Les métiers de banque d'affaires ont profondément évolué dans le temps. C'est depuis l'origine l'une de leurs caractéristiques que de s'adapter à un monde et des économies perpétuellement en mouvement et ponctuées par des crises. Les organisations et les activités y changent en permanence, à la différence de la banque retail, en fonction des opportunités de marché. À un point tel que l'une des meilleures définitions données à l'investment banking a été de dire tout simplement : « It's what investment bankers do. »
L'investment banking est devenu la dénomination universelle des activités de banque d'affaires et même souvent, plus largement encore, du wholesale banking, la banque de gros et pour les grands clients (par opposition au retail banking), consacrant l'hégémonie du « parler » et du mode d'organisation américain. Mais l'ironie de l'histoire fait que, au bout du compte, c'est le modèle de corporate and investment banking (banque de financement et d'investissement, BFI), inspiré des banques d'Europe continentale, qui est devenu le business model prédominant depuis la crise de 2008, l'emportant sur le modèle américain de pure investment bank.
L'activité de BFI génère aujourd'hui environ 1 000 Md$ de revenus à l'échelle mondiale, 230 Md$ environ pour la partie banque d'inves tissement (dont 70 % environ pour les activités de marché) et de l'ordre de 750 Md$ pour la partie dite corporate banking (financements/ transaction banking).
Les BFI
Les BFI sont les divisions des banques qui servent globalement les grands clients entreprises (corporates) ou institutionnels (financial institutions, financial sponsors, public sector) et leur offrent les produits de financement, de marchés ou de banque commerciale dont ils ont besoin.
Les BFI, aujourd'hui, sont généralement organisées autour de blocs « produits » (product factories) :
la banque d'investissement en tant que telle, c'est-à-dire les fusions et les acquisitions (mergers and acquisitions, M&A), les émissions sur les marchés de capitaux de dette et d'actions et les activités de marché (le trading dans la terminologie américaine) ;
la banque de financement, avec les financements simples (« vanilles »), bilatéraux ou syndiqués (revolving credit facilities, RCF) et les financements structurés reposant sur les cash-flows des actifs considérés ou bien leur prise en sûretés réelles, c'est-à-dire en gage (financements d'acquisitions, LBO ou leverage by out, projets, export, négoce de matières premières, immobilier, shipping, aéronautique, etc.) ;
la banque commerciale de grandes entreprises (transaction banking) avec notamment les métiers de cash management, de trade finance, de supply chain finance.
À cela s'ajoutent les banquiers chargés de gérer la relation avec les clients (coverage), les senior bankers et les relationship managers, qui jouent aujourd'hui un rôle essentiel et qui sont spécialisés, dans leur suivi, par catégories de clientèles (corporates, institutions financières, family offices, financial sponsors/LBO, collectivités publiques, etc.).
Ce sont la Société générale et la BNP qui ont été les premières banques européennes à ériger, en 1995, la BFI en Division propre, en fusionnant sous un même toit et une même autorité les directions internationales, des grandes entreprises (DGE) et des marchés.
Historiquement, la distinction entre les activités des banques commerciales de dépôts et celles des banques d'affaires reposait sur le fait que les unes assuraient les financements du court terme, alors que les autres se focalisaient sur les financements à long terme des États et des entreprises, au travers d'émissions d'actions et d'obligations.
Cette séparation découlait d'une réglementation stricte dans les pays anglo-saxons ou au Japon. Aux États-Unis, elle était consacrée par le Glass-Steegall Act institué en 1933 et aboli en 1999. En Europe continentale, par contre, les grandes banques commerciales (Deutsche Bank, Crédit suisse, banques françaises) procédaient d'un autre modèle, celui de « banques universelles » et elle comptaient également des activités de banque d'affaires, de « haute banque » comme on disait en France. C'est ce modèle qui a fini, à la longue, par s'imposer avec les BFI ou les Divisions BFI.
Une perspective historique
Si on se réfère aux travaux menés sur le cas américain par Philippon et Reshef (2009), on constate que la finance et les banques d'affaires, qui sont intrinsèquement liées, ont connu une période faste au début du xxe siècle, et ce jusqu'à la crise de 1929, époque qui correspondait à une première mondialisation. La perte de terrain des marchés financiers s'accompagne ensuite d'une re-intermédiation bancaire forte au profit des banques commerciales. Ce n'est que dans les années 1980 que la finance reprend véritablement son essor, pour atteindre de nouveaux sommets dans les années 1990 et exploser dans les années 2000 jusqu'à la crise de 2008.
Les activités de banques d'affaires (investment banks aux États Unis, merchant banks au Royaume Uni, banques d'affaires en France) n'ont, à vrai dire, guère varié de la moitié du xixe siècle jusqu'au début des années 1970.
Elles étaient le fait dans les pays anglo-saxons de partnership, dont les racines venaient souvent du négoce international (merchant banks britanniques, Goldman Sachs ou Lehman Brothers qui, à l'origine, étaient des négociants de matières premières) et elles étaient vouées au financement du commerce international et aux émissions d'actions et d'obligations (underwriting and placement of corporate securities). Leur rôle était fondamentalement une fonction d'intermédiation entre émetteurs et investisseurs sur les marchés financiers.
C'est dans les années 1970 qu'émerge l'investment banking moderne, avec l'apparition des premières salles de marchés et ce nouveau métier que deviendra le M&A.
Ensuite, des années 1980 jusqu'à la crise des subprimes, en 2008, durant les Trente Glorieuses, la banque d'investissement s'est formidablement développée et transformée en même temps.
Cette période a été exceptionnelle. Ainsi de 1987 à 2007, les revenus des banques d'investissement ont progressé en moyenne de 13 % par an, avec une profitabilité après impôts, un ROE (return on equity) de 16 % en moyenne.
Cette période est révolue. Elle a résulté de la conjonction exceptionnelle de trois grands moteurs qui sont à présent essoufflés ou inversés :
la croissance, le développement de la mondialisation et le grand essor des actifs financiers qui ont progressé quatre fois plus vite que le PIB mondial. Ce n'est plus le cas. La croissance de l'économie mondiale est fortement ralentie et l'on assiste, au contraire, à une certaine déglobalisation (slowbalisation) ;
ensuite, il y a eu l'extraordinaire gisement d'innovations financières qu'a constitué le formidable développement des produits dérivés à partir des années 1970. Dérivés de change et de taux d'abord, puis d'actions, de matières premières et de crédit, à des fins de couverture (hedging) des risques concernés. Les marchés dérivés constituent aujourd'hui l'essentiel des marchés financiers et ils sont arrivés à un « âge de maturité ». Si la finance reste fertile en innovations, il lui sera difficile d'en retrouver d'ampleur équivalente ;
enfin, et bien entendu, la dérégulation des années 1980 et le leverage (levier d'endettement) qui ont joué un grand rôle et gonflé, en partie artificiellement, la profitabilité des banques. Depuis 2008, on a assisté à une rerégulation massive entraînant des contraintes réglementaires de plus en plus fortes en matière prudentielle, pour assurer une meilleure stabilité du système financier, avec Bâle III, qui a fortement impacté les activités de marché, et ce que l'on a appelé Bâle IV, qui contraint plus fortement les activités de financement structurées, le tout s'accompagnant d'une forte diminution du leverage et d'un strict encadrement de la liquidité bancaire (ratios de liquidité).
On peut distinguer trois grandes étapes dans cette évolution de la banque d'investissement durant les Trente Glorieuses, correspondant chacune à l'une des décennies successives.
Les années 1980 marquent l'âge de l'internationalisation, avec le développement international des banques d'affaires, l'abandon des partnerships et l'entrée en bourse, le rapprochement de métiers auparavant spécialisés et séparés (brokerage) avec le big bang qui concerne différents pays, l'essor des marchés de capitaux et des métiers de « haut de bilan » favorisé par les privatisations, OPA et LBO.
Les années 1990 sont un temps de consolidation avec l'abandon du Glass-Steagall Act, une vague d'acquisition des merchant banks au Royaume-Uni et d'investment banks aux États-Unis par les grandes banques commerciales, et des activités de marché qui deviennent de plus en plus importantes.
Les années 2000, jusqu'au tournant de 2008, sont une ère de globalisation des banques et des marchés durant laquelle les activités de marché deviennent prépondérantes dans les BFI. La création de l'euro en 1999 concourt à cette globalisation et consacre l'hégémonie en Europe de la place financière de Londres, sous domination des banques américaines, au détriment des places financières européennes, dont Paris.
Après 2008 s'ouvre un nouvel âge de l'investment banking, marqué par un contexte très différent, avec une croissance ralentie, un gisement d'innovations moindre, une forte contrainte réglementaire, une profitabilité sous pression. Les BFI se doivent d'être plus (re)centrées sur leurs clients, plus attentives à l'optimisation de leurs ressources, plus éthiques aussi.
La crise de 2008 marque aussi un tournant majeur en consacrant la prédominance du modèle de BFI, porté par les banques européennes continentales, qui s'était exporté d'abord au Royaume-Uni (Barclays, RBS, HSBC) avant de s'imposer aux États-Unis. Il fut longtemps en concurrence avec le modèle de pure investment bank (modèle dit « broker-dealer ») incarné par les investments banks américaines, jusqu'à la crise des subprimes qui les a largement décimées avec la disparition de Lehman Brothers, l'absorption de Merrill Lynch par Bank of America, de Bear Stearn par JP Morgan et l'adoption du statut de banque régulée par la Federal Reserve (Fed) pour Goldman Sachs et Morgan Stanley.
Au-delà de la BFI, c'est en fait le modèle de banque « diversifiée » qui a été plébiscité comme le modèle gagnant.
Mais revenons plus précisément sur certaines de ces évolutions.
La genèse des banques modernes
et des banques d'affaires
Sans remonter aux banquiers marchands lombards du xiie siècle, qui inspirèrent leur nom aux banques d'affaires britanniques, on peut dire que les banques modernes et les banques d'affaires sont véritablement nées dans la deuxième partie du xixe siècle.
L'Europe continentale a vu naître la banque universelle, alors qu'au Royaume-Uni et aux États-Unis, le système bancaire se constituait de manière plus spécialisée, entre banques de dépôt et banques d'affaires. La première banque universelle, ayant à la fois des activités de banque de dépôt et de banque d'affaires, sur le continent, le précurseur, a été, en fait, la Société générale de Belgique, créée en 1830.
En France, les grandes banques font leur apparition dans les années 1848-1852 : CEP (1848), ancêtre de la BNP, Crédit mobilier des frères Pereire (1852), CIC (1859), Crédit lyonnais (1863), Société générale (1864). La première vraie banque d'affaires, la Banque de Paris et des Pays-Bas naît, quant à elle, en 1872. Elle regroupe des composantes française, néerlandaise, suisse et allemande désireuses de disputer son hégémonie du moment à la Banque Rothschild dans le financement des indemnités de guerre françaises à l'Allemagne.
En Allemagne, la Deutsche Bank est créée à Berlin par des industriels en 1870, tout comme, cette même année, la Commerzbank par des industriels et des marchands à Francfort, alors qu'en Suisse, le Crédit suisse existait déjà depuis 1856.
En Italie, de 1891 à 1893, se constituent deux grandes banques universelles, Banca Commerciale Italiana (COMIT) et le Credito Italiano, les ancêtres de Intesa et de UniCredit.
Les merchant banks britanniques
dominent le monde
Pendant longtemps, les banques d'affaires, dominantes dans le monde, furent les merchant banks britanniques, dont le rayonnement était lié à la prééminence de la place de Londres. Le système britannique comprenait trois types de banques – et cette distinction a perduré longtemps – : les clearing banks (banques de dépôt) comme Barclays, les overseas banks, dont la Honk Kong and Shanghai Bank (créée en 1865), qui se focalisaient sur les territoires de l'Empire, et les merchant banks (les négociants-banquiers), qui avaient pour fonction le financement du commerce international et les émissions de capitaux pour les États et les grandes entreprises.
Dans son ouvrage de référence, Le capital des capitales, Cassis (2008) note que l'influence des merchant banks britanniques était alors si forte que le Duc de Richelieu, le Premier ministre de Louis XVIII déclarait, en 1818, à propos de la plus influente d'entre elles, Baring Brothers : « Il y a six grandes puissances en Europe, l'Angleterre, la France, la Prusse, l'Autriche, la Russie et la Baring Brothers. »
Londres était devenue en 1802 « la capitale commerciale de l'Europe et même du monde », supplantant Amsterdam, avant de se faire dépasser, à son tour, par New York après 1914, et encore plus après 1945.
Les banques et la finance sont alors filles du commerce. Ainsi la Société générale s'est ainsi longtemps appelée Société générale pour le commerce et l'industrie. « C'est le négociant qui crée la City », avait-on coutume de dire à Londres.
Le poids de Londres tenait à sa position clé dans le système d'échanges multilatéraux et aussi au rôle international de la livre sterling.
Ce qui faisait, et fait toujours, la force de Londres, c'était la présence de tous les corps de métiers, nécessaires à la vie d'une grande place financière, dans un même (petit) périmètre : le square mille.
À la suite de Baring, c'est NM Rothschild qui deviendra la merchant bank la plus importante en 1870, avant de décliner à son tour face aux merchant banks « montantes » : Kleinwort, Morgan Grenfell (liée au début à JP Morgan), Hambros, Schröder, Robert Fleming.
Dans les années 1980, ce sera au tour de Warburg, sous la houlette inspirée de Siegmund Warburg, surfant sur la vague naissante des euromarchés, de prendre le premier rôle.
Les merchant banks constituaient l'aristocratie de la City, et leur prestige se manifestait à travers leur appartenance au très prestigieux Conseil de la Banque d'Angleterre.
Toutes – sauf NM Rothschild et Lazard – disparaîtront dans les années 1990, avalées par leurs rivaux américains ou européens. La City ne résistera pas à la « marche inexorable des légions de Wall Street » (Golding, 2001) qui vont imposer ensuite au monde leur suprématie et leur approche, l'« investment banking ».
La crise de 1929 et le Glass-Steagall Act
La plupart des banques d'investissement américaines ont été fondées dans la première partie du xixe siècle. Mais elles ne prennent vraiment leur essor qu'à partir des années 1870, avec le financement des chemins de fer (1870-1880), puis celui des grandes compagnies (1890), et enfin à l'occasion du grand mouvement de fusion du tournant du siècle, qui culminera avec la création de United State Steel Corp en 1901, la plus grande entreprise au monde à l'époque. Ces investment banks se sont spécialisées dans l'octroi de capitaux à long terme, via l'émission et la négociation de titres. Les plus actives alors sont JP Morgan et Kuhn, Loeb&Co qui, bien plus tard, se fondra dans Lehman Brothers.
La Fed n'est créée qu'en 1913. C'est sans doute une conséquence de la crise de 1907 : composée de 12 Fed régionales, chapeautées par le Federal Reserve Board à Washington, le vrai pouvoir étant dans les mains de la Fed de New York, qui est (toujours) en charge des relations avec les banques centrales européennes et des marchés de devises.
La crise de 1929 va conduire les États-Unis à édicter, en 1933, une nouvelle réglementation bancaire promue par Henry Steagall et Carter Glass, le Glass-Steagall Act.
L'idée qui prédomine alors est que les banques ont été précipitées dans la crise par leurs activités sur les marchés de capitaux. En conséquence, la nouvelle loi impose une séparation entre les banques de dépôt (collecte de dépôts et prêts) et les investment banks (émissions, distribution et négoce de titres).
JP Morgan, la plus prestigieuse des banques d'investissement, décide, à la surprise générale, d'adopter le statut de banque commerciale, ce qui, par contrecoup, conduit quelques-uns de ses partners à créer Morgan Stanley.
Rétrospectivement, le Glass-Steagall Act a été analysé comme une démarche plus idéologique que pragmatique, prenant ses racines dans le contexte politique de l'époque et dans la répulsion viscérale des Américains pour la concentration et le pouvoir financier.
Des mesures du même type sont prises alors en Belgique : la Société générale de Belgique sépare ses activités de banques d'affaires et de dépôt, tout en continuant à les contrôler. Au Royaume-Uni, le système financier était déjà spécialisé entre les clearing banks et les merchant banks.
La banque universelle se maintient, par contre, en Allemagne, en France et en Suisse.
On notera quand même que la BNP s'était dotée, en 1979, d'une banque d'affaires « hors les murs », la Banexi, qui avaient des activités de conseil en M&A, d'une part, et de private equity, d'autre part. Elle sera imitée, plus tard, mais sans le même succès, par le Crédit lyonnais qui se dotera de sa propre banque d'affaires, Clinvest.
Les banques d'affaires, à la française, Suez et Paribas évoluaient, quant à elles, dans une catégorie particulière et très spécifique. C'était en fait des conglomérats financiers, des compagnies financières, d'inspiration saint-simonienne, qui associait une banque, Paribas ou Indosuez, et un holding gérant des grandes participations industrielles. Suez était d'ailleurs née d'un gigantesque projet d'aménagement à vocation universelle, le canal. Au faîte de leur puissance, dans les années 1970, les deux rivales dominent de leur influence le capitalisme français à un point tel que François Morin, professeur d'économie industrielle, avait alors cartographié deux capitalismes, l'un « Suez » plus atlantiste, l'autre « Paribas » plus nationaliste et européen ! Les deux compagnies se délitèrent avec leur nationalisation en 1982 et le rejet des conglomérats par les marchés boursiers. Du coup, Paribas s'était replié sur sa banque et son joyau la Compagnie bancaire, développée par André Levy-Lang, avant d'être absorbée en 1999 par la BNP alors que, à l'inverse, Suez vendait sa banque Indosuez au Crédit agricole pour se focaliser sur ses participations industrielles dans Suez (devenu Engie) et la Lyonnaise des eaux (devenue Suez).
Les restrictions découlant du Glass-Steagall Act seront progressivement allégées aux États-Unis, sous l'effet d'un lobbying intense des banques commerciales, à partir des années 1980, jusqu'à ce que cette législation soit complètement abolie en 1999 à l'occasion de la fusion Citigroup-Travelers qui entraînait le contrôle d'une investment bank, Salomon Brothers, par le Gramm-Leach-Bliley Act.
Entre-temps, le Glass-Steagall Act aura protégé, pendant près de soixante-dix ans, les banques d'investissement américaines, en les mettant à l'abri de l'emprise des banques commerciales et en leur donnant les moyens de grossir, de prospérer et ensuite de conquérir le monde.
Big bang et déréglementation
Un facteur très important de changement a résulté de la conjonction de la mondialisation (globalisation), qui commence véritablement dans les années 1960, mais change de rythme dans les années 1980, et du mouvement de déréglementation financière qui parcourt le monde avec l'avènement de Ronald Reagan aux États-Unis et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Le big bang de la City en fut une illustration emblématique en 1986, même si celui-ci fut, en réalité, plus un aboutissement qu'un point de départ, puisqu'il résultait d'un accord avec le London Stock Exchange, qui datait de 1983.
En France, la déréglementation et la modernisation des marchés financiers sont initiées vigoureusement, au milieu des années 1980, par les ministres des Finances de l'époque. Adoption d'une nouvelle loi bancaire en 1984 et en 1985, création des titres de créances négociables (certificats de dépôt, billets de trésorerie) et des contrats à terme négociables (dérivés) s'accompagnant de la réforme des procédures d'émissions des emprunts d'État et des bons du Trésor avec la création des OAT (obligations assimilables du Trésor) et de spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) pour animer ces instruments. À la fin de 1986, l'encadrement du crédit est définitivement abrogé et les grandes banques nationalisées sont privatisées : Paribas, Société générale, Suez en 1986-1987, la BNP ne suivant qu'en 1993 et le Crédit lyonnais en 1999. L'ensemble est couronné en 1988 par une réforme de la bourse, avec la création des sociétés de bourse et du Conseil des bourses de valeurs (CBV), l'ancêtre du Conseil des marchés financiers (CMF), qui lui-même fusionnera avec la Commission des opérations de bourse (COB), pour donner naissance, en 2004, à l'Autorité des marchés financiers (AMF). L'ancien monopole des agents de change est aboli graduellement : les institutions financières peuvent détenir 30 % du capital d'une charge d'agent de change à partir de 1988, et 100 % à partir de 1990, le monopole disparaissant complètement en 1992.
Les privatisations au Royaume-Uni d'abord, puis en France à partir de 1986, sont aussi un très important instrument d'innovations et de modernisation des marchés financiers ainsi que des techniques d'émissions (bookbuilding, green shoe, etc.) inspirées par les marchés américains.
L'Allemagne, de son côté, attendra les années 1990 pour procéder, « prudemment », à la libéralisation de son système financier, à un moment où Francfort venait d'être retenue comme le siège de la Banque centrale européenne (BCE).
Aux États-Unis, des coups de canif portés au Glass-Steagall Act tout au long des années 1980 et 1990 conduisent, on l'a vu, à son abolition en 1999.
Une consolidation très importante
de l'industrie de la banque d'investissement
culminant à la fin des années 1990
Cette consolidation a bouleversé profondément le paysage et le mode de fonctionnement des banques d'affaires. Elle a été très largement la conséquence du mouvement de déréglementation des années 1980, de l'expansion internationale des banques dans les années 1990 et aussi du fait que, avec l'essor des activités de marché, la banque d'investissement devenait une industrie très capital intensive, évolutions que les partnerships traditionnels avaient du mal à suivre.
Au Royaume-Uni, toutes les merchant banks, sauf NM Rothschild, disparaissent à la fin des années 1990. Elles sont absorbées par des banques américaines ou européennes : Morgan Grenfell par la Deutsche Bank, Baring par ING, Kleinwort Benson par la Dresdner Bank, Hambros par la Société générale, SG Warburg par SBC-UBS, Schröder par Citigroup, Fleming par Chase JP Morgan.
Les grands brokers de la City passent aussi dans les mains étrangères : Phillips Drew (UBS), Hoare&Gowett (ABN Amro), et même Cazenove, le « broker de la reine », plus tard en 2010 (JP Morgan).
Aux États-Unis, on assiste à de très grandes opérations, avec les fusions Morgan Stanley-Dean Witter (1997), Citigroup-Travelers-Salomon Smith Barney (1999) et le rapprochement JP Morgan-Chase (2000) que rejoindront Bank One en 2004, et Bear Stearns en 2008.
Les banques d'investissement spécialisées dans la technologie et les biotechnologies, connues sous l'acronyme de Charm, qui avaient accompagné le venture capital américain et les grands noms de la Silicon Valley, disparaissent à la fin des années 1990, absorbées par des grandes banques commerciales qui veulent s'en servir comme une plateforme d'investment banking dans ces secteurs prometteurs, au moment où le Glass-Steagall Act est aboli : Cowen acquis par la Société générale, Hambrescht&Quist par Chase, Robertson Stephen par Bank of America, Montgomery par Nationsbank, Alex Brown par Banker Trust.
Les banques commerciales d'Europe continentale sont très actives dans cette fin des années 1990. Deutsche Bank rachète Banker Trust qui, elle-même, avait acquis Alex Brown et Wolfensohn. UBS et Swiss Bank Corp (SBC) fusionnent et vont acquérir un grand broker américain, Paine Webber, qui va se rajouter aux acquisitions déjà faites aux États-Unis (le spécialiste des dérivés, O'Connor) et au Royaume-Uni (Warburg-Phillips&Drew). Le Crédit suisse, qui a intégré sa franchise de banque d'investissement américaine – CSFB –, rachète Donaldson, Lufkin&Jenrette (DLJ), l'inventeur du marché des junk bonds, à AXA en 2000. La Dresdner Bank, qui avait déjà acquis Kleinwort Benson au Royaume-Uni, complète cette acquisition par celle de la « boutique » américaine de M&A, Wassestein-Perella. Après l'échec d'un projet de fusion avec la Deutsche Bank, la Dresdner Bank sera absorbée par son principal actionnaire, Allianz, puis fusionnée avec la Commerzbank.
Au Royaume-Uni, 1999, l'année des grandes OPA, est marquée par le raid de la petite banque écossaise, Royal Bank of Scotland, créée en 1727, qui franchira le mur d'Hadrien pour s'emparer de National Westminster (Nat West), l'une des grandes banques anglaises, ce qui donnera naissance à un très grand groupe bancaire, RBS qui s'affaissera, victime de sa boulimie d'acquisitions au moment de la crise des subprimes.
En France, le Crédit agricole procédera à l'acquisition de la banque Indosuez, puis du Crédit lyonnais, ce qui conduira à la création de Calyon, devenu Crédit agricole CIB (CACIB).
De son côté, BNP absorbe le Groupe Paribas (1999), à la suite d'une grande bataille bancaire, faute d'avoir pu mettre la main sur la Société générale.
En 2000, le CCF, qui avait une forte composante BFI, après avoir brièvement flirté avec la Société générale, est racheté par HSBC.
Natixis, créé en 2006, dans le cadre du rapprochement entre caisses d'épargne et banques populaires, qui va former le Groupe BPCE, est, pour sa part, la résultante d'amalgames successifs : fusion du Crédit national et la BFCE (1996), à laquelle les banques populaires apportent leurs propres activités en la matière (1998), suivi d'un rapprochement avec IXIS, contrôlé par les caisses d'épargne et la Caisse des dépôts (2006).
Ainsi est né le paysage bancaire des années 2000, avant que la crise des subprimes ne vienne de nouveau resserrer les rangs.
L'investment banking moderne a véritablement
émergé dans les années 1970 avec l'apparition
des salles de marchés et des M&A
La& spécificité du métier des banques d'investissement tenait, et tient toujours, à ce rôle d'intermédiaire sur les marchés de capitaux entre, d'une part, les émetteurs (d'actions, d'obligations et d'autres produits de dette) et, d'autre part, les investisseurs. Tout leur art est d'accommoder sur les marchés financiers les objectifs contradictoires des différents intervenants, ce qui, d'ailleurs, est le propre d'un marché. Les banques d'investissement contribuent ainsi normalement à favoriser une allocation efficace des capitaux et, de ce fait, une diminution du coût du capital des entreprises.
Historiquement, quand elles procédaient à une émission d'actions ou d'obligations, les banques d'investissement en assuraient la garantie (underwritting) par une « prise ferme », qui revenait à « acheter » l'émission à l'émetteur pour la replacer, aussi vite que possible, auprès d'investisseurs. Cette « prise ferme » impliquait un investissement de la banque sur son bilan, ce qui a donné son origine au vocable d'investment bank. À la clé, et cela jusqu'à l'apparition des techniques américaines de bookbuilding, elle prenait un vrai risque, le risque d'underwriting, c'est-à-dire le risque que les titres « leur restent sur les bras », ce que l'on a appelé communément le « risque de colle ».
Dans les partnerships de type anglo-saxon, les partners mettaient ainsi vraiment en risque leur patrimoine. D'où une approche très mesurée du risque.
C'était le temps du « gentleman banking » (Augar, 2000). L'investment banker était fidèle à ses clients (et vice versa) et fidèle à sa firme, dans laquelle son capital était investi et difficile à liquéfier avant son départ à la retraite.
Dans les années 1970 commence à apparaître un métier nouveau, le M&A, qui devient un centre de profit en tant que tel, alors qu'auparavant le conseil en M&A était un service fourni gratuitement aux clients, en sus du métier de base d'émissions d'actions ou d'obligations (activités dites d'underwriting). C'est ce que souligne Wasserstein (1998), qui fut l'un des rain-makers les plus reconnus de Wall Street, dans ses mémoires : « Established firms at the beginning were seeing M&A as a tool to maintain underwriting relationship, as a loss leader. »
Morgan Stanley ou Goldman Sachs n'ont érigé un (petit) département de M&A qu'au début des années 1970. Le M&A devenant un « centre de profit » contribue, « paradoxalement », à altérer la culture de relationship banking, la chasse aux mandats de M&A, amenant à une approche « plus transactionnelle » qui prendra son essor dans les années 1980. Mais il n'est évidemment pas encore question de participer à des OPA hostiles, ce qui apparaissait, à l'époque, comme tout à fait « indécent ». Le Rubicon sera franchi plus tard.
Et puis, surtout, apparaissent les salles de marchés et, porté par une formidable vague d'innovations financières liée à l'essor des produits dérivés, le trading, une activité capitalistique (il faut engager du capital), de plus en plus importantes, pour finalement devenir absolument prépondérantes dans les banques d'investissement.
M&A et activités de marché modifient en profondeur la culture des banques d'investissement dont l'approche devient plus agressive, plus opportuniste et plus transactionnelle, s'éloignant ainsi du traditionnel gentleman banking.
Les rôles des différents acteurs du marché de la banque d'investissement qui, dans les différents pays, étaient très spécialisés et distincts convergent avec la déréglementation. Aux États-Unis, Goldman Sachs et Morgan Stanley étaient des investment banks très tournées vers leurs clients émetteurs et le montage d'opérations. Elles se reposaient largement sur des brokers, comme Merrill Lynch, pour les placer auprès d'investisseurs. Dans les années 1970, Goldman Sachs et Morgan Stanley s'équipent en salles de marchés, en capacités de trading et de vente, alors que Merrill Lynch s'attache à remonter vers l'origination et l'investment banking pour venir y concurrencer les investment banks. Les brokers spécialisés dans la vente des actions, presque partout, sont absorbés par des banques d'investissement.
En 1979, une émission obligataire d'IBM fait date et marque un tournant aux États-Unis. IBM, plutôt que de s'en remettre à sa banque d'investissement attitrée, Morgan Stanley, fait un appel d'offres que remporteront Merrill Lynch et Salomon Brothers, deux outsiders. Morgan Stanley refusera d'y participer. Ce sera le point de départ d'une concurrence accrue entre les banques d'investissement américaines.
L'ère de la globalisation
Dans les années 1980, avec la globalisation, l'essor des marchés de capitaux et le début du mouvement de déréglementation, les banques d'investissement vont changer véritablement de nature et de taille.
Elles vont sortir de leurs frontières nationales pour devenir globales : les « légions de Wall Street » vont d'abord conquérir la City de Londres, puis le reste du monde. La banque d'affaires devient l'investment banking, c'est-à-dire un sport américain dont les règles du jeu sont dispensées à Wall Street. « The Street » devient le mot dans le monde entier pour désigner les marchés.
Le capital devient un élément discriminant de l'activité, compte tenu de la taille des opérations et du développement des activités à risque de marché.
Les banques d'investissement abandonnent progressivement leur statut de partnership et se font coter en bourse, ce qui va leur permettre de lever plus facilement les fonds nécessaires auprès des actionnaires ou des investisseurs obligataires. Le New York Stock Exchange avait autorisé dès 1971 ses membres, les broker-dealers, à s'introduire en bourse, ce que firent Merrill Lynch en 1971, Morgan Stanley en 1986, Goldman Sachs, après beaucoup d'hésitations, en 1999 et Lazard en 2002.
Dans les années 1980, l'investment banker devient un personnage qui sort de l'anonymat et qui fascine le public, à l'image du héros du film Wall Street (1987) Gekko qui proclame à tout va : « Greed is good ! ». C'est aussi la saga des OPA hostiles telles que RJR Nabisco (1990) popularisée par le livre Barbarians at the Gate.
C'est le début d'une ère nouvelle : explosion des activités de marché des banques d'investissement avec les investment bankers, libérés des liens du partnership, qui se mettent à changer plus allègrement de firmes ; apparition des bonus « hors normes » dans les salles de marchés qui deviennent des outils pour attirer ou conserver les high performers. Pour reprendre la formule ironique de Michel Pébereau : « C'est alors le travail qui exploite le capital. » Les salariés, remplaçant ainsi les partners, dans des sociétés cotées, dotées de beaucoup plus de capital, fourni par les actionnaires, sont animés par une appréhension et une gestion du risque beaucoup moins conservatrices.
L'investment banking, comme la finance en général, devient alors une industrie à fortes rémunérations. Selon Philippon et Reshef (2009), se référant à l'exemple américain, un salarié de la finance, rémunéré aux États-Unis comme la moyenne de ses collègues des autres secteurs dans les années 1980, gagnait 60 % de plus dans les années 2000, une partie seulement de cet écart (20 %) étant justifié par l'évolution relative des qualifications de la finance selon ses estimations.
Dans ces années 1990, et encore plus dans les années 2000, les activités de marché, avec l'explosion des produits dérivés, deviennent la composante majeure des banques d'investissement, générant la plus grande part, puis ensuite l'essentiel des revenus et des profits, en exigeant en contrepartie beaucoup de capital et une organisation sophistiquée, en particulier au plan informatique.
Les traders prennent alors le pouvoir au détriment des investments bankers et accèdent à la direction suprême des banques d'investissement : John Mack chez Morgan Stanley, Lloyd Blankfein chez Goldman Sachs (qui succédait à Hank Paulson, un investment banker), Bob Diamond chez Barclays ou Brady Dougan chez Crédit suisse.
Les activités investment banking traditionnelles (underwriting ECM-DCM, M&A) ne représentent plus alors qu'un peu moins de 20 % des revenus des banques d'investissement, le trading, c'est-à-dire les activités de marché, en étant devenu la money machine avec 80 % de ses revenus, et même plus en terme de profits.
Un nouvel âge des banques
d'investissement
La crise de 2008 a changé la donne des banques d'investissement, du fait d'une croissance durablement ralentie, une certaine déglobalisation, un mouvement net et général de re-régulation et un flux d'innovations financières beaucoup moins important.
Il en a résulté une double conséquence :
tout d'abord, les activités de marché se sont « normalisées » en termes de charge en capital et ont perdu ainsi une partie de leur attrait : le prop trading (pour compte propre) a disparu ; les activités de marché ont été recalibrées à la baisse, « downsizées », en tenant compte, d'une part, de l'évolution des marchés moins portés sur les produits sophistiqués et structurés et, d'autre part, de leur charge accrue en capital du fait de la re-régulation ;
ensuite, les revenus des BFI, après les Trente Glorieuses de croissance rapide, se sont mis à stagner et leur profitabilité, auparavant à « 2 chiffres », s'est retrouvée en berne et à la peine pour juste équilibrer leur coût du capital (9 %-11 %).
La banque d'investissement a toujours été une activité procyclique, suréagissant aux effets du cycle économique. Mais elle avait la particularité d'être en même temps une valeur de croissance, ce qui n'est plus le cas.
À la suite de la crise de 2008, le modèle de BFI s'est imposé pour plusieurs raisons liées à l'évolution des marchés. Les grands clients corporates intéressés par les produits de banque d'investissement demandent aussi à toutes leurs banques d'engager du bilan et de participer aux financements, ce que ne pouvaient faire les pures banques d'investissement. C'est la règle du pay to play. Le modèle BFI permet aussi aux banques d'investissement d'avoir une offre plus diversifiée et plus fidélisante pour le client, comme le cash management, par exemple, que même Goldman Sachs, à présent, s'attache à proposer à ses clients. Enfin, à la différence du passé, la banque de financement se rapproche naturellement de la banque d'investissement car elles procèdent, toutes les deux, très largement, d'un phénomène de « marchéisation », avec une approche dite « originate to distribute » à des investisseurs, par opposition au modèle ancien de « take and hold » des banques commerciales qui gardaient les financements sur leur bilan.
Un nouveau paradigme s'impose. Dans un monde sans croissance, les BFI ne peuvent plus chercher à s'adapter en jouant sur un accroissement des revenus, comme au bon vieux temps. La priorité est désormais à l'optimisation des procédés et des ressources et à une forte réduction des coûts. Il faut raisonner plus en termes d'industrialisation qu'à la manière traditionnelle des investment bankers. Le modèle nécessite d'être profondément réformé en conséquence.
Il implique une maîtrise des rémunérations (compensations) qui constituent le poste budgétaire le plus important du compte d'exploitation d'une banque d'investissement devant les coûts informatiques. Les coûts dans une BFI, qui dépendent du business mix, représentent en moyenne les deux tiers des revenus (c'est le cost to income ratio), dont les deux tiers sont eux-mêmes représentés par les rémunérations (salaires, bonus, avantages divers), ce qui donne un taux de compensation (ratio « rémunérations ou compensations/revenus ») qui tourne autour de 40 % à 50 %. Les rémunérations n'ont plus rien à voir avec les niveaux pratiqués avant 2008 car les revenus et la profitabilité des BFI ne sont plus ce qu'ils étaient, et notamment dans les activités de marché. La régulation s'en est aussi mêlée, en capant les bonus à deux fois le salaire au maximum en Europe et sous réserve d'une autorisation expresse de l'assemblée générale des actionnaires, en imposant des versements de ces bonus différés sur plusieurs années, payés en partie en actions (alignement des intérêts avec les actionnaires) et susceptibles d'être ultérieurement repris en cas de problème par un mécanisme dit de « claw back ».
Dans ce contexte, la technologie en général, pas simplement la fonction IT, est devenue un enjeu majeur. La digitalisation concerne également, et de manière significative, les BFI, bien que ce ne soit pas un phénomène aussi nouveau et disruptif que dans la banque de particuliers (retail). En effet, la dématérialisation et l'automation des procédés existent depuis longtemps pour les marchés financiers qui ont ensuite été confrontés aux arbitrages algorithmiques et au développement des plateformes de trading, et à présent aux techniques de blockchain et de l'intelligence artificielle (IA). Les Fintechs, qui s'attaquent à des segments très spécifiques de l'activité des BFI (par exemple, trade finance) ne sont pas réellement des menaces – même si elles contribuent à accroître la compétition déjà grande et la pression sur les marges – et se positionnent plus comme des partenaires que comme des compétiteurs. La digitalisation n'en est pas moins un défi aussi pour les BFI, dans la mesure où elle accentue la distinction entre, d'un côté, les services à haute valeur ajoutée, reposant sur le conseil, et, d'un autre côté, les produits plus basiques (« vanilles ») qui vont s'échanger de plus en plus au travers de plateformes numériques ou des procédés automatisés. Mais, en même temps, la digitalisation constitue une formidable opportunité pour réduire les coûts de fonctionnement des BFI, notamment en rationalisant et automatisant les traitements des opérations de middle et back office. La maîtrise de la digitalisation, qui nécessite de lourds investissements et requiert un effet de taille, devient pour toutes les BFI un facteur compétitif fortement différenciant.
Client-centric : le retour du gentleman banking
Dans cet environnement morose, les banques ont été amenées à (ré) affirmer le primat du client et l'importance de la « clients centricité », dans la mesure où les activités clients sont devenues plus profitables comparées aux pures activités de marché et surtout parce que le développement du cross selling avec les meilleurs clients est devenu un ingrédient essentiel pour atteindre une bonne profitabilité des BFI.
L'approche client et la bonne approche sont devenues un élément fondamental. De différenciation entre les CIB dont les produits sont de plus en plus des commodities : c'est la qualité de la relation client qui va, de plus en plus, « faire la différence ». De profitabilité, à travers la sélection des clients, leur segmentation et un cross-selling effectif sur ces clients.
Cela correspond aussi à une forte attente des clients des BFI qui attachent une importance croissante et discriminante à la qualité de service de leurs banques et à leur rôle de trusted advisors. Les banques disposent d'ailleurs d'un actif unique, par rapport à tout autre conseil externe, qui tient à leur relation de long terme avec leurs clients. Le post-covid accentue ce phénomène dans un contexte où les banques CIB n'apparaissent plus, à la différence de 2008, comme « le problème », mais au contraire comme « une solution », et peuvent faire valoir leur utilité économique et sociale.
Cette nouvelle réalité appelle un changement profond en termes de mentalité (mindset) et d'organisation de la part des BFI pour passer d'une approche « produits », profondément enracinée dans les organisations matricielles traditionnelles, à une approche « solutions client ». Un client en effet ne recherche pas des produits, en tant que tels, il a des problèmes et recherche des conseils avisés et des solutions que celles-ci reposent sur un produit ou sur une combinaison adaptée de produits.
Dans cette approche de banque-conseil, le concept de senior banker est devenu clé. Ce sont des banquiers chevronnés totalement dédiés au coverage de cet actif essentiel que sont les grands clients de la BFI. Les senior bankers ont vis-à-vis de leurs clients le rôle d'un médecin de famille orientant en tant que de besoin vers les bons spécialistes métiers. Ce qui les distingue avant tout c'est leur séniorité. Un grand banquier américain en avait donné la très illustrative définition suivante : ils doivent être « un tiers expert financier, un tiers psychanalyste et un tiers concierge », au sens des concierges des grands hôtels, aptes à trouver une solution à toute demande du client, même la plus inattendue. La crédibilité du senior banker tient à sa capacité à « délivrer » à ses clients toute la banque ; il est la banque pour le client et le client pour la banque. C'est normalement le CEO (chief executive officer) de la relation de la banque avec les clients qu'il suit.
Cela requiert également d'être « agile » pour véritablement personnaliser (« customiser ») l'approche client, utiliser la digitalisation des outils pour mieux les servir, faire en sorte que la réduction et l'optimisation des coûts, qui gouvernent désormais les BFI, n'affectent pas négativement, mais au contraire positivement, la « satisfaction » client.
Dans ce nouvel âge, les BFI se doivent être éthiques et exemplaires en matière de déontologie (compliance), après une décennie 2000 calamiteuse et le lourd tribut payé en matière de sanctions financières. Cela s'est accompagné d'un extraordinaire développement – coûteux, mais nécessaire – de la fonction compliance (conformité).
L'excellence des BFI, qui sont une « centrale des risques » (Michel Pébereau) va résulter aussi de l'excellence de leur gouvernance et de gestion de leurs risques (risk management), les deux étant profondément liés. La crise de 2008 a montré justement que la qualité de la gouvernance avait été la ligne de partage entre les banques qui ont bien traversé la crise et celles qui ont été à la peine, car ces dernières avaient souvent le défaut de conjuguer un CEO omnipotent et un conseil d'administration impotent. Geithner (2015) raconte que quand, en 2008, il avait réuni en tant que président de la Fed de New York les dirigeants des grandes banques américaines et qu'il s'était aperçu que le CEO de Merril Lynch ne connaissait même pas son directeur des risques, il s'était dit alors que le problème était encore plus grave qu'il ne pensait. D'où l'importance que les régulateurs ont apportée à juste titre aux règles de gouvernance (séparation des fonctions de chairman et CEO, existence d'un Comité des risques indépendant auquel rapporte directement le directeur des risques, etc.).
Dernier trait important : les BFI aujourd'hui doivent revoir profondément leurs activités dans le sens de la finance responsable et durable, ce en quoi les banques européennes, en général, et françaises, en particuliers, sont plus avancées. Cela ne concerne plus uniquement les marchés d'obligations (green bonds) ou de prêts bancaires (green loans), mais absolument tous les produits proposés par les BFI à leurs clients ainsi que le refus de financer des activités qui ne soient pas socialement responsables dans le domaine minier, énergétique ou de l'armement. Il ne s'agit pas uniquement d'un effet de mode, c'est une tendance de fond, durable, qui s'impose aux marchés financiers sous l'impulsion des grands asset managers dont les fonds gérés deviennent de plus en plus des « investissements socialement responsables » (ISR).
Conclusion
La route a été longue et tourmentée depuis la moitié du xixe siècle. Une nouvelle fois les banques d'investissement (CIB ou BFI) doivent largement « se réinventer » en renouant avec la client-centricité des origines, du temps du gentleman banking. Mais le défi est considérable car, en même temps, dans un univers de revenus stagnants, elles se doivent de réduire très fortement leurs coûts et de les « industrialiser », pour viser une profitabilité au moins égale au coût de leur capital. C'est le nouvel horizon et ce que nous avons appelé l'« âge des BFI ».