entités du secteur. En leur qualité d'administrations publiques locales (APUL), les collectivités territoriales et les EPCI sont appelés à contribution.
Cette situation va créer une très forte tension dans les relations financières entre l'État et les collectivités locales. Première traduction concrète, le gel des concours financiers que l'État leur verse16. Il sera suivi par des coupes franches, à un niveau très important, dans les dotations versées aux collectivités. Dans un premier temps, une ponction de 1,5 Md€ a lieu en 2014, suivie d'un programme de baisse des concours financiers à hauteur de 3,7 Md€ par an durant la période 2015-201717. Finalement la DGF, d'un montant de 41,39 Md€ en 2011, sera amputée de près de 11 Md€, soit 26,8 % de son montant.
Si le principe d'une contribution des collectivités territoriales est difficilement contestable, son ampleur est inédite. L'effort annuel demandé absorbe en moyenne 17 % de leur épargne nette18 annuelle, toutes catégories de collectivités confondues. L'effet sur les budgets locaux sera structurel car avec cette diminution, c'est le stock des ressources des collectivités qui est touché. La baisse de la DGF aura pour conséquence une chute brutale des investissements locaux dès 2014.
La réduction de la DGF va avoir des effets territorialement différenciés. Aveugle aux situations locales, elle affecte de la même façon les collectivités fortement dépendantes des dotations de l'État comme celles qui le sont moins, disposant de ressources fiscales plus importantes et parfois plus dynamiques. En outre, la baisse de la DGF n'a pas été l'occasion de remettre à plat les différents dispositifs de péréquation en direction des collectivités du bloc local pour une meilleure prise en compte des enjeux territoriaux.
La seconde traduction est marquée par la volonté du gouvernement d'instaurer un dispositif de suivi et de limitation de la dépense publique. On passe du pilotage par la ressource à un pilotage par la dépense. L'idée n'est certes pas nouvelle. De nombreux rapports ont pointé l'enchevêtrement des compétences et des financements ; ils préconisent une organisation des structures administratives locales plus rationnelle et moins couteuse. C'est dans cet esprit que se met en place un dispositif d'encadrement de la dépense locale, non contraignant dans un premier temps. S'appuyant sur une recommandation de la Cour des comptes, la Loi de programmation des finances publiques pour 2014-2019 (article 7) introduit un objectif (indicatif dans un premier temps) d'évolution de la dépense publique locale (ODEDEL). Les dépenses des collectivités locales feront désormais l'objet d'un suivi renforcé, exprimé sous la forme d'un taux annuel d'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement.
Au moment de sa date de mise en place en 2014, l'objectif global fixé par l'ODEDEL est identique pour l'ensemble du secteur local. Il sera décliné, les années suivantes, pour chacune des catégories de collectivités. Tient-il compte pour autant des enjeux territoriaux ? Le décalage qui sera constaté entre la norme prévisionnelle de dépense et la réalité de l'évolution des charges des collectivités au cours des deux dernières années témoigne assurément du contraire. En 2015 et 2106, sous l'effet notamment des réductions de DGF, les dépenses des collectivités évolueront à un niveau bien inférieur aux objectifs fixés. Les enjeux territoriaux semblent bien loin ; il s'agit avant tout d'apporter des gages à la Commission européenne pour sortir de la menace de sanctions qui pèse alors que le budget de l'État.
En 2014, le nouvel exécutif, tout en s'inscrivant dans la même philosophie de maîtrise de la dépense publique, va opérer un changement de méthode. Il met fin à la baisse de la DGF qu'il remplace par la fixation d'une norme nationale d'évolution de leurs dépenses réelles de fonctionnement fixée à +1,2 % par an sur la période 2018-2022, s'imposant à toutes les collectivités. Il instaure par ailleurs une nouvelle règle prudentielle concernant la dette des collectivités, à partir d'un ratio mesurant leur capacité de désendettement. Les objectifs sont clairs : il s'agit d'amener le secteur public local à réduire ses charges de fonctionnement dans le but d'augmenter l'autofinancement de ses investissements plutôt que de s'endetter19. Et ne pas contribuer de la sorte à dépasser la ligne rouge du déficit, ou du besoin de financement des comptes publics.
Dans la pratique se met en place un dispositif de contractualisation individualisé avec les « grandes » collectivités, celles dont les dépenses réelles de fonctionnement dépassent 60 M€20. Sont concernées 322 collectivités dont 208 communes et intercommunalités.
À nouveau, la diversité des situations territoriales est peu prise en compte. Le législateur fixe un « standard » d'évolution de la dépense locale, laissant aux collectivités la capacité ou non de s'y adapter.
Certes des critères de modulation, à la hausse ou à la baisse, sont bien prévus. Ils concernent la croissance démographique de la collectivité, le poids des ménages modestes, ou l'importance de la population résidant en quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville, et encore l'évolution des dépenses de fonctionnement au cours de la période 2014-2016 afin de tenir compte des efforts déjà accomplis en matière de maîtrise de la dépense. Mais la nécessité d'arriver à une trajectoire nationale d'évolution des dépenses des collectivités rend difficile l'application de ces modulations.
Pour les collectivités ayant un profil de ressources en croissance, la fixation d'un standard de dépenses semble en totale opposition avec le rôle en matière de développement local qu'elles entendent assurer.
Au jeu de cette relative indifférenciation, les collectivités des secteurs en déprise économique ou démographique et devant faire face à une progression de la demande sociale sont mises sur le même plan que celles qui connaissent une dynamique importante de leur développement et de leurs ressources.
Enfin notons que la signature des contrats est individuelle : communes d'un côté, intercommunalités d'un autre côté, sans tenir compte de la diversité des modalités d'organisation des services publics propre à chaque territoire et fonction d'enjeux notamment locaux.
Une fiscalité locale de moins en moins locale
La fiscalité locale est par définition en lien avec les territoires et les activités qui s'y développent.
Dans sa construction même, l'impôt local repose sur des assiettes localisables, le foncier, supposées être représentatives de l'attractivité du territoire au travers de la notion de « valeur locative » ; cette dernière constitue le socle de la grande majorité des impôts locaux21.
Lorsqu'elles mettent en avant des moyens pour développer leur territoire, par la création de zones d'activités et d'habitat, les collecti vités en attendent légitimement un retour en matière de produit fiscal. Il servira à financer les équipements et les infrastructures accompagnant ce développement.
« L'autonomie fiscale donne un sens à la démocratie locale. », rappelait Edmond Hervé. Dans la pratique, l'autonomie fiscale dont disposent les collectivités et en particulier leur pouvoir de modulation annuelle des taux des taxes à leur disposition entrent de plus en plus en tension avec la volonté de l'État, soucieux notamment d'une modération des prélèvements obligatoires, ou d'appliquer sa propre politique en matière d'allégements fiscaux.
Loin de s'affirmer, l'autonomie fiscale accordée aux collectivités locales de lois de finances en lois de finances s'est progressivement réduite : substitution pour partie de la taxe professionnelle par des impôts sans pouvoir de taux, allégements et exonérations fiscales accordés unilatéralement par l'État à différentes catégories de contribuables, etc. De dégrèvements en exonérations, la fiscalité locale est de moins en moins locale, remplacée par des compensations, totales ou partielles, reversées aux collectivités en dédommagement du « manque à gagner » résultant des allégements.
En outre, en l'absence de révision des valeurs locatives, les assiettes fiscales sont devenues totalement obsolètes, ne reflétant plus la réalité des marchés immobiliers qu'elles sont supposées représenter. Dès lors, on peut s'interroger sur la réelle valeur de l'autonomie fiscale.
Véritable « maquis fiscal », les compensations subissent une érosion continue. Elles représentaient en 2016 un « équivalent produit fiscal » de 4,2 Md€. Selon l'Observatoire des finances et de la gestion locale (OFGL), le taux de compensation par l'État pour l'ensemble de ces exonérations est en moyenne de 39 %. Cette substitution progressive du contribuable national au contribuable local affecte fortement l'autonomie fiscale locale et laisse de moins en moins de marge de manœuvre aux collectivités, et en particulier à celles du bloc local.
Répondant à un engagement énoncé au cours de la campagne présidentielle, la suppression progressive à l'horizon 2020 de la taxe d'habitation (TH) pour les ménages, sous conditions de revenus, relève typiquement de la même logique.
Cette réforme engagée par la Loi de finances pour 2018 pourrait donner lieu à un bouleversement en profondeur des ressources des collectivités. L'exécutif prépare, en effet, pour le premier semestre 2019, une réforme fiscale de grande envergure destinée à compenser la perte de leur impôt pour les collectivités du bloc local (seules bénéficiaires de la TH)22. Plusieurs hypothèses sont actuellement sur la table (Richard et Bur, 2018). Parmi les scénarios les plus probables, une « descente » du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties perçu par les départements. Un complément de ressources sera nécessaire ; il pourrait s'agir d'une fraction de TVA non territorialisée, du produit de CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée) du département en plus de leur TH, ou d'un autre impôt affecté aux communes et à leurs groupements à fiscalité propre.
Conclusion
Durant les trente dernières années, sous l'impulsion du législateur, les collectivités locales ont joué un rôle majeur dans l'organisation et le financement des services publics locaux. Tenue comme une échelle pertinente en matière de proximité, mais aussi par sa capacité à répondre aux enjeux locaux, l'intercommunalité, en lien avec ses communes-membres, s'est vue confier un rôle de chef de file dans la définition et la mise en œuvre de ces services. La progression et le poids actuel de la dépense publique par ces collectivités attestent de la réalité de la prise en charge des actions publiques par et au sein des ensembles intercommunaux.
Si ce modèle a été encouragé par les pouvoirs publics, d'importantes contradictions sont apparues en lien avec les contraintes financières fixées au niveau européen en matière de maîtrise des déficits et de l'endettement publics, avec les choix faits par les gouvernements successifs s'agissant de l'atteinte des objectifs prescrits.
De ce point de vue et compte tenu de l'état du rapport de force entre gouvernement central et collectivités, la fonction de pilotage par l'État du système financier local évolue, dans sa nature comme dans les instruments adoptés. Sous couvert d'économies et de rationalisation, l'intervention étatique dans la gestion des dépenses locales devient elle-même à la fois plus précise et plus ciblée. L'autonomie financière et de gestion des collectivités leur semble en conséquence se réduire continûment, dans un décalage persistant avec un mode de fonctionnement décentralisé, auquel chacun semble pourtant attaché.
Ces atteintes à l'autonomie locale sont encore manifestes en matière de fiscalité locale quand il s'agit d'une ressource majeure et stratégique des collectivités. Tout se passe comme si la nature des taxes, leurs assiettes (ou bases), les régimes spécifiques accordés à certains contribuables et les compensations en conséquence leur échappaient de plus en plus.
L'ensemble de ces processus affectent toutes les collectivités, de tous niveaux. Toutes sont enserrées dans des enjeux qui les dépassent. Leurs ressources majeures sont inscrites dans des dynamiques qui ne ressortent en rien des besoins de l'action publique locale, des missions de service et des compétences qui reviennent aux institutions décentralisées et qui continuent de leur être confiées. L'uniformité des dispositions dont elles sont l'objet apparaît en outre antinomique de la diversité territoriale, si fréquemment constatée.
Les coûts politiques sont tels que les réformes visant les instruments à l'œuvre, qu'il s'agisse de la fiscalité locale et de ses bases, des dotations et de leurs multiples composantes, ont fait l'objet d'incessants différés. Les défauts constatés perdurent, voire s'accentuent. Et avec eux, les risques cumulatifs de rigidités et d'inadaptations au regard des enjeux territoriaux du moment.
Affectant le niveau comme la structure des moyens dont disposent les communes et leurs intercommunalités ainsi que les pouvoirs d'intervention qui reviennent à leurs élus en la matière, les tendances à l'œuvre n'ont pas que pour seul effet d'instaurer un éloignement à l'égard des réalités territoriales. Elles interpellent quant à la cohérence des politiques publiques et des réformes.
À ce jour, les réformes institutionnelles ou de politiques publiques proposées ou en débat reposent avant tout sur des logiques comptables et gestionnaires déclinant à une approche très verticalisée du pouvoir et aveugle des différences territoriales et de la réalité des besoins locaux.
Les dispositifs de péréquation financière s'essaient certes à intégrer ces différences et à lisser l'étendue des écarts, tenus comme injustes, dans les moyens disponibles. Sans nier leurs incidences, les montants en jeu et leur répartition (extensive) ont une portée correctrice limitée ; ils laissent perdurer une large part des inégalités.
Dans ce contexte, l'amoindrissement des apports de ressources externes, des pouvoirs à mobiliser celles qui sont disponibles ne risque-t-il pas de miner l'inventivité du local, ses marges d'ajustement, précisément là où elles sont déjà les moins étendues ?
Les crises récentes qui ont secoué le pays tendent à démontrer la réalité de ce questionnement.