Les sociétés actuelles sont tendues vers la quête de la flexibilité. On recherche des horaires flexibles pour le travail, on préfère des billets d'avions modifiables ou annulables. La gestion des entreprises se tourne vers des méthodes d'organisation dites « agiles », permettant de faire face rapidement à des changements d'environnement. Quand on discute de réforme de l'emploi, on pense tout de suite à la flexi-sécurité.
Il s'agit d'une préoccupation nouvelle, qui n'existait pas, au moins pas avec la même intensité, dans le passé. Elle est probablement due à l'incertitude croissante de notre monde et au souci de plus en plus fort d'en minimiser les inconvénients dans un univers de compétitivité croissante. Flexibilité et incertitude vont de pair, la première se développant au fur et à mesure que la seconde augmente.
Il n'est pas étonnant que de multiples disciplines visant à conseiller les décideurs économiques se soient penchées sur les relations entre ces deux caractéristiques et sur les différentes façons de les combiner : la gestion, qui montre par quels systèmes d'organisation on peut développer la flexibilité pour faire face aux incertitudes futures ; l'économie, qui étudie comment prendre de meilleures décisions en incertitude en utilisant au mieux la flexibilité ; enfin la finance, qui développe des produits permettant d'arbitrer entre l'engagement d'aujourd'hui et la souplesse de décision de demain.
Cet article vise à fournir une vue d'ensemble, forcément très cursive, des principaux enseignements fournis par ces disciplines, en mettant l'accent sur l'approche économique. Il prendra comme point d'application le cas des décisions d'investissement, en s'efforçant de faire le lien entre les problèmes concrets qui se posent aux décideurs et les outils mis à leur disposition par la réflexion théorique.
Il abordera d'abord, à travers quelques exemples, les procédés par lesquels les sciences de gestion permettent d'améliorer la flexibilité de la gestion, de fabriquer de la flexibilité si l'on peut dire ; ce sera l'objet de la seconde partie.
Il se consacrera ensuite à la manière dont l'analyse économique sait tirer parti de la flexibilité. Dans une troisième partie, on verra que l'essence de cette analyse repose sur l'amélioration de l'information et la réduction de l'incertitude au cours du temps, et que ce principe général s'applique à un grand nombre des situations très diverses dont on esquissera la typologie, allant du simple au complexe à la fois quant aux problèmes économiques traités et quant à la manière dont l'incertitude y est représentée.
Les autres parties seront consacrées à l'illustration de ces principes à travers l'exploration de quelques situations remarquables à la fois par leur fréquence dans les choix d'investissements et par la commodité des outils permettant de les traiter. La quatrième partie développera la situation où la décision à prendre est particulièrement simple : quand faut-il faire un investissement de caractéristiques bien définies ? L'environnement informatif est celui d'une réduction progressive de l'incertitude au fur et à mesure que le temps passe, dans un cadre où le temps s'écoule jusqu'à l'infini ; on verra comment l'arrivée continue d'informations au cours du temps incite à attendre et à réaliser plus tard que ce que l'on ferait dans un univers certain.
La cinquième partie sera l'objet d'une présentation générale d'un cas où le choix ne porte pas sur la date de réalisation de l'investissement, mais sur la possibilité de variantes, d'options, dont l'intérêt est lié à l'évolution, initialement inconnue, du marché sur lequel cet investissement va produire ; on se limitera pour la simplicité de l'exposition au cas où l'incertitude se résout en une seule période. On y verra que la considération de la VAN (valeur actuelle nette) classique conduit à des erreurs qui peuvent être importantes. On y verra aussi que l'optimisation de la solution nécessite de considérer deux cas alternatifs, selon que l'investissement a un caractère privé, financé sur le marché financier, ou collectif, financé par fonds budgétaires publics.
Dans le cas d'un investisseur privé ayant accès au marché financier, examiné dans la sixième partie, on verra les liens entre les méthodes et les concepts mis en œuvre par l'analyse économique, à savoir les quasi-options et les options réelles, et ceux issus de la finance, les options des marchés financiers.
La septième partie explorera la situation d'un opérateur financé sur le budget public. On constatera que la grande différence entre ce cas et celui d'un opérateur privé examiné dans la partie précédente tient à ce que le taux d'intérêt financier est déterminé par le marché et traduit la diversité des attitudes des agents individuels vis-à-vis du risque, ainsi que l'équilibre qui en résulte, alors que le taux d'actualisation public traduit le choix de la communauté, unique par définition, concernant l'aversion au risque et à l'inégalité.
La fabrication de la flexibilité
dans la gestion des organisations
Lorsque les restaurants asiatiques proposent à leurs clients des cartes dans lesquelles les menus proposent seize plats correspondant aux seize combinaisons possibles entre quatre viandes (poulet, canard, bœuf, porc) et quatre accompagnements (deux sortes de riz, deux sortes de pâtes), la flexibilité obtenue leur permet d'adapter au moindre coût les goûts des clients aux possibilités de la cuisine. C'est ce besoin de flexibilité qui conduit les investisseurs financiers à proposer à leurs clients des actifs différenciés dans des OPCVM multiples, chacune constituée par un mélange d'actifs divers dont les risques se neutralisent, aboutissant à une plus grande stabilité du cours de ces OPCVM. Ce faisant, chaque opérateur peut se composer un portefeuille procurant un rendement moyen plus ou moins élevé (espérance mathématique du portefeuille) en contrepartie d'un risque (écart type de l'aléa correspondant au portefeuille) plus ou moins fort. L'agent choisit la combinaison en fonction de son aversion au risque : plus elle est élevée, plus la part de l'actif sans risque sera élevée, et réciproquement.
On peut ranger sous la même catégorie d'amélioration de la gestion des risques les mécanismes d'assurance par mutualisation ; la compagnie qui a rassemblé dans un portefeuille d'assurés un grand nombre de risques indépendants et tous petits ne supporte plus en fait aucun risque.
On retrouve aussi la flexibilité, moins visible et moins médiatisée, dans les théories et la pratique du management (Nichols, 1994, par exemple). Les méthodes Agile, développées pour l'élaboration de logiciels, s'étendent à la gestion des projets et leur donnent la flexibilité qui permet de modifier successivement les différentes étapes de fabrication sans avoir à attendre que les modifications souhaitables de chacune d'elles n'apparaissent qu'à la fin du processus.
De même, le concept d'industrie 4.0 allie le monde des objets virtuels, de la conception numérique et de l'impression 3D, avec le marketing, et permet non seulement la robotisation à l'intérieur de l'entreprise, grâce aux échanges de données entre machines, mais aussi la coordination entre établissements en temps réel : une usine localisée en Europe reproduit les objets conçus dans des bureaux d'étude situés en Asie en changeant et adaptant la conception du produit au gré des évolutions des goûts de la clientèle.
Du côté du marketing, la flexibilité s'exprime, par exemple, à travers le yield management, utilisé dans les activités à réservation (hôtels, restaurants, avions, chemin de fer, etc.) ; il combine la segmentation de la demande avec une anticipation mobile dans le temps de la taille de chacun de ces segments, pour fixer des tarifs pour chaque segment de la demande, tarifs eux-mêmes changeant dans le temps, de façon à optimiser le revenu du fournisseur de services.
La gestion smart grid des réseaux électriques est un autre exemple qui mérite une attention spéciale (CUBE, 2016 ; CRE, 2018). Au cours des années récentes, on a assisté dans la production électrique à un double phénomène d'intensification des pointes de demande et de diversification des sources d'énergie électrique. Aux sources traditionnelles que sont les énergies fossiles, le nucléaire et l'hydraulique se sont ajoutés les énergies renouvelables telles que l'éolien, le solaire ou les bio-carburants. Le point est que la production de ces énergies a un caractère aléatoire dans la mesure où elle dépend de la météorologie, et que la planification ne permet pas d'ajuster la production et les besoins. C'est cette situation qui a conduit à développer des réseaux électriques intelligents, ou smart grids. Leur vocation est, par un échange d'informations entre les parties prenantes du réseau – les producteurs, les consommateurs, les gestionnaires de réseau de distribution, les opérateurs de stockage –, d'optimiser la gestion d'ensemble du réseau production.
On voit la caractéristique commune à toutes ces situations : la flexibilité est une réponse aux situations d'incertitude. On peut tirer de ces exemples deux directions de réflexion pour la prise en compte de la flexibilité : la première est fondée sur la mutualisation des risques, leur dilution dans de vastes ensembles, qui permet de pallier les effets de l'incertitude qui les affecte, et de réduire leurs conséquences néfastes pour des agents averses au risque : c'est ainsi qu'il faut interpréter les mécanismes d'assurances ou les fonds d'actions tels les OPCVM ou les SICAV. On se situe alors dans un univers plus ou moins atemporel.
C'est l'autre direction de réflexion, où les aléas se résolvent progressivement, où l'ignorance se réduit peu à peu, où l'on en sait un peu plus à chaque étape du futur, que l'on privilégiera ici en raison de sa pertinence dans les décisions d'investissement. Voyons sur un exemple comment ce problème se formalise dans l'analyse économique.
L'utilisation de la flexibilité : un principe simple,
des modalités d'application multiples
L'analyse économique distingue d'abord, selon la terminologie instaurée par Knight, l'incertitude proprement dite, une situation où l'on ne sait rien et où l'on n'est pas capable de fixer une probabilité d'apparition aux événements, que l'on ne sait pas même énumérer, et le risque, là où l'on peut énumérer les événements et leur attribuer une probabilité. C'est uniquement cette dernière situation que l'on traitera ici.
Les outils généraux sont bien connus. On se place dans la situation d'un agent confronté à des événements incertains munis de probabilités, et amené à choisir entre des loteries impliquant ces événements. On démontre alors, sous des hypothèses raisonnables de comportement rationnel, que l'agent attache à ces événements une utilité définie et que la règle de choix de l'agent est fondée sur l'espérance d'utilité des loteries auxquelles il est confronté. Selon que l'utilité, fonction croissante des gains monétaires, est concave ou convexe, l'agent considéré présente une aversion au risque (cas le plus fréquent) ou un goût pour le risque.
Lorsque l'incertitude change dans le temps – car plus le temps passe, davantage on a d'information –, il y a un lien étroit entre l'incertitude, l'information et la flexibilité.
On le voit aisément sur l'exemple simple suivant, dans lequel un agent neutre au risque doit décider de faire ou non un investissement d'un coût de 100 qui rapporte un bénéfice aléatoire, de 130 avec une probabilité 1/2 et 90 avec une probabilité 1/2, selon que l'on est dans un état H ou B ; on suppose que l'incertitude sera dénouée à l'année 1. Si l'opérateur doit décider maintenant, sa décision sera commandée, selon le principe général de l'espérance mathématique du gain, par la VAN qui est de :
1/2 × (130 − 100) + 1/2 × (90 − 100) = +10
Il décide donc de faire l'investissement, qui lui fait gagner 10 par rapport à l'autre possibilité qui est de ne rien faire. Sa décision sera différente s'il se voit offrir davantage de flexibilité, avec la possibilité de décider ou non de faire l'investissement à l'année 1, contre le paiement d'une option de X. S'il attend une année et réalise à l'année 1, il paie X pour exercer l'option, mais son gain change, car alors il sait dans laquelle des deux hypothèses, B ou H, il se trouve : si c'est l'hypothèse B qui se réalise, avec une probabilité de 1/2, il ne fait pas l'investissement et son gain est nul ; si c'est l'hypothèse H, avec une probabilité de 1/2, son gain est 130 − 100 = 30 ; son espérance de gain sera alors :
1/2 × (130 − 100) + (1/2) × 0 = +15
L'achat de cette option lui permet une espérance de gain de 15 – X au lieu de 10 s'il ne la prend pas, et il a donc intérêt à prendre cette option si elle vaut moins de 5. La flexibilité que lui offre cette possibilité de repousser l'investissement d'un an lui permet de gagner 5.
On voit ici illustrer le fait que la flexibilité permet de bénéficier de la réduction d'incertitude qui se produit avec le temps ; on voit aussi que cette réduction de l'incertitude est équivalente à une amélioration de l'information du décideur et a une valeur qui lui est liée (ici les deux valeurs sont égales).
L'exemple présenté est très simple, il comporte en particulier des hypothèses peu réalistes. D'abord, on a supposé que les euros de toutes les années étaient équivalents, c'est-à-dire que le taux d'actualisation était nul, une hypothèse non réaliste et prise ici simplement pour faciliter la mise en lumière du phénomène principal. Ensuite, le système de choix dans lequel on a enfermé l'investisseur est simpliste, même peu vraisemblable. On conçoit que dès que l'on s'affranchit de ces hypothèses trop restrictives, on puisse, en partant de l'idée générale de base, se trouver en face de développements complexes et très variés. Ceux-ci peuvent être classés selon deux directions : la nature des problèmes étudiés et la complexité de la modélisation de l'incertitude et de son évolution.
En ce qui concerne la nature des problèmes concrets étudiés, on peut les classer selon les options d'investissement en jeu. Le cas le plus simple est celui où il n'y a qu'un investissement, sans variante, et où ses bénéfices sont aléatoires, l'incertitude se réduisant au fil du temps ; l'exemple pris plus haut rentre dans cette catégorie ; on peut parler ici d'« option d'attente ». Les autres situations sont celles où l'investissement peut prendre diverses formes, diverses variantes techniques ou diverses options de réalisations. Il y a de nombreuses classifications des formes d'options d'investissement. Citons, par exemple, celle fournie par Schier (2005) qui distingue :
les options de croissance : l'investissement peut comporter différentes tailles, dont l'intérêt dépend de l'évolution incertaine de la demande ;
les options de croissance composée : ce sont celles que l'on rencontre, par exemple, dans les activités technologiques : l'intérêt d'une activité actuelle dépend de la manière dont elle peut déboucher sur des produits futurs incertains, mais à fort potentiel ; ici il ne s'agit plus de considérer la taille variable d'un équipement pour produire plus ou moins un même produit, mais de diversifier la gamme des produits ;
les options d'investissement séquentiel ou d'apprentissage, dans lesquelles la possibilité d'une étape ultérieure dépend du succès d'un investissement préalable de taille réduite ;
les options d'abandon, représentant la valeur de pouvoir abandonner un investissement si les premiers résultats sont défavorables ;
enfin les options complexes sont des combinaisons plus ou moins compliquées des types précédents.
On peut aussi distinguer les situations d'après le plus ou moins grand raffinement selon lequel l'incertitude et son évolution sont définies. La sophistication s'exerce selon deux dimensions :
le nombre de palier dans la connaissance de l'incertitude, ou de périodes étudiées. Le cas le plus simple est celui où l'incertitude est totalement résolue à une date fixée donnée ; on complique un peu l'analyse en supposant qu'il y a, non pas deux périodes, mais un nombre fini fixé. Une sophistication supplémentaire est celle où le nombre de périodes est infini, ou encore où le temps évolue de façon continue ;
la loi de probabilité que suit l'aléa. Le cas le plus simple est celui où la variable aléatoire peut prendre deux valeurs : par exemple, la demande peut être soit H, soit B. Une autre situation est celle où la variable aléatoire est en fonction de la répartition continue. Quant à l'enchaînement dans le temps, il suit en général un processus de Markov (les probabilités de changement d'état en t ne dépendent que de la situation en t et pas du chemin pour y arriver) ;
la combinaison du nombre de périodes et de la loi de probabilité conduit à une grande variété de modélisations (Lamberton et Lapeyre, 2007), par exemple des processus aléatoires binomiaux (modèle de Cox et al., 1979) ou des mouvements continus de type mouvement brownien (modèle de Black et Scholes, 1973).
Il ne faut pas s'étonner que l'on ait du mal à associer la complexité des situations d'options avec la sophistication de modélisation de l'incertitude (Lander et Pinches, 1998 ; Woodward et al., 2005). Ce trait général sera illustré par trois exemples simples, objet chacun des trois parties supra. La partie suivante sera consacrée à une situation où le problème décisionnel est simple : il n'y a qu'une option d'investissement, on cherche à déterminer quand il convient de le réaliser. Au regard de cette simplicité, on peut modéliser une forme assez élaborée d'incertitude, représentée par un mouvement brownien.
Quand investir ? Incertitude et révélation
progressive de l'information
Dixit et Pindyck (1994) analysent le cas où la somme des bénéfices futurs actualisés à l'instant t est une variable aléatoire qui suit une loi de mouvement brownien. Le développement du modèle, résumé dans l'annexe 1, aboutit au résultat que l'investissement doit être réalisé lorsque le rapport entre le bénéfice à la date de réalisation et le coût de l'investissement atteint un certain seuil, qui dépend de l'écart type σ de la variable aléatoire décrivant le bénéfice de l'investissement ; cela signifie que l'on ne peut pas connaître avec certitude la date de réalisation, mais simplement en probabilité ; par ailleurs, ce seuil, qui en l'absence d'aléa, c'est-à-dire pour σ = 0, est égal au taux d'actualisation, augmente avec l'écart type ; cela signifie que l'on doit attendre davantage en présence d'incertitudes. L'effet est non négligeable. Lapeyre et Quinet (2017) montrent que le seuil pouvait augmenter de 1 à 2 points dans les situations d'incertitude courantes frappant les bénéfices dans le cas des investissements d'infrastructures de transport : si le taux d'actualisation est de 4,5 %, le seuil déclenchant la réalisation passerait de 4,5 % à 6 %, retardant d'environ cinq à dix ans la date moyenne de réalisation.
On retrouve le résultat déjà constaté dans le cas de la partie précédente, où en présence d'une incertitude se réduisant avec le temps, on a intérêt à retarder la prise de décision pour laisser au temps le soin de faire son œuvre de révélation de l'information.
La perspective d'une meilleure information dans le futur conduit en quelque sorte à une forme d'attentisme. On peut considérer que le message ainsi transmis au décideur comporte des risques, l'attentisme pouvant confiner à la procrastination, notamment si le décideur est soumis à de fortes contraintes financières qu'il risque de prendre comme prétexte pour reculer la décision.
Les options d'investissement :
présentation générale
Dans l'exemple précédent, le choix était circonscrit : il s'agissait de réaliser ou non un investissement, et surtout de décider quand on le réalisait. On va maintenant examiner des situations plus complexes, où la décision n'est pas seulement de faire ou de ne pas faire, mais comporte une option sur la taille de l'investissement ou la diversité des marchés sur lesquels il doit produire et la taille d'un autre investissement, et où l'intérêt de cette option dépend de facteurs aléatoires qui seront progressivement mieux connus.
Les exemples de telles situations abondent dans la plupart des décisions d'investissement : Amazon investit dans les drones, non pour les bénéfices que cette société en retire maintenant, mais parce que son investissement initial peut lui ouvrir la voie à un mode de livraison susceptible de jouer un rôle fondamental dans le futur si les essais auxquels elle procède sont couronnés de succès. Un réalisateur d'infrastructures de transport linéaire peut envisager de réserver ou non l'emplacement nécessaire à un élargissement futur éventuel.
Pour exposer les grands principes permettant de traiter les situations de ce type, on va prendre un exemple tiré de Boyle et Irwin (2004) : un projet coûte 1 100 si on le fait maintenant et rapporte des bénéfices aléatoires de 1 800 dans l'hypothèse H et 675 dans l'hypothèse B, chacune de ces hypothèses ayant une égale probabilité de 0,5. Mais on peut aussi réaliser une version plus ambitieuse du projet, pour un coût supplémentaire de 320. Alors la production sera augmentée de 25 % et rapportera donc 1 800 × 1,25 = 2 250 dans l'hypothèse H et 675 × 1,25 = 844 dans l'hypothèse B. Supposons que le taux d'intérêt est de 13 %. Que faut-il décider ?
On peut alors, d'une manière naïve, prendre la décision en suivant le critère de la VAN de la façon la plus myope qui soit, consistant à tout décider maintenant : si on fait l'investissement de base seul, on obtient une VAN de
[−1 100 + (1/1,13) × (1 800 + 675)/2] = −5
Si on fait l'investissement de base maintenant et qu'en même temps on prend l'engagement aujourd'hui de faire l'option d'augmentation l'an prochain, on obtient une VAN de :
[−(1 100) + (1/1,13) × (1 800 + 675)/2] − 320/1,13 + (1/1,13)
× (1 800 × 0,25 + 675 × 0,25)/2= −14
La décision est alors de ne faire ni l'investissement de base, ni l'investissement augmenté.
Mais ce raisonnement incomplet omet la possibilité de reculer d'un an la décision d'augmentation de la taille de l'investissement. Alors le schéma décisionnel est le suivant : face au contrefactuel consistant à ne rien faire, ni en 0, ni en 1, on peut aussi envisager le processus suivant : à l'année 0, on fait l'investissement de base et à l'année 1, on décide si l'on fait ou non l'extension, selon le résultat désormais connu concernant l'hypothèse H ou B dans laquelle on se trouve. Alors à l'année 0, la dépense est de 1 100. La manière de trouver la bonne solution consiste alors à utiliser un raisonnement à rebours, en examinant toutes les situations possibles à la dernière étape et les décisions correspondantes à prendre, puis en redescendant le temps.
Dans le cas particulier, cela consiste à se placer à l'année 1. Si l'on constate l'hypothèse H, ce qui se produit une fois sur deux, on peut soit en rester là, soit réaliser l'extension. Il est facile de voir qu'il convient alors de réaliser l'extension. Si en effet on en reste là, le bénéfice est 1 800 ; si l'on réalise l'extension, le coût supplémentaire est de 320 et le bénéfice de 1 800 × 0,25 = 450. Clairement, il est intéressant de réaliser l'extension qui coûte 320 à l'année 1 et rapporte 450 à l'année 2, le bénéfice actualisé est visiblement supérieur à la dépense qu'il nécessite.
Si, deuxième cas possible, on constate l'hypothèse B, ce qui se produit une fois sur deux, il est clair aussi que l'on n'a pas intérêt à réaliser l'extension : elle coûte 320 à l'année 1 et ne rapporte que 675 × 0,25 = 168,75 l'année suivante.
Au total la bonne décision est celle qui consiste à faire l'investissement de base et l'année suivante à réaliser l'extension si l'on se trouve dans l'hypothèse H et à ne pas la faire si l'on se trouve dans l'hypothèse B. En effet, cette décision rapporte une (espérance de) VAN de 53 :
−1 100 + 0,5(1 800/1,13 + (450/1,13 − 320/1,13)) + 0,5
× 675/1,13 = 1 100 + 0,5 × 1 662 + 0,5 × 675 = 53
On voit l'intérêt que présente la possibilité de fractionner l'investissement total en deux phases et la manière dont on peut utiliser la réduction de l'incertitude au cours du temps pour améliorer la décision.
L'exemple précédent indique la voie générale à suivre pour optimiser la décision : on commence par se projeter à la date la plus lointaine et on cherche ce que l'on ferait dans les différentes situations dans lesquelles on peut alors se trouver ; puis on redescend le temps progressivement, en suivant une démarche conforme au principe de Bellman.
Cet exemple fait apparaître les avancées permises par la flexibilité. Toutefois, il occulte un problème, car il ne prend en compte que partiellement le risque ; celui-ci s'introduit en effet de deux manières dans le problème à résoudre. La première est bien explicitée dans le modèle précédent, elle concerne les aléas des bénéfices monétaires issus de l'investissement. La seconde ne l'est pas, elle réside dans le niveau du taux d'intérêt. Dans les calculs précédents, il a été pris égal à 13 % et présenté comme une donnée exogène. Il convient d'approfondir l'analyse. En effet le taux d'intérêt intègre à la fois le coût du temps, représenté par le taux auquel serait escompté un actif sans risque, et une prime de risque qui dépend de l'opérateur et du projet qu'il veut mettre en œuvre. Comment est-il construit ? Est-il le même pour le projet initial et pour l'option ? Pour répondre à ces questions, il faut distinguer deux cas polaires selon les sources de financement et le caractère plus ou moins mutualisé des risques : celui où l'opérateur est privé et a accès à un marché financier complet, et celui où l'opérateur est une entité publique dont les investissements sont financés par l'impôt.
Les valeurs d'option pour un opérateur privé :
analogie avec les marchés financiers
Notons d'abord que l'opérateur privé qui doit choisir le taux d'intérêt pourrait être tenté de prendre le coût moyen pondéré du capital de l'entreprise : ce serait une erreur, car ce coût moyen pondéré du capital intègre les risques de l'ensemble des activités de la firme et pas seulement ceux résultant de la production que va permettre l'investissement : les deux n'ont pas de raison d'être les mêmes. S'il existe un marché complet dans lequel sont cotés des actifs produisant le même bien que celui qui sera produit par l'investissement en cause, ce sont ces valeurs qui doivent guider le choix du taux d'intérêt. Par le principe d'absence d'opportunité d'arbitrage (Lamberton et Lapeyre, 2007), les taux doivent être les mêmes, sinon un arbitrage serait possible qui ferait faire des gains certains à partir d'une richesse initiale nulle.
S'il n'y a pas de comparaison possible sur le marché, par absence de cotation de l'activité correspondante, une appréciation du taux à utiliser pourrait être fournie par des consultations de banques et d'investisseurs privés, afin de recueillir leurs cotations pour un investissement tel que celui envisagé. On peut supposer que dans l'exemple développé dans la partie précédente, c'est par l'un des deux procédés supra que le taux de 13 % a été déterminé.
Mais il faut bien voir que ce taux, qui est applicable à la production du bien permis par l'investissement et donc applicable à l'évaluation de l'investissement initial, ne l'est pas pour l'évaluation de l'option, qui n'a pas le même profil de risque que le projet de base (Pindyck, 1991 ; Dixit et Pindyck, 1994 ; Schulmerich, 2010), comme on le voit dans l'exemple précédent :
pour l'investissement de base, le risque est : 1 800 avec une probabilité de 0,5 et 675 avec une probabilité de 0,5 ;
pour l'option, le risque est : 450 avec une probabilité de 0,5 et 0 avec une probabilité de 0,5.
On voit que la volatilité de l'option est beaucoup plus forte, donc le risque accru, donc le taux d'intérêt à prendre est certainement plus élevé. Comment le déterminer ? Il est peu probable que l'on trouve dans le portefeuille de l'ensemble des actifs cotés sur le marché financier un actif dont le produit annuel reproduise exactement le produit de l'option. En revanche, on peut le construire à partir de l'actif sous-jacent à l'investissement de base, dont on connaît le taux (13 %) et de l'actif sans risque qui est à peu près représenté par les obligations d'État et dont le taux est connu1. Supposons que ce taux sans risque soit de 4 %. L'actif répliquant l'option sera composé de M parties de l'investissement de base et de B actifs sans risque. Les proportions M et B doivent vérifier :
M × 1 800 + B × 0,04 = 130
M × 675 + B × 0,04 = 0
On trouve M = 0,1156 ; B = −75.
Il ressort que la valeur de l'option est la même que celle d'un actif qui consisterait à détenir 0,1156 part de l'investissement de base en sus d'une dette de 75 en actif sans risque. Comme chaque part de l'investissement de base vaut : 0,5 × (1 800 + 675)/1,13 = 1 095, la valeur de l'option est :
1 095 × 0,1156 − 75 = 52
Ajoutée à la valeur de l'investissement de base, soit –5, on obtient la valeur totale de la meilleure décision, qui est de 47.
On voit que le calcul présenté dans la partie précédente, qui aboutissait à une espérance de VAN de 53 pour l'ensemble de l'investissement de base et de l'option, était trop optimiste, car il ne rendait pas suffisamment compte du risque de l'option. Dans ce cas particulier, la décision à prendre n'est pas changée, mais on pourrait trouver facilement des exemples où l'analyse simpliste de la partie précédente aurait conduit à choisir la réalisation de l'investissement de base et l'option d'extension, sans que ce soit la bonne décision. Notons que ce biais joue toujours dans le même sens dans le cas d'une option d'extension : l'option est toujours plus risquée que l'investissement de base et le taux d'intérêt qui lui est attaché est toujours plus élevé que celui de l'investissement de base.
On peut aussi déduire des calculs précédents le taux d'intérêt propre à l'option : c'est la valeur de j qui vérifie :
52 = 0,5 × (130/(1 + j) + 0/(1 + j))
Soit j = 0,26 ce qui représente le double du taux d'intérêt applicable à l'investissement de base. Mais ce taux n'intervient pas dans le calcul, il constitue plutôt un sous-produit de ce calcul, qui permet de vérifier que l'option est plus risquée que l'investissement de base.
Le calcul qui est développé ici est dans la ligne des méthodes présentées par Dixit et Pindyck (1994). Ces méthodes sont fondées sur les analogies avec les marchés financiers complets et utilisent certaines des propriétés de ces marchés (notamment le fait que tout actif peut être reproduit par une combinaison de l'actif sans risque et d'un autre actif du marché, ici l'actif constitué par l'investissement de base). C'est la raison pour laquelle la valeur de l'option ainsi calculée est appelée « option réelle ». Sa valeur se calcule en effet selon les mêmes principes que les valeurs des options financières. Dans le cas d'un actif suivant une loi de mouvement brownien, la valeur de l'option serait à déterminer en utilisant la formule de Black et Scholes (ou Cox, Ross, Rubinstein dans le cas du temps discret avec une loi binomiale).
D'autres définitions de la valeur d'option sont présentées dans la littérature, en particulier ce qu'il est convenu d'appeler la valeur de « quasi-option », présentée par Arrow et Fisher (1974), Henry (1974) et Hanemann (1989), qui diffère de la précédente, non par la définition de la décision optimale, mais par la référence à laquelle on la compare. Traeger (2014) et Mensink et Requate (2005) ont notamment éclairé les similitudes et les différences entre ces notions.
Valeur d'option pour un investissement public :
le jeu du taux d'actualisation
On se place maintenant dans une situation différente, celle où l'investissement de nature publique est financé par des fonds publics. Par rapport à la situation décrite dans la partie précédente, les différences sont les suivantes :
comme l'investissement est financé sur fonds publics, il n'y a pas de marché pour en évaluer la valeur, donc pour estimer le risque ;
l'effet du temps s'exprime, non par un taux d'intérêt qui serait révélé par le marché financier, mais par le taux d'actualisation, un paramètre qui est calculé par l'autorité publique, par exemple selon la formule dite de « Ramsey élargi » (Gollier 2011, 2013 et 2016) dont le principe est rappelé dans l'encadré infra ;
l'incertitude intervient de différentes manières. D'abord dans l'évolution du PIB : selon les présentations les plus simples, les accroissements du PIB suivent un mouvement brownien défini par sa variance et son trend. Ensuite dans l'évolution des bénéfices ; dans la présentation la plus simple, les accroissements du bénéfice suivent un mouvement brownien dont l'aléa est la somme d'un aléa proportionnel à celui du PIB et d'un aléa spécifique qui en est indépendant ;
par le théorème d'Arrow-Lind, en cas d'investissement public pur, l'aléa spécifique, totalement mutualisé2, n'a pas à être considéré. Le seul aléa qui soit à prendre en compte est l'aléa corrélé au PIB, caractérisé par l'élasticité du bénéfice du projet par rapport au PIB.
Encadré
Le taux d'actualisation
Le taux d'actualisation permet de comparer du point de vue de l'utilité collective des sommes d'argent intervenant à des instants de temps différents. Cette comparaison fait intervenir trois mécanismes. La préférence pour le présent : toutes choses égales par ailleurs, un euro maintenant est jugé préférable à un euro futur ; cette préférence mesure en quelque sorte le poids que nous accordons aux générations futures par rapport à notre génération. L'augmentation de la richesse : les générations futures seront plus riches que nous, et donc un euro pour eux représentera moins que pour nous. L'aversion à l'inégalité, qui mesure le poids que nous accordons à 1 euro en fonction de la richesse.
À ces trois mécanismes, il faut ajouter ceux qui concernent le risqué. Lorsque les risques sur les flux économiques positifs et négatifs du projet (flux réels ou issus de la monétarisation des effets environnementaux) sont à la fois faibles en eux-mêmes et indépendants du risque macroéconomique, c'est-à-dire de l'évolution générale de l'économie mesurée typiquement par le PIB par habitant et pour une date de réalisation que l'on s'est fixée, il suffit de calculer la VAN en prenant l'espérance mathématique de ces flux. Cette recommandation est l'application immédiate du théorème d'Arrow-Lind. Lorsqu'une communauté est capable de mutualiser efficacement les risques liés à un projet, elle doit rester neutre face aux risques de taille réduite par rapport au revenu agrégé. Elle effectue alors ses analyses coûts-bénéfices en ne considérant que les bénéfices et les coûts espérés, qu'elle actualise au taux sans risque. Le coût des assurances permettant de couvrir les coûts est alors compris dans les coûts du projet. Aucune prime de risque ne doit intervenir.
En revanche, si les risques sur ces mêmes flux économiques, même s'ils sont marginaux, sont corrélés au risque sur la croissance économique, une prime de risque devra être prise en compte dans le calcul de la VAN, de manière à pénaliser les projets qui accroissent le plus le risque collectif et à donner un bonus aux projets qui assurent la communauté contre ce risque collectif. Cette prime sera donc déterminée à partir de la spécification des corrélations qui existent entre l'évolution de ces flux et la croissance économique. Cette prime vient diminuer les flux d'avantages annuels du projet ; sous certaines conditions, on peut maintenir les espérances des avantages annuels au numérateur, à condition d'ajuster le dénominateur de façon à aboutir à la même valeur de VAN corrigée. Cette dernière approche consiste donc dans des cas précis à pondérer le taux d'actualisation sans risque. Dans le cas où l'aléa macroéconomique et l'aléa sur les flux engendrés par le projet sont issus d'un mouvement brownien, la formule initiale, caractérisant le taux d'actualisation r, se modifie d'un paramètre supplémentaire qui tend à accroître le taux d'actualisation :
r = rf + βΦ
avec
.
rf et bΦ représentent respectivement le taux sans risque et la prime de risque systématique, le coefficient β − ou les coefficients β lorsque le projet comporte des avantages ou des coûts qui ont des corrélations différentes avec l'évolution macroéconomique − est relatif au projet à évaluer. Il représente la variation moyenne du bénéfice socioéconomique du projet (exprimé en %) lorsque le PIB/habitant varie. Le paramètre est le taux de pure préférence pour le présent, tandis que y est le coefficient d'aversion relative pour le risque. Finalement, µ et a représentent respectivement l'espérance et l'écart type du taux de croissance du PIB/habitant.
On se trouve finalement dans une situation très différente de celle rencontrée dans la partie précédente qui traitait le cas d'un opérateur ayant accès à un marché financier complet ; dans cette situation, le paramètre le plus facile à déterminer est la valeur de l'option, que l'on peut déterminer par des raisonnements fondés sur le principe d'absence d'opportunité d'arbitrage ; le taux d'intérêt à appliquer à l'option n'était pas essentiel dans le calcul, même s'il pouvait se déterminer après avoir calculé la valeur de l'option. Ici au contraire, on est capable, dès que l'on a évalué en monnaie les bénéfices de l'option, de calculer le taux d'actualisation à leur appliquer ; il se déduit simplement de la corrélation du bénéfice avec le PIB ; une fois ce taux calculé, il est facile d'en déduire la VAN de l'option. En ce sens, le calcul d'une option est plus aisé, sur le plan conceptuel, que dans le cas d'un investissement privé. La différence entre les deux situations tient pour une large part au fait que, pour ce qui concerne les investissements publics, les caractéristiques du comportement du décideur, et notamment le degré d'aversion au risque inclus dans la détermination du taux d'actualisation, sont fixées par un choix collectif. Dans le cas des marchés financiers en revanche, le taux d'aversion au risque n'est pas fixé, il résulte de l'équilibre du marché, et l'on ne peut que le reproduire par la propriété d'équilibre du marché financier qui se traduit par l'absence d'opportunité d'arbitrage.
Conclusion
L'incertitude est une caractéristique majeure de nos sociétés et les investissements, ces paris sur l'avenir, y sont particulièrement sujets. Ce trait devrait marquer toutes les évaluations économiques les concernant et le calcul d'une VAN simple devrait toujours être accompagné d'une analyse des conséquences des incertitudes. Parmi ces incertitudes, celles qui se réduisent au cours du temps en raison de l'acquisition d'informations ou de la réalisation d'événements aléatoires ont été spécialement étudiées et de nombreux outils existent pour apprécier leurs effets et la manière de les prendre en compte dans les décisions. L'ensemble des expériences et des réflexions sur le sujet permet d'abord de définir des problèmes – types, dont le plus significatif est l'option de croissance. Les outils mathématiques pour le traiter existent, ils sont fondés sur une procédure de calcul à rebours, selon le principe général de Bellman. Leur mise en œuvre diverge selon que l'on est dans une situation d'investissement public ou privé.
Dans le cas d'un investissement privé, on peut se rattacher au marché financier en construisant un actif fictif qui présenterait la même évolution aléatoire que l'option et qui serait composé de l'actif représentatif de l'investissement de base – dont on connaît l'évolution aléatoire des bénéfices – et de l'actif sans risque. Cet actif fictif donne directement la valeur de l'option. On remarque que dans cette procédure, le taux d'intérêt attaché à l'option n'intervient ni comme donnée d'entrée, ni comme variable intermédiaire ; on peut certes la calculer in fine, mais elle est un sous-produit du calcul, non une étape de son déroulement.
Dans le cas d'un investissement public, financé sur des fonds publics, il n'y a pas de marché financier permettant les comparaisons et les arbitrages sur lequel on pourrait s'adosser. Mais paradoxalement, d'un point de vue conceptuel, la solution est plus simple. En s'appuyant sur le théorème de Arrow-Lind selon lequel les aléas spécifiques sont complètement mutualisés, il ne reste plus à prendre en compte que le risque systémique. Celui-ci peut s'appréhender à partir du taux d'actualisation fourni par le planificateur ; dans la formulation de Ramsey pour le taux d'actualisation, le risque systémique résulte de la corrélation entre l'évolution du PIB et l'évolution des bénéfices de l'option : la connaissance de l'élasticité entre les deux variables permet d'achever le calcul.
Ces principes, exposés ici dans des formulations simples et des exemples élémentaires, peuvent faire l'objet de nombreuses sophistications de modélisation et de multiples raffinements de calculs. Ce n'est pas de ce côté que viennent les obstacles les plus importants à la mise en œuvre des méthodes ; il faut plutôt les chercher dans la difficulté à estimer les grandeurs intervenant dans les calculs : les lois de probabilités à utiliser, les paramètres tels que les élasticités des bénéfices au PIB ou le taux sans risque. Il faut aussi les chercher dans la difficulté de la part des décideurs et des analystes qui les conseillent à raisonner en termes d'incertitude et à se forger des convictions concernant les décisions à prendre à partir de probabilités dont l'imprécision semble peu propice à des résultats emportant l'adhésion. Espérons que cet article contribuera à réduire ces réticences.