Face aux multiples défis qui s'imposent au monde mutualiste, la gestion d'actifs dans son organisation et sa proposition de valeurs peut être au service des ambitions mutualistes et contribuer à l'efficacité et la pérennité du modèle.
Les ambitions mutualistes
face aux défis du xxie siècle
L'histoire mutualiste est ancienne et plurielle. Composée de multiples sources d'inspiration d'expériences riches et diverses, le développement des institutions mutualistes s'appuie sur un socle commun de principes fondamentaux : liberté, solidarité, démocratie et indépendance. Ces quatre piliers déclinés par chaque institution mutualiste suivant des axes et des priorités spécifiques constituent la singularité et la diversité du monde mutualiste. Leur mise en œuvre au quotidien est articulée autour de valeurs fortes portées par les institutions mutualistes tant dans leur gouvernance que dans leur offre de services : universalité des prestations, égalité de traitement, transparence, proximité, engagement, responsabilité, actions sociales, ancrage dans l'économie sociale et solidaire.
Ces ambitions sont restées intactes, alors que les institutions mutualistes ont connu un fort développement du xixe siècle à la fin du xxe siècle, apportant par leur modèle une réponse adaptée aux mutations de la société. Cependant, aujourd'hui, comme de nombreuses autres institutions, elles doivent faire face à des défis nombreux qui bouleversent les équilibres établis et peuvent remettre en cause les modèles existants. En effet, en ce début de xxie siècle, l'environnement économique, réglementaire, technologique et social connaît des évolutions profondes, rapides, conjuguées entre elles, affectant tous les domaines et rappelant, dans leur ampleur, les changements radicaux que le monde a connus lors des précédentes révolutions industrielles (nous pouvons parler de 4e révolution industrielle).
Le premier défi posé au monde mutualiste concerne l'évolution de l'environnement économique. Les institutions doivent faire face à un environnement plus complexe caractérisé par une « financiarisation » de l'économie où l'importance et la sophistication des marchés financiers n'ont cessé de croître. En parallèle, l'exigence en matière de résultats financiers est exacerbée dans un contexte de taux d'intérêt extrêmement bas. Ainsi la performance financière est devenue un enjeu majeur, alors que les marchés financiers sont plus volatils, peu lisibles et moins rémunérateurs.
Le deuxième défi a trait aux évolutions réglementaires. Les institutions du secteur subissent une inflation réglementaire et législative structurelle à l'image de l'ANI (Accord national interprofessionnel) ou de la directive Solvabilité II. Cette dernière pèse sur leur activité économique et leur gestion financière, en particulier en matière de normes prudentielles. Cette réglementation met l'accent sur l'exigence de fonds propres et la gestion des risques. Le suivi et la production d'états réglementaires qu'elle requiert imposent de réunir des moyens humains et financiers importants pour pouvoir s'y conformer.
Le troisième défi est celui posé par les révolutions technologiques. Le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication bouleverse les usages et les pratiques, ouvre un potentiel sans limite en matière d'interactions et modifie le rapport au temps. Intégrer ces nouvelles technologies et s'adapter à ce nouveau contexte nécessitent des transformations profondes et des investissements conséquents tant sur le plan humain que technique.
Enfin, le quatrième défi concerne les changements sociétaux majeurs qui bouleversent l'environnement dans lequel évolue le monde mutualiste. Le développement des mobilités géographiques et professionnelles, le recul des solidarités et la montée de l'individualisme contribuent à brouiller les messages portés par les institutions mutualistes en particulier auprès des jeunes générations. Ces tendances se développent dans un contexte de concurrence féroce où de nouveaux modes de consommation font leur apparition. La banalisation des offres et des pratiques commerciales peut ainsi peser sur la lisibilité du modèle mutualiste.
Face à ces évolutions profondes, les institutions mutualistes cherchent à s'adapter et se transformer en préservant leur identité et leurs valeurs tout en valorisant leurs spécificités et leurs atouts auprès du grand public. Dans un monde plus complexe, plus exigeant, le défi majeur pour le monde mutualiste est donc celui de son efficacité dans le respect de ses valeurs fondamentales. Il ne s'agit rien de moins que de sa capacité à conjuguer, dans un environnement en plein bouleversement, tel que nous l'avons résumé, performance et rentabilité économique, d'un côté, et utilité sociale, d'un autre côté.
Le thème de la finance mutualiste se concentre en général sur la pertinence et la valeur ajoutée du modèle d'institution financière mutualiste au regard des modèles de finance capitaliste tant dans l'industrie bancaire que dans le monde de l'assurance. En tant que société de gestion d'actifs, nous avons souhaité apporter un éclairage sur le lien entre la gestion des placements financiers des institutions et la mise en œuvre des valeurs mutualistes.
Un double enjeu : proposer une offre de gestion d'actifs efficace
tout en incarnant les valeurs mutualistes
Le premier enjeu est d'apporter aux institutions mutualistes une offre de gestion d'actifs répondant à la complexité des marchés financiers et leur permettant de se concentrer sur leurs métiers avec un maximum d'efficacité. À ce titre, l'organisation de la gestion d'actifs, la relation entre le gérant d'actifs et l'institution mutualiste et les valeurs mises en œuvre sont déterminantes.
Le second enjeu, au-delà de l'organisation de la gestion financière, repose sur sa raison d'être et la capacité de celle-ci à incarner les valeurs promues par les institutions mutualistes. Ces dernières ont toujours intégré les valeurs citoyennes respectueuses de l'homme et de l'environnement au cœur de leur mouvement. La finance responsable permet ainsi aux institutions de déployer une gestion financière en accord avec leurs principes et leurs engagements. La finance responsable donne le pouvoir d'agir et de faire respecter ces valeurs mutualistes.
UNE ORGANISATION EFFICACE DE LA GESTION
D'ACTIFS POUR RÉPONDRE AUX BESOINS
DES INSTITUTIONS MUTUALISTES
Gestion d'actifs : des paramètres à géométrie variable
Le cadre de la gestion des placements englobe aujourd'hui de très nombreuses problématiques pour une direction financière dont les principaux enjeux sont tournés vers l'adéquation actif-passif, la rentabilité économique ou encore le pilotage de la solvabilité de l'institution.
La complexité croissante des marchés fait appel à des moyens très importants – outils et données – et des expertises variées – analyse crédit, analyse financière, sélection de gérants et de fonds, recherche, investissement socialement responsable (ISR), etc. – pour assurer les principaux tenants de l'activité de placement (qu'il s'agisse de l'exposition voire de la couverture du portefeuille au gré des configurations de marché – allocation d'actifs – ou de la sélection des supports, titres vifs ou OPC).
Les besoins de pilotage financier constituent des charges supplémentaires en matière de reporting ou de comptabilité ; les enjeux de suivi du SCR marché, le pilotage des risques, ou d'une politique ISR en sont d'autres variantes. Elles sont d'autant plus lourdes s'il y a plusieurs partenaires délégataires de gestion : l'hétérogénéité des sources ayant pour corollaire celle des formats, des nomenclatures, des méthodologies voire des délais et de la qualité d'accès à l'information.
S'y ajoute la problématique de l'accès aux données associé aux enjeux réglementaires de reporting (S2), au ligne à ligne via des fournisseurs de données qui en ont drastiquement renforcé les coûts d'accès ainsi que l'accès aux inventaires en transparence des OPC détenus au sein des portefeuilles, dont la sous-traitance semble souvent l'unique échappatoire, sauf à s'y soustraire en deçà du seuil admis.
Enfin la nécessité d'accéder à une masse conséquente d'informations tant sur le(s) prestataire(s) éventuel(s) pour satisfaire l'exigence relative à la sous-traitance, que sur les données, constituants, éléments d'analyse du portefeuille et tous documents d'informations nécessaires à un suivi en adéquation avec le principe de la personne prudente.
Un dispositif de gestion financière conçu comme un véritable partenariat
dans un esprit de mutualisation des compétences et des savoirs
Pour des raisons économiques et concurrentielles, la gestion des placements a pris une importance croissante au fil des années avec un recours accru aux produits financiers. Avec la directive Solvabilité II, l'exigence de capital associée à la structure des placements n'a fait que renforcer ce phénomène pour les acteurs de l'assurance et de la prévoyance. Cette directive a eu un impact important sur l'organisation et la gouvernance de cette activité sensible.
Pour les sociétés de gestion liées au monde mutualiste, le dispositif de gestion financière doit ainsi revêtir une dimension partenariale. L'analyse systématique du cadre de gestion d'actifs des investisseurs ambitionne d'identifier leur profil de risque financier et de recenser les besoins connexes au métier d'investissement, pour y associer, dans le cadre d'une relation de long terme, des compléments utiles en matière de comptabilité, de reporting, d'analyse, de documentations, susceptibles de conférer à l'offre de gestion une véritable stature de « direction financière associée ».
Des solutions financières adaptées et accessibles à tous les investisseurs
mutualistes sans exception
En adoptant une approche fidèle aux principes mutualistes, les gérants d'actifs doivent être en mesure de proposer des solutions financières accessibles à toutes les institutions qui souhaitent déléguer leur gestion d'actifs, quelles que soient leur taille et leurs contraintes. Dans le cadre d'une gestion de portefeuille dédié, cela s'illustre en particulier au travers de la répercussion des scénarios d'investissement maison et de l'allocation d'actifs sur le profil de risque financier de chaque enveloppe de gestion. Cette quête repose notamment sur des capacités d'ingénierie financière, produits et juridique, et affecte les équipes de support destinées à en assurer la bonne orchestration.
Cette logique de mutualisation doit se déployer sur toutes les dimensions identifiées comme des problématiques incontournables, principalement en lien avec l'évolution des marchés, des attendus réglementaires, et des progrès technologiques.
À l'instar de l'allocation d'actifs, des investissements dans des moyens techniques et des expertises humaines, que les institutions ne peuvent pas déployer elles-mêmes, sont nécessaires pour apporter des réponses accessibles à toutes les institutions concernées. Il peut en effet être nécessaire d'avoir recours à :
des équipes d'experts en analyse ESG pour apporter une réponse en adéquation avec les valeurs des institutions mutualistes en matière de gestion et de transparence à travers des reportings adaptés ;
des experts en sélection de fonds offrant une approche complète en matière d'analyse de produits externes ou de sociétés de gestion, ou encore à des analystes crédit capables de déployer une méthodologie spécifique.
Des enjeux de transparence et d'accessibilité aux informations
pour l'investisseur
Sur d'autres aspects en lien avec la réglementation, il s'agit d'apporter des réponses concrètes aux besoins en matière de données de marché attendues par les institutions. Pour cela, les sociétés de gestion doivent disposer de préférence d'une équipe dédiée au traitement de données (data management). Il faut, en effet, être capable de délivrer dans des temps contraints des inventaires en toute transparence à l'aide d'une équipe d'ingénierie services, en s'appuyant sur une veille réglementaire et concurrentielle structurée.
Les besoins en matière de comptabilité auxiliaire et de reporting doivent être scrupuleusement étudiés en associant tous les protagonistes, afin d'apporter la même qualité d'information sur tous les supports, là aussi dans les délais. Une société de gestion doit également pouvoir fournir aux investisseurs une meilleure accessibilité aux données via des process sécurisés et des solutions d'intégration de données grâce à des API (interface de programmation applicative) qui connecteront les outils informatiques du mandant à ceux du mandataire, et aussi offrir une capacité de suivi dynamique et autonome grâce à des outils de visualisation des risques de portefeuilles. Le dispositif se doit d'être le plus robuste possible, pour apporter la plus grande sérénité à n'importe quel investisseur sur le périmètre en délégation, tout en lui apportant l'exhaustivité des informations nécessaires à son activité de pilotage, en toute conformité. La capacité de gestion et de restitution des données est cœur et s'appuie sur des moyens digitaux importants qui nécessitent de l'expertise et des investissements.
Un dispositif commun, mais transposable en tout point
Si la complétude et la robustesse régulièrement éprouvées du dispositif d'une société de gestion répondent à un ensemble de problématiques communes à ses investisseurs, elle ne peut occulter les nombreuses spécificités propres à chaque entité. Au-delà de la typologie de son portefeuille d'assurance et des effets sur son profil actif-passif, un business plan particulier affectant ses objectifs financiers et extra-financiers, ou encore le niveau et la structure de son profil de risque réglementaire sont autant de paramètres à appréhender dans le cadre de la gestion de ses avoirs.
Sous l'angle du profil de risque et des contraintes de gestion, de nombreuses singularités se développent, en lien avec des politiques de gestion des risques plus détaillées, des contraintes associées à la gestion du SCR, ou encore l'implémentation d'une politique ISR s'appuyant parfois sur des référentiels spécifiques. Dans certains cas, une organisation des placements s'appuyant sur plusieurs partenaires impose des choix de nomenclatures ou de méthodologies (secteurs, rating, etc.).
Un accès étendu à des prestations pouvant couvrir
le périmètre global des actifs
Les gérants partenaires d'acteurs du monde mutualiste doivent disposer d'une expertise complète sur l'ensemble de la chaîne de valeur de la gestion d'actifs, afin d'en permettre un accès sur chacune de ses composantes sur le périmètre global des actifs, en toute indépendance de la gestion financière. Ils proposeront ainsi des prestations ponctuelles de traitement des portefeuilles en vue de délivrer un inventaire pour des besoins réglementaires, ou d'analyse du SCR marché associé, ou encore d'analyse sous l'angle ESG. Cette capacité de consolidation doit également s'exprimer sur des prestations de reporting financier, ou de comptabilité auxiliaire des placements. Certaines institutions pourront aussi être accompagnées dans la définition de l'allocation stratégique de leurs placements, intégrant la dimension du SCR, également dans le cadre d'analyses sur mesure pour répondre à des besoins de type ORSA. Les enjeux complexes de ces prestations sur des sujets nouveaux pour certains interlocuteurs opérationnels ou administrateurs nécessitent de faire preuve de pédagogie. Ce besoin peut aussi se concrétiser par des formations sur mesure, pour des administrateurs ou des membres de comités d'audit par exemple. L'implémentation de la loi sur la transition énergétique est aussi à mettre en perspective de la collaboration étroite entre le monde mutualiste et le gérant d'actifs.
Ces prestations sont également susceptibles d'apporter un regard éclairant et un outil de dialogue supplémentaire sur les contours de la gestion financière et extra-financière qui est confiée. Ce dispositif peut permettre d'accéder à une homogénéité de méthodes sur tout le périmètre en conservant ainsi une indépendance et une autonomie.
Solvabilité II : un cadre réglementaire exigeant
Le principe de transparence inscrit dans la directive Solvabilité II se retrouve au cœur des attentes d'une institution mutualiste. Il s'illustre concrètement dans la complétude des informations qu'elle est en droit d'attendre de son gestionnaire, qu'il s'agisse des attendus contractuels, des reportings en transparence, du contenu de dossiers de comités présentés pour rendre compte de la gestion, de documentations.
La faculté de prise en compte de toute spécificité a vocation à pérenniser l'indépendance de chacune des institutions, en matière de politique financière dans toutes ses dimensions, et conformément au principe de la personne prudente de la directive en matière de gestion financière.
Délégation de la gestion d'actifs : un apport déterminant
Ainsi dans un contexte exigeant, la gestion d'actifs permet à l'institution mutualiste d'exercer ses responsabilités. Conçue autour d'un partenariat entre l'institution et la société de gestion, centrée sur des valeurs de transparence et de proximité, la gestion d'actifs au sens large peut proposer un ensemble de réponses efficaces aux différentes problématiques de l'institution, lui offrant également la possibilité de préserver son indépendance et son autonomie. Cette offre de gestion d'actifs s'appuie sur la mise en place d'une chaîne de valeur complète, une mutualisation des moyens techniques, des expertises et des données, une capacité d'adaptation et des outils et des services en ligne avec les besoins des institutions indépendamment de leur taille ou de leur sophistication.
LA FINANCE RESPONSABLE AU SERVICE
DES AMBITIONS MUTUALISTES
Au-delà de l'organisation de la gestion d'actifs, les institutions mutualistes aspirent à donner du sens à leurs placements et à adopter une gestion responsable. La gestion d'actifs incarnée par la finance responsable répond à ces ambitions.
Engagement et valeurs mutualistes
Les institutions mutualistes ont toujours intégré les valeurs citoyennes respectueuses de l'homme et de l'environnement au cœur de leur mouvement, qui repose sur un socle de principes fondamentaux : liberté, solidarité, démocratie et indépendance. Ces valeurs s'expriment de façon diverse et multiple, mais restent centrées sur la responsabilité sociale et sociétale, l'humanisme et l'engagement. Il existe ainsi une proximité forte, quasi naturelle, entre les valeurs mutualistes et les principes promus par l'ISR et traduits au travers de la responsabilité sociale de l'entreprise.
Ces ambitions ISR ont été formalisées au niveau mondial par la définition des Principes pour l'investissement responsable (PRI). Cette initiative, lancée en 2006, par des investisseurs en partenariat avec l'Initiative financière du PNUE (Programme des Nations unies pour l'environnement) et le Pacte Mondial de l'ONU, vise à regrouper les investisseurs mondiaux autour de principes généraux de bonne conduite tournés vers l'investissement responsable. Les Principes suggèrent et incitent. Au nombre de six, ils fournissent un éventail d'actions possibles pour pouvoir incorporer les questions ESG au processus décisionnel d'investissement et aux pratiques relatives aux biens.
Les six Principes pour l'investissement responsable
1. Nous prendrons en compte les questions ESG dans les processus d'analyse et de décision en matière d'investissements.
2. Nous serons des investisseurs actifs et prendrons en compte les questions ESG dans nos politiques et pratiques d'actionnaire.
3. Nous demanderons aux entités dans lesquelles nous investissons de publier des informations appropriées sur les questions ESG.
4. Nous favoriserons l'acceptation et l'application des Principes auprès des acteurs de la gestion d'actifs.
5. Nous travaillerons ensemble pour accroître notre efficacité dans l'application des Principes.
6. Nous rendrons compte individuellement de nos activités et de nos progrès dans l'application des Principes.
Une philosophie partagée
Dans la vision de l'économie autour de la thématique de création de valeur, deux théories existent : la « théorie de l'actionnaire » et la « théorie des parties prenantes ».
Ces deux théories peuvent être résumées de façon réductrice en deux positions extrêmes autour de la question de la gouvernance : la première indiquerait que l'objectif des dirigeants d'entreprise doit être exclusivement l'accroissement de la richesse des actionnaires, la deuxième revendiquerait l'implication de toutes les parties prenantes impliquées par l'activité de l'entreprise dans sa direction. La théorie des parties prenantes est à l'origine de travaux autour de la responsabilité sociale de l'entreprise et plus largement de l'ISR. Ces théories s'opposent sur l'organisation de la gouvernance et la place de l'extra-financier dans la gestion des entreprises et leur analyse.
La vision économique du monde mutualiste, très liée aux valeurs fondamentales du mutualisme, est plus proche du modèle des parties prenantes que du modèle actionnarial. De ce fait, l'intégration de l'analyse extra-financière et la prise en compte de l'impact de l'entreprise sur l'ensemble de son écosystème, impact au sens large, donc sur des parties prenantes, sont de fait des approches à privilégier.
Dans une approche modernisée de la gestion d'actifs qui réconcilie pour l'épargnant la notion de sens, donnée à son épargne et pour l'entreprise qui recherche un développement durable et pérenne, respectueux des parties prenantes, nous voyons bien comment cette notion de finance responsable joue un rôle fondamental.
La finance responsable exercée par les gestionnaires d'actifs peut jouer un rôle dans la réconciliation de ces deux théories en jouant un rôle clé d'investisseur responsable qui cherche la création de valeur dans le respect des valeurs et des règles fondamentales de l'humanité au-delà des principes éthiques et moraux.
Ainsi la finance responsable propose aux institutions un cadre permettant de déployer une gestion financière en accord avec leurs principes et leurs engagements sans renoncer à la performance financière.
Une montée en puissance des réglementations
Au-delà de l'appétit et du volontarisme de certains investisseurs institutionnels pour la thématique de la finance responsable et de la responsabilité sociale de l'entreprise, l'impulsion du législateur et des pouvoirs publics reste déterminante. En effet, un ensemble de textes législatifs, encadrant les pratiques des entreprises et des investisseurs, a été mis en place pour favoriser la prise en compte des critères extra-financiers et rendre obligatoire la communication sur ces sujets :
la loi sur les nouvelles régulations économiques (loi NRE), publiée en mai 2001 et entrée en vigueur en 2002, impose aux sociétés cotées de présenter, dans leur rapport de gestion annuel, parallèlement à leurs informations comptables et financières, des données sur les conséquences environnementales et sociales de leurs activités ;
l'article 83 de la Loi Grenelle II, adoptée définitivement le 29 juin 2010 et publiée le 12 juillet 2010, prévoit de nouvelles dispositions concernant la manière dont les entreprises devront rendre compte des conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Les articles 224 et 225 du Grenelle II de l'environnement modifient le Code monétaire et financier ainsi que le Code du commerce dans ce sens ;
l'article 173 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte impose de nouvelles obligations à l'ensemble des investisseurs institutionnels. Ces derniers doivent communiquer, chaque année, sur la prise en compte de critères environnementaux, sociaux et de gou vernance (ESG) dans leurs décisions d'investissement, la façon dont ils appréhendent les risques liés au changement climatique et leur contribution à la transition énergétique. Ces obligations sont précisées par le décret n° 2015-1850 du 29 décembre 2015 pris en application de l'article L. 533-22-1 du Code monétaire et financier. Les principaux éléments à fournir dans le cadre d'un rapport ad hoc et dans le rapport annuel concernent, d'une part, des informations qualitatives concernant l'entité et sa démarche ESG et, d'autre part, des informations quantitatives et qualitatives concernant la politique d'investissement. La nature des obligations et des informations demandées dépend de la taille du portefeuille de l'investisseur (supérieure ou inférieure à 500 M€). Déployé et mis en œuvre depuis deux ans, l'article 173 a constitué un véritable catalyseur autour des pratiques ESG/climat des investisseurs institutionnels. Ceux-ci ont adopté la démarche de progrès promue par la loi en s'engageant progressivement et suivant leurs ambitions dans la définition, la description, la mesure, la mise en œuvre et la restitution d'une politique d'ISR non uniquement axée sur le climat ;
la directive européenne sur le reporting extra-financier a été transposée par la France en 2017. Le décret n° 2017-1265 du 9 août 2017 pris pour l'application de l'ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017 relative à la publication d'informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d'entreprises renforce les obligations de déclaration et de communication de performance extra-financière ;
la loi Pacte (plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) vient compléter et renforcer le développement de la finance responsable en orientant les placements d'épargne et de retraite vers des véhicules d'investissement ISR en s'intéressant aux épargnants individuels.
Ainsi l'attachement des institutions à des valeurs citoyennes, l'appétit des adhérents et sociétaires, ainsi que le cadre réglementaire et législatif rendent incontournable la mise en place d'une approche ISR structurée (cependant, cette exigence forte est confrontée à la multiplicité des approches en matière de finance responsable et parfois la complexité de mise en œuvre qui ne facilitent pas leur appropriation par les institutions). Ce qui renforce la nécessaire complicité entre la gestion d'actifs impliquée dans la finance responsable et le monde mutualiste.
Finance responsable : une multiplicité d'approches ESG/climat
Face aux attentes en faveur d'une finance plus responsable, les approches, les méthodologies et les outils d'analyse de l'investissement responsable sont multiples et en permanente évolution. Les philosophies peuvent être diverses, les méthodes éprouvées côtoient les approches expérimentales. Nous pouvons distinguer cependant quelques grandes familles d'approches qui ne sont pas exclusives et qui peuvent, même, être combinées entre elles.
La première grande famille est constituée par les approches d'exclusion. Celles-ci consistent à exclure des investissements de l'univers de gestion en raison du non-respect de principes éthiques, moraux ou encore de comportements controversés, de violations caractérisées au regard de normes, de conventions ou d'accords internationaux tant en matière d'environnement que de droit humain. Il peut s'agir d'exclusion sectorielle (tabac, armement, etc.) ou normative (implication dans le travail des enfants, controverses environnementales sur la pollution, etc.).
La deuxième repose sur une intégration ISR visant à sélectionner les émetteurs de dette ou de capital ayant les meilleures pratiques environnementales, sociales et de gouvernance. Cette approche de sélection peut s'opérer suivant différents angles : au sein de même secteur (best in class), afin de ne pas exclure ou privilégier certains secteurs, au sein d'un même univers (best in universe) avec pour conséquence des sur-représentations ou des sous-représentations sectorielles significatives, au sein d'une dynamique d'évolution (best effort) favorisant les émetteurs dont les pratiques ESG s'améliorent au cours du temps.
La troisième est articulée autour de politiques d'engagement dont l'objet est la mise en place d'un dialogue constructif avec les émetteurs afin de les sensibiliser aux bonnes pratiques en matière de responsabilité, de gouvernement d'entreprise et plus largement aux enjeux du développement durable. Cette approche peut également s'exprimer dans le cadre d'interventions ciblées lors des assemblées générales d'actionnaires.
La quatrième est représentée par l'investissement à impact (impact investing). Cette approche d'investissement responsable vise au-delà de l'analyse des bonnes pratiques des émetteurs à intégrer les enjeux autour de leur objet, leurs produits ou leurs services en identifiant et en mesurant leur capacité à générer un impact environnemental ou social positif en même temps qu'une performance financière. Cette approche développée à l'origine dans le capital-risque ou dans la finance sociale et solidaire sur des projets identifiés et circonscrits peut être élargie aujourd'hui à un périmètre plus large d'émetteurs. Les méthodologies et les indicateurs restent aujourd'hui en pleine construction. Cependant bon nombre de travaux en cours cherchent à mesurer un impact au regard des Objectifs de développement durable (ODD) proposés par les Nations unis en 2015. Ces objectifs, au nombre de 17, adressent les défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, notamment ceux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l'environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice. Ces grandes familles d'approches peuvent être combinées ou déclinées sur des thématiques particulières. Ainsi certaines approches peuvent se concentrer sur des problématiques spécifiques ou retenir un axe d'analyse isolé tels que le changement climatique, l'inclusion sociale, la qualité de vie au travail, etc. D'autres approches se contentent de prendre en compte la dimension extra-financière ex ante comme un élément complémentaire d'analyse sans contrainte, ni impact systématique sur les choix de gestion financière, il s'agit alors d'une intégration ESG simple. Une autre approche consiste à faire une analyse ex post du portefeuille sous l'angle de critère ESG, afin de mesurer son positionnement relatif même si la politique de gestion n'est pas définie en fonction d'axes extra-financiers.
Enfin, en matière de climat, les axes d'analyses se multiplient. La transition énergétique et la prise en compte des risques climatiques représentent des enjeux majeurs en matière de responsabilité sociale et sociétale. Le risque climatique est également identifié comme un risque systémique pour l'économie et la finance par les travaux de la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures), un groupe de travail mis en place en 2015 à l'initiative du Conseil de stabilité financière du G20 face aux risques financiers liés au changement climatique.
La prise de conscience est globale : les 196 États signataires de l'accord de Paris sur le climat se sont engagés à contenir le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés à horizon 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. L'arrêt de la production d'énergie issue du charbon est au cœur de la réalisation de cet objectif au-delà de la recherche de solutions de production d'énergie renouvelable.
Ainsi en matière d'approche climat, l'enjeu est double. Il s'agit, d'une part, de mesurer l'impact sur le climat des activités financées par les investissements réalisés et, d'autre part, de prendre en compte le risque climatique sur son activité, c'est-à-dire d'analyser les risques financiers que fait courir le changement climatique sur son portefeuille. Il existe de nombreuses méthodologies pour agir en faveur du climat ou appréhender l'impact sur le climat : les mesures de l'empreinte carbone, les empreintes carbones évitées, la recherche d'adéquation du portefeuille d'investissement avec un scénario de maîtrise du réchauffement, la contribution au financement de la transition énergétique, la part verte ou la part brune des portefeuilles, l'exclusion des valeurs liées à l'exploitation du charbon thermique, etc.
Pour les institutions mutualistes qui ont une activité importante en risque IARD, cela ouvre une autre forme d'analyse actif-passif étendue à des corrélations de comportements qui viennent compléter l'analyse en cash flows. Ici aussi, le partenariat avec le gestionnaire d'actifs est clé pour une meilleure appréhension des risques.
En matière de risque climatique, la mesure peut passer par une analyse :
des risques physiques (l'exposition aux conséquences physiques directement induites par le changement climatique, par exemple : le stress hydrique qui impacte l'activité de certains émetteurs) ;
ou des risques de transition (l'exposition aux évolutions induites par la transition vers une économie bas carbone, exemple : dévalorisation à terme des acteurs impliqués dans le charbon).
Construire une chaîne de valeur ISR adaptée et pragmatique
Les approches ESG/climat sont donc diverses, sophistiquées, parfois difficiles à appréhender, en perpétuelle évolution et à l'image de ce qui a été dit sur l'analyse financière, les données sous-jacentes pour les mettre en œuvre sont nombreuses, non homogènes, coûteuses et complexes à traiter. Les institutions qui souhaitent déployer un ISR, en phase avec leurs ambitions, sont directement confrontées à cette complexité. L'enjeu pour elles est alors de mettre en place une chaîne de valeur claire et simple autour de la finance responsable.
Cette chaîne de valeur repose sur plusieurs piliers importants :
la définition de la politique ISR. Celle-ci comprend la définition et la formalisation de la démarche générale (philosophie choisie, les objectifs et les valeurs poursuivis, les méthodologies sélectionnées) et le mode d'application défini pour la mettre en œuvre (procédure et périmètre, les moyens et les ressources alloués, les modes de communication interne et externe) ;
l'intégration de cette politique dans la gestion financière. Celle-ci nécessite la définition et la mise en place des règles, des outils et des process de traitement et d'intégration de données extra-financières, la définition de la politique de risque et de placement ESG, la formalisation contractuelle le cas échéant notamment en cas de délégation ;
le suivi et le reporting ISR. Celui-ci peut être interne, public et réglementaire suivant qu'il s'adresse à la direction des investissements, à la direction générale et au conseil d'administration, aux instances de supervision ou au grand public (sociétaires ou adhérents, par exemple). Il comprend la définition des mesures et des indicateurs ainsi que le suivi et la réalisation des objectifs assignés ;
la formation interne à destination des directions métiers et des instances de gouvernance (direction générale, administrateurs), celle-ci est fondamentale afin de favoriser une appropriation par l'institution et le développement d'une forte culture interne ;
la veille technique et réglementaire essentielle face à une matière en perpétuelle évolution afin d'identifier les opportunités, les nouvelles obligations ou les recommandations et les meilleures pratiques permettant de valoriser les ambitions en matière de finance responsable de l'institution.
La mise en place d'une telle chaîne de valeur reste coûteuse et complexe. L'apport des sociétés de gestion est clé. Celles-ci, soucieuses de servir les ambitions mutualistes de leurs partenaires, doivent proposer un dispositif de gestion et d'accompagnement en matière de finance responsable, afin de leur permettre d'incarner au mieux leurs valeurs tout en optimisant leurs investissements humain et matériel. Face aux approches ESG/climat hétérogènes, la démarche doit être pragmatique et peut s'inscrire dans une démarche de progrès. Les actions mises en œuvre peuvent ainsi rester modestes au démarrage pour s'enrichir et se développer au cours du temps.
Pour chacun des piliers décrits et suivant les axes retenus par les institutions, la société de gestion doit proposer des méthodes, des solutions et des outils souples, adaptés aux objectifs définis et en ligne avec les moyens et les ressources qu'ils souhaitent y consacrer.
La politique d'investissement ISR à déployer s'appuie sur les convictions profondes de l'institution et les valeurs qu'elle souhaite défendre. Elle doit ainsi pouvoir s'appuyer sur des méthodologies transparentes mettant en œuvre une ou plusieurs des grandes approches que nous avons décrites. Ces méthodes peuvent être pleinement appropriées ou retravaillées par l'institution qui peut dans certains cas souhaiter construire son propre référentiel ESG. Il s'agit alors pour la société de gestion de proposer des outils permettant de construire une approche sur mesure et des modes d'actions spécifiques. L'apport des sociétés de gestion peut être à ce titre déterminant. En effet, la culture métier, la compréhension de l'ensemble des enjeux financier, comptable, réglementaire permet de déployer une finance responsable plus intégrée, adaptée à l'ensemble des contraintes des investisseurs et au plus près de leurs préoccupations.
À titre d'exemple, l'investisseur peut souhaiter dans un premier temps mettre en œuvre différentes pratiques :
évaluation ex post du portefeuille : analyses des portefeuilles ex post suivant les critères ESG définis (évaluation ESG, empreinte carbone), comparaison avec l'univers d'investissement ;
politique charbon : exclusion des détenteurs de mines de charbon thermique ; exclusion des émetteurs impliqués dans des nouveaux projets significatifs de construction de centre de production d'énergie alimenté par du charbon thermique ;
engagement : mise en place d'un dialogue actionnarial autour de la lutte contre le travail des enfants. L'objectif est d'interpeller les émetteurs ciblés afin qu'ils améliorent leurs pratiques et accroissent leur niveau de transparence au regard d'insuffisances ou de manquements majeurs. À l'issue de ces échanges et de l'évaluation des réponses des sociétés, les décisions d'investissement sont prises pour les émetteurs concernés. Ces actions d'engagement peuvent être partagées par plusieurs investisseurs ;
suivi des valeurs controversées : le risque ESG est abordé par l'analyse des controverses des émetteurs suivis. Le suivi des principales controverses vise à identifier et évaluer les pratiques ESG contestables des émetteurs. Ces pratiques contestables sont susceptibles de constituer un risque financier et/ou de réputation pour l'investisseur. Les controverses ESG de niveau 4 (sur une échelle de 1 à 4) sont les plus lourdes présentant un niveau de sévérité majeur, un caractère structurel ou récurrent et l'absence de mesures correctives. À titre d'exemple : dans la méthodologie OFI AM, les controverses de niveau très élevé (niveau 4) sont celles qui portent atteinte au Pacte mondial en particulier dans les dimensions suivantes : les atteintes aux droits humains en ce qu'elles touchent aux droits les plus fondamentaux ; les catas trophes environnementales à cause de l'intensité de leurs impacts sur les populations et les écosystèmes ; les tricheries de grande ampleur de par leur caractère délibéré et assumé par les dirigeants.
CONCLUSION
La gestion d'actifs dans son organisation et son objet est au service des ambitions mutualistes. En partageant les mêmes principes de proximité, de transparence, de mutualisation des ressources et d'expertises, elle apporte une réponse pertinente aux institutions mutualistes face à l'ensemble de leurs responsabilités de gestion financière et des problématiques auxquelles elles sont confrontées en la matière. Garante de leur efficacité et de leur autonomie sur les sujets de placements financiers, la gestion d'actifs permet également aux institutions mutualistes d'assumer leur responsabilité sociale et d'incarner leurs valeurs dans leurs orientations de gestion en proposant à chacune les outils et les méthodes permettant de déployer une finance responsable en phase avec leurs ambitions spécifiques. Cette approche repose sur l'identification, la compréhension et la maîtrise des chaînes de valeur en matière de gestion d'actifs et de finance responsable et la construction d'un véritable partenariat avec les institutions mutualistes. Elle nous semble répondre, à son niveau, aux grands enjeux d'efficacité et de sens qui sont clés dans la valorisation et la pérennité du modèle mutualiste.