Dans un contexte qui n'est pas à une contradiction près, si l'on admet que très rapidement les transitions engagées (énergétiques, numériques, sociales, etc.) dont les coûts économiques d'une inaction sont colossaux et surtout irréversibles, pour ne pas dire les révolutions qui vont nous permettre de savoir presque tout faire et presque tout manipuler des machines au vivant, l'incertitude est de mise. À ce constat, il convient, aussi, de prendre en compte l'incertitude liée à l'international (migrations, protectionnisme, etc.). Alors que la planète politico-économique connaît une nouvelle forme de barbarie où les rapports de force reprennent clairement le pas sur les équilibres patiemment forgés par quelques instances, notre avenir se joue face à de nouveaux acteurs (GAFA, Google, Apple, Facebook et Amazon) peu enclins à rendre compte à la société.
Un monde marqué par de multiples causes d'instabilité qui se traduisent par des changements de repères et de paradigmes. Les résistances aux changements sont nombreuses et nous sommes qu'aux premières étapes de ce que les psychosociologues appellent la courbe du changement où individus et institutions connaissent successivement des états de déni, de pertes de repères, d'impatience en attendant, parfois, la colère avant d'admettre leur utilité.
Dans ces conditions, comment souscrire aux attentes d'une révolution culturelle de la sphère financière vers une finance plus responsable ! Le poids des monopoles et la financiarisation croissante des entreprises expliquent les dysfonctionnements de l'économie mondiale et du commerce international. À telle enseigne que cette croissance deviendrait une fuite en avant pour justifier le surendettement endémique ! Une croissance avant tout matérielle, rendue possible par le développement de technologies utilisant souvent des ressources non renouvelables et peu compatibles avec la préservation de l'environnement. Si la satisfaction de posséder, d'accumuler et de sécuriser notre confort matériel est compréhensible, elle ne doit pas faire oublier son caractère éphémère. La satisfaction ne doit pas être confondue avec le bonheur ou l'épanouissement et le confort ne doit pas être confondu avec le bien-être. Une forme de détachement vis-à-vis de notre dépendance à une abondance strictement matérielle s'impose afin de faire évoluer nos comportements. La recherche perpétuelle de croissance et de l'accumulation des profits, longtemps considérées comme suffisantes pour donner une signification à la production, n'est plus une fin viable à long terme. Nous assistons, probablement, à la fin du mythe de la croissance éternelle dans un monde où les conséquences sociales de la transition numérique et climatique sont incertaines : nous allons devoir apprendre à élargir notre conception du progrès.
Entre dictature du temps, des algorithmes et la robotisation des esprits, l'urgence, c'est la conjonction de deux phénomènes : le culte de la vitesse et le culte de l'instant. Nous n'avons plus d'histoire, nous n'avons plus de futur, nous sommes dans le présent. Le temps est compacté. L'urgence, c'est cette suractivité, choisie ou subie, qui touche de plus en plus de gens. Pour le dire autrement, l'urgence, c'est « tout, plus vite » et « tout, tout de suite ». La tyrannie du temps, symptôme de l'hypermodernité : de la quête de sens à la recherche de sensations. Un rapport à soi marqué par l'excès. Un rapport aux autres marqué par l'éphémère.
Ce n'est pas la première fois qu'une vague de nouvelles technologies bouleverse nos existences. Le métier à tisser, la machine à vapeur, l'électricité, le téléphone, l'automobile, l'ordinateur ont, eux aussi, changé nos modes de vie. Mais peut-être que le numérique est une révolution de nature différente ? La « Data » n'est pas comme le pétrole qui a marqué le xxe siècle. Contrairement à cette ressource naturelle épuisable, la « Data » s'autoalimente tout en générant plus encore de données et, à ce titre, bouscule nos habitudes de vivre, de consommer, de travailler et d'apprendre, etc.
Après ces partielles considérations liminaires consacrées au contexte, en général, que dire de la sphère financière ? L'économie ne peut fonctionner harmonieusement dans l'instabilité financière. Elle ne peut pas non plus fonctionner sans la finance. Les péripéties de la crise qui a débuté en 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, suivie par celle des dettes souveraines en Europe, en passant par les circuits opaques de l'évasion fiscale, ont souligné les risques. On comprend combien la finance est un monde à part, déconnecté de la réalité. Le malaise est profond et la crise de confiance persiste face à cette finance globalisante. Alors la société de personnes pourrait-elle faire évoluer notre économie vers un modèle plus humain ?
En France, les institutions coopératives et mutualistes sont un indéniable succès économique : elles représentent près de 60 % des dépôts bancaires, assurent un véhicule sur deux, près d'une habitation sur deux, une complémentaire santé sur deux. Cette réussite tient à de nombreux facteurs : forte implantation locale, compétitivité tarifaire, etc. Ses excellents résultats constitueraient la meilleure façon de refuser toute « démutualisation ». Paradoxalement, l'attachement à leurs valeurs traditionnelles n'a pas empêché les établissements mutualistes de se précipiter vers les marchés de capitaux, y compris pour organiser la croissance externe.
Bien sûr, il est normal que les mutualistes mettent en avant le caractère démocratique de leur mode de fonctionnement, mais, la réalité de la pratique est souvent moins digne d'éloges. En plus des préoccupations de politique professionnelle et identitaire se pose, également, la question de l'opposition de plus en plus marquée entre cette démocratie annoncée et la nouvelle technocratie dirigeante qui s'est progressivement imposée en raison de la complexification des affaires et de la technologie. De ce fait, la prééminence des sociétaires dans le contrôle des modes de fonctionnement et des dirigeants n'est plus aussi patente.
Aujourd'hui, que reste-t-il des dogmes fondateurs ? Dans la nuance, les uns disent que la finalité du mutualisme n'est pas de maximiser le profit, mais d'offrir aux sociétaires des services de qualité aux prix les moins élevés possibles. Dogme contre marché, faudra-t-il trancher ? La réponse sera en partie conditionnée par l'attitude des dirigeants et les pratiques mises en œuvre dans l'offre de services. Si les structures mutualistes savent préserver leur dimension « sociétale » marquée par la primauté de l'homme sur l'économique, alors elles pourront encore espérer jouer un rôle national et international afin de peser sur la régulation mondiale. Entre la tyrannie de la performance financière et la course à la taille critique, deux données sans véritable fondement théorique qui se voudraient objectives, mais qui sont souvent la traduction subjective d'une humeur conjoncturelle, le mutualisme, pour tenir compte de cette complexité du monde, devra conforter son sens de l'anticipation et de la proximité. C'est à ce prix qu'il assurera sa pérennité.
Ce numéro s'interroge sur la nécessité pour la finance mutualiste de se livrer à la course à la taille. Il passe en revue le pour et le contre de telles métamorphoses. Entre le collectif obligatoire du contribuable et l'individuel facultatif du client, quel peut être le rôle du sociétaire ?
Existe-t-il une alternative à la finance dérégulée et spéculative ? Quelle est la cohérence et la force de la finance mutualiste dont l'objectif premier n'est ni la rentabilité financière, ni la spéculation ? Alors que le modèle mutualiste est parfois remis en cause par certains, il est toujours aussi moderne et fait la preuve de son utilité dans notre société. La proximité, la solidarité, la non-obsession du profit et la démocratie sont les fondements philosophiques des mutuelles. En quoi ces valeurs seraient-elles d'actualité ?
Les valeurs concrètes et vivantes du mutualisme sont particulièrement adaptées à notre période de transformations multiples. Le client (adhérent ou sociétaire) est associé au projet économique, social et politique de la mutuelle ou de la coopérative. Cette proximité d'intérêt et souvent géographique, ainsi que le fonctionnement démocratique (une personne égale une voix) constituent une force dans cette époque marquée par la mondialisation car les décisions sont prises par ceux qui sont concernés, par les représentants des clients. La solidarité est bien entendue essentielle alors que les inégalités et l'exclusion augmentent. Enfin, la non-obsession du profit tranche avec les obsessions lucratives : la prise de risques excessifs est limitée car la mutuelle n'y est pas poussée par des actionnaires en quête de dividendes à court terme. Elle permet aussi de dégager des capacités d'investissement pour préparer l'avenir.
Pour autant, si le modèle est actuel, dans quelle direction doit-il progresser ? Toutes les organisations doivent se moderniser, et le mouvement mutualiste n'y fait pas exception. C'est sans doute sur le terrain de la communication et de la pédagogie que le système mutualiste a le plus de progrès à accomplir. Le « savoir-faire », c'est bien, mais dans un monde surmédiatisé, le « faire savoir » est au moins aussi indispensable. Tout d'abord, ce système doit se moderniser de l'intérieur, en continuant ses efforts sur la transparence de son fonctionnement. Il doit également renouveler sa communication vers le grand public. Pour cela, il ne doit pas simplement copier les codes des sociétés de droit capitalistes, il doit au contraire y intégrer ses spécificités et intensifier ses efforts car il est vulnérable et ses atouts sont encore relativement méconnus aujourd'hui. Des efforts de communication auprès des décideurs politiques doivent également être poursuivis tant auprès des instances nationales et européennes, qu'auprès des régulateurs et des agences de notation et ce pour affirmer leurs spécificités. Pour convaincre, il faut être convaincu !
Sans pouvoir prétendre à être seul l'avenir de nos économies de marché, la finance mutualiste pourrait être le vecteur majeur d'une finance durable au service de l'économie réelle.
Néanmoins, en France et dans le monde, l'avenir du mutualisme ne serait-il pas exposé à diverses menaces ? Dans un environnement paradoxal marqué par le renforcement des normes prudentielles, d'un côté, et dominé par le jeu des marchés, d'un autre côté. Entre dogmes et tentations, les mutualistes avancent parfois en ordre dispersé. Services limités ou responsabilités limitées, le mutualisme de la sphère financière ne serait-il pas en proie à la banalisation ?
L'ambition de ce numéro spécial de la Revue d'économie financière (REF) est d'aborder les différents aspects de ces questions, et de rendre compte de la diversité des approches. Les problèmes se posent en effet en termes différents selon que l'on s'intéresse à la banque, à l'assurance ou à la santé. Par ailleurs, cette problématique ne saurait être réduite à un débat franco-français, et il nous a semblé indispensable de donner une perspective européenne à ce numéro. Nous avons aussi souhaité apporter un éclairage historique, qui expose les origines et les facteurs qui ont contribué à l'émergence du secteur mutualiste. Enfin, plus largement, et fidèle en ce sens à la tradition de la REF, nous avons voulu donner la parole à différentes personnalités aux expériences les plus variées : dirigeants, universitaires, avocat, etc. Une nécessité dans un monde où peu de publications sont consacrées à cette finance mutualiste.
La première partie de ce numéro présente la genèse du secteur mutualiste, ses racines philosophiques et historiques du xixe siècle à son essor. La seconde partie se concentre sur les principaux acteurs qui le composent, leur rôle, leurs caractéristiques. La troisième partie est consacrée aux modes de gouvernance : comment concilier préservation des valeurs et performances ? La quatrième partie offre différentes contributions qui esquissent les grands chantiers et les perspectives de la finance mutualiste. Une conclusion s'efforce de souligner les forces et les faiblesses de cette sphère complexe.
Dans la première partie destinée à une présentation de la genèse de la finance mutualiste, Jean-Louis Bancel, dans son article intitulé « C'est quoi être mutualiste en 2020 ? », souligne la place occupée par le mutualisme en Europe. Il rappelle que les entreprises qui le constituent sont nées pour apporter des solutions de confiance, de solidarité et de large répartition du progrès à la masse des personnes impactées par les révolutions industrielles successives depuis plus d'un siècle et demi. De son côté, Philippe Naszályi rappelle que le mutualisme est et demeure l'un des premiers mouvements de solidarité français dont l'enchevêtrement des idées et des idéaux fondateurs prennent leur source dans l'Antiquité pour aboutir d'une lente gestation au xixe siècle jusqu'aux réalités de ce nouveau millénaire. Il s'inquiète, notamment, des évolutions portées par des règles européennes récentes qui banalisent le secteur financier coopératif et mutualiste. Selon cet auteur, une refondation pourrait bien paraître nécessaire, à ce jour, pour restaurer la meilleure garantie de solvabilité que la mutualisation du risque ainsi que la propriété collective, sans but lucratif, ont apporté aux modèles économiques.
La deuxième partie présente les principaux acteurs de la finance mutualiste, leurs caractéristiques et leurs rôles. Nicolas Théry explique pourquoi le mutualisme serait-il une organisation moderne et efficace. Bien que méconnu, parfois caricaturé, le mutualisme est pourtant une forme d'organisation particulièrement adaptée à la société du xxie siècle. Face à la fragmentation sociale, à la finance de court terme et aux monopoles dominants, il oppose un modèle démocratique, fondé sur la responsabilité collective, la priorité au client-sociétaire et l'utilité sociale de long terme. Il souligne l'utilité et la modernité de ce modèle. Paul Esmein dans sa présentation, « Les mutuelles d'assurance : investisseurs privilégiés du long terme », expose les spécificités du modèle des mutuelles d'assurance censées les conduire à mener une politique d'investissement structurellement tournée vers le long terme, contribuant ainsi significativement au financement des entreprises et de l'économie et ce malgré les contraintes de nature réglementaire qui encourage peu cette approche du long terme, alors que l'Union européenne fait face à un déficit d'investissement de long terme. La dominante de l'assurance-dommages chez les mutualistes et la révision générale de la Directive Solvabilité II en 2020 devraient corriger cette situation ! Grzegorz Buczkowski, dans son article consacré aux mutuelles d'assurances européennes, souligne la complexité réglementaire et celle des normes comptables qui peuvent impacter de façon différente les modes d'organisation pays par pays. De plus, elles freinent l'innovation. La nécessité d'harmoniser l'ensemble de ces règles, surtout face à l'arrivée de nouveaux acteurs est une impérative nécessité au niveau européen. Jean-Paul Siegel dans son article intitulé « Les fonds de pension à gouvernance professionnelle : les exemples européens » ne prétend pas présenter un panorama des divers systèmes de retraite par capitalisation, mais propose la formulation de quelques observations susceptibles d'apporter des corrections et plus de cohérence à la démarche de réforme engagée sur notre modèle par répartition dans une période où l'Europe se trouve en phase d'harmonisation. C'est, aussi, pour le cas France, le moment où se posent les questions d'accroître les capacités d'investissement des entreprises ainsi que la constitution d'un complément de revenu pour les vieux jours des Français via l'épargne salariale. Dans « Les groupes bancaires coopératifs français, dix ans après la crise financière : quelles leçons, pour quel constat ? », Jean-Noël Ory se propose de faire le point, une décennie après la crise de 2008, sur la situation des trois groupes coopératifs français, au regard de celle des deux groupes concurrents à capital-actions qui sont cotés en bourse (BNP Paribas et Société Générale). Après avoir rappelé en quoi ce fort degré d'hybridation, qui pouvait être vu comme une source de performance avant 2008, s'est ensuite révélé être une faiblesse relative au cœur de la crise, nous synthétiserons les principales réponses que les groupes coopératifs ont présentées en réaction aux déboires qu'ils ont connus. Dans un second temps, l'auteur conduit une analyse comparative pour vérifier si, dans les faits, ces évolutions sont perceptibles à la lumière des ratios d'analyse financière habituels, d'être mieux perçues et ce pour mieux comprendre leur place relative dans le paysage bancaire français actuel. Vincent Boyer s'efforce d'apporter les éléments saillants des politiques d'investissements et des stratégies du secteur mutualiste spécialisé. Dans un environnement de forte concentration en termes d'acteurs, de création de groupes couvrant les différentes branches (vie, non-vie, santé) les acteurs mutualistes spécialisés ont choisi une autre voie. La diversification et par extension l'internationalisation n'ont jamais été une fin en soi pour les acteurs mutualistes spécialisés. Dans un domaine où le regroupement des acteurs, la réglementation conduisent à vouloir uniformiser un ensemble à l'origine très hétérogène, les assureurs mutualistes spécialisés constituent un élément très différenciant. Ils conservent une proximité et un niveau de service avec leur sociétariat qui les caractérisent. Ils sont agiles dans leur adaptation aux besoins de leur sociétariat. Les contraintes réglementaires étant les mêmes que pour l'ensemble des acteurs, les stratégies financières ne sont globalement pas très éloignées des assureurs généralistes. Nadine Richez-Battesti dans « La fabrique de la gouvernance dans les banques coopératives françaises : une approche centrée sociétaire » tente de démontrer que la mobilisation des sociétaires amplifie l'articulation RSE (responsabilité sociale d'entreprise) et valeurs coopératives. Toutefois, cette mobilisation en termes de créations de ressources et de construction d'une communauté professionnelle commune se trouve freinée par une insuffisance de formation des salariés quelle que soit leur responsabilité exercée.
La troisième partie s'intéresse aux valeurs et aux performances développées par la finance mutualiste. Jérôme Caby et Éric Lamarque s'intéressent aux indicateurs de la création de valeur. Ils évoquent une finance mutualiste qui s'appuie sur une spécificité statutaire en décalage avec la structure actionnariale traditionnelle. Pour les auteurs et de ce fait, cette différenciation n'a pas su jusqu'ici s'appuyer sur des indicateurs eux-mêmes spécifiques de mesure de la création de valeur. La caractérisation des attentes des clients des banques coopératives montre leur caractère multiforme où différents types de performances sont attendues : financières, commerciales, territoriales et communautaires. L'examen des rapports annuels d'organes centraux de banques mutualistes et de leurs caisses régionales confirme cette diversité, aucune ne parvenant pas à proposer des indicateurs de mesure de la création de valeur sociétariale généralisables et réplicables. Selon les auteurs, le secteur financier coopératif ne pourra pas durablement s'affranchir de cet impératif au risque de devenir des établissements financiers comme les autres. Guillaume Bazot, Esther Jeffers et Ouafa Ouyahia cherchent à savoir, à partir d'une analyse du Z-score1 de 113 firmes, si les banques coopératives sont plus résistantes que les banques non coopératives pendant les crises bancaires et financières de 2008-2009 et de 2011-2012. Les auteurs soulignent que les banques systémiques apparaissent moins résistantes que les autres banques y compris pendant les périodes de crise. Néanmoins, bien qu'affichant une moindre résistance, les banques coopératives systémiques s'avèrent significativement plus solides que leurs consœurs non coopératives. À l'inverse, les banques coopératives non systémiques n'affichent pas une solidité significativement différente des banques non coopératives non systémiques. Rey Dang, L'Hocine Houanti et Éric Vernier étudient le positionnement des banques mutualistes par rapport à une question d'actualité. Les banques mutualistes ont intégré lors de leur création un principe relativement simple : réunir des personnes physiques et morales qui garantissent ensemble les prêts accordés individuellement aux sociétaires. Mais dans les années 1980-1990, elles décidèrent de fortement élargir et diversifier leurs activités jusqu'à devenir de grands groupes bancaires universels et internationaux, imitant ainsi les banques SA et oubliant parfois leurs missions premières et leur raison d'être. Cependant, elles continuent parallèlement à investir dans des projets locaux responsables. Les valeurs et le mode de gouvernance des banques mutualistes devraient a priori les rendre plus vertueuses (contrôle déconcentré et partagé, valeurs humanistes fortes). Qu'en est-il réellement par rapport à la problématique très actuelle de la fraude fiscale et du blanchiment ? Les auteurs s'interrogent si les valeurs et la gouvernance mutualistes sont censées garantir des comportements plus responsables tant en matière de blanchiment que face aux dérives fiscales. Dans le prolongement de cette question des valeurs mutualistes, Charles Daussy et Catherine Karyotis questionnent la RSE pour savoir si elle est en capacité de réconcilier la shareholder value et la stakeholder value (Friedman et Freeman). L'étude du cas des Banques Populaires permet de souligner le discours performatif où RSE et identité coopérative se rapprochent dans les pratiques internes. Hodonou Dannon et Éric Vernier dans « Analyse comparative de la rémunération des dirigeants des grands groupes bancaires mutualistes et non mutualistes français » comparent les rémunérations des dirigeants des six grands groupes bancaires français. Les résultats indiquent que les rémunérations des dirigeants des groupes bancaires français sont expliquées par le statut juridique. Les groupes bancaires SA sont plus généreux que les banques mutualistes en matière de rémunération des dirigeants. De plus, les rémunérations sont sensibles aux caractéristiques du conseil d'administration et au risque des groupes bancaires. Jean-Pierre Grimaud, quant à lui, démontre que cette gestion spécialisée peut être au service des ambitions mutualistes et contribuer à l'efficacité et à la pérennité du modèle. En partageant les mêmes principes de proximité, de transparence, de mutualisation des ressources et d'expertises, elle apporte une réponse pertinente aux institutions mutualistes. En proposant à chacune les outils et les méthodes permettant de déployer une finance responsable en phase avec leurs ambitions spécifiques, cette approche repose sur l'identification, la compréhension et la maîtrise des chaînes de valeur en matière de gestion d'actifs et de finance responsable et la construction d'un véritable partenariat avec les institutions mutualistes. Selon l'auteur, la gestion d'actifs n'est pas incompatible avec les valeurs mutualistes. Elle peut, même, répondre aux enjeux d'efficacité et de sens qui sont clés dans la valorisation et la pérennité du modèle mutualiste.
La quatrième partie de ce numéro est consacrée aux grands chantiers et aux perspectives qui attendent la finance mutualiste. Dans « La digitalisation comme vecteur de RSE renouvelée au sein des mutuelles françaises », Thibault Cuenoud, Rey Dang, L'Hocine Houanti et Jean-Michel Sahut s'attachent à démontrer qu'avec les changements sociétaux actuels : les citoyens cherchent plus de transparence, de sens et d'interactivité au sein d'organisations engagées. La digitalisation des mutuelles apparaît comme un vecteur de renforcement dans la recherche d'une meilleure interaction sociétale avec leur partie prenante. Ici, à travers l'étude de deux cas (Diffuz pour la Macif et Maif Social Club pour la Maif), les auteurs mettent en valeur les modifications organisationnelles en cours dans l'interaction et la légitimation qu'offrent les outils de digitalisation des mutuelles auprès de leurs sociétaires. Theresia Theurl et Eric Meyer dans « Banques coopératives allemandes : structure, gouvernance et nouveaux défis » présentent un panorama du système des banques coopératives allemandes. Ces dernières ont prouvé leur capacité à réduire leurs coûts et à mettre en œuvre de nouvelles technologies sur des marchés en pleine transition. François-Xavier Albouy dans son article « Quel avenir pour les mutuelles et les paritaires dans l'assurance ? » constate que depuis plus de trente ans, le mutualisme de la protection sociale connaît un alignement sans précédent de ses pratiques sur celles des opérateurs de marché et une modification du paysage réglementaire de la protection sociale qui affirme de plus en plus l'universalisme de l'État. Aujourd'hui, l'impression domine que les mutuelles et les organismes paritaires dont toutes les pratiques sont banalisées par rapport aux compagnies d'assurance sont à la croisée des chemins, ou bien ce sont des curiosités héritées de l'histoire sociale ou ils constituent le futur de la solidarité. L'auteur considère que partir des expériences clients et leur proposer des solutions concrètes, c'est ce que font avec talents les services marketing dans toutes les entreprises d'assurance du monde, mais partir de l'expérience commune pour trouver des solutions concrètes, c'est finalement l'exigence pour les acteurs de l'économie sociale et solidaire.
Pour conclure, dans le cadre d'une interview, Pascal Demurger considère que dans le contexte actuel d'incertitudes, le modèle mutualiste a des choses à dire. Au fil des années, il a démontré sa capacité à faire primer l'intérêt collectif sur le bénéfice individuel, à privilégier la performance de long terme plutôt que le profit immédiat. Bien sûr, le statut ne suffit pas à produire de la vertu, mais les acteurs mutualistes disposent de véritables atouts pour être demain aux avant-postes des entreprises qui se démarqueront par leur capacité de concilier performance et contribution positive au mieux commun.
Ce nouveau numéro de la REF se voudrait participer à l'indispensable effort de pédagogie pour promouvoir la finance mutualiste et éclairer l'opinion sur ce secteur encore trop méconnu, alors qu'il est indispensable pour le développement d'une économie réelle et plus humaine.