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 Les banquiers rationnent-ils plus le crédit aux entreprises ? Résultats d’une enquête régionale


Sylvie CIEPLY Université de Caen Normandie ; CREM (Centre de recherche en économie et management). Contact : sylvie.cieply@unicaen.fr
Le rationnement du crédit aux entreprises a-t-il augmenté au cours de la dernière décennie ? Cet article répond à la question en comparant les résultats obtenus lors de l’administration d’une enquête auprès de deux cohortes, différentes mais comparables, de banquiers interrogés à douze ans d’intervalle. Notre travail met en évidence la stabilité des mécanismes qui conduisent au rationnement. Le refus d’octroyer un crédit dans sa totalité n’est utilisé que pour les prospects. Lorsqu’une relation de clientèle existe, le banquier préfère limiter la quantité de crédit proposée et surtout exiger des garanties. Sur la période étudiée, nous observons la diminution du recours au rationnement fort comme faible et l’augmentation des exigences en garanties et en clauses restrictives. Le rôle des taux d’intérêt reste inchangé malgré la réforme du taux de l’usure. Nous constatons que cette réduction des rationnements s’accompagne d’une plus grande rationalisation de la prise de décision bancaire autour de critères essentiellement financiers.

Il y a plus de dix ans ont été publiés les résultats d’une enquête portant sur le comportement des chargés d’affaires entreprises et la nature des relations qu’ils nouent avec leurs clients (Cieply et Grondin, 1999 ; Abdesselam et al., 2002). Ces articles ont montré la faible propension des banquiers à rationner le crédit quand existe une relation de clientèle, quel que soit le statut de leur établissement (mutualiste ou AFB – Association bancaire des banques), le comportement de rationnement étant essentiellement concentré sur la population des prospects et, en particulier, des entreprises les plus petites et les plus jeunes. Depuis, de nombreux changements ont impacté le secteur bancaire et ont pu modifier les conditions de l’exercice du métier de chargé d’affaires entreprises.

L’environnement réglementaire a tout d’abord profondément évolué. Les lois du 1er août 2003 et du 2 août 2005 ont écarté du champ de la réglementation sur l’usure la quasi-totalité des crédits aux sociétés et aux personnes physiques exerçant une activité marchande (Gabrielli et al., 2007). En 2007, l’entrée en vigueur de la directive 2006-48 CRD (Capital Requirements Directive) a conduit les banques à mettre en œuvre le dispositif de Bâle II, ce qui s’est traduit, en matière de gestion du risque de crédit, par l’implémentation de modèles de notation interne (Golitin, 2007). Sur la période récente, les banques françaises se sont préparées à la mise en œuvre de Bâle III, obligatoire depuis juillet 2013, qui renforce les exigences en fonds propres et en liquidité des établissements de crédit.

L’environnement concurrentiel des banques a également changé. La période 2003-2008 a été marquée par une importante vague de fusions-acquisitions si bien que la concentration du secteur bancaire français a augmenté ; ce secteur était dominé par sept grands groupes en 2011, contre quinze en 1996 (CECEI, 2008 ; ACPR, 2012).

Enfin, la crise a modifié la donne pour le secteur bancaire. Les établissements de crédit français ont tout d’abord enregistré des pertes significatives, en résultat net comme en capitalisation boursière, à cause de l’effondrement des crédits subprimes et des véhicules qui leur étaient liés (Plane et Pujals, 2009). L’enlisement de l’Europe dans la crise s’est ensuite accompagné d’un volume de crédits aux entreprises qui se maintient à un niveau relativement faible.

Ces transformations de l’environnement réglementaire, concurrentiel et économique ont-elles impacté la nature des relations que les banques entretiennent avec les entreprises ? En particulier, dans ce nouvel environnement, les banquiers ont-ils eu plus tendance à rationner le crédit ? Pour répondre à ces questions, nous comparons les réponses collectées lors de l’administration d’un même questionnaire en 2000 et en 2012 sur deux cohortes, différentes mais comparables, de chargés d’affaires entreprises.

Notre travail met en évidence la stabilité des mécanismes qui conduisent au rationnement. Le refus d’octroyer un crédit dans sa totalité (rationnement fort) n’est utilisé de façon significative que pour les prospects. Lorsque préexiste une relation de clientèle, cette modalité d’action est peu utilisée, le banquier préférant limiter la quantité de crédit offert (rationnement faible) et surtout exiger des garanties. La comparaison des résultats obtenus en 2012 avec ceux publiés en 2002 montre la diminution du recours au rationnement fort comme faible et l’augmentation des exigences en garanties et en clauses restrictives. Le rôle des taux d’intérêt reste inchangé malgré la réforme du taux d’usure. Cette réduction de la fréquence des rationnements s’est accompagnée d’une évolution des pratiques des banquiers vers une plus grande rationalisation de leurs prises de décisions dorénavant centrées sur des critères essentiellement financiers.

Cet article est structuré en quatre parties. La première tire les leçons des travaux réalisés en France sur la question du rationnement du crédit aux entreprises. La deuxième introduit l’enquête et les échantillons de référence. La troisième présente nos résultats en matière de rationnement et la quatrième met en lumière l’évolution des pratiques bancaires.

Rationnement du crédit aux entreprises en France : revue de la littérature

Beaucoup d’articles ont été consacrés à la question des effets des imperfections du marché du crédit sur l’investissement et la croissance des entreprises1. Sur un plan empirique, ces articles étudient la sensibilité des variables réelles (investissements, dépenses de recherche et développement, exportations) aux fluctuations des variables financières, en particulier les cash flows que dégagent les entreprises2. Ils notent le plus souvent que la sensibilité financière des entreprises dépend de leurs caractéristiques intrinsèques, en particulier leur âge et leur taille, mais ils n’identifient pas la responsabilité des banques dans la genèse de la contrainte. Le rationnement du crédit apparaît alors comme un cas particulier qui met en exergue le rôle du prêteur dans l’apparition d’une contrainte financière.

Le rationnement du crédit est la contrainte financière qui se tra-duit par un accès restreint au crédit alors même que les entreprises sont prêtes à en payer le prix et que leurs projets sont a priori renta-bles. On peut distinguer deux types de rationnements3. Le rationnement partiel, ou « rationnement faible », correspond à la situation d’une entreprise qui obtient un prêt pour un montant inférieur à la quantité demandée. Les prêteurs, pour réduire leur exposition aux risques, limitent alors la quantité de crédit qu’ils accordent. Le rationnement complet, ou « rationnement fort », correspond à une situation où la banque refuse complètement de financer une entreprise quel que soit le montant du prêt. Cette situation s’explique par l’existence d’asymétries d’information entre prêteurs et emprunteurs. Lorsqu’un prêteur observe imparfaitement la qualité de l’emprunteur, il a tendance à augmenter la prime de risque. Les emprunteurs de bonne qualité trouvent le taux d’intérêt trop élevé et quittent le marché du crédit ; seules les entreprises les plus risquées acceptent la proposition de prêt. Cette situation, dite de « sélection adverse », conduit les banques à ne pas augmenter les taux d’intérêt, même s’il existe une demande de crédit excédentaire, si bien qu’à l’équilibre, le crédit peut être rationné (Stiglitz et Weiss, 1981).

On peut constater avec Kremp et Sevestre (2013) que si l’étude de l’impact des variables financières sur les caractéristiques réelles des entreprises fait l’objet d’une littérature abondante, la mesure de la contrainte – et en particulier l’identification des situations de rationnement – est plus délicate. On identifie dans la littérature empirique quatre catégories de travaux qui contribuent à cette analyse.

Une première catégorie de travaux s’appuie, pour caractériser la situation de rationnement, sur une variable proxy. L’importance des garanties requises (Cosh et Hughes, 1994) est ainsi souvent désignée comme le proxy d’un rationnement faible. L’utilisation par la firme d’un autre mode de financement a été considérée comme une variable proxy d’un rationnement fort. Il s’agit du crédit commercial pour Petersen et Rajan (1994) et de l’autofinancement pour de très nombreux articles depuis Fazzari et al. (1988). L’usage de ces proxys fait cependant l’objet de critiques. Le financement par crédit interentreprises peut être lié à des pratiques commerciales indépendantes de l’existence d’éventuelles contraintes financières. L’interprétation en termes de contraintes financières de la sensibilité de l’investissement des entreprises à leur cash flow est également contestée aussi bien sur un plan théorique (Kaplan et Zingalès, 1997 ; Almeida et al., 2004) que sur un plan empirique (Kaplan et Zingalès, 1997 ; Cleary, 1999).

Une deuxième catégorie de travaux évalue directement la perception par les dirigeants de leur accès au crédit. Kremp et Sevestre (2013) ont recensé ces études pour la France. Il s’agit d’enquêtes administrées par la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, l’Insee (enquête sur l’accès au financement des PME employant au moins dix salariés), la Banque centrale européenne (SMEs’ Access to Finance) ou Oséo/Bpifrance (enquêtes semestrielles). À partir de ces enquêtes, les auteurs ont calculé un estimateur de rationnement qui montre que pour 2009-2010, le rationnement faible ne concerne en moyenne que 6,4 % des entreprises ayant demandé un crédit et le rationnement fort seulement 4,6 % des demandeurs de crédit. Eurostat réalise également ce type d’enquêtes sur des échantillons d’entreprises européennes et arrive à des résultats sensiblement différents : en moyenne, sur la période 2009-2013, le taux de refus partiel de crédit s’est élevé en France à 4,13 % (contre 10,63 % en Europe) et le refus total de crédit à 12,33 % (contre 12,9 % en Europe) (Eurostat, 2009, 2011 et 2013). Ces écarts peuvent s’expliquer par la sensibilité des réponses obtenues dans le cadre des enquêtes par questionnaires. L’ensemble de ces travaux met cependant en évidence un marché du crédit sur lequel plus de 75 % des entreprises voient leur demande de crédit entièrement satisfaite.

Une troisième catégorie de travaux estime des modèles de déséquilibre à partir de données comptables. Sur données françaises, on recense les travaux de Cieply et Paranque (1998) pour la période 1985-1995, ceux d’Aubier et Cherbonnier (2007) pour la période 1998-2004, ceux d’Alexandre et Buisson (2010) pour la période 2000-2008 et ceux de Kremp et Sevestre (2013) pour la période 2004-2010. Ces travaux montrent tous que le marché du crédit est dominé par la demande. Selon l’étude la plus récente (Kremp et Sevestre, 2013), la situation de rationnement partiel n’aurait concerné que 6 % des entreprises financées par crédit entre 2000 et 2006 et 6,9 % entre 2007 et 2010 ; le rationnement complet aurait concerné 1,3 % des entreprises sur la période 2004-2006 et 1,9 % sur la période 2007-2010. Les entreprises les plus petites et les plus jeunes supportent un rationnement plus conséquent. Pour les plus petites entreprises, le rationnement partiel s’élève entre 2004 et 2006 à 7,2 % et entre 2007 et 2010 à 9 %, et le rationnement complet à 2,6 % pour la première période et à 3,5 % pour la deuxième période. Pour les entreprises les plus jeunes, le rationnement faible s’élève pour l’ensemble de la période à 10,3 %, le rationnement fort concerne 1,3 % des entreprises sur la période 2004-2006 et 4,1 % sur la période 2007-2010.

Une quatrième catégorie de travaux consiste à chercher dans le comportement des banquiers les mécanismes sous-jacents aux situations de rationnement. Cette stratégie d’évaluation a été adoptée par Cieply et Grondin (1999) et Abdesselam et al. (2002) ; elle consiste à étudier les décisions que déclarent prendre les banquiers dans une situation d’information imparfaite. Ces articles ont mis en évidence la focalisation des comportements de rationnement fort sur les entreprises qui n’ont pas développé de relations bancaires. Ce travail, centré sur les banquiers, complète les études qui reposent sur des enquêtes menées auprès des entreprises en apportant des détails quant aux mécanismes utilisés par les banquiers dans leur prise de décisions. Cette enquête par questionnaires est soumise aux biais de réponses que nous avons précédemment soulignés. L’utilisation du même questionnaire en 2012 et en 2000 permet d’étudier l’évolution des réponses en supposant ce biais constant sur la période. La stratégie de questionnement utilisée doit également limiter les biais.

L'enquête auprès des chargés d’affaires entreprises : méthodologie

Le questionnaire

L’enquête utilise la partie du questionnaire administré dans Cieply et Grondin (1999), puis Abdesselam et al. (2002) qui traite des décisions prises par les banquiers en matière d’octroi de crédits dans un environnement où l’information est imparfaite. Plus précisément, les chargés d’affaires sont interrogés sur la hiérarchie des décisions qu’ils prennent dans une situation où l’accès à l’information est contraint. Cinq modalités d’action leur sont proposées : le refus total de financement (rationnement fort), le refus partiel (rationnement faible), l’augmentation des taux d’intérêt, l’introduction de clauses restrictives et la demande de garanties. Chaque chargé d’affaires est invité à hiérarchiser les quatre décisions les plus fréquemment prises dans plusieurs cas : un prospect, un client depuis moins d’un an, un client depuis plus d’un an et moins de cinq ans, et un client depuis plus de cinq ans. Les autres questions posées concernent la nature de la clientèle (taille, secteur), l’analyse des risques (sources d’information, ratios financiers, notations internes, fréquences des contacts et types de contacts) et les pratiques contractuelles (tarification, clauses restrictives).

Les échantillons

Dans cet article, nous comparons les réponses au questionnaire administré en 2012 avec les données collectées en 2000 (Abdesselam et al., 2002). Ces dernières concernaient un échantillon de 28 chargés d’affaires entreprises qui travaillaient dans 8 établissements bancaires (4 mutualistes et 4 commerciaux) implantés en Basse-Normandie. 54 % de l’effectif était employé par des banques commerciales, le reste de l’effectif appartenait à des établissements mutualistes. Le nouvel échantillon couvre un périmètre plus étendu afin d’augmenter le nombre de répondants. De manière à ne pas introduire un biais trop important, lié à des différences de niveau d’urbanité et/ou de culture entrepreneuriale ou industrielle, nous limitons notre échantillon au Grand Ouest (Bretagne, Basse-Normandie, Pays de la Loire et Indre-et-Loire). L’échantillon de la nouvelle enquête se compose de 59 chargés d’affaires issus de 10 établissements de crédit interrogés entre octobre et décembre 2012. La composition du nouvel échantillon reprend les caractéristiques de l’ancien en ce qui concerne la répartition des établissements et des banquiers selon le statut juridique de la banque : la moitié des banques sont mutualistes et emploient 26 individus de notre échantillon (55 %), les 33 autres banquiers travaillent dans des établissements ayant un statut de banque commerciale. On note également que l’on retrouve en 2012 les mêmes caractéristiques pour la clientèle entreprises en fonction du statut des banques qu’en 2000.

Évolution des modalités d’action des banquiers entre 2000 et 2012 : réduction des comportements de rationnement

Lorsque, malgré le savoir-faire des banques, toute l’information n’est pas disponible et que l’on peut craindre l’existence d’asymétries d’information se pose la question du rationnement du crédit.

Les tableaux 1 (infra) présentent la répartition des décisions prises par les banquiers en 2012 dans ce contexte informationnel. Sont distinguées les décisions de premier, deuxième ou troisième ordre, la durée de la relation de clientèle et la nature de la banque d’appartenance (banque commerciale ou mutualiste). Le tableau 2 (infra) synthétise ces résultats en considérant le total des réponses (somme des premier, deuxième et troisième choix) pour l’ensemble des chargés d’affaires quel que soit le statut de leur banque d’appartenance. Il rappelle également les résultats obtenus en 2000.

Tableaux 1 - Décisions prises par les banquiers en situation d’information imparfaite (nombre de réponses)
Tableau 1a - Cas des propspects
SA : sociétés anonymes ; BM : banques mutualistes.
Tableau 1b - Cas des clients depuis moins d’un an
Tableau 1c - Cas des clients depuis au moins 1 an et jusqu’à 5 ans
Source des quatre tableaux : d’après l’auteur.
Tableau 1d - Cas des clients depuis plus de 5 ans
Tableau 2 - Synthèse des réactions des banquiers en fonction de l’ancienneté de la relation
Source : d’après l’auteur.

Face à un client prospect, la modalité d’action la plus fréquemment mise en jeu est le refus d’octroi de crédits qui est cité 46 fois sur les 119 réponses collectées, 41 fois en premier choix (24 banquiers commerciaux et 17 mutualistes), 1 seule fois en deuxième choix et 4 fois en troisième choix. Cette modalité concentre 38,66 % des réponses. Dans presque 20 % des cas (14 banquiers commerciaux et 9 mutualistes), le refus d’octroi de crédits est même la seule modalité d’action envisagée. Lorsqu’on observe uniquement les premiers choix des banquiers, cette modalité regroupe plus des deux tiers des réponses (67,21 %). La deuxième modalité, en nombre total de réponses, est l’exigence de garanties qui regroupe 29 occurrences (24,37 % des réponses), 8 en premier choix (6 commerciaux, 2 mutualistes), 8 en deuxième choix (5 commerciaux, 3 mutualistes) et 13 en troisième choix (5 commerciaux, 8 mutualistes). La limitation de la quantité de crédit offert et l’introduction de clauses restrictives arrivent en troisième place relativement au nombre total de réponses avec, pour chaque modalité, quasiment 16 % des réponses. La limitation de la quantité de crédit offert n’est citée en première place que par 6 chargés d’affaires (2 commerciaux et 4 mutualistes), cette action est citée en deuxième place par 10 banquiers (5 commerciaux et 5 mutualistes) et 3 fois en troisième place (3 commerciaux). L’introduction de clauses restrictives est donnée en premier choix par 5 individus issus de banques mutualistes, en deuxième choix par 6 individus également issus d’établissements mutualistes et en troisième position par 8 banquiers (4 commerciaux et 4 mutualistes). Enfin, le chargé d’affaires n’utilise que très rarement la hausse du taux d’intérêt ; cette modalité d’action n’est invoquée qu’une seule fois en première place, 2 fois en deuxième choix et 3 fois en troisième position. Cette modalité d’intervention ne concerne finalement que 5 % des réponses données par les chargés d’affaires. En situation d’information incomplète, lorsque ne préexiste pas de relation bancaire, le rationnement fort du crédit est la mesure la plus fréquente avant la prise de garanties, l’introduction de covenants et la limitation de la quantité de crédit accordé. On reconnaît ici la situation des jeunes entreprises, qui n’ont pas encore réussi à développer une relation bancaire et dont le système d’information est relativement sommaire et/ou opaque. On retrouve en 2012 le résultat observé dans les enquêtes précédentes avec cependant une fréquence moins élevée du rationnement comme première modalité (38,66 % en 2012, contre 45,45 % en 2000 pour le rationnement fort, et 15,97 % en 2012, contre 20,45 % en 2000 pour le rationnement faible).

Lorsque l’entreprise est cliente depuis moins d’un an, le refus de l’octroi de crédits n’est plus la décision la plus fréquente. Cette modalité d’action n’est citée que par moins de 14 % des banquiers. Cette action est dominée par la demande de garanties (32,19 % des réponses) et la limitation de l’offre de crédit (25,34 %). L’importance des garanties, notamment en premier choix, est particulièrement prononcée dans les banques commerciales. Pour les banquiers mutualistes, la demande de garanties est dominée par la limitation de l’offre de crédit. Les chargés d’affaires citent beaucoup moins fréquemment l’augmentation des taux d’intérêt (15,75 % en 2012) ou l’introduction de clauses restrictives (13,01 % en 2012). La comparaison des choix opérés par les banquiers entre 2000 et 2012 met en évidence des différences significatives. Les réactions de rationnement fort et faible sont moins fréquentes en 2012. Les exigences de garanties sont en revanche plus prononcées (32,19 % en 2012, contre 28,33 % en 2000), particulièrement en premier choix (33,33 % des réponses en 2012, contre seulement 12 % en 2000). On observe également le rôle plus important des clauses restrictives (13,01 % en 2012, contre 6,67 % en 2000). L’augmentation des taux d’intérêt n’est pas plus fréquente en 2012 qu’en 2000 (15,75 % en 2012, contre 16,67 % en 2000), malgré la suppression du taux d’usure pour les crédits aux entreprises.

Lorsque l’entreprise est cliente depuis au moins un an et jusqu’à cinq ans, on observe le rôle dominant de la demande de garanties (31,69 % de l’ensemble des réponses), surtout pour les chargés d’affaires des banques commerciales, et de la limitation de l’offre de crédit (28,87 % de l’ensemble des réponses), en particulier pour les banquiers mutualistes. Les autres critères sont moins fréquemment cités. Relativement aux cas précédents (prospect et faible ancienneté), on note tout d’abord le recours plus fréquent à l’augmentation des taux d’intérêt (19,01 % sur l’ensemble des réponses), en particulier pour les chargés d’affaires des banques commerciales (26,58 %, contre seulement 8,70 % pour les mutualistes) et la baisse du refus de crédit (7,04 % sur l’ensemble des réponses) très forte pour les banques commerciales (2,53 %, contre 11,59 % pour les mutualistes). L’existence d’une relation de clientèle est bien un facteur qui limite le rationnement fort du crédit. À l’opposé, la relation de clientèle ne réduit pas la fréquence du rationnement faible. Avec le développement de la relation de clientèle et la diminution des asymétries d’information, la variation des taux retrouve un rôle significatif.

La comparaison des résultats obtenus en 2012 avec ceux obtenus en 2000 met en évidence le rôle plus important joué par les garanties (31,69 % en 2012, contre 25,93 % en 2000). La limitation de l’offre de crédit était beaucoup plus importante en 2000 (29,63 % au total, 47,86 % en premier choix, 22,22 % en deuxième choix, 7,69 % en troisième choix), tout comme le refus total de crédit cité en 2000 par 16,67 % des répondants (21,74 % en premier choix, 11,11 % en deuxième choix et 15,38 % en troisième choix). On observe ainsi entre 2000 et 2012 la diminution de la fréquence aussi bien du rationnement fort que du rationnement faible dès lors qu’existe une relation de clientèle établie de plus d’un an.

L’augmentation de l’ancienneté de la relation de clientèle ne modifie pas cette hiérarchie des décisions prises par les banquiers. En 2012, face à des clients depuis plus de cinq ans, les chargés d’affaires mobilisent par ordre d’importance la demande de garanties (32,88 % des réponses), la limitation de l’offre de crédit (28,77 % des réponses) et l’augmentation des taux d’intérêt (19,18 % des réponses). Le refus de crédit ne représente que 6,16 % des répondants. À nouveau, on observe une fréquence plus faible du rationnement fort et faible en 2012 par rapport à 2000 et la plus forte exigence en matière de garanties et de clauses restrictives.

Au total, nous observons le changement de hiérarchie dans les actions menées par les banquiers selon qu’il existe ou non une relation de clientèle. Sans relation préalable, la solution adoptée par le banquier est le refus de crédit qui domine les autres modalités. Lorsque l’entreprise est déjà cliente, cette modalité d’action devient secondaire et apparaît dominée par la demande de garanties et la limitation du volume de crédits accordés. La fréquence du rationnement fort diminue avec l’ancienneté de la relation bancaire. De manière conjointe, on observe l’augmentation de l’utilisation par le chargé d’affaires de la hausse des taux d’intérêt.

Ce travail confirme l’existence d’un rationnement fort du crédit pour les entreprises non clientes des établissements de crédit quel que soit le statut des banques, commerciales ou mutualistes. Ce travail confirme également le rôle des relations de clientèle pour réduire l’occurrence de ce rationnement. L’effet de l’existence d’une relation de clientèle apparaît très rapidement : on observe des effets positifs pour une relation bancaire de moins d’un an. Les effets positifs sur le rationnement fort du crédit continuent à s’exercer au fur et à mesure du développement de la relation de clientèle.

Cette étude met également en évidence la réduction significative de la fréquence des rationnements sur la période étudiée quelle que soit la durée préalable de la relation banque/entreprise. Même face à des entreprises non clientes, l’occurrence d’un rationnement du crédit est moins élevée en 2012 qu’en 2000. À l’opposé, on constate l’augmentation du rôle joué par les garanties, notamment pour les banques commerciales, quelle que soit la durée de la relation. Les clauses restrictives sont également plus utilisées en 2012. Cette évolution des modalités d’action des banquiers s’accompagne d’une modification significative de leurs pratiques.

Évolution des pratiques bancaires entre 2000 et 2012 : rationalisation de l’activité bancaire

Pour expertiser les demandes de crédit, les chargés d’affaires collectent de l’information (cf. tableau 3). La comparaison des résultats obtenus en 2012 avec ceux collectés en 2000 souligne l’augmentation du rôle des informations de nature financière. Le recours aux documents de synthèse, aux prévisionnels et aux notations internes et externes permet de rassembler plus de 70 % des réponses en 2012, contre seulement 56 % en 2000. La recherche d’information sur la situation économique de l’entreprise est en revanche en fort recul (10,83 % en 2012, contre 23 % en 2000). Le rôle de l’entretien et, plus largement, du relationnel avec le client reste stable (aux alentours de 15 %).

Tableau 3 - Sources d’information mobilisées par les chargés d’affaires
NR : nombre de réponses.
Source : d’après l’auteur.

Les chargés d’affaires prennent ensuite la décision d’accorder (ou non) le crédit. Pour cela, ils utilisent des critères de choix. Dans l’enquête, nous avons demandé aux banquiers de hiérarchiser les trois principaux critères utilisés. L’enquête réalisée en 2012 a permis de collecter 164 réponses (74 en 2000) (cf. tableau 4 ci-contre). Le dépouillement des résultats montre que l’analyse des dossiers de demande de financement repose avant tout en 2012 sur l’étude des éléments financiers (capacité financière, solvabilité, risques, garanties) cités dans presque 50 % des cas. La nature du projet n’est citée que 50 fois (30 % des réponses) et la qualité des dirigeants 31 fois (moins de 20 % des réponses). L’impact de la concurrence sur la décision d’accorder un crédit n’apparaît que 3 fois (moins de 2 % des réponses). Nous observons, entre 2000 et 2012, l’augmentation du poids des variables financières parmi les critères utilisés par les chargés d’affaires. En 2000, les éléments financiers n’étaient cités parmi les trois principaux critères que par moins de 37 % des chargés d’affaires. L’élément le plus cité était la nature du projet qui concentrait 47,30 % des occurrences. Ce résultat, associé au rôle croissant de l’information financière, conduit à constater la rationalisation de la prise de décisions bancaires, au cours de la dernière décennie, autour des paramètres de l’orthodoxie financière. Ce résultat peut s’expliquer par l’implémentation des modèles de notation interne dans le cadre de la mise en place de la réglementation dite de « Bâle II ».

Tableau 4 - Critères du choix des chargés d’affaires entreprises
Source : d’après l’auteur.

Une fois la décision d’octroyer un crédit prise, le chargé d’affaires spécifie les paramètres du contrat de crédit. Le taux d’intérêt est établi grâce à l’usage d’un modèle de type RAROC (risk-adjusted return on capital) pour 60 % des individus (65 % des banquiers commerciaux et 50 % des banquiers mutualistes). Dans plus de 90 % des cas, les chargés d’affaires sont soumis à une limite basse autoritairement fixée par leur hiérarchie qui correspond au taux minimal au-dessus duquel l’intervention en garantie d’Oséo/Bpifrance est possible. Pour plus de 75 % des banquiers, on observe, en 2012 comme en 2000, une relation entre le taux proposé et le niveau des garanties offertes : 41 banquiers sur les 52 ayant répondu à la question déclarent baisser le taux d’intérêt si les garanties offertes sont de bonne qualité. Le chargé d’affaires introduit également des clauses restrictives dans 75 % des cas en 2012, contre seulement 45 % des cas en 2000. Les clauses restrictives les plus fréquemment utilisées sont le maintien des ratios financiers et le blocage des comptes courants d’associés (aux alentours de 20 % chacun), puis le maintien d’un courant d’affaires avec la banque et la stabilité de l’actionnariat pour approximativement 18 % chacun (cf. tableau 5 infra). On observe l’importance prise par le respect des ratios financiers qui n’arrivait qu’en deuxième position en 2000, loin derrière le blocage des comptes courants d’associés. L’étude de ces pratiques contractuelles confirme la tendance à la rationalisation de l’activité bancaire qui intègre dorénavant de façon beaucoup plus systématique des outils ou des techniques plus élaborés pour préciser les termes du contrat de crédit et assurer la protection du crédit. Ce résultat peut s’expliquer par le développement de la titrisation et l’élargissement des créances éligibles à un refinancement qui imposent de nouvelles exigences en ce qui concerne la qualité des créances sous-jacentes.

Tableau 5 - Type de clauses restrictives utilisées
Source : d’après l’auteur.

Conclusion

Les enquêtes réalisées en 1998 et en 2000 sur le comportement des chargés d’affaires entreprises avaient mis en évidence le rationnement fort du crédit des entreprises qui n’avaient pas au préalable engagé de relations bancaires et le rôle des relations de clientèle de plus d’un an pour réduire ce problème. Les résultats avaient également montré l’utilisation par les banquiers du rationnement faible, même lorsque la relation avec le client avait été initialisée depuis de longues années. Les changements ayant impacté le secteur bancaire ces dix dernières années nous ont amenés à étudier l’hypothèse d’une frilosité plus grande des banques à l’égard de la clientèle entreprises. La question posée était ainsi de savoir si les comportements de rationnement avaient augmenté sur le marché du crédit français.

Le traitement de l’enquête réalisée en 2012 ne nous permet pas d’observer l’augmentation de la fréquence du recours par les banquiers aux différents rationnements du crédit. Nous observons toujours l’importance du rationnement fort lorsque le chargé d’affaires est face à un prospect, mais avec une fréquence sensiblement plus faible en 2012. Le recours au rationnement fort diminue ensuite avec le développement de la relation de crédit en 2012 comme en 2000, mais de manière beaucoup plus spectaculaire sur la période récente. Lorsque la relation de crédit est établie, le rationnement faible est toujours utilisé en 2012, mais avec une fréquence inférieure à celle constatée en 2002. Nos résultats vont dans le même sens que ceux trouvés par Kremp et Sevestre (2013) : le rationnement du crédit n’a pas augmenté en France depuis la crise. Au contraire, d’après nos résultats, les comportements qui sous-tendent l’apparition des phénomènes de rationnement ont même régressé. Le traitement de l’enquête met néanmoins en évidence une exigence plus importante de garanties et l’introduction plus fréquente de clauses restrictives qui encadrent l’activité du débiteur et permettent aux banques d’obtenir le remboursement anticipé du prêt en cas de non-respect des objectifs. Ce résultat nous semble pouvoir être lié à l’augmentation des exigences de qualité des créances pour que ces dernières puissent être éligibles à une procédure de titrisation ou de refinancement. Nous avons également observé la normalisation des critères de choix autour des indicateurs financiers qui occupent dorénavant la première place, devant l’appréciation de la qualité du projet et de l’équipe dirigeante. La moins grande propension des banques à rationner le crédit aux entreprises s’accompagne donc d’une rationalisation de la prise de décisions sur des critères essentiellement quantitatifs et objectifs autour desquels s’articulent les autres informations dans le cadre des modèles internes implémentés par les banques pour évaluer le risque de crédit depuis la mise en œuvre de Bâle II. La question n’est plus alors de savoir si les banques refusent de servir une demande de crédit exprimée par les entreprises, mais si la demande de financement externe exprimée par celles-ci intègre ces nouvelles contraintes, au point de parfois s’autocensurer, c’est-à-dire de ne pas exprimer une demande de crédit du fait de l’anticipation de son refus par la banque.


Notes

1 La littérature sur ce sujet est très abondante. Sur le plan théorique, on peut noter l’article fondateur de Bernanke et Gertler (1990) et, parmi les articles plus récents, ceux de Clementi et Hopenhayn (2006) et d’Antràs et Caballero (2009).
2 Parmi les articles empiriques, on peut noter l’article fondateur de Fazzari et al. (1988) et la revue de la littérature de Schiantarelli (1995).
3 La distinction entre rationnement partiel et rationnement complet se retrouve dans beaucoup de travaux, en particulier ceux d’Eurostat réalisés sur la question de l’accès au financement des entreprises européennes et l’article récent de Kremp et Sevestre (2013). La distinction entre rationnement fort et rationnement faible a été introduite par Freimer et Gordon dès 1965.

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