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 Les fonds de pension à gouvernance professionnelle : les enjeux européens


Jean-Paul SIEGEL * Avocat, Cabinet Boukris. Contact : jean-paul.siegel@avocats-boukris.com.

Le système de retraite de la plupart des partenaires européens de la France repose sur la complémentarité de la répartition et de la capitalisation, cette retraite par capitalisation prenant la forme de fonds de pension à gouvernance professionnelle. Couvrant l'ensemble de la population, ces fonds de pension constituent des « régimes additionnels » s'ajoutant à un étage de base en répartition, le plus souvent multirégimes ; ils laissent place, en outre, à un étage supplémentaire dédié à l'épargne, individuelle ou collective, facultative. Créés et gérés par les partenaires sociaux et les organisations professionnelles, ces fonds ont montré leur capacité à surmonter les crises et à anticiper les besoins de la société, même s'ils ne peuvent, à eux seuls, répondre au défi du vieillissement de la population. Alors qu'un nombre croissant de nos concitoyens est favorable à la capitalisation, pourquoi ne pas s'inspirer de ces exemples européens dans la construction du futur système français de retraite ?

Cet article n'a pas pour objet de dresser un panorama des divers systèmes de retraite et, plus particulièrement, des divers systèmes de retraite par capitalisation en vigueur chez nos partenaires européens. Son auteur n'a ni l'ambition, ni la compétence pour ce faire ; il existe, au demeurant, déjà, d'excellentes études, notamment du COR, sur ce sujet.

Plus modestement, il a pour objet de formuler quelques observations sur ces systèmes et sur l'opportunité qu'il pourrait y avoir à les étudier sérieusement, alors qu'une réforme « systémique » destinée à corriger, de façon durable, les difficultés et les défauts de notre actuel système de retraite par répartition est engagée.

Cette étude des systèmes en vigueur chez nos partenaires serait d'autant plus justifiée que le renforcement de l'« Europe sociale » est à l'ordre du jour et que ce renforcement implique, nécessairement, l'harmonisation des systèmes sociaux de ses membres.

De même, au moment où l'impératif d'accroître les capacités d'investissement des entreprises françaises et de permettre à leurs salariés de se constituer un complément de revenu pour leurs vieux jours vient de conduire le législateur à voter une énième réforme de l'épargne salariale et de l'épargne retraite, ne serait-il pas justifié de s'interroger sur l'apport de ces systèmes à satisfaire cet impératif et, pour le moins, de s'interroger sur la complémentarité et la cohérence entre ces deux réformes ?

Or, à notre connaissance, aucune étude en ce sens n'a été conduite, à ce jour, par les pilotes de la réforme ; bien plus, au nom d'une prétendue volonté d'apaisement social, ces derniers ont exclu, d'entrée de jeu, toute réflexion sur l'opportunité d'introduire une part de retraite par capitalisation dans le nouveau système appelé à voir le jour.

Peut-être aurait-il été plus judicieux de sensibiliser les partenaires sociaux et les instances professionnelles (n'oublions pas que le législateur a confié aux ordres professionnels la gestion de la retraite de leurs ressortissants) au caractère collectif et solidaire de ces fonds de pension et au rôle que jouent leurs homologues dans leur gouvernance pour surmonter les appréhensions et calmer les réactions de rejet que suscite chez certains d'entre eux la notion de fonds de pension ?

Les fonds de pension à gouvernance
professionnelle : des régimes de retraite
additionnels

La caractéristique commune à tous ces fonds de pension à gouvernance professionnelle, c'est de constituer des régimes « additionnels », tantôt obligatoires (comme au Royaume-Uni), tantôt facultatifs en droit mais de fait, obligatoires parce que rendus tels par les partenaires sociaux de la branche ou de la profession et, couvrant à ce titre, la quasi-totalité de la population (comme aux Pays-Bas). Régimes « additionnels » car venant s'ajouter à un étage de retraite obligatoire géré en répartition (étant précisé qu'il n'existe pas aux Pays-Bas de régime de retraite de base, le « socle de base » des prestations vieillesse étant constitué par une « retraite plancher universelle » alimentée par l'impôt et dont le montant, fixé par référence au salaire minimum, est indépendant des ressources de son bénéficiaire et déterminé par la durée de résidence et d'exercice d'une activité professionnelle sur le territoire hollandais).

Dit autrement, les États qui ont opté pour la mise en place de ces fonds de pension à gouvernance professionnelle ont fait le choix d'un système de retraite reposant sur la complémentarité de la répartition et de la capitalisation, choix de prudence désormais préconisé par nombre d'experts et qui, à défaut de résoudre tous les problèmes inhérents au vieillissement de la population, permet d'en atténuer certains impacts et de dégager des capacités de financement de l'économie à long terme.

Ajoutons qu'à l'exception de la Suède, dans tous ces États, le régime de base est composé de plusieurs régimes distincts reposant, au minimum, sur une appréhension spécifique des salariés du secteur public, des salariés du secteur privé et des non-salariés.

Pour achever la présentation de l'architecture des systèmes de retraite ainsi mis en place, précisons qu'à l'étage de base géré en répartition et à l'étage additionnel professionnel géré en capitalisation, s'ajoute un troisième étage dédié à l'épargne retraite, individuelle ou collective, facultative. Ainsi sont conciliés la solidarité nationale, la solidarité professionnelle et l'appel à la responsabilité individuelle.

On est donc fort éloigné du système monolithique tel qu'envisagé par le Haut Commissariat à la réforme des retraites, système dont l'assiette financière risque d'entraver le développement de l'épargne retraite, par ailleurs souhaitée.

Les fonds de pension à gouvernance
professionnelle : le rôle des partenaires sociaux

Créés et gérés par les partenaires sociaux ou par les professionnels du secteur concerné, les fonds de pension à gouvernance professionnelle sont susceptibles de couvrir un champ professionnel extrêmement variable ; si l'on se réfère au système néerlandais, on trouve, par exemple, des fonds d'entreprise, des fonds sectoriels ou intersectoriels, des fonds professionnels et enfin des fonds confiés à des compagnies d'assurance, le nombre total des fonds étant de l'ordre de 600. Bien évidemment et ne serait-ce qu'en raison du poids financier de ces fonds dans l'économie nationale (par exemple, 200 % du PIB aux Pays-Bas) et des prestations qu'ils versent dans l'ensemble des revenus des retraités (45 % aux Pays-Bas, 30 % en Suède), cette gouvernance professionnelle est fortement encadrée et surveillée (par exemple, par l'autorité de contrôle des assurances aux Pays-Bas) ; elle est également fortement déterminée par le pilotage du système public de retraite par répartition. Il n'en demeure pas moins que les administrateurs en charge de leur gouvernance assument, aux yeux de leurs mandants, la responsabilité de leurs résultats et des décisions que ceux-ci les conduisent à prendre.

Toutefois et quel que soit le talent des gestionnaires de ces fonds, ils n'échappent pas plus que leurs collègues en charge du secteur public aux difficultés générées par la situation démographique de l'Europe occidentale et par les crises économiques qu'elle a connues au cours de la période écoulée et à la nécessité de mesures douloureuses – et donc impopulaires –, mais force est de constater que ces fonds ont su surmonter ces crises : ainsi, comme l'a souligné l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), dans la quasi-totalité de ses États membres, ces fonds professionnels avaient récupéré dès 2013 les pertes d'investissement subies en 2008.

Sans doute, faut-il voir également dans cette proximité entre les gestionnaires de ces fonds et leurs mandants une capacité plus grande à anticiper et à réagir aux attentes de la société. À ceux qui considèrent encore les fonds de pension comme le « mal absolu », nous nous permettons de conseiller la lecture d'un article passionnant publié par la Revue de la stabilité financière de juin 2019, intitulé « PGGM : le point de vue d'un gestionnaire de fonds de pension sur l'accélération de la finance durable » ; dans cet article, quatre responsables du second fonds de pension des Pays-Bas et de l'Union européenne (2 millions d'adhérents, 200 Md€ d'encours) exposent la façon dont ils appréhendent la « finance durable » et comment ils entendent concilier ses contraintes avec « leur objectif principal qui consiste à assurer la sécurité des retraites grâce à des performances financières solides » en s'engageant à contribuer au développement d'une zone d'investissement qu'ils qualifient de « zone verte », zone dans laquelle « le développement durable est pris en compte au même titre que les rendements de marché ».

Dernier avantage de cette proximité : la relation de confiance qu'elle permet d'établir entre les gestionnaires des fonds et leurs mandants, relations de confiance d'autant plus indispensables que la plupart de ces fonds sont des fonds à cotisations définies et que « la plus grande complexité des produits accroît le besoin de conseils financiers appropriés et d'informations financières intelligibles pour que les consommateurs soient en mesure d'acquérir des produits adaptés à leurs besoins » (OCDE, Perspectives sur les pensions, 2016).

Il serait naïf d'imaginer que ces systèmes fonctionnent sans soubresaut, ni crise, mais l'implication des partenaires sociaux dans leur résolution, à l'instar de ce qui a pu être constaté en France pour les régimes AGIRC-ARRCO, en atténue la violence et la durée.

Conclusion

Comme abondamment souligné depuis quelques mois, « un système de retraite est le fruit d'une histoire » et l'importation d'un modèle étranger, outre qu'elle est malaisée, est souvent peu fructueuse. Loin de nous de prôner une telle importation ! Simplement, il nous paraît surprenant qu'à aucun moment, une réflexion n'ait été conduite sur des systèmes qui ont fait leurs preuves et en quoi ils pourraient inspirer les acteurs de la réforme en cours. Cette volonté d'exclure toute réflexion sur l'introduction d'un élément de capitalisation dans le système français est d'autant plus étonnante qu'il existe en France un régime complémentaire de retraite, obligatoire et collectif, géré en capitalisation et, qui plus est, dans le cadre de la Sécurité sociale : celui de la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens, fort de ses 60 000 affiliés et de ses 7 Md€ de provisions ; ce régime pourrait très bien servir de référence, dans le cadre d'une réforme « systémique », apaisée et consensuelle, pour d'autres professions ou d'autres catégories socioprofessionnelles.

Volonté d'autant plus inexplicable que, selon des chiffres communiqués par le Haut Commissariat à la réforme des retraites lui-même, 37 % des actifs expriment une préférence pour un système fondé sur la capitalisation et 52 % des jeunes de 18 ans à 24 ans privilégient un système fondé sur la capitalisation, chiffres traduisant une évolution sensible et fort compréhensible sur l'acceptabilité d'un élément de capitalisation dans notre système public de retraite, l'attachement à un tel système public de retraite demeurant, quant à lui, extrêmement élevé (de l'ordre de 90 % à 95 %) dans toutes les tranches d'âge selon le COR (« Les opinions en matière de retraite selon les générations », décembre 2018).