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 L’impact des nouvelles réglementations sur les fusions-acquisitions bancaires en Europe


Brice CHASLES Associé, responsable de l’activité M&A secteur financier, Deloitte. Contact : bchasles@deloitte.fr.
Jean-Louis DELCLOY Directeur, M&A secteur financier, Deloitte. Contact : jdelcloy@deloitte.fr.
La crise financière de 2008 a représenté un tournant sur le marché du M&A bancaire, non seulement en termes de volume mais aussi de typologie d’opérations et d’acteurs (États, fonds de restructuration…). Dans un contexte de gestion de crise financière et d’adoption de nouvelles réglementations (Bâle III, MiFID II, AIFM…), les banques européennes ont dû depuis lors mettre en place des mesures de grande ampleur (deleveraging, recapitalisations parfois fortement «  assistées  », rationalisations de coûts…) afin d’améliorer leur solvabilité, leur liquidité ainsi que leur rentabilité.Dans le contexte actuel encore incertain, les opérations de croissance externe ne figurent pas parmi les priorités stratégiques des banques. Cependant, le marché du M&A bancaire en Europe pourrait s’animer au moment où l’intérêt de ces opérations coïncidera avec la recherche de relais de croissance et la stabilisation de l’environnement économique et réglementaire. Certaines de ces opérations pourraient être d’ailleurs réalisées par des acteurs nouveaux, avec une place croissante des investisseurs stratégiques et financiers en provenance de pays émergents.

La crise financière de l’automne 2008 a ébranlé de manière profonde et durable le secteur financier mondial et européen. Cette crise trouve notamment son origine dans les déséquilibres structurels (production, compétitivité, démographie, déficits publics et commerciaux…) accumulés par les économies occidentales au cours des années 2000, déséquilibres masqués par un recours croissant et massif à l’endettement des ménages, des entreprises et des États. Elle a révélé la fragilité de notre écosystème financier mondial et mis en évidence un risque de contagion potentiellement incontrôlable lors de chocs majeurs affectant le secteur financier, mais aussi de manière induite l’économie réelle. En réponse à cette crise, les autorités mondiales et européennes ont accéléré leurs réflexions sur la mise en place de nouvelles réglementations visant à renforcer le secteur bancaire européen.

Ces nouvelles réglementations ont-elles eu ou sont-elles susceptibles d’avoir un impact sur les fusions-acquisitions dans le secteur bancaire en Europe ? Nous répondrons à cette question en analysant d’abord la dynamique et le rationnel des opérations de fusions-acquisitions dans ce secteur depuis 2005. Puis nous essaierons de comprendre comment les banques européennes ont réagi face à la mise en place des nouvelles réglementations. Enfin, nous mettrons en évidence les nouvelles perspectives qui s’ouvrent pour le marché des fusions-acquisitions bancaires en Europe.

Une évolution contrastée des opérations de fusions-acquisitions dans le secteur bancaire en Europe depuis 2005

Les opérations de fusions-acquisitions dans le secteur bancaire en Europe ont connu une croissance forte en nombre et en volume jusqu’en 2008 (plus haut historique), avant de décroître significativement jusqu’en 2010 (plus bas historique). La croissance apparente des opérations en 2011 et 2012 s’explique principalement par l’impact de la restructuration du secteur bancaire espagnol, même si les niveaux de 2005 n’ont pas été retrouvés (cf. graphique 1).

Graphique 1 Fusions-acquisitions dans le secteur bancaire (en Md€ pour l’échelle de gauche et en nombre d’opérations pour l’échelle de droite)
Sources : Mergermarket ; analyse Deloitte.

Un fort dynamisme des opérations de fusions-acquisitions en Europe sur la période allant de 2005 à 2008

Au cours de cette période, les principaux groupes bancaires ont eu l’ambition de devenir des acteurs « globaux », principalement par l’atteinte d’une taille critique et un développement international, tout en conservant un modèle de banque universelle.

Des phénomènes de consolidation de secteurs bancaires nationaux ont émergé dans certains pays européens. Ainsi, le secteur bancaire italien, qui était traditionnellement très fragmenté, a connu pendant ces années une consolidation sans précédent non seulement avec la constitution de deux acteurs européens de premier ordre, à savoir la banque Intesa Sanpaolo (issue de la fusion entre Banca Intesa et Sanpaolo IMI, respectivement deuxième et troisième banques italiennes) et Unicredit-Capitalia (le groupe Unicredit a acquis en 2007 la quatrième banque du pays Capitalia pour un montant de 22 Md€ en actions), mais aussi avec la constitution d’un ensemble de groupes bancaires de dimension nationale ayant une forte implantation dans certaines régions.

En France, la stratégie recherchée par certains acteurs a également consisté à mettre en commun des savoir-faire, à chercher des économies d’échelle et à rationaliser certaines activités. C’est notamment ce qui a prévalu lors de la création de Natixis, issue de la fusion entre la banque de financement et d’investissement des caisses d’épargne (Ixis CIB) et celle du groupe Banque populaire (Natexis), cette opération visant à constituer un « champion » dans le domaine de la banque de financement et d’investissement. Tel a également été le cas avec la création de Newedge, détenue conjointement par la Société générale et Crédit agricole CIB et issue de la fusion de Fimat et Calyon Financial, qui avait pour objectif d'être un leader mondial dans le domaine des activités de courtage.

Enfin, cette période a été caractérisée par un développement international, stratégie rendue indispensable pour une banque souhaitant se positionner comme un acteur « global ». Les grandes banques ouest-européennes ont ainsi réalisé de nombreuses opérations de fusions-acquisitions dans les pays émergents, principalement en Europe centrale et orientale. À titre d’exemples, la banque autrichienne Erste Bank a acquis 62 % de la banque roumaine Banca Comerciala Romana et la Société générale a multiplié les opérations d’acquisition ou de prise de participations dans de nombreux pays d’Europe orientale (Rosbank en Russie, Banka Popullore en Albanie, Splitska Banka en Croatie…).

Une restructuration du secteur bancaire européen depuis 2008

L’année 2008 a représenté un tournant sur le marché des M&A (mergers and acquisitions ou fusions-acquisitions) bancaires non seulement en termes de volume, mais aussi de typologie d’opérations et d’acteurs. Les années de 2008 à 2012 ont en effet été caractérisées par l’intervention des États à la suite du déclenchement de la crise financière et par un ralentissement très marqué des opérations de fusions-acquisitions aussi bien en valeur qu’en nombre.

Trois pays ont cristallisé la majeure partie des transactions de fusions-acquisitions : le Royaume-Uni, la Belgique et l’Espagne.

En 2008 et 2009, le gouvernement britannique a annoncé plusieurs plans de sauvetage massifs du secteur bancaire totalisant 850 Md£, dont 76 Md£ de recapitalisation directe de banques, principalement Royal Bank of Scotland à hauteur de 45 Md£, Llyods Bank pour 20 Md£ et la nationalisation de Northern Rock. Ces opérations ainsi que la fusion HBOS-Llyods expliquent les transactions relatives au Royaume-Uni en 2008-2009 illustrées sur le graphique 1 (supra).

Le secteur bancaire belge, qui était déjà très concentré (trois acteurs principaux), a lui aussi été très fortement impacté par la crise financière rendant nécessaire l’intervention de l'État. En effet, la crise de liquidité (Fortis, Dexia) couplée à de fortes expositions sur des produits dérivés à risques (KBC via sa filiale KBC Financial Products, Dexia via sa filiale FSA) a contraint l'État belge à recapitaliser les principales banques du pays afin d’éviter l’effondrement du système bancaire. En 2008, dans le cadre du plan de sauvetage de Fortis, les activités néerlandaises de Fortis ont été vendues à l'État néerlandais et l'État belge a acquis la totalité de Fortis Belgique, puis a cédé 75 % de ses actions à BNP Paribas. Les autorités belges ont également recapitalisé KBC Group en 2008 (3,5 Md€), puis en 2009 via la région flamande (3,5 Md€) afin de maintenir la confiance des marchés en KBC et le financement de l’économie réelle.

Les opérations de fusions-acquisitions observées en 2011 et 2012 ont principalement été initiées en Espagne, qui avait majoritairement bâti sa croissance économique sur le secteur de la construction jusqu’à l’éclatement de la bulle immobilière en 2008. Cet événement couplé à une hausse du chômage et à la classification de l’Espagne dans les pays à risques à la suite de la crise de la dette a contraint les banques espagnoles à faire face à une crise de liquidité et à une baisse de la qualité de leurs portefeuilles de crédits, à très forte dominante immobilière, entraînant de lourdes pertes. Dans ce contexte très difficile, le fonds espagnol de restructuration bancaire (Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria – FROB) a été créé pour apporter une aide publique aux banques espagnoles en difficulté et plus particulièrement aux caisses d’épargne régionales. Ce fonds, financé par l'État, a mené à bien plusieurs acquisitions et prises de participations, notamment en 2011 et 2012 (Catalunya Banc, NCG Banco…), afin de permettre la continuité d’exploitation des banques et d’éviter une contagion du risque de faillite à l’ensemble du secteur bancaire. Il en a résulté une vague de consolidation du secteur bancaire avec, par exemple, la création de Bankia en 2010 issue de la fusion de sept caisses d’épargne fortement impactées par l’éclatement de la bulle immobilière. La restructuration profonde du secteur, qui est passé en cinq ans d’une cinquantaine de groupes domestiques à une dizaine, s’est opérée autour d’un nombre limité d’acteurs tels que Santander, BBVA, La Caixa ou Banco Sabadell. Le secteur devrait à terme ne plus compter que cinq ou six acteurs.

Graphique 2 Fusions-acquisitions en Europe dans le secteur bancaire (en Md€ pour l’échelle de gauche et en nombre d’opérations pour l’échelle de droite)
Sources : Mergermarket ; analyse Deloitte.

Le graphique 2 illustre la baisse à la fois en volume et en valeur des opérations de fusions-acquisitions depuis 2009 (dont une proportion significative impliquant l’intervention d’acteurs de la sphère publique), alors même que cette période se caractérise également par un renforcement croissant des réglementations du secteur bancaire et de la gestion d’actifs en Europe. Depuis 2008, les opérations de fusions-acquisitions bancaires en Europe ont plutôt résulté d’une gestion de crise avec le support ou à l’initiative des États, notamment au Royaume-Uni, en Belgique et en Espagne, que d’une démarche proactive et stratégique des acteurs comme cela avait été le cas durant la période précédente. Par ailleurs, l’interprétation de ces seules données pourrait laisser penser que la mise en place des nouvelles réglementations visant principalement à consolider la structure financière des acteurs bancaires, en particulier leurs fonds propres, et à renforcer leurs capacités de résilience face à de nouvelles crises (financières, de liquidité…) a eu un effet limitant sur l’activité de fusions-acquisitions dans le secteur. Dans un contexte de gestion de crise financière et d’évolution de leur modèle, les banques européennes se sont focalisées sur la mise en place de mesures structurantes afin d’anticiper l’entrée en vigueur des nouvelles réglementations.

Comment les banques européennes ont-elles réagi face à la mise en place des nouvelles réglementations ?

Dans un premier temps, nous analyserons les principaux impacts pour les banques de l’évolution des réglementations qui leur sont applicables. Puis nous nous attacherons à recenser les dispositifs et les actions élaborés par les banques pour respecter ces contraintes, en engageant à la fois une réduction massive de la taille de leurs bilans et un renforcement de leurs fonds propres.

Un renforcement croissant des réglementations du secteur bancaire et de la gestion d’actifs en Europe

L’accord Bâle III, qui a été acté lors de la réunion du G20 à Séoul en novembre 2010, traduit la volonté du Comité de Bâle de définir un nouveau cadre réglementaire en réponse à la crise des subprimes. L’un des objectifs de ces nouvelles règles prudentielles est de renforcer la maîtrise des risques liés à l’activité bancaire de manière à ce qu’ils ne se transforment pas en risques systémiques incontrôlables pour l’économie mondiale. La directive-cadre CRD IV (Capital Requirements Directive) qui met en œuvre cet accord dans l’Union européenne comporte trois volets principaux.

Le premier volet consiste en un renforcement qualitatif et quantitatif des exigences de fonds propres. Sur le plan qualitatif, les principales évolutions portent notamment sur l’introduction de la notion de fonds propres dits « durs » ou « common equity tier 1 » qui reprennent de manière plus restrictive les postes des capitaux propres les plus solides (actions ordinaires, réserves et reports à nouveau). La catégorie des fonds propres complémentaires prudentiels (tier 2 capital) admet en tant que fonds propres disponibles des catégories de passif moins stables selon des critères spécifiques. Par rapport à Bâle II, le tier 3 capital correspondant aux fonds propres surcomplémentaires disparaît. Sur le plan quantitatif, le ratio common equity tier 1, correspondant au montant du noyau dur des fonds propres de base rapporté aux montants des actifs à risques pondérés (risk-weighted assets – RWA), a été porté à un minimum de 4,5 %, contre 2 % auparavant. La directive CRD IV propose également d’augmenter les exigences de fonds propres par deux réserves complémentaires (réserve dite « de conservation » et réserve « contracyclique ») de manière à ce que les banques puissent absorber de manière plus efficiente les chocs économiques. Ainsi, un coussin de conservation de 2,5 % devra être progressivement constitué à l’horizon de 2019 par les banques. Cette mesure vise donc à porter le niveau des fonds propres durs à 7 % et le ratio de solvabilité des fonds propres totaux à 10,5 % à l’horizon de 2019 (exigence de common equity tier 1 de 4,5 % + coussin de conservation de 2,5 % + autres composantes du tier 1 et tier 2 de 3,5 %). Le coussin contracyclique, dont l’introduction et la détermination de son montant (compris entre 0 % et 2,5 %) resteront à la discrétion du régulateur national, sera une extension du coussin de conservation. Dans le cadre du calcul du ratio réglementaire, l’accord Bâle III a également augmenté les déductions prudentielles requises ainsi que certaines pondérations d’actifs en fonction de leur risque lors du calcul des RWA. L’augmentation des déductions et de certaines pondérations d’actifs va mécaniquement entraîner une exigence supplémentaire de fonds propres pour les banques européennes. À titre d’exemple, les portefeuilles de titrisations et d’institutions financières font partie des actifs soumis à une augmentation de leur pondération.

Le second volet consiste en la mise en place de ratios de liquidité à court et long terme. Ces ratios revêtent une importance toute particulière car les banques ont révélé leur grande fragilité sur cette dimension au plus fort de la crise. Ainsi, le ratio de liquidité à court terme (liquidity coverage ratio – LCR) vise à obliger les établissements bancaires à détenir un encours suffisant d’actifs liquides disponibles (une pondération des actifs liquides est réalisée en fonction de leur qualité) pour couvrir les flux nets de trésorerie sortants sur une durée d’un mois. La directive CRD IV propose également d’introduire le ratio NSFR (net stable funding ratio) qui impose un niveau minimal de ressources stables en contrepartie des opérations à long terme. Chaque établissement doit ainsi être capable de mobiliser des ressources longues pour financer ses concours à long terme. Ces ratios ont subi des critiques de la part des professionnels du secteur bancaire, en particulier en France, mettant en exergue leur trop grande rigidité qui serait contradictoire avec le rôle premier des banques qui est de faire de la transformation.

Le troisième volet repose sur la mise en place d’un ratio de levier (leverage ratio) qui vise à comparer les engagements totaux (bilan et hors-bilan) au niveau des fonds propres réglementaires. L’introduction de ce ratio de levier va limiter la croissance des opérations comptabilisées en hors-bilan.

La gestion d’actifs en Europe est également confrontée à une réglementation en pleine mutation.

Concernant l’organisation des marchés, le bilan de la directive MIF (marchés d’instruments financiers) (entrée en vigueur en 2007) est apparu mitigé. En effet, les marchés se sont fortement fragmentés, engendrant moins de transparence et peu de réduction de coûts pour les clients. Couplées à un environnement technologique toujours plus innovant, ces conséquences ont amené les instances européennes à réviser cette directive et à proposer de nouvelles règles dites « MIF II ». Celles-ci comprendront à la fois une directive MiFID II (Markets in Financial Instruments Directive) et un règlement appelé MiFIR (Markets in Financial Instruments Regulation). Ces textes, qui entreront en vigueur en 2015, visent principalement à un renforcement de la transparence au niveau de la structuration des marchés et une protection accrue des clients. L’un des objectifs est d’éviter les conflits d’intérêts par l’interdiction des rétrocessions de commissions dans le cadre d’un conseil en investissement ou de gestion de portefeuille discrétionnaire sur une base « indépendante » (comme défini à l’article 24.6 de la directive), ainsi que par des obligations accrues en matière de transparence pré et post-transaction. Ce nouveau dispositif impactera fortement le business model des sociétés de gestion. En effet, son application entraînera non seulement des coûts additionnels, mais aussi une refonte des tarifs applicables aux opérations avec la clientèle.

En application de la directive AIFM (Alternative Investment Fund Manager), les sociétés de gestion doivent en outre, depuis juillet 2013, respecter des exigences de capital plus élevées, comprenant un montant minimal de capital initial de 300 000 euros et de capitaux additionnels (une exigence de fonds propres additionnels calculée en cas de dépassement de seuil d’actifs et une exigence de fonds propres additionnels et/ou d’assurances professionnelles destinée à couvrir les risques opérationnels).

Sur le plan fiscal, la Commission européenne a enfin présenté en septembre 2011 une proposition relative à la mise en place d’une taxe sur les transactions financières. Le Conseil européen et le Parlement européen ont adopté en 2012 la proposition de la Commission autorisant la coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières entre onze États membres (Belgique, Allemagne, Estonie, Grèce, Espagne, France, Italie, Autriche, Portugal, Slovénie et Slovaquie). La prochaine étape sera la présentation par la Commission d’une proposition pour examen et adoption par les États membres participants. La mise en place de cette taxe sur les transactions financières conduira de facto à l’existence de deux zones fiscales au sein de l’Union européenne, ce qui entraînera des distorsions de concurrence entre les États signataires de cet accord et les autres.

La mise en place de ces nouvelles réglementations représente par suite, pour l’ensemble des acteurs du secteur bancaire et les sociétés de gestion, des contraintes et des challenges qui impactent leurs fondamentaux (cf. tableau 1). Les banques européennes ont ainsi été dans la nécessité de mettre en place des mesures de grande ampleur afin de respecter ces nouvelles exigences.

Tableau 1 Impacts des principales réglementations
CET1 = common equity tier 1.EMIR = European Market Infrastructure Regulation.
Source : analyse Deloitte.

Un recours important au deleveraging afin d’améliorer la solvabilité et la liquidité

Afin de respecter toutes ces nouvelles exigences, les banques européennes ont principalement procédé à une réduction sans précédent de la taille de leur bilan (deleveraging). En 2012, nous avons conduit une étude intitulée The Deloitte Bank Survey 2012 sur les opérations de deleveraging initiées par dix-huit institutions financières européennes dans huit pays (France, Royaume-Uni, Espagne, Irlande, Portugal, Italie, Suisse et Pays-Bas). Cette étude, basée sur des interviews, révèle que les exigences renforcées de solvabilité et de liquidité sont les principales raisons de la démarche de deleveraging (cf. graphique 3 infra).

Graphique 3 Les différents moteurs du deleveraging (en %)
Source : The Deloitte Bank Survey 2012.

Ces opérations de deleveraging consistent essentiellement en un recentrage sur les principales activités stratégiques (core business) par la mise en place de différentes mesures dont les principales sont (1) l’arrêt de certaines activités avec ou sans gestion extinctive (run-off), (2) des cessions d’activités, de filiales ou d’actifs (par exemple, des portefeuilles de crédits) soit sous-performants, soit non stratégiques, ou (3) une politique plus stricte d’allocation d’actifs. Les banques européennes recherchent différentes finalités dont les résultats ne se matérialisent pas toujours immédiatement en fonction de la nature des stratégies suivies et de leurs rythmes de mise en place. La durée moyenne des mesures engagées ressort à cinq-sept ans selon l’étude. Bien que les banques européennes aient entrepris des opérations de deleveraging depuis 2009, leurs expositions aux portefeuilles de créances non performants et aux activités qualifiées de non stratégiques ont dans un premier temps augmenté entre 2010 et 2011 à mesure de la dégradation de qualité des actifs (cf. graphiques 4 et 5).

Graphique 4 Ratio de levier des principaux systèmes bancaires européens (en %)
Note : le ratio de levier (« tier 1 capital/actifs matériels ») pour chaque pays est calculé en utilisant le ratio de levier moyen des cinq plus grandes banques en termes d’actifs domiciliées dans le pays.
Source : Bloomberg.
Graphique 5 Évolution des prêts non core et non performants, 2010 et 2011 (en M€)
Sources : FMI (Fonds monétaire international) ; EIU (Economist Intelligence Unit) ; Bank Financial Statements.

En effet, les institutions financières sont confrontées à de multiples enjeux lors de la mise en œuvre de certains programmes de deleveraging, tels que les cessions de filiales ou d’activités. Les institutions interrogées citent à 71 % un écart de prix trop important entre les attentes des acheteurs et les vendeurs, à 59 % la difficulté à trouver un acheteur et à 41 % la reconnaissance de pertes lors de la cession. Ces processus se sont par ailleurs allongés et complexifiés compte tenu de la vigilance accrue des régulateurs et du caractère sensible de certaines opérations sur le plan social.

Sur le marché des opérations de cession de portefeuilles, l’activité sur 2012 a été aussi soutenue qu’en 2011 (environ 36 Md€). Le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Espagne ont concentré l’essentiel de ces opérations sur 2011 et 2012. Ainsi, par exemple, Royal Bank of Scotland et Lloyds sont clairement à l’origine de l’accroissement des transactions en 2011 et 2012 au Royaume-Uni, conséquence directe de l’application de leur stratégie de cession d’actifs non core. En Irlande, un plan de deleveraging de grande envergure (Financial Measures Programme) a été mis en œuvre pour assainir le secteur bancaire. Le nombre de transactions de portefeuilles en Espagne avait également considérablement augmenté en 2011 traduisant notamment la volonté du régulateur national de nettoyer les bilans des banques et de réduire leurs besoins en liquidités. Le marché des opérations de cession de portefeuilles non core devrait connaître une croissance dans les prochaines années en Europe centrale et orientale, notamment soutenue par la sortie de certaines banques de ces marchés.

Les opérations de deleveraging observées ces dernières années se sont davantage matérialisées par des gestions extinctives ou des arrêts d’activités que par des opérations de fusions-acquisitions. L’exemple le plus probant est le désengagement massif des banques européennes de certaines activités de financement et d’investissement. À titre d’exemple, le groupe Société générale a mis en place un programme de deleveraging de sa banque de financement et d’investissement se traduisant par des cessions de 16 Md€ de portefeuilles de crédits depuis juin 2011 et par un programme de cession d’actifs gérés en extinction d’un montant de 19 Md€ sur 2011 et 2012. Ce groupe souhaite désormais continuer à optimiser son bilan, notamment dans sa banque de financement et d’investissement, via une réduction de ses besoins de financement sur les marchés de capitaux. Les actions menées chez Crédit agricole CIB ou Natixis avec sa structure dédiée GAPC sont d’une nature similaire. Depuis 2008, les banques françaises ont activement réduit leurs portefeuilles d’actifs risqués ou illiquides qui ne représenteraient plus aujourd’hui qu’environ 5 % de leurs actifs pondérés. Cette réduction des activités de financement et d’investissement a permis aux banques européennes de diminuer non seulement la taille de leur bilan, mais aussi, dans certains cas, leurs expositions aux financements en dollars.

En effet, certaines activités spécifiques des banques de financement et d’investissement sont principalement libellées en dollars (financement de projets aéronautiques, activités dont le sous-jacent est une matière première : pétrole, produits agricoles…). Or, à partir de 2011, les fonds monétaires américains ont progressivement réduit leurs concours en dollars aux institutions financières européennes, provoquant de fait une raréfaction de la liquidité dans cette devise. À titre d’exemple, BNP Paribas a cédé en 2012 à la banque californienne Wells Fargo un portefeuille de prêts au secteur énergétique qui comprenait 9,5 Md$ d’engagements, dont seulement 3,9 Md$ avaient été activés. Cette opération était inscrite dans le cadre du programme de cession d’actifs engagé par BNP Paribas visant à réduire son bilan de 10 % à la fin de 2012 et à décroître dans le même temps son exposition aux financements en dollars.

Enfin, les programmes de cession de banques européennes ont aussi porté sur des actifs hors Europe, notamment libellés en dollars, et sont donc venus animer l’activité de fusions-acquisitions bancaires dans ces régions et, dans une moindre mesure, en Europe. Ainsi, le groupe Société générale anticipe une amélioration de 45 points de base de son ratio core tier 1 (CT1) au moyen de cessions (1) de sa participation dans sa filiale égyptienne National Société Générale Bank à la banque qatarie Qatar National Bank et (2) de sa participation dans la société de gestion d’actifs TCW Group à Carlyle Group.

L’ensemble de ces mesures de deleveraging ont permis aux banques européennes non seulement de renforcer la structure de leurs fonds propres (de manière immédiate ou différée) en adéquation avec les exigences croissantes de liquidité et de solvabilité, mais aussi de mettre en œuvre une politique de réallocation des risques et un recentrage sur les principales activités stratégiques visant in fine à améliorer leur rentabilité et à redonner confiance aux marchés.

Une recapitalisation à marche forcée de l’industrie bancaire

Dans ce contexte d’implémentation des nouvelles réglementations couplé à une situation financière et économique difficile, les banques européennes se sont concentrées sur l’amélioration de leurs ratios de solvabilité non seulement par du deleveraging, mais aussi, dans une certaine mesure, par des recapitalisations plus directes (cf. graphiques 6 et 7 infra).

Graphique 6 Évolution du ratio CT1 (en %)
Sources : états financiers annuels ; analyse Deloitte.
Graphique 7 Évolution des fonds propres (en M€)
Sources : états financiers annuels ; analyse Deloitte.

En décembre 2011, l’Autorité bancaire européenne (EBA – European Banking Authority) avait appelé les banques européennes à porter leurs ratios de fonds propres CT1 à 9 % à la fin de juin 2012. Dans son rapport final publié en octobre 2012, elle observait que le ratio moyen CT1 des soixante et une banques pour lesquelles sont publiées des données individuelles ressortait à 10,7 % au 30 juin 2012. Pour ces banques, les recapitalisations ont totalisé 163 Md€, dont 116 Md€ au titre des vingt-sept banques qui avaient été identifiées comme sous-capitalisées par l’EBA.

D’autres banques européennes plus fortement touchées par la crise bénéficient d’une recapitalisation fortement « assistée ». Ainsi, les banques grecques, qui avaient enregistré de lourdes pertes lors des opérations de restructuration de la dette grecque en 2012, sont en cours de recapitalisation avec l’aide du Fonds européen de stabilité financière et du Fonds de stabilité financière hellénique. En échange de ces aides visant à les recapitaliser, ces banques se sont engagées à des restructurations qui pourraient prendre la forme de fusions. Il en a été de même en Espagne avec le FROB qui a acquis ou pris des participations dans différentes banques espagnoles, principalement des caisses d’épargne régionales, afin de les recapitaliser et d’assurer la continuité de leur exploitation. Au Royaume-Uni, le Bank Recapitalization Fund a aussi joué ce rôle.

Ces recapitalisations ont également été réalisées au moyen d’émissions de nouvelles actions ou de CoCo (contingent convertible bonds – obligations convertibles), de la conversion de divers instruments financiers hybrides en capital ou de mises en réserve d’une part accrue des résultats.

La mise en œuvre progressive de ces nouvelles réglementations, notamment le renforcement des exigences en fonds propres et le respect des ratios de liquidité à un mois et à un an, couplée à une situation économique difficile a entraîné une diminution sensible du rendement moyen RoE (return on equity) du secteur bancaire européen (cf. graphique 8 infra).

Cette situation a contribué à alimenter la baisse d’attractivité du secteur des institutions financières pour les investisseurs et une forte chute des capitalisations boursières de ces valeurs jusqu’au milieu de 2012.

Graphique 8 Évolution du RoE (en %)
Note : l’évolution présentée est la moyenne d’un panel de dix banques européennes.
Sources : états financiers annuels ; analyse Deloitte.

L’attention des investisseurs se concentre aujourd’hui beaucoup plus sur les aspects opérationnels, notamment la qualité des actifs et le taux de couverture des provisions, ainsi que sur l’amélioration de la rentabilité. Cela nécessite une refonte en profondeur des modèles économiques des banques, notamment au travers de la mise en place d’une gestion plus fine des performances, des risques et des coûts liés aux stratégies commerciales et d’investissement de leurs différentes activités (stratégie de distribution des crédits, développement de nouveaux produits versus recentrage sur produits plus rentables, développement opportuniste du réseau de distribution à l’international versus recentrage vers les zones géographiques les plus rentables…). Cette rationalisation des activités, visant à optimiser la rentabilité, est devenue d’autant plus prioritaire que la mise en œuvre des nouvelles réglementations génère des coûts additionnels. En effet, afin de mieux gérer les risques et de se conformer aux nouvelles obligations qui s’appliquent désormais à elles, les banques européennes doivent renforcer leurs programmes d’audit et de suivi des risques ainsi que leurs reportings de gestion. La mise en place de nouvelles procédures en ces domaines représente pour elles des coûts additionnels significatifs (coûts d’implémentation de nouveaux outils de gestion des risques, recrutements ciblés de collaborateurs renforçant les départements « audit et contrôles »…) qui ont un impact certain sur la rentabilité. Par ailleurs, dans le cadre de la rationalisation de leurs activités, les banques européennes ont de plus en plus recours aux nouvelles technologies (transition vers le digital, renforcement de la position des banques européennes sur le web et les réseaux sociaux, déploiement des agences en ligne, développement des applications smartphone…) qui ont la capacité de générer des flux de revenus additionnels, voire d’optimiser les coûts de traitement, mais qui nécessitent au préalable des investissements très significatifs. À titre d’exemple, la filiale belge de BNP Paribas, BNP Paribas Fortis, va supprimer environ 150 agences et 1 800 postes d’ici à trois ans pour économiser 300 M€ et investir dans le numérique.

Depuis 2009, les groupes bancaires européens ont donc consacré l’essentiel de leurs efforts et de leurs ressources à gérer l’impact des contraintes réglementaires sur leurs ratios et leurs activités, à maîtriser leur liquidité, à assainir leurs bilans et à rationaliser leurs coûts. Ces actions ont été bien engagées, mais pourraient perdurer encore un moment si l’activité économique se dégradait engendrant une pression accrue sur les marges et le coût du risque. Dans ce contexte, les opérations de fusions-acquisitions (non distressed) ne figuraient pas parmi les priorités des plans stratégiques des banques. Aux incertitudes économiques et réglementaires peu propices à de telles prises de décisions s’ajoute l’aversion des investisseurs et du marché en général à ce type d’opérations, compte tenu notamment du caractère dilutif en capital réglementaire des acquisitions avec goodwill, d’un marché de la dette d’acquisition quasi inexistant et de l’intérêt stratégique (création de valeur) considéré comme peu évident. Cependant, lorsque le bout du tunnel sera perceptible, certains acteurs vont sortir renforcés de tous ces chocs et les priorités pourraient évoluer.

De nouvelles perspectives pour le marché des fusions-acquisitions bancaires en Europe ?

Le marché des fusions-acquisitions bancaires en Europe se redynamisera lorsque certains signaux seront présents, au nombre desquels une stabilisation des évolutions réglementaires, l’avancement des plans de transformation actuellement engagés par les groupes bancaires, une embellie de la situation économique, la réouverture du marché des financements d’acquisition et un retour de la confiance des marchés et des investisseurs à l’égard des valeurs bancaires. En effet, les périodes de forte incertitude ne sont pas propices à une prise de risque. Les instances de gouvernance ont d’ailleurs renforcé leur vigilance sur les opérations de fusions-acquisitions, dont certaines se sont aussi révélées destructrices de valeur. Cependant, en parallèle des programmes de rationalisation des coûts, les enjeux de croissance sont aujourd’hui de plus en plus évoqués au sein des directions générales. Lorsque l’environnement se sera stabilisé avec une confiance retrouvée et une visibilité accrue pour permettre l’élaboration de scénarios, une correcte appréciation des risques et des opportunités, et des valorisations en phase avec les attentes des acheteurs et des vendeurs, la recherche de relais de croissance reviendra au cœur des préoccupations stratégiques des groupes bancaires européens.

Une nouvelle phase de consolidation de l’industrie bancaire

Les mégafusions qui ont été observées avant 2008 ne reviendront probablement pas à l’ordre du jour avant un certain temps. Cependant, le secteur bancaire européen pourrait entrer dans une nouvelle phase de consolidation à l’échelle continentale, se traduisant notamment par la constitution de « champions » dans des domaines spécifiques (banque de financement et d’investissement, asset management…) aux côtés des grandes banques universelles européennes. En effet, après une vague de consolidation des marchés locaux européens (Italie…), une phase de consolidation au niveau européen pourrait permettre aux acteurs du secteur bancaire de trouver des relais de croissance par l’atteinte d’une taille critique et un renforcement de leurs spécialisations métiers. Cela répondrait à une recherche de différenciation sur les points forts. Ce phénomène pourrait s’accélérer non seulement du fait de la poursuite de cession d’activités ou de filiales jugées non stratégiques par des banques de taille très significative, mais aussi en raison de la nécessité de se conformer aux obligations résultant de nouvelles lois concernant, par exemple, la séparation des activités de détail de celles de banque de financement et d’investissement.

De plus, à côté de la constitution de ces « champions » à l’échelle continentale, une consolidation de second niveau pourrait se développer entre les institutions bancaires européennes de faible et moyenne taille. En effet, ces banques semblent moins bien positionnées pour répondre aux nouvelles exigences réglementaires (atteinte des niveaux de fonds propres requis, mise en place des nouvelles procédures de contrôle et des nouveaux outils de reporting générant des coûts significatifs…), retenir leur clientèle et capter les opportunités de croissance. Des rapprochements, via des opérations de fusions-acquisitions ou encore au moyen de formes moins capitalistiques (alliances, réseaux…), pourraient être envisagés. Les grandes banques européennes vont sans doute continuer à rationaliser leurs portefeuilles d’activités en souhaitant céder certaines activités non core (par exemple, métier titres, services financiers spécialisés…), ce qui pourrait créer des opportunités d’acquisition pour ces institutions bancaires de taille moyenne qui souhaiteraient élargir leurs activités, par exemple à d’autres produits ou zones géographiques.

Il en va de même pour les sociétés de gestion et les autres acteurs du secteur de la gestion d’actifs confrontés à une industrie en pleine mutation et consolidation. En effet, l’impact des nouvelles réglementations, notamment issues des directives UCITS IV (Undertakings for Collective Investment in Transferable Securities), MIF II et AIFM, pose de manière très concrète la question de la taille et du nombre de sociétés de gestion en Europe dans un environnement unifié (« passeport européen ») et un contexte opérationnel qui s’est considérablement industrialisé. Par ailleurs, les sociétés de gestion entrepreneuriales ne disposant pas de réseau de distribution pourraient avoir des difficultés à promouvoir leurs nouveaux produits dans une industrie où le principal objectif n’est plus de produire, mais de distribuer. Selon toute vraisemblance, la poursuite de la concentration du secteur continuera au profit de pure players et sera non seulement stimulée par la globalisation des marchés, mais aussi par la désimbrication des activités de gestion d’actifs des réseaux bancaires.

Des acteurs non bancaires pour animer le marché européen des fusions-acquisitions

A contrario, certains groupes d’assurances pourraient considérer comme stratégique de renforcer leur pôle gestion d’actifs pour maîtriser la chaîne d’investissement (dans une logique de Solvabilité II) ou acquérir des compétences différenciantes et de meilleurs rendements pour leurs actifs assurantiels (immobilier, infrastructures, corporate debt, pays émergents…). Ces opérations pourraient animer le marché des fusions-acquisitions dans le secteur de l’asset management et par ricochet sur le métier titres.

Le shadow banking considéré comme ayant eu une part de responsabilité significative dans la crise financière de 2007-2012 n’a en fait pas disparu et se développe sous de nouvelles formes car le développement de modes de financement alternatifs par des acteurs non bancaires répond à un besoin de financement non couvert par les acteurs bancaires traditionnels qui, pour des raisons de contrainte de capital et de liquidité, ont freiné leur production. L’évolution du business model des banques d’investissement (buy and hold vers originate-to-distribute) renforce ce phénomène et la multiplication de l’intervention d’acteurs non bancaires dans la sphère financière (titrisations, fonds de dette, financement corporate, infrastructures, immobilier et collectivités locales par des groupes d’assurances, hedge funds…). Ces acteurs interviennent sur des opérations de financement primaires, mais aussi secondaires en rachetant, par exemple, des portefeuilles de créances en extinction. Contreparties des banques dans le gigantesque deleveraging en cours, ils pourraient dans le futur continuer à jouer un rôle important pour assurer la liquidité et la rotation des actifs. Au-delà des transactions de portefeuilles, le développement de ces acteurs pourrait s’effectuer par rachat de plates-formes, de compétences et d’activités auprès d’acteurs régulés.

Les fonds de private equity ont aussi affiché ces dernières années un intérêt croissant pour le secteur des services financiers. Ainsi, des fonds de private equity spécialisés ont été constitués, par exemple AnaCap au Royaume-Uni ou Augur Capital en Allemagne. La baisse de valorisation des actifs, les besoins en recapitalisation, le contexte de rationalisation par la cession ou l’externalisation d’activités jugées non stratégiques sont autant d’éléments susceptibles de susciter cet intérêt. Les fonds de private equity investissent traditionnellement plus dans les activités de services (courtage, moyens de paiement…) que dans des activités dites « de bilan » plus régulées. Dans ce contexte de restructuration des banques européennes, ces fonds pourraient non seulement renforcer leur présence dans ces métiers de services, mais aussi commencer à investir de manière croissante sur les activités de bilan bancaire ou d’assurance, comme l’a déjà fait, par exemple, le fonds JC Flowers avec l’acquisition de la filiale d’assurances de KBC (Fidea). Dans certains pays, dont la France, ce type d’opérations reste pour l’instant limité compte tenu des contraintes imposées par la législation nationale ou les régulateurs (protection des clients, limitation de l’effet de levier, exigence de capital renforcé, investissement jugé comme plus « spéculatif » que « métier »…).

L’émergence de ces nouveaux acteurs pourrait également s’accélérer lorsque les États entameront de manière significative leurs programmes de désinvestissement au sein des banques européennes (reprise de la part des États des fonds apportés aux banques européennes lors des périodes les plus difficiles de la crise financière). Enfin, les divers projets de loi relatifs à la séparation des activités de banque de détail de celles de banque de financement et d’investissement pourraient également accentuer ce phénomène et enclencher d’autres opérations de fusions- acquisitions en Europe.

Une recherche de relais de croissance dans les pays émergents ou l’émergence du pouvoir des banques émergentes ?

Certaines banques européennes continuent d'être à l’écoute d’opportunités de développement dans les pays émergents sur des actifs de petite et moyenne taille pour le moment. Dans des contextes économiques et démographiques plus favorables que ceux des pays européens, les pays émergents bénéficient en effet de l’émergence massive d’une classe moyenne et de la montée en puissance de la bancarisation de leur population qui pourraient offrir aux banques européennes de nouveaux relais de croissance. Cela repose sur le desserrement de contraintes réglementaires, juridiques ou politiques, notamment liées à l’investissement au capital de banques étrangères dans certains pays, comme la Chine ou l’Inde. Les conditions favorables de ces pays émergents ont permis aux principales banques de ces pays (et notamment des BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine) de bénéficier d’une forte rentabilité permettant d’atteindre un niveau de solvabilité élevé. S’appuyant sur un solide développement de leur base domestique (lié à l’appétit en matière de services financiers d’une classe moyenne qui croît rapidement), certains groupes commencent à développer des stratégies globales. En septembre 2012, Sberbank (Russie) a ainsi racheté Denizbank (Turquie) à Dexia et les activités de crédit à la consommation de BNP Paribas en Russie après avoir acquis au début de 2012 les activités internationales de Volksbanken (Autriche). D’autres acteurs, leaders dans leurs pays, comme ICBC (Chine), Bradesco (Brésil), Standard Bank (Afrique du Sud) ou ICICI (Inde), renforcent leur présence à l’international et pourraient devenir plus actifs sur le marché des fusions-acquisitions y compris en Europe. Les banques européennes désireuses de céder certains actifs non stratégiques ou ouvrir leur capital à de nouveaux partenaires y trouveraient ainsi des contreparties de choix.

Conclusion

Les opérations de fusions-acquisitions bancaires réalisées en Europe depuis 2008 ont principalement été initiées en réponse à la crise financière avec un soutien fort des États, notamment au Royaume-Uni, en Espagne, en Belgique. Cette période a aussi été marquée par l’adoption de nouvelles réglementations que les banques ont anticipées en mettant en place des dispositifs appropriés de gouvernance et de gestion des risques, mais ceux-ci conduisent également à un deleveraging et une recapitalisation de grande ampleur du secteur. Dans un contexte particulièrement incertain, la priorité des banques européennes reste encore la rationalisation de leurs activités plutôt que la réalisation d’opérations de croissance externe. Le marché des fusions-acquisitions bancaires en Europe pourrait s’animer au moment où l’intérêt stratégique et financier pour ces opérations coïncidera avec la recherche de relais de croissance et la stabilisation de l’environnement économique et réglementaire. De telles opérations seront certainement plus ciblées, renforçant la spécialisation et la différenciation des groupes du secteur financier, certaines étant réalisées par des nouveaux acteurs, avec une place croissante des investisseurs stratégiques et financiers en provenance de pays émergents.


Notes

Associé, responsable de l’activité M&A secteur financier, Deloitte. Contact : BChasles@deloitte.fr.
Directeur, M&A secteur financier, Deloitte. Contact : JDelcloy@deloitte.fr.