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 L'environnement s'améliore pour le private equity au sud de la Méditerranée


Aziz MEBAREK * Co-fondateur, Managing Partner, Africinvest. Contact : aziz.mebarek@africinvest.com.

Les défis de la démographie et de l'emploi auxquels est confronté le continent africain dans son ensemble ne peut être relevé que par le développement du secteur privé à travers la création d'entreprises et le développement de celles déjà établies qu'elles soient TPE, PME, ETI ou grands groupes. L'offre relative au financement des entreprises africaines, encore essentiellement bancaire, a vu l'émergence depuis deux décennies de la microfinance dédiée aux TPE (dont l'évolution a été spectaculaire boostée par le digital), les fonds de private equity et plus récemment de venture capital.

L'apport financier et stratégique des fonds de private equity et de capital-risque aux entreprises africaines, conjugué à leur contribution au renforcement de la gouvernance des sociétés de leur portefeuille et à la mise en œuvre de leur plan de croissance organique et externe, est indiscutable. C'est pour cela que qu'il est essentiel que les métiers du private equity et du capital-risque bénéficient de toute l'attention des pouvoirs publics en Afrique, pour favoriser la levée de leurs fonds, le déploiement de leurs capitaux sous gestion et la liquidité de leur portefeuille à travers des dispositifs réglementaires et fiscaux incitatifs, aux standards internationaux. Il convient également d'assurer une supervision ad hoc pour la protection des actionnaires des fonds. Les réalisations tangibles de plusieurs acteurs de référence dans le private equity et le capital-risque en termes de création de valeur et d'impact économique, social et environnemental sur ce continent doivent également leur permettre de continuer à bénéficier de la confiance des institutions de développement bilatérales et multilatérales et de retenir l'attention d'acteurs institutionnels et privés africains et européens.

Note de l'éditeur : acteur depuis plus de vingt-cinq ans du private equity
en Afrique, Aziz Mebarek présente d'abord un panorama de différents
modes de financement existants pour les TPE/PME/ETI avant de dresser
un état des lieux et des perspectives du private equity au sud
de la Méditerranée, et aussi plus largement en Afrique.

Le groupe Africinvest est né il y a vingt-cinq ans en Tunisie. Au fil
du temps, le cœur de ses activités s'est déplacé vers l'Afrique subsaharienne
où il réalise aujourd'hui la part la plus significative de ses opérations.

C'est donc un acteur local d'origine tunisienne qui a pris une dimension
continentale en pariant sur le développement économique du continent
africain. Africinvest est aussi présent en France en gérant un fonds investi
dans des PME/ETI françaises développant leurs activités en Afrique.

Les différents modes de financement des PME
et la place du private equity

Importance et limites du financement bancaire

Les PME/ETI établies en Afrique du Nord, et plus généralement en Afrique, sont financées essentiellement à travers des crédits bancaires. Quand ce sont des entreprises en démarrage, le financement provient principalement de l'entourage, « friends and family », mais avec une émergence encourageante de structures institutionnelles dédiées à l'accompagnement des jeunes pousses (incubateurs, fonds d'amorçage). Mais il n'en demeure pas moins que la part la plus importante du financement de ces entreprises se fait à travers les banques, même si l'accès au crédit n'est pas simple.

Historiquement, les crédits bancaires étaient octroyés aux entreprises qui sont en mesure de présenter des garanties réelles, donc à celles bien établies sur leur marché. Et c'est encore substantiellement le cas. Mais depuis deux ou trois ans, on voit un petit frémissement sous l'impulsion de quelques banques marocaines, sud-africaines ou mauriciennes qui font du cash-flow based loan ; quelques banques égyptiennes et tunisiennes s'engagent aussi dans cette voie. Le secteur bancaire est de ce fait en train d'évoluer de manière positive, conséquence de sa capacité à recruter des talents, à se renouveler, à investir dans les systèmes d'information et les outils permettant une analyse plus fine du risque. Aujourd'hui le credit scoring et l'intelligence artificielle permettent aux banques de s'engager davantage dans le financement de PME sans pour autant détériorer la qualité de leur portefeuille.

Il est donc essentiel de continuer à soutenir cette colonne vertébrale du financement du secteur privé que sont les banques africaines en leur apportant financement, assistance et formation.

Les banques de développement bilatérales et multilatérales ont été très proactives sur le sujet. Nous avons nous-mêmes spécialisé sur cette thématique une équipe ad hoc qui a récemment levé notre seconde génération de fonds dédiés à l'inclusion financière essentiellement à travers les banques (véhicule structuré sous forme de fonds perpétuel apportant des capitaux patients) avec notamment le concours des agences de développement néerlandaise, belge, norvégienne, allemande, danoise et de la Banque africaine de développement.

En Afrique subsaharienne, il y a des solutions de substitution qui commencent à émerger pour pallier l'insuffisance de l'engagement des banques par rapport au cashflow based loan. Aujourd'hui, des structures non bancaires font de la dette privée. Notamment dans la partie anglophone, qui est un peu moins réglementée, ce qui permet à ces véhicules de se développer. Nous en avons nous-mêmes créé un avec l'appui des agences de développement néerlandaises et finnoises et également de l'ex-OPIC1, l'agence de développement des États-Unis. Ce fonds cible cette niche et apporte des ressources sous forme de prêts aux entreprises qui ne sont pas capables de produire suffisamment de garanties immobilières, mais qui ont un business plan solide. Et je dois dire que nous avons un taux de défaut après cinq ans quasi nul. Des entreprises qui ne sont pas capables de produire des garanties sont donc capables d'honorer leurs engagements à partir du moment où leur modèle d'affaires est pertinent.

En effet, la première des sécurités pour les banques réside de notre point de vue dans la réussite des entreprises financées… Pour pouvoir résister aux dépressions, ces dernières doivent avoir une exploitation équilibrée et un bilan solide. Le levier est toujours bon à prendre pour accélérer une croissance, mais il faut rester raisonnable.

La faiblesse des marchés financiers et le développement
des fonds d'investissement en fonds propres

En règle générale, il y a très peu de recours au financement par le marché. L'Afrique du Sud, l'Égypte, le Maroc et le Kenya ont été un peu plus dynamiques que les autres marchés. La BRVM, le Nigeria et la Tunisie arrivent derrière, mais on ne peut pas considérer que la contribution des marchés au financement de l'économie soit au niveau requis. Le financement de marché reste encore aujourd'hui pour l'entreprise africaine une source de financement très subsidiaire.

Pour renforcer les fonds propres des PME, certains pays comme la Tunisie avaient développé une offre de financement à travers des banques dites « de développement », c'est-à-dire des banques d'investissement dont la vocation était d'accompagner des projets en démarrage. Ces banques ont disparu et cela a coïncidé avec l'entrée en activité et la montée en puissance de fonds de private equity (PE) depuis une vingtaine d'années. Ces fonds apportent des solutions de financement complémentaires aux entreprises qui se financent auprès des banques.

Aujourd'hui, l'offre de capitaux de la part des fonds de PE est plus importante que celle des marchés financiers. Cette industrie du PE a fait beaucoup de progrès au cours des dernières années dans un environnement réglementaire qui s'améliore d'année en année même si elle reste très insuffisante par rapport aux besoins des entreprises.

C'est vrai bien sûr de manière différentielle. Nos métiers se développent beaucoup plus dans les pays anglophones, parce que la common law autorise à faire ce qui n'est pas interdit. En Afrique francophone, nous sommes dans un environnement juridique inspiré du droit français où il faut autoriser toute initiative nouvelle et le taux de pénétration des métiers de haut de bilan est un peu moins rapide, mais avec en contrepartie plus de sécurité.

Aujourd'hui, les principaux marchés africains de PE sont l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Égypte, le Kenya et le Maroc. S'agissant plus particulièrement d'Afrique du Nord, le potentiel du marché égyptien est très important, mais il a connu une crise majeure avec la dévaluation de la livre égyptienne. Maintenant qu'il y a eu une correction importante de la monnaie, le marché a repris à un rythme soutenu. Au Maroc, le développement est également intéressant, adossé à une économie de plus grande taille que celle de la Tunisie qui évolue à son rythme, celui de la taille de son économie. Enfin, l'Algérie a ses défis, que j'espère passagers, parce que le potentiel y est énorme et qu'au risque de vous surprendre, les opérateurs économiques y sont de très bonne qualité. Dans tous ces pays, il faut avant tout libérer les énergies, laisser les gens exprimer leur talent.

La microfinance : en développement et indispensable

Il conviendrait également d'aborder le sujet de la microfinance, puisque la PME peut avoir un parcours de « croissance naturelle », de TPE à PME et peut-être à grande entreprise. La microfinance est un segment sur lequel il faut mettre l'accent parce qu'aujourd'hui, l'inclusion financière est essentielle en Afrique. Pour donner de l'emploi d'abord, mais aussi car elle peut être un tremplin pour que les TPE se développent… C'est vraiment une porte d'entrée pour l'inclusion, pour créer de l'activité et donner leur chance aux talents. Et c'est d'ailleurs valable même pour les pays développés.

Aujourd'hui, une offre de microfinance commence à se mettre en place, très sérieuse et de qualité, avec des institutions qui financent les tout petits projets, en complétant dans un certain nombre de pays où cela est permis ces services par une offre de microassurance et des produits de collecte de dépôts et d'épargne dans l'objectif d'une meilleure inclusion financière et économique des populations les plus vulnérables. Africinvest est l'un des acteurs de référence dans ce domaine en Afrique. À titre d'illustration, nous avons créé en Tunisie avec le concours du groupe AFD (Agence française de développement) (et également en Zambie, en Tanzanie et en Ouganda), en partenariat avec la banque canadienne Desjardins et une institution de microfinance (IMF), le Centre de financement des entrepreneurs. Cette institution propose aux microentrepreneurs porteurs de projets une offre financière et un accompagnement sous forme de conseils. Pour cela nous pouvons faire un parallèle avec l'apport des fonds de PE aux PME/ETI. Une telle offre permet de comprendre et de justifier le rationnel des taux élevés pratiqués par les IMF car ce taux rémunère en partie cet accompagnement par une offre de conseil au quotidien. Il faut disposer d'équipes chevronnées, de qualité, en nombre suffisant pour pouvoir traiter une multitude de petits projets. C'est un modèle fatalement coûteux et pour lequel la digitalisation serait certainement l'une des voies d'optimisation possible.

Une IMF qui prête à 20 % par an, cela peut sembler excessif en Afrique, mais si à 20 % tous ses clients s'en sortent bien parce que l'inflation est à 7 %-8 % et qu'elle apporte une réponse économique appropriée au coût du service rendu, il faut l'accepter tout en continuant à travailler pour optimiser ces coûts. L'accès au financement, pour permettre aux populations les plus vulnérables d'accéder à des revenus pérennes, peut être altéré par le plafonnement des taux qui peut réduire sensiblement la capacité des IMF à répondre à la demande. Privilégier la disponibilité au coût est d'autant plus pertinent que nous parlons ici de durées de prêt courtes, de quelques mois. Le régulateur doit bien entendu toujours veiller à éviter les abus et à protéger les bénéficiaires, mais il n'est pas nécessaire de légiférer pour imposer les bonnes pratiques.

Comme anticipé ci-dessus, la technologie apporte aujourd'hui des réponses appropriées concernant l'optimisation des coûts des IMF. Les délais d'instruction des demandes des clients, le suivi et le monitoring de leur activité, le recouvrement des échéances, la collecte de la petite épargne (en général thésaurisée) se font de plus en plus à travers des solutions digitales et de mobile banking. Et là aussi, certains pays anglophones du continent ont très rapidement adopté ces solutions digitales avec beaucoup de réussite. Mais le reste du continent est en train de rattraper son retard dans l'implémentation et la généralisation du digital.

À titre d'illustration, nous venons de finaliser un investissement dans une IMF au Nigeria qui a la capacité de traiter plus de 500 000 dossiers par mois (avec un niveau de risque maîtrisé) grâce à des méthodes de scoring basées sur l'intelligence artificielle et au digital. Traiter à la main 500 000 dossiers en un mois aurait été impossible…

L'absolue nécessité de développer le early stage
et le growth venture capital

Nous sommes quelques professionnels à avoir toujours argumenté auprès des pouvoirs publics en Afrique et des grands bailleurs de fonds pour qu'il y ait sur le continent une offre en venture capital, en accompagnement de projets naissants innovants au démarrage ou en phase de croissance. C'est une activité où le niveau de risque est supérieur au PE bien sûr, mais le retour sur investissement, en termes financiers et d'impacts, couvre largement le risque additionnel pris. Il faut accepter un taux de provisions plus élevé que pour le PE dans ce type de positionnement. Mais pour les équipes professionnelles, les bons dossiers vont pouvoir largement compenser ceux qui n'auront pas réussi à émerger. La vraie réponse est là. Si on veut créer de la richesse, si on veut donner aux talents la possibilité de s'exprimer, il faut des structures qui offrent un accompagnement idoine. Partech a créé un fonds venture capital qui couvre l'Afrique, et c'est une bonne nouvelle qu'un professionnel confirmé s'engage sur le continent. Nous en avons créé un avec le concours de Cathay Innovations (Cathay Africinvest Innovation) plutôt positionné sur le segment du Growth VC, c'est-à-dire ciblant des start-up innovantes dans leur phase de croissance. Ce fonds a bénéficié du support du groupe AFD, de l'Union européenne à travers la Banque européenne d'investissement (BEI) et plusieurs autres bailleurs de fonds (KfW, FMO, Sifem) ainsi que de quelques family offices et corporate européens.

L'association avec Cathay Innovation nous permet de bénéficier d'une interaction forte avec des équipes professionnelles qui ont un track record reconnu dans le monde du venture, et d'avoir accès à travers leur réseau aux principaux hubs technologiques dans le monde (Sillicon Valley, Paris, Shanghai, Munich/Berlin).

Et au risque de me répéter, l'offre de service ici aussi ne concerne pas uniquement le financement, mais inclut l'accompagnement des sociétés du portefeuille sur les aspects couvrant essentiellement la gouvernance, la stratégie et la mise à disposition du réseau.

Ce type d'offre d'accompagnement au financement de la création d'entreprises, de l'innovation et à l'émergence des nouvelles générations d'entrepreneurs doit se démultiplier : il faut semer, semer, toujours semer. C'est indispensable. Les pays qui ne l'ont pas compris vont à mon avis perdre les prochaines batailles économiques et sacrifier les prochaines générations.

Les pays qui s'engagent dans cette voie d'encouragement de l'entrepreneuriat devraient réfléchir à tout ce qui est de nature à permettre l'éclosion d'un écosystème entrepreneurial incitatif. Dans ce contexte, diffuser la culture entrepreneuriale à l'école, orienter les formations supérieures d'excellence en direction de l'entrepreneuriat, créer des ponts entre les centres de recherche appliqués et l'entreprise, et célébrer les réussites devraient contribuer à la transformation de nos économies en Afrique et à relever des défis majeurs auxquels nous sommes tous confrontés et notamment l'emploi, la lutte contre la pauvreté, le climat et le stress hydrique.

L'argument qui est souvent opposé par ceux qui prônent l'immobilisme est qu'il n'y a pas assez de porteurs de projets pour envisager de créer un écosystème dans l'objectif de soutenir les projets innovants, ceux qui portent les emplois de demain et donc les espoirs de la génération à venir. À cela ma réponse a toujours été qu'il faudrait qu'ils se rendent compte que c'est l'offre qui crée la demande. Je souhaiterais partager une expérience personnelle qui est une parfaite illustration de ce qui précède. Nous avons investi il y a une quinzaine d'années dans une entreprise pharmaceutique en Tunisie dont j'étais membre du Comité stratégique. À l'époque, les traitements qui permettaient de retarder le développement de la maladie d'Alzheimer étaient onéreux et correspondaient à 40 % du SMIC tunisien. Je propose à mes collègues membre du Comité d'étudier la possibilité de produire un générique à un prix accessible pour la population locale. Première réponse : les statistiques de consommation médicale en Tunisie montrent qu'il n'y a pas de marché. En fait, il n'y avait pas un marché à ce prix. Nous avons développé un générique avec l'assentiment du laboratoire propriétaire du Princeps à un prix repositionné par rapport au pouvoir d'achat. Et les ventes ont décollé pour tous, au bénéfice des patients. La demande latente était bien là parce que malheureusement, la Tunisie est dans la moyenne des statistiques mondiales pour les maladies neuro-dégénératives, mais elle ne pouvait pas s'exprimer en l'absence d'une offre appropriée.

De mon point de vue, c'est la même chose pour le venture capital. Il y a beaucoup de talents cachés qui voudraient créer leur entreprise, mais ils butent sur le financement. Mais à partir du moment où se met en place une offre financière et d'encadrement, ça ne peut que démarrer, puis décoller.

L'élargissement du marché du private equity :
des progrès sensibles dans un environnement
encore perfectible

Un marché qui se structure

L'offre de PE s'est accrue et c'est aujourd'hui une offre de qualité. Quand il y a vingt-cinq ans nous avons démarré en Tunisie, puis dans les pays du Maghreb et en Afrique subsaharienne, nous étions peu nombreux à faire ce métier. Depuis, le PE s'est bien développé et a pu offrir de nouveaux moyens de financement à la nouvelle génération arrivée aux affaires pour reprendre le flambeau familial ou démarrer de nouveaux projets. Cette nouvelle génération de femmes et d'hommes a en général fait des études de qualité et arrive aux affaires avec une culture de l'entreprise différente de celle des fondateurs, et peut-être aussi un attachement moins émotionnel… Ils ne sont plus dans la logique exclusive du « contrôle », mais raisonnent de manière plus institutionnelle et pensent qu'il vaut mieux pérenniser l'entreprise, en renforçant ses fonds propres, en réduisant son endettement, en améliorant sa gouvernance, en ayant la capacité d'attirer les meilleures compétences et en bénéficiant du réseau d'un institutionnel, que de garder le contrôle à 100 % du capital d'une société qui va peut-être faire du surplace et donc amorcer son déclin. Nous avons aussi des situations aussi où les chefs d'entreprise commencent à réfléchir à leur succession en se disant qu'un institutionnel au capital, ça peut assurer une transition un peu plus fluide et limiter les risques liés à ce passage de témoin.

Au cours des vingt dernières années, le PE africain s'est organisé avec (1) l'évolution favorable de l'environnement réglementaire et fiscal et la création d'une association professionnelle (dont nous faisons partie du petit noyau des fondateurs) qui regroupe les acteurs du secteur dans l'objectif de travailler à en relever les standards et l'impact, (2) plusieurs Africains dont notamment ceux de la diaspora qui se sont intéressés au métier et ont permis de trouver les talents requis au développement de l'activité du PE aux standards, (3) des sociétés de conseil et d'autres spécialisées en fusions et acquisitions qui ont vu le jour, ce qui a permis d'améliorer le deal flow en volume et en qualité, ainsi que les solutions de sortie pour les fonds de PE dans toutes les régions du continent, et (4) un marché secondaire assurant la liquidité des intervenants qui s'est développé.

Bien sûr, c'est « work in progress » et il reste beaucoup à faire. Nos environnements ne sont pas encore aussi sophistiqués qu'en France, en Europe, en Asie ou aux États-Unis. Même si on mesure les progrès accomplis par la profession, il faut renforcer davantage l'offre en PE, en continuant à améliorer le cadre réglementaire et fiscal qui régit la profession, en attirant de nouveaux souscripteurs notamment locaux vers cette classe d'actifs, en relevant les montants sous gestion, en élargissant l'intervention des fonds de PE pour couvrir l'ensemble des segments qui nécessitent des financements en fonds propres et en continuant à relever le niveau général et à former de nouvelles équipes spécialisées dans le métier (une idée partagée avec Proparco et Columbia University pourrait être de le faire à travers des sessions de formation en ligne, au vu de la taille du continent). En effet, le nombre d'équipes spécialisées dans le PE est encore très insuffisant par rapport aux besoins et aux défis auxquels le continent est confronté notamment en matière d'emploi (18 millions de primo demandeur d'emploi annuel !!!). Aujourd'hui, je serais incapable de citer plus d'une cinquantaine d'acteurs aux standards dans ce métier sur l'ensemble du continent.

Un cadre légal et fiscal à améliorer

Au vu de la nature risquée de l'activité de PE et de venrure capital, les pouvoirs publics essaient de créer des environnements réglementaires et fiscaux incitatifs pour orienter une partie raisonnable de l'épargne vers cette classe d'actifs. D'abord au niveau de la supervision du secteur, il est nécessaire d'offrir toutes les garanties de sécurité et de transparence aux investisseurs du PE. Ensuite il convient d'offrir aux souscripteurs institutionnels, ou personnes physiques, une fiscalité attractive les encourageant à investir dans des fonds de PE. Certains pays ont donné des abattements fiscaux aux contribuables qui investissent dans des fonds de PE, réduisant la fiscalité des plus-values et des dividendes, ont élargi leurs conventions de non double imposition pour éviter de payer indûment deux voire trois fois un impôt relatif au même objet, ont supprimé la TVA sur les contrats de gestion de fonds entre GP (general partners) et LP (limited partners).

Les pays africains sont à différents niveaux d'implémentation des meilleurs standards réglementaires et fiscaux, et il me semble essentiel que nos pays prennent la mesure des enjeux et de la concurrence engagée de manière globale pour attirer les capitaux dans un environnement qui allie la sécurité d'une supervision solide et l'attrait d'une fiscalité favorable en adéquation avec le risque pris.

L'offre de capitaux pour les fonds de PE qui s'accroît :
le rôle des banques de développement nationales et multilatérales

Même si d'importants progrès ont été enregistrés, il faut continuer à développer davantage ce marché du PE en Afrique. Et ça ne peut être au départ qu'un concours en capitaux publics ou d'aide au développement. Si l'offre publique n'est pas suffisante dans nos pays, il faut trouver d'autres canaux de financement, en particulier faire appel aux banques de développement internationales. Nous sommes vraiment reconnaissants à la blended finance apportée par les agences de développement. Mais ça reste insuffisant par rapport au besoin et au potentiel. Je fais partie de ceux qui disent : « Il faut en faire bien plus, parce que c'est un investissement rentable à tous points de vue. » Si l'on contribue à un développement plus rapide du continent africain, c'est une opportunité pour la rive nord de la Méditerranée et pas que… D'abord les investissements qu'on y fait peuvent être rentables s'ils sont bien gérés, ensuite on développe des marchés aujourd'hui microscopiques pour accentuer les échanges, et enfin on évite le drame au quotidien de l'immigration clandestine. Y parvenir est vraiment une urgence et une responsabilité collective.

Les agences de développement ont constitué la base du parcours de plusieurs fonds de PE en Afrique (y compris Africinvest). L'offre publique locale est insuffisante et devrait se développer davantage. Dans plusieurs pays du continent, l'offre locale publique ou privée peut être confrontée à des contraintes réglementaires de restriction de change pour les fonds panafricains, ou régionaux, ce qui limite l'accès aux ressources locales pour les GP transfrontaliers, régionaux ou continentaux.

Plusieurs groupes et institutions de réputation mondiale commencent à s'intéresser au continent africain et contactent de manière spontanée les GP les plus visibles pour en savoir davantage sur les opportunités d'investissement en Afrique. Mais il n'en demeure pas moins qu'au stade du développement actuel encore naissant du PE, les institutions publiques doivent encore continuer à jouer leur rôle de catalyseur pour la croissance du métier.

Le vrai gisement de source des fonds dans le continent est dans les caisses de sécurité sociale locales et les fonds de pension de nos pays. La démographie du continent africain pourrait permettre de cibler ce réservoir prometteur qui est lui-même confronté à l'insuffisance d'opportunités d'investissement de qualité en dehors de l'immobilier et des bons du Trésor. Mais cela passe par un travail de sensibilisation de la part des GP et des régulateurs de ce que pourrait apporter en termes de diversification et en rendement potentiel cette classe d'actifs aux fonds de pension qui s'engagerait dans cette voie avec prudence et diligence.

Nous avons ainsi réussi à susciter l'intérêt et obtenu la souscription pour des montants certes modestes, mais prometteurs, de plusieurs fonds de pension et caisses de sécurité sociale africaines dans nos dernières générations de fonds.

La nécessité de disposer d'un marché boursier efficient
permettant d'offrir des solutions de liquidité

Enfin pour avoir un bon écosystème favorable au PE, il faut aussi disposer d'un marché boursier aux standards permettant d'assurer la liquidité d'une partie des investissements des fonds de PE. D'où l'importance de développer des équipes d'asset managers de haut niveau, qui gèrent eux-mêmes des fonds intervenant sur les places financières africaines.

Nous avons à titre d'illustration créé nous-mêmes à Dubaï, sous la supervision du DIFC (Dubai International Financial Centre) le régulateur local, un fonds qui investit dans les valeurs cotées dans la région MENA (Middle East and North Africa). Il est géré par une équipe de gestion, basée à Dubaï. Pour ses trois premières années, notre premier fonds a assuré l'un des meilleurs rendements de la place.

Pour nous, c'est un projet pilote. Nous avons l'ambition de lancer cette même activité en Afrique dans les années à venir, pour contribuer à apporter une demande institutionnelle de qualité qui pourrait aider à dynamiser les marchés boursiers.

Financer également les entreprises intervenant en Afrique

Une autre façon innovante pour contribuer à développer le secteur privé en Afrique a été matérialisée par une initiative que nous avons mise en œuvre sous l'impulsion de la direction et des équipes de BPI France et avec notamment le concours de Proparco (groupe AFD). Nous avons copromu en 2017 le premier fonds franco-africain (d'une taille de 77 M€) géré par notre filiale Africinvest Europe agréée par l'AMF (Autorité des marchés financiers). Ce fonds intervient dans des PME-ETI françaises qui cherchent à se développer en Afrique. Il est aujourd'hui totalement déployé dans huit entreprises françaises de grande qualité (ce qui montre si besoin est la pertinence du positionnement du fonds), qui elles-mêmes se développent en Afrique, générant ainsi de la croissance et du codéveloppement en France et en Afrique.

Nous sommes actuellement en train de lever un second fonds d'une taille cible de 100 M€.

Conclusion

Je dois dire que comme plusieurs de mes confrères, je suis raisonnablement optimiste quant au développement du PE en Afrique pour apporter son support au développement du secteur privé et donc des économies de nos pays.

Je regarde aussi le chemin parcouru depuis vingt-cinq ans. Je ne fais pas partie de ceux qui disent : « Il y a dix ans, c'était mieux. » Non, c'était moins bien. Nous sommes en train de progresser au bénéfice du développement de nos pays.

Allier rendement et impact, et déployer une finance responsable en Afrique, c'est possible et plusieurs acteurs en donnent aujourd'hui la preuve sur le continent avec un apport indéniable de la part des agences multilatérales et bilatérales.

Bien sûr, il y a encore des obstacles, des insuffisances et des défis que je pense tous surmontables. Chaque défi, pris en charge de manière idoine comme devront l'être les enjeux majeurs climatiques et démographiques, représente une formidable opportunité pour notre continent et pour l'ensemble de notre région euro-méditerranéenne.


Notes

1 Overseas Private Investment Corporation, fusionnée en décembre 2019 avec l'USAID's Development Credit Authority, pour former une nouvelle agence de développement nommée US International Development Finance Corporation (DFC).