Depuis un peu plus d’une décennie, les comportements d’épargne font preuve d’amples variations, tant en termes d’évolution domestique que de flux internationaux. Parallèlement, le monde s’achemine vers une explosion démographique couplée à un vieillissement progressif – à l’exception notable de l’Afrique – qui concernera d’abord les pays industrialisés. L’influence de ce vieillissement sur l’épargne est double : directe, en déprimant à court terme la demande solvable (les opportunités d’investissement et le taux d’intérêt mondial), et indirecte, en faisant craindre une hausse des impôts qui affecterait tant le pouvoir d’achat disponible que la rentabilité nette d’impôts des investissements productifs. Allouer efficacement l’épargne consiste donc à générer un niveau d’investissement à long terme et de croissance future aptes à satisfaire les besoins liés à l’accroissement de la population, tout en répondant aux nécessités de la consommation présente et à la sécurité recherchée par une population vieillissante. Au-delà de la genèse de l’épargne domestique, deux éléments d’ajustements apparaissent : d’une part, la capacité des systèmes financiers à transformer l’épargne de court terme, éventuellement excédentaire, en investissements productifs de long terme ; d’autre part, un nouvel équilibre potentiel des flux internationaux de capitaux qui résulterait notamment de dynamiques démographiques spécifiques.
Sur cette même période, la plupart des pays industrialisés exhibent une dégradation de leurs comptes courants, concomitante à une baisse tendancielle de leur capacité d’épargne, comme de leurs investissements productifs. Par ailleurs, les divergences de leurs soldes courants avec ceux des pays émergents sont croissantes. Les flux financiers internationaux se sont ainsi inversés pour dorénavant s’opérer des pays émergents vers les pays industrialisés, contrairement aux prédictions théoriques et aux expériences historiques de long terme (Lucas, 1990 ; Reinhart et Rogoff, 2004 ; Alfaro et al., 2005). Cette situation a donné lieu à débats entre, d’une part, les tenants de flux mondiaux « spontanés » d’épargne à la recherche d’opportunités de placements courts et sûrs (thèse du saving glut de Bernanke, 2005), dédouanant de fait les États-Unis, et, d’autre part, ceux (Artus, 2008 ; Obstfeld et Rogoff, 2009 ; Roubini, 2011) pour lesquels ce sont au contraire les déséquilibres des balances courantes, en particulier les excès de consommation stimulés par des politiques fiscale et monétaire permissives, qui en sont une explication majeure1. La sortie de crise passerait alors par un encadrement et une réallocation des flux d’épargne mondiaux. Au final, le monde serait face au paradoxe d’une faible transformation de l’épargne surabondante en investissements productifs ou innovants.
Cet article traite, sous un angle macroéconomique, du montant et de la répartition des ressources financières susceptibles d’alimenter les flux d’investissements productifs mondiaux. Il adopte délibérément le point de vue des pays industrialisés face à trois blocs de pays émergents (Russie, Amérique latine et Chine) et à la péninsule arabique. L’Afrique est écartée de l’analyse, plus pour des raisons de niveau des flux intra et interzones que de dynamique et d’évolution à terme. Après l’étude des ressources financières dégagées par les comptes courants actuels, il s’interroge sur le rôle des flux internationaux en tant que correctifs à l’évolution de l’épargne domestique et explore finalement le rôle des variables démographiques.
Les ressources dégagées des comptes courants contemporains
Si la tendance mondiale est à l’augmentation de l’investissement et de l’épargne (hausse supérieure à 1 % du PIB mondial de 2000 à 2011), les situations sont très contrastées (cf. annexe 1). Ainsi, le déclin de la part des pays industrialisés (zone euro + Royaume-Uni2– RU, Amérique du Nord, Japon, autres économies avancées) dans l’investissement et l’épargne au niveau mondial est net (de 17,3 % à 12 %), même si la chute est moins marquée en pourcentage de leur PIB cumulé (baisse d’environ 3 % dans les deux cas). Toujours considérés comme un ensemble, ils atteignent depuis 2009 un quasi-équilibre de leur compte courant (déficit global d’environ 0,3 % du PIB de l’ensemble et 0,2 % du PIB mondial en 2011, contre respectivement environ 1 % et 0,7 % de 2000 à 2008), mais leur situation respective révèle une pluralité des cas. Exprimé maintenant en pourcentage du PIB du pays/zone considéré(e), le Japon connaît un déclin tendanciel de son épargne et de son investissement (–4 % en onze ans), mais maintient toujours d’amples excédents de compte courant (autour de 3 %). La zone euro + RU présente une dynamique similaire à celle du Japon pour l’épargne et l’investissement (la baisse étant limitée à environ 1,5 %), mais à des niveaux inférieurs de 3 % à 6 % dans les deux cas, et une lente résorption du déficit des comptes courants à environ 0,2 % du PIB en fin de période. Si l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) connaît, comme le Japon, un déclin tendanciel de son épargne et de son investissement (de 4 % à 5 % en onze ans), cette zone descend à des niveaux bien plus faibles (inférieurs d’environ 5 % du PIB) et affiche surtout un déficit structurel d’épargne conduisant à un solde courant négatif oscillant entre –3 % et –5 % de son PIB. Enfin, les autres économies avancées3 présentent un profil remarquablement stable, avec des niveaux intermédiaires entre ceux du Japon et de la zone euro + RU pour l’investissement et l’épargne (entre 22 % et 29 %) et surtout un excédent moyen des comptes courants de 4,2 %.
Parallèlement, les pays émergents – Chine, Russie, Amérique latine et Caraïbes – voient leur contribution à l’épargne et aux investissements mondiaux passer de 3 % à 7,5 % et leurs comptes courants devenir excédentaires à hauteur d’environ 0,5 % du PIB mondial. Les pays de la péninsule arabique4 connaissent une dynamique assez similaire en taux de croissance moyen de leur épargne et de leur investissement, avec une contribution à l’excédent mondial de compte courant représentant plus de 50 % de celle des pays émergents. Au sein de ces derniers et exprimés maintenant en pourcentage du PIB du pays/zone considéré(e), la Chine connaît une évolution spectaculaire : investissement et épargne en croissance continue (à l’exception d’une stabilité de l’investissement de 2004 à 2007) pour atteindre des niveaux moyens de 50 %, excédent de compte courant d’au moins 5 %. La Russie est caractérisée par un investissement et un solde courant qui fluctuent amplement autour de, respectivement, 20 % et 8 % de son PIB et une épargne au profil très heurté, étrangement assez déconnecté du prix des hydrocarbures jusqu’en 2008 (l’impact de ces derniers se voit plus nettement au niveau du solde budgétaire et du taux d’investissement). Le bloc Amérique latine et Caraïbes5 est encore en devenir : l’épargne et l’investissement y sont du même ordre que dans la zone euro + RU, les soldes courants fluctuent entre –2,5 % et +1,5 % de son PIB. Enfin, les pays de la péninsule arabique présentent, comme la Chine, un profil hautement atypique avec un taux d’épargne moyen de 37 %, un investissement du même ordre de grandeur que la Russie, mais nettement plus stable, et surtout un excédent courant par tête saisissant.
La crise de 2008-2009 a donc modifié de façon différenciée la dynamique de chaque pays/zone : elle s’est traduite par une chute de l’épargne et de l’investissement dans tous les pays industrialisés et la Russie, une baisse modeste (de l’ordre de 0,5 %) et très ponctuelle dans les autres économies avancées et en Amérique latine et Caraïbes, une baisse de l’épargne, mais inversement une hausse de l’investissement dans la péninsule arabique, et une simple stabilisation en Chine. Généralement, une hausse de l’épargne se traduit par une hausse du solde courant (même si cette relation s’atténue depuis 2009 en Chine, en zone euro + RU et en Amérique latine et Caraïbes). La péninsule arabique et la Russie en sont des cas caricaturaux, l’investissement semblant même (jusqu’en 2007 pour la Russie) négativement corrélé à l’épargne. Bien sûr, la multiplication par plus de quatre des prix du pétrole de 2001 à 2008 en est un facteur explicatif important. Inversement, dans le cas de l’Amérique du Nord, structurellement déficitaire en épargne, une hausse de l’investissement se traduit par une dégradation de ce solde en l’absence d’un ajustement de l’épargne. Cette zone est d’ailleurs la seule à exhiber une corrélation négative entre épargne et solde courant.
Les ressources affectées vers l’étranger et reçues de l’étranger
Ces ressources prennent la forme soit d’investissements directs à l’étranger (IDE), soit de flux de portefeuilles. L’étude de ces deux affectations doit être articulée, certes parce que leur distinction au niveau des statistiques globales du FMI (Fonds monétaire international) est assez arbitraire (classées en flux de portefeuilles sous le seuil de 10 % du capital social), mais surtout en raison de leur forte complémentarité (Durham, 2004 ; Namur, 2007). Classiquement, les IDE sont traités sous l’angle de leur contribution à la croissance des pays d’accueil, notamment sous la forme de transferts de technologies et d’innovation, de formation de capital humain ou de soutien aux exportations locales6. Trois grandes thématiques annexes y sont rattachées : le sens exact de la causalité entre IDE et croissance (Abdur Chowdhury et Mavrotas, 2005 ; Hansen et Rand, 2006 ; Georgantopoulos et Tsamis, 2011) ; les conditions économiques générales des pays d’accueil pour en assurer une contribution optimale (Lumbila, 2005 ; Asiedu, 2006 ; Ozturk, 2007 ; Alfaro et al., 2010) ; les motivations internes aux entreprises et les incitations spécifiques des autorités locales (Bloningen, 2005 ; Razin et Sadka, 2007).
Malgré une forte décroissance en 2003 (en partant d’un niveau exceptionnellement élevé en 2000) et un relatif tassement depuis 2009 (cf. annexe 2), les IDE mondiaux entrants et sortants restent relativement stables et d’une ampleur non négligeable (en moyenne environ 2,5 % du PIB mondial sur la période allant de 2000 à 2010). Pourtant, cela masque une forte évolution de leur dispersion géographique. Si les IDE (en volume) s’effectuent toujours très majoritairement entre pays industrialisés (sur la période allant de 2000 à 2010, l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques – représente en moyenne 89 % des IDE sortants et 69 % des IDE entrants mondiaux), le poids des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) en tant que destinataires a presque été multiplié par cinq (la Chine captant jusqu’à 15,2 % des IDE entrants mondiaux en 2010, contre 2,54 % en 2000) au détriment surtout de la zone euro + RU (sa part relative diminuant de moitié pour arriver maintenant à un niveau très proche de celui de l’Amérique du Nord) et, dans une moindre mesure, des autres économies avancées. Une redistribution aussi nette des pourvoyeurs mondiaux d’IDE apparaît. En effet, si la zone euro + RU et l’Amérique du Nord fournissaient chacune plus de 30 % des IDE sortants en 2011, cela résultait d’une évolution inverse : alors que la part de la zone euro + RU dans les flux sortants mondiaux était plus que divisée par deux en dix ans, celle de l’Amérique du Nord au contraire doublait. De nouveau, la croissance du rôle des BRIC est impressionnante : partant d’une contribution négligeable en 2000, ils représentaient en 2010 plus de 10 % des IDE sortants mondiaux (près de 5 % pour la seule Chine).
Comment cette redistribution des flux mondiaux d’IDE impacte-t-elle les ressources à disposition des systèmes productifs nationaux ? Si leur contribution à la croissance des pays d’accueil semble assez mitigée7, l’argument selon lequel les IDE (entrants) permettraient de surmonter la contrainte d’épargne domestique disponible du pays d’accueil mérite réflexion. Inversement, du point de vue du pays d’origine, les IDE sortants pourraient amoindrir la formation brute de capital fixe (FBCF) domestique et concourir à la désindustrialisation occidentale. Effectivement, exprimés en pourcentage des PIB par pays/zone, les flux d’IDE ne se compensent pas, l’OCDE étant déficitaire. En moyenne, sur la période allant de 2000 à 2010, la zone euro + RU et le Japon perdent des ressources équivalant à environ 1 % de leur PIB, l’Amérique du Nord 0,3 %, les autres économies avancées 0,7 % ; inversement, les BRIC gagnent plus de 2 %. Et alors que la FBCF domestique suit une tendance baissière dans les pays développés, leurs IDE sortants vers le reste du monde restent stables depuis 2002, avec même un pic de 2006 à 2008. Cette divergence d’évolution entre IDE sortants et FBCF domestique est assez nette pour le Japon et marquée pour les États-Unis. L’idée selon laquelle ces IDE amputeraient les ressources affectées à la FBCF des pays développés doit toutefois être nuancée. D’une part, ces stratégies doivent être appréciées selon la destination des IDE et leur position dans la chaîne de valeur (haute vs faible valeur ajoutée). D’autre part, il est possible que ces IDE sortants soient incontournables pour maintenir la compétitivité globale des entreprises et, en ce sens, plus complémentaires que substituables à la FBCF domestique (Namur, 2007 ; Fontagné et Toubal, 2010).
Cette mutation de l’allocation mondiale des ressources est encore plus frappante au regard des flux de portefeuilles internationaux. L’enquête Coordinated Portfolio Investment Survey (CPIS) précise, pour chaque pays déclarant (la grande majorité des pays industrialisés, représentant eux-mêmes l’essentiel des flux internationaux de portefeuilles), la ventilation du stock de fin d’année entre actions, titres obligataires de long terme et titres obligataires de court terme8. Une évidence (cf. annexe 3) est que le total de ces flux (ceux portant sur les titres obligataires de long terme étant supérieurs de plus de 40 % à ceux sur les actions) est du même ordre de grandeur (avec même un flux négatif équivalant à 13,7 % du PIB mondial en 2008) que la FBCF des pays industrialisés en déclin démographique (cf. infra, 3e partie) et bien supérieur à celui des IDE, ce qui pourrait conforter la thèse d’une épargne mondiale surabondante, très circulante, mais faiblement transformée en investissements productifs.
Pour autant, les pays détenteurs des plus grands portefeuilles internationaux poursuivent des stratégies différenciées (cf. annexe 3). En moyenne de 2001 à 2010 et tous actifs confondus, les États-Unis sont de loin les plus grands détenteurs devant le Royaume-Uni (respectivement, 16,75 % du stock mondial d’actifs financiers internationaux, contre 8,74 %), suivi du Japon, de la France, du Luxembourg et de l’Allemagne (de 7,97 % à 6,56 %), puis de l’Irlande, des Pays-Bas, de l’Italie et de la Suisse (de 4,73 % à 2,97 %). En exprimant la volatilité des portefeuilles par le coefficient de variation, l’Irlande, la France, le Luxembourg et l’Allemagne sont les pays pour lesquels le montant total des placements financiers internationaux est le plus volatil ; les États-Unis, les Pays-Bas et le Royaume-Uni exhibent une volatilité proche de la moyenne mondiale, alors que le Japon, la Suisse et l’Italie font preuve d’une remarquable stabilité. Enfin, un trait nettement distinctif des États-Unis est la priorité accordée aux placements financiers en actions au détriment des obligations (le ratio moyen « actions/titres obligataires » est plus de trois fois supérieur à la moyenne du même ratio pour les neuf autres plus grands détenteurs de titres, très homogènes sur ce point), ce qui traduit, d’une part, une volonté d’accès au pouvoir de gestion et, d’autre part, une formidable capacité du système financier américain à recycler les flux entrants obligataires en flux sortants d’actions (Namur et Truel, 2005 ; Caballero et Krishnamurthy, 2009). À l’inverse, le Japon et la France semblent se satisfaire d’un rôle d’apporteurs passifs de fonds.
La thèse d’une épargne surabondante et averse à l’investissement productif est donc à relativiser selon les pays. Ventura (2003) propose une interprétation en ce sens, fondée sur l’existence d’une prime de risque demandée par les investisseurs9 pour détenir un stock rapidement croissant de capital productif domestique et de coûts d’ajustements (adaptation du facteur humain, distorsion ponctuelle du système productif). À court terme, ces deux variables conduisent à des restructurations de portefeuilles en faveur d’actifs étrangers, d’autant plus importantes que la productivité domestique est faible, et à une déconnexion de l’épargne avec le solde courant (lissage des fluctuations amples de l’investissement domestique). À long terme, les portefeuilles nationaux reviendraient graduellement à leur structure initiale, rétablissant l’habituelle corrélation positive entre épargne et solde courant. Ce cadre expliquerait tant la faiblesse de niveau (en pourcentage du PIB) et de variabilité des flux internationaux, comme l’autofinancement élevé de la R&D (recherche et développement) en Corée du Sud ou au Japon (Namur, 2010), que la forte croissance des flux sortants des BRIC (en particulier la Chine) ou la corrélation négative entre épargne et investissement domestique pour la péninsule arabique. Inversement et comme prédit, il serait moins pertinent pour les pays occidentaux disposant d’un marché financier développé et ouvert (typiquement, l’Amérique du Nord et la zone euro + RU) en raison de leur capacité à investir dans le capital domestique à forte productivité tout en revendant le risque associé.
Le facteur démographique
En équilibre partiel, les relations macroéconomiques entre démographie et épargne sont assez ténues. Au niveau mondial, l’évolution de l’épargne semble répondre à des variables relativement inertes, comme la croissance de la population active et la structure par âge (Desroches et Francis, 2007). Sur des panels plus restreints de pays, plusieurs études confirment le rôle essentiel des indicateurs démographiques dans l’évolution à long terme de l’épargne10. Bosworth et Chodorow-Reich (2007) concluent à un effet significatif au cours des cinquante dernières années qui, bien que faible pour les pays à fort revenu, favorise dans leur cas la baisse de l’épargne et la dégradation tendancielle des comptes courants. Pour l’OCDE, Serres et Pelgrin (2003) et, dans une moindre mesure, Berger et Daubaire (2003) retrouvent le rôle de la structure démographique (à travers le ratio de dépendance des personnes âgées) dans la baisse de l’épargne privée depuis une trentaine d’années, en particulier au Japon où cette tendance devrait s’accentuer, en Italie et en Allemagne. Par contre, la structure démographique aurait un faible pouvoir explicatif sur le taux d’épargne des ménages en Chine (Horioka et Wan, 2006). Plus généralement, le vieillissement aurait moins d’effets dans les pays émergents en raison d’une structure démographique trop divergente et de l’absence d’un marché financier comme d’un système de couverture sociale développés.
Sur la période allant de 2000 à 2011, le déclin de la contribution de la zone euro + RU, de l’Amérique du Nord et du Japon dans l’épargne mondiale est bien concomitant avec un vieillissement assez rapide de leur population : le ratio de dépendance (rapport, multiplié par dix, des plus de soixante-cinq ans aux 15-64 ans) croît nettement (de 2,64 % à 3,19 %), alors que la population totale des plus de quinze ans et le middle-to-young ratio (MYR, rapport des 40-49 ans aux 20-29 ans) n’évoluent que modestement (cf. annexe 4). Mais là encore, la distinction est claire : le Japon connaît un vieillissement accéléré (alors que la population des plus de quinze ans n’y a augmenté en moyenne que de 0,44 % par an, plus basse performance des pays industrialisés, son ratio de dépendance augmente en moyenne annuelle de 3,7 %), les autres économies avancées et la zone euro + RU présentent un vieillissement deux fois moindre, l’Amérique du Nord étant la moins touchée par ce phénomène, mais étant par contre la seule zone industrialisée à exhiber une baisse annuelle moyenne (de 1 %) de son MYR et un net déficit d’épargne domestique. La relation négative entre tendance au vieillissement et baisse de l’épargne est donc globalement vérifiée pour ce bloc, même si pour l’Amérique du Nord, il conviendrait plutôt de parler d’arrivée à maturité démographique.
Alors que leur capacité d’épargne est fortement croissante, les pays émergents connaissent à l’inverse une montée en puissance des jeunes générations, en particulier des 20-29 ans (le taux de croissance annuel moyen du MYR s’élevant à 1,43 %), et un ratio de dépendance en 2011 inférieur de plus de la moitié à celui des pays industrialisés. Aussi bien en raison de l’absence d’un système de retraite développé que d’une entrée sur le marché du travail plus précoce, la population de plus de quinze ans est probablement un meilleur indicateur de la force productive, ce qui se traduit pour l’instant par un avantage en termes de capacité de production et de constitution potentielle d’épargne. Au sein de ce groupe, les situations sont au moins aussi contrastées qu’entre les pays industrialisés. Si la Chine est très représentative de cette moyenne, la Russie se caractérise par un vieillissement accéléré (son taux de dépendance11 se situe entre celui des autres économies avancées et celui de l’Amérique du Nord) et, surtout, le non-renouvellement des générations (alors que le nombre des plus de quinze ans n’a augmenté en moyenne que de 0,43 % par an, le MYR s’effondre en moyenne de 2,67 % par an). Cet atypisme démographique explique probablement la volatilité des comportements d’épargne et leur déconnexion avec les prix du pétrole. À l’exception d’un ratio de dépendance plus faible, l’Amérique latine et les Caraïbes présentent un profil assez comparable à celui des autres économies avancées tant sur le plan de l’épargne que de la démographie et, plus marginalement au plan démographique, à celui de l’Amérique du Nord. Enfin, la péninsule arabique constitue le cas le plus spécifique : si le nombre des plus de quinze ans reste assez faible (expliquant la capacité d’épargne par tête), c’est le taux de croissance exceptionnel des 15-49 ans qui explique l’effondrement du ratio de dépendance (–2,83 % par an en moyenne).
Naturellement, la démographie est une composante qui n’évolue qu’à très long terme (le cas de la Chine restant spécifique) comparativement aux variations des comportements d’épargne. Sans qu’une relation nette apparaisse encore, le parallèle le plus évident est celui entre, d’une part, la covariance du compte courant avec l’épargne domestique et, d’autre part, la covariance entre compte courant et MYR : il semblerait donc que le taux d’épargne évolue dans le même sens que le MYR, ce qui paraît cohérent (mais avec un indicateur plus étroit que le ratio de dépendance) avec les résultats économétriques précédemment cités. Toutefois, ce résultat global n’est pas systématique : si la covariance du taux d’épargne avec le MYR reste clairement positive pour les pays émergents, elle tend à s’inverser au Japon et en zone euro + RU depuis 2009. La nature du système de retraite est un autre facteur de couplage de la démographie avec l’épargne : dans les pays industrialisés, où prévaut le financement des retraites par capitalisation par des fonds de pension privés, le déclin de la natalité pourrait favoriser les actifs plus liquides en prévision du départ à la retraite des cohortes nées après-guerre et pénaliser les ressources de long terme. Mais ces pays pourraient être moins affectés que les pays à système de retraite par répartition (typiquement l’Europe) en raison d’un allongement volontaire de la vie active (Börsch-Supan et al., 2006). De plus, l’Europe pourrait être handicapée par la concentration du patrimoine parmi les populations âgées dont le plus faible horizon de vie contrecarre la détention en actifs longs et risqués (Garnier et Thesmar, 2009).
Les modèles d’équilibre général (par exemple, Batini et al., 2006 ; Bénassy-Quéré et al., 2010 ; le modèle Ingenue développé par le Cepii, le Cepremap et l’OFCE – Observatoire français des conjonctures économiques) qui intègrent la démographie dans leurs projections n’obtiennent pas plus de conclusions tranchées en ce qui concerne le taux d’épargne et les soldes courants. Alors que le premier modèle anticipe une nette baisse de ces deux grandeurs dans la plupart des pays du monde, le second prévoit une épargne excédentaire en Russie et en Inde, et le troisième une balance courante durablement excédentaire en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest, au contraire des pays émergents (en particulier la Chine et l’Inde). Si ces divergences s’expliquent notamment par des hypothèses spécifiques (stabilité des relations économétriques, dépréciation du stock de capital, évolution du prix de l’énergie, prise en compte de la théorie du cycle, nature de la technologie, des rendements d’échelles et du progrès technique), elles confirment aussi la complexité des relations macroéconomiques avec la démographie. D’ailleurs, des approches purement empiriques n’invalident aucun de ces modèles de façon catégorique, mais elles tendent à relativiser notablement le déclin de la zone euro qui pourrait, en dépit d’une croissance assez faible, dégager une capacité d’épargne nettement excédentaire, lui permettant ainsi d’accumuler des actifs sur l’étranger (Artus, 2011).
Cet article met en évidence la restructuration en cours des grandes sources de financement de l’investissement productif. Pendant que le monde poursuit sa croissance, les grands pays industrialisés occidentaux accusent un déclin relatif au bénéfice des pays émergents, en particulier la Chine, en termes de capacité tant à dégager un surplus d’épargne domestique qu’à mobiliser celle de l’étranger sous une forme directement productive ou non, les États-Unis demeurant l’exception sur ce second point. Pour autant, une certaine cohérence paradoxale apparaît : plus le vieillissement est accentué, moins le déficit d’épargne domestique est prononcé. Alors que le vieillissement devrait entraîner une diminution tendancielle de l’épargne, il s’agirait plutôt d’une mutation. Tant qu’il n’est pas trop marqué, les grands pays industrialisés mettraient à profit leur statut de pays « sûrs » pour financer une partie de leur investissement productif par l’épargne des pays émergents et de la péninsule arabique, quitte à en assurer la transformation par le système financier national. Simultanément, ils affecteraient une partie de l’épargne domestique à des placements risqués à l’étranger. Si les effets du vieillissement s’accentuaient sur le marché du travail, le déficit d’épargne serait progressivement résorbé sur la base d’un système productif domestique devenu performant ou largement internationalisé et d’une consommation moins dynamique. Finalement, les flux macroéconomiques d’épargne se conformeraient avec une phase de retard aux prédictions de la théorie du cycle de vie.