Parmi les contraintes que l'Homme impose au système terrestre, le changement climatique présente un intérêt particulier, car il est au carrefour de nombreux enjeux socio-économiques et politiques. Malgré les incertitudes quant à ce changement à long terme, dont l'amplitude dépendra pour partie de notre capacité à réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) (agir sur les causes), le sens de cette variation ne laisse pas de place au doute. Afin de limiter les conséquences négatives de ce changement climatique et de saisir les opportunités qu'il offre, il est nécessaire d'anticiper ce changement. C'est ce que l'on appelle l'« adaptation au changement climatique » (s'adapter aux conséquences). En effet, bien que les sociétés soient en mesure, dans certains cas, de s'adapter spontanément en réaction à un changement perçu, une stratégie proactive présente des avantages, à commencer par la réduction du coût (social et économique) à moyen terme.
En économie, la prise de décisions sous incertitude n'est pas exceptionnelle et des outils dédiés existent à cette fin (la simulation de Monte-Carlo, par exemple). En revanche, ces derniers fonctionnent principalement lorsque les incertitudes restent de faible amplitude et que les phénomènes sont linéaires. Le changement climatique ouvre le champ de la prise de décisions sous très grande incertitude avec la possible non-linéarité des phénomènes. Par conséquent, il conviendrait de développer des outils dédiés à cette problématique.
Certaines activités économiques sont plus directement concernées par le changement climatique, telles que les infrastructures (du fait de leur très longue durée de vie), les activités dépendant du vivant ou utilisant des ressources naturelles sensibles au climat (variations fortes comme tendancielles) ou de la ressource en eau (comme les sports d'hiver), ou encore les activités en zone côtière. Mais le changement climatique est un phénomène qui concerne une proportion bien plus considérable de nos activités, à travers la possible vulnérabilité de la chaîne de valeur et celle des infrastructures de réseaux, devenues essentielles au fonctionnement de notre économie (les technologies de l'information et de la communication – TIC –, l'énergie, les transports, etc.). Par conséquent, l'adaptation au changement climatique est une démarche qui devrait se généraliser et faire partie intégrante de la conception de tout projet, public et privé.
Dans la littérature dédiée à l'adaptation au changement climatique, la question de la maladaptation, qui peut être définie en première approximation comme le fait de concevoir un projet d'adaptation qui augmente involontairement la vulnérabilité aux stimuli climatiques au lieu de la réduire, est très souvent simplement mentionnée comme devant être évitée, sans plus de détails sur la manière d'y parvenir.
Néanmoins, éviter la maladaptation semble également pertinent pour l'agent économique qui ne serait pas directement impliqué dans l'adaptation, mais qui chercherait à réduire le risque que la rentabilité ou la viabilité de son investissement ou de son projet diminue du fait des changements climatiques à venir. Le terme d'inadaptation semblerait, pour le cas présent, plus explicite. Dans la suite de l'article, il ne sera pas fait de distinction entre la maladaptation (qui est le terme consacré dans la littérature) et l'inadaptation.
D'après une étude de McKinsey relative aux besoins globaux en infrastructures entre 2013 et 2030 (hors hôpitaux, écoles et infrastructures sociales) (McKinsey Global Institute, 2013), les investissements nécessaires représenteraient de 57 000 Md$ à 67 000 Md$ (soit environ 3,5 % du PIB), avec les routes en premier lieu suivies de près par l'énergie et les réseaux d'eau. En ce qui concerne l'Union européenne (UE), comme le rappelle la Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne dans une publication de décembre 2014 (Brons et al., 2014), les infrastructures d'énergie et de transport sont indispensables au bon fonctionnement du marché intérieur de l'UE et, par là, à ses retombées positives sur l'économie de l'UE. La partie transfrontalière de ces infrastructures représenterait 550 Md€ et 200 Md€ d'investissements pour les transports et l'énergie respectivement, entre 2011 et 2020. En outre, les objectifs de la politique énergétique et climatique de l'UE requièrent un investissement de 205 Md€ par an d'ici à 2020 et de 209 Md€ par an entre 2021 et 2030. Ces chiffres incluent les investissements dans l'énergie, le bâtiment (résidentiel et tertiaire) non seulement pour remplacer les infrastructures existantes, mais également pour répondre aux nouvelles ambitions fixées à l'échelle communautaire.
Dans ce contexte, cet article aborde la question de la maladaptation d'un projet aux climats futurs et de la manière d'intégrer ces considérations dans la décision d'investissement à travers un outil d'évaluation du risque de maladaptation, afin de faciliter la prise de décisions et de limiter le financement de projets dont la rentabilité pourrait être impactée au cours de leur durée de vie, du fait des changements climatiques.
Critères d'inadaptation d'un investissement aux climats futurs
La maladaptation est une littérature qui se développe en lien avec celle de l'adaptation au changement climatique. Selon le chercheur Alexandre Magnan, éviter la maladaptation revient, en pratique, à commencer à faire de l'adaptation (Magnan, 2011), c'est-à-dire, en ce qui concerne un acteur économique, à prendre en compte la question du changement climatique dans l'analyse de rentabilité d'un projet. Il convient donc de discuter de l'adaptation avant d'aborder le thème de la maladaptation.
Adaptation : la résilience comme objectif
L'adaptation est un concept dual emprunté à l'origine à la biologie (Simonet, 2009), pouvant être vu à la fois comme un état et un processus dynamique. Dans le cadre de la géographie, l'adaptation est à comprendre comme l'évolution de la relation entre l'Homme et son environnement, qui est une relation de hiérarchie enchevêtrée (Godard, 1997), où le changement climatique ne peut pas être vu comme un problème en soi, mais comme un problème relationnel de l'Homme à son environnement (Godard, 2010) (la montée du niveau de la mer ne pose de problème que parce que les sociétés construisent à proximité).
Ainsi, la culture (vue comme un système de valeurs, de croyances, etc.) joue un rôle essentiel dans l'adaptation, puisqu'elle conditionne ce lien entre l'Homme et la Nature (Heyd et Brooks, 2009). L'histoire a montré qu'en partant du principe que les sphères Nature et Culture étaient indépendantes, les sociétés peuvent se rendre plus vulnérables au climat du fait justement de cette incapacité à percevoir, à travers leur système de valeurs, la dépendance du système économique et social à la Nature. Cela a, par exemple, été le cas de civilisations anciennes comme l'expose Diamond (2005).
D'après le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) dans le glossaire du troisième rapport (Groupe de travail II, annexe B, 2001), l'adaptation a pour objectif de réduire la vulnérabilité des systèmes sociaux face aux crises et la capacité d'adaptation est vue comme permettant de faire face à ces crises et de s'en remettre. Il y a donc bien dualité entre le processus et l'état, le processus étant l'adaptation et l'état étant la capacité d'adaptation.
La vulnérabilité est généralement résumée à travers l'expression suivante :
Par exemple, le palmier est sensible au froid, mais il y est peu exposé, donc il est peu vulnérable.
D'après la littérature, la capacité d'adaptation est la partie positive (souhaitable) de la résilience et est considérée universellement comme une propriété positive (Engle, 2011) contrairement à la vulnérabilité, ce qui inciterait à employer la notion de résilience et non celle de vulnérabilité.
En géographie, le concept de résilience est rattaché à Crawford Stanley Holling, qui a débuté des travaux sur la résilience des systèmes écologiques notamment par l'intermédiaire de l'étude des interactions de type proie/prédateur. Avant ces études, l'écologie ne s'intéressait qu'à la stabilité dans le cadre de variations de faible amplitude. Ces travaux ont permis d'ouvrir la voie de l'étude des variations de grande amplitude, particulièrement pertinente pour le cas des changements climatiques.
En écologie (Folke, 2006), l'étude de la biodiversité dans la résilience a montré que ce n'est pas le nombre d'espèces qui est important, mais le fait qu'il y ait des espèces de chaque groupe fonctionnel (prédateurs, herbivores, transporteurs de nutriments, pollinisateurs, etc.). Bien qu'il y ait des espèces semblant inutiles car redondantes sur le plan fonctionnel, cette redondance est cruciale au moment de la réorganisation, de la régénération, ainsi que pour le lien entre les différentes échelles (temporelles et spatiales) (voir le concept du cycle de renouvellement adaptatif et le modèle de la panarchie dans Holling, 2001).
Ce concept de résilience couplant les différentes échelles, permettant d'évaluer la perturbation maximale sans changement en profondeur de l'organisation générale du système et mêlant l'écologie et le social, est particulièrement bien adapté à la gestion des risques. Aux Pays-Bas, le concept de résilience a été proposé pour résoudre la problématique des inondations (Dauphiné et Provitolo, 2007). Au lieu d'être combattues par l'intermédiaire de digues, les inondations sont acceptées sur une partie des terres, les plus basses. De plus, la construction sur le littoral est abandonnée pour que la dynamique de sédimentation naturelle reprenne, ce qui permettra d'avoir des barrières naturelles contre la mer. Ainsi, la résilience est utilisable sur le plan opérationnel.
Dans la même direction, un autre chercheur propose six grands principes de résilience à décliner à l'échelle de la ville, mais également du quartier, du foyer, voire de l'individu (Wardekker et al., 2010). Il s'agit de l'homéostasie (incorporation de boucles de rétroaction pour améliorer la connaissance des risques et de la situation), de la diversification, de flux élevés (d'informations, peu de décisions à long terme), de la planéité des chaînes de prises de décisions (impliquant une meilleure auto-organisation et une meilleure formation pour une meilleure autonomie dans la prise de décisions), des espaces tampons et de la redondance.
Dans le domaine de l'adaptation appliquée spécifiquement au changement climatique, Hallegatte (2009) présente cinq méthodes permettant d'adapter un investissement à un changement climatique incertain. Ce sont les stratégies sans regret, les options réversibles et flexibles, les marges de sécurité, les solutions d'adaptation douces et la réduction de l'horizon temporel de l'investissement étudié.
Les solutions « sans regret » correspondent aux investissements qui, même en l'absence de changement climatique, présentent un bénéfice. Ce sont les options qui devraient rationnellement être prises, sans même faire appel à la question du changement climatique (par exemple, réduire les fuites d'eau sur les réseaux).
Les options réversibles et flexibles sont le fait de conserver le choix pour plus tard et permettent de ne pas se diriger vers des solutions irréversibles. Dans le même ordre d'idée, une marge de sécurité peut être employée lors de la conception du projet.
Viennent ensuite les stratégies dites d'adaptation douce (capacity building) qui s'intéressent aux aspects financiers et institutionnels. Elles peuvent se présenter sous la forme d'une prospection obligatoire de la part des acteurs sensibles au climat de leur activité à long terme, de façon à prendre en compte le changement climatique dans la stratégie et à créer des liens entre les acteurs académiques et les acteurs économiques. D'un certain point de vue, cela pourrait être une manière d'aborder l'homéostasie mentionnée dans la résilience. Par ailleurs, les outils financiers permettent de transformer une perte significative et incertaine en une perte gérable. De même, les solutions de stockage sont une autre façon de transformer un risque de perte significative en un investissement et un coût de long terme. Les systèmes d'alerte rapide, qui sont des options d'homéostasie d'après le vocabulaire de la résilience, permettent de limiter les dommages en cas d'événements extrêmes.
Les solutions dites « hard strategies » (traduit par « solutions concrètes ») ne sont pas mentionnées dans l'article de Hallegatte (2009). Ce sont les mesures, dont les coûts sont importants, qui créent une irréversibilité et qui sont destinées à remplir une fonction bien spécifique (digues, dessalement d'eau de mer, etc.). Ces mesures pourraient être vues comme des manières d'améliorer la résistance au changement. Elles requièrent parfois une connaissance assez précise du changement afin d'être efficientes. Elles ne sont pas de l'adaptation au sens de processus par lequel la relation entre système et environnement évolue, puisque la relation n'est pas modifiée, mais que les sous-systèmes sensibles au climat sont renforcés pour réduire cette sensibilité ou bien augmenter l'intensité maximale des événements admissibles tout en maintenant le fonctionnement du système.
D'après Fankhauser et Burton (2011), ces solutions sont préférées par les bailleurs de fonds car elles sont visibles, leur coût de transaction est plus faible que les solutions d'adaptation communautaires, leur identification est plus facile et leur efficacité économique est plus facilement démontrable que pour les approches bottom-up.
Enfin, une dernière façon de faire de l'adaptation au changement climatique est de transformer plus en profondeur le système, que ce soit en matière de fonction assurée par ce dernier (transformer une zone de culture en une zone de pâturage, diversification de l'activité, etc.) ou bien en termes de localisation du système (migration, repli stratégique). Cette transformation est également un processus irréversible, mais cette irréversibilité vise la modification du fonctionnement et non l'amélioration de la résistance du système étudié.
Ces différentes stratégies font appel à certaines des qualités exposées dans le cadre de la résilience, à savoir la flexibilité, un flux plus élevé (réduction de la durée des investissements), la redondance, les « amortisseurs » (stockage, outils financiers) et l'homéostasie (système d'alerte rapide), et elles correspondent à une manière d'opérationnaliser le concept de résilience.
Ces stratégies, où il devient essentiel de prendre en compte l'incertitude et de fonder ses projections non sur une extrapolation (ou transposition) du passé, mais sur des hypothèses socio-économiques (scénarios) couplées à des modèles du système climatique, représentent une modification du processus de prise de décisions et peuvent s'apparenter à une transformation de la culture de l'entreprise.
La maladaptation : théorie et pratique
Sur le plan académique, l'une des premières publications dédiées à la maladaptation est de Rappaport (1977). Il y définit l'adaptation comme l'ensemble des processus par lesquels les systèmes vivants (organismes simples, écosystèmes, espèces et sociétés) parviennent à maintenir l'homéostasie (pour faire face aux fluctuations de court terme de l'environnement) ou à se transformer plus en profondeur (en transformant leur structure face à des changements non réversibles de l'environnement, sur le long terme). Dans le cas des perturbations sur le long terme pour lesquelles l'incertitude est grande, il est préférable de conserver une flexibilité en évoluant de manière graduelle et non par l'intermédiaire de transformations de la structure. Ainsi, l'adaptation serait constituée de deux composantes fondamentales, l'auto-organisation et l'autorégulation.
La maladaptation d'un système serait constituée des facteurs qui entraveraient ces processus d'homéostasie et de transformation permettant ladite adaptation. Ces facteurs pourraient correspondre à des anomalies dans les boucles de rétroaction censées assurer l'autorégulation et l'auto-organisation du système, ces deux fonctions formant le processus adaptatif. L'autorégulation permet de conserver une flexibilité tandis que la réorganisation réduit la flexibilité, mais accroît l'efficacité, et convient aux situations où l'incertitude est réduite et la contrainte claire et permanente.
Les anomalies correspondent à de la maladaptation car elles réduisent la flexibilité et la capacité à détecter des éléments potentiellement nuisibles (anomalies dans l'information). Ces anomalies peuvent également prendre la forme d'une confusion entre les intérêts d'un sous-système et ceux du système tout entier. Ceux du système entier ne doivent pas être spécifiques, mais doivent uniquement correspondre à la survie biologique (ou culturelle dans le cas des systèmes sociaux), tandis que les sous-systèmes assurant des tâches spécifiques (militaire, économique, financière, commerciale, politique, etc.) requièrent des intérêts précis.
Il semble donc que la flexibilité soit une caractéristique essentielle de l'adaptation réussie et que la centralisation de la régulation, éloignant le niveau décisionnel du niveau de détection des variables vitales, serait un élément pouvant conduire à la maladaptation. Enfin, à la différence des systèmes vivants, les systèmes sociaux peuvent être victimes de leur capacité d'anticipation et de leur proactivité, grâce à la capacité humaine à imaginer et à se projeter.
De manière plus pragmatique, d'après Adger et al. (2005), les mesures visant à réduire l'exposition ou la sensibilité ont le plus de chances d'avoir des impacts sur d'autres éléments de l'environnement physique ou écologique, tandis que les mesures visant à augmenter la résilience seraient moins susceptibles d'avoir des conséquences négatives imprévues sur d'autres éléments et auraient moins tendance à être mal adaptées.
Plus récemment, Barnett et O'Neill (2010) ont présenté cinq types différents de maladaptation. Selon eux, une solution est considérée comme étant de la maladaptation si, comparativement aux alternatives, elle augmente les émissions de GES, pèse de façon disproportionnée sur les plus vulnérables, présente un coût (économique, social ou environnemental) d'opportunité élevé, réduit les incitations à l'adaptation ou présente une dépendance au chemin technologique pour les générations futures. L'article recourt comme illustration au cas de la gestion de l'eau à Melbourne, qui connaît des déficits de précipitation depuis plusieurs années.
Ces deux mêmes auteurs poursuivent leur réflexion sur la maladaptation et défendent l'idée que le risque de maladaptation varie selon la manière dont la mesure d'adaptation tente de réduire la vulnérabilité. En particulier, les mesures ayant pour objectif de réduire l'exposition au changement climatique ont de très fortes chances d'être de la maladaptation, celles visant la réduction de la sensibilité ont un risque modéré de maladaptation et celles ayant pour but d'augmenter la capacité d'adaptation ont un risque faible d'être de la maladaptation, en conservant comme critères de maladaptation ceux qu'ils avaient déjà identifiés.
Il semblerait donc que les approches top-down, qui sont généralement des solutions mettant en œuvre la construction d'infrastructures (pour la réduction de la sensibilité ou bien de l'exposition), ont plus de chances d'être maladaptées que les approches bottom-up, visant l'augmentation de la capacité d'adaptation (à travers des mesures sans regret, voire des stratégies d'adaptation douces).
Le dessalement d'eau de mer
Les solutions technologiques sont de plus en plus étudiées et débattues dans le cadre du changement climatique. Parmi elles, le dessalement d'eau de mer est intéressant car cette solution technologique anime de nombreux débats sur la maladaptation.
Une revue de littérature sur le risque et les dangers dans nos sociétés (McEvoy et Wilder, 2012) traite spécifiquement le cas du dessalement d'eau de mer en analysant cette solution à l'aide de diverses approches théoriques, dont l'approche culturelle du risque de Mary Douglas, la théorie de la société du risque de Ulrich Beck et l'analyse des systèmes complexes de Charles Perrow. McEvoy et Wilder (2012) présentent le dessalement comme « the advent of maladaptive climate responses » (l'avènement des réponses climatiques mal adaptées). En effet, les réponses au changement climatique qui sont inflexibles, statiques vis-à-vis des évolutions des conditions climatiques, non participatives peuvent être considérées comme mal adaptatives si, en définitive, elles augmentent la vulnérabilité existante, en créent une nouvelle ou la transfèrent d'un système à un autre.
Sur le plan de la production de risques, la consommation d'eau nécessitant selon certains une augmentation de sa distribution est consécutive de l'urbanisation et de l'industrialisation, associées à un mode de vie dans lequel la consommation d'eau est importante, ce qui a conduit à rendre la région (en question dans l'article) aride, très vulnérable à la pénurie d'eau. Il semblerait donc que cette vulnérabilité soit le fruit de l'idée (culturellement ancrée) selon laquelle la Nature est robuste et l'Homme capable et en droit de la contrôler, une idée reposant sur une confiance en la science et la technique poussée à son paroxysme.
En utilisant l'analyse des systèmes complexes, il semblerait qu'une usine de dessalement soit susceptible de comporter des effets secondaires, en plus de ses effets directs négatifs (rejets de produits utilisés pour l'osmose inverse, dispersion du sel augmentant la salinité, etc.). Ces effets indirects sont majoritairement une consommation énergétique importante, qui s'accompagne d'émissions de GES. Par ailleurs, en créant un lien fort entre l'eau et l'énergie, le coût de la ressource en eau devient plus volatil du fait de la volatilité du coût de l'énergie et parce qu'une part plus faible est composée des coûts fixes pour le cas du dessalement.
D'après l'analyse des systèmes complexes de Perrow, le dessalement augmente la cohérence et la complexité du système en rapprochant l'énergie et l'eau sur le plan fonctionnel, mais parfois également structurel. En outre, cette situation pourrait créer une vulnérabilité géopolitique nouvelle, l'usine de dessalement ne se trouvant plus sur un territoire sous la juridiction de ceux profitant de la ressource en eau.
Enfin, un autre impact indirect majeur de ce projet est l'incitation à l'urbanisation, rendue possible par le détachement de la contrainte sur la ressource en eau qui l'avait limitée. L'urbanisation a généralement des conséquences environnementales qui peuvent limiter la flexibilité du système, en particulier dans le cas de l'érosion de la biodiversité, qui nuit à la résilience écologique.
Une autre publication présente également les mesures de conservation de la ressource comme appropriées, tandis que les grands projets nécessitant des capitaux importants (pipelines, réservoirs de stockage) augmentent la vulnérabilité « en promouvant les comportements mal adaptatifs » et sont donc inappropriés (de Loë et al., 2001).
Ainsi, il semblerait que les solutions technologiques basées sur la même logique (technique) que celle qui a mené à cette situation dans laquelle le système est cohérent et donc rigide réduiraient la capacité du système à se transformer et à évoluer du fait de son interaction avec son environnement. Les solutions technologiques auraient donc, en un sens, de fortes chances d'être mal adaptées et de rendre nos sociétés plus vulnérables au changement climatique.
Éviter la maladaptation d'un projet d'investissement
L'échelle « projet »
Le rôle des pouvoirs publics dans le cadre de l'adaptation est principalement de fournir les outils et les informations permettant d'intégrer la contrainte climatique future, d'assurer la recherche, l'éducation et la formation des citoyens, mais il n'est pas d'agir directement à l'échelle des territoires, à l'exception des grandes infrastructures transrégionales et des grands réseaux d'intérêt général. Ainsi, il paraît pertinent de traiter la maladaptation à l'échelle du projet d'investissement. Par ailleurs, ce traitement favorise la planéité (raccourcissement de la chaîne de décisions), l'homéostasie (décentralisation de la régulation) et améliore l'autorégulation et la capacité d'apprentissage, ce qui contribue à éviter la maladaptation et à favoriser la réorganisation si nécessaire (Holling, 1973 ; Rappaport, 1977).
Par ailleurs, comme l'écrit le géographe Alexandre Magnan, éviter les maladaptations pourrait consister à « commencer par bien faire ce que l'on fait mal » et constitue réellement un angle d'attaque privilégié pour mettre en œuvre l'adaptation (Magnan, 2011).
Ainsi, il pourrait paraître opportun de mettre à disposition des acteurs économiques un outil d'évaluation du risque de maladaptation, basé sur les éléments présents dans la littérature de l'adaptation, de la maladaptation et de la résilience. Cet outil permettrait d'intégrer dans la décision d'investissement les modifications attendues du climat durant la durée de vie du projet (hausse des températures, modification des précipitations, augmentation des vagues de chaleur, variation des débits des cours d'eau et modification de la sensibilité des forêts au feu), suivant la zone d'implantation de ce dernier sur le territoire.
D'après ce qui a été exposé, la recherche de la résilience systémique pourrait être une manière pertinente d'aborder la question de l'évitement de maladaptation. Elle favorise la flexibilité, la diversité, la planéité de la chaîne de décisions, l'homéostasie, la redondance et les capacités d'amortissement des chocs au sein du système socio-économique. Par ailleurs, la capacité d'apprentissage et d'auto-organisation ainsi que la mémoire semblent être des caractéristiques essentielles.
Cet outil doit donc favoriser la résilience dans les projets, mais il représente aussi le moyen d'améliorer la capacité d'apprentissage : l'instrument et son implémentation créent l'opportunité de sensibiliser les acteurs économiques au changement climatique. Ainsi, un guide pourrait accompagner cet outil qui, en lui-même, doit rester simple d'utilisation.
Cela pourrait constituer une étude complémentaire de l'étude d'impact environnemental dans laquelle l'analyse porterait sur l'impact potentiel du climat sur le projet et non du projet sur son environnement. En effet, le changement climatique est généralement perçu comme un « danger » que nos sociétés font peser sur leur environnement. Or ce danger pèse également sur nos propres systèmes et, en particulier, il fait courir un risque à la rentabilité des projets portés par les agents économiques. C'est donc dans l'intérêt de ces agents eux-mêmes que la contrainte climatique doit être intégrée dans les décisions d'investissement.
Ainsi, l'objectif serait à la fois de limiter le financement d'investissements mal adaptés et de sensibiliser à la contrainte climatique qui pourrait affecter le fonctionnement des projets, voire même remettre en question la pertinence de certains d'entre eux. L'outil viserait donc à intégrer la contrainte climatique dans tous les secteurs et toutes les prises de décisions, en amont du financement.
Enfin, bien que les solutions technologiques cherchant à faire de l'adaptation aient des risques élevés d'être mal adaptées, il est préférable que l'outil reste technologiquement neutre. Il doit en revanche faciliter la hiérarchisation des projets selon la dimension « maladaptation » et permettre d'améliorer la conception de ceux qui seraient les plus mal adaptés.
Conception de l'outil
D'après ce qui a été présenté dans cet article, cinq thèmes apparaissent majeurs dans la détermination de l'inadaptation d'un projet aux climats futurs : l'eau, l'énergie, la dépendance fonctionnelle, la dépendance structurelle et l'implantation géographique (cf. schéma infra).
Il semble évident que l'eau est une dimension cruciale du fait de la possible raréfaction de l'offre ou, du moins, de la modification de sa disponibilité.
Pour l'énergie, la ressource pourrait aussi diminuer en particulier pour l'hydroélectricité (baisse des débits), la biomasse et le nucléaire lors de certains événements de forte chaleur pendant lesquels le refroidissement serait impossible sans enfreindre la réglementation sur les températures de rejet des centrales. En outre, le thème « énergie » permet de considérer le critère de maladaptation concernant les émissions de GES, énoncé par Barnett et O'Neill (2010).
La dépendance fonctionnelle permet de considérer les impacts indirects du changement climatique sur une activité, à travers la chaîne de valeur (sensibilité de l'amont et l'aval aux stimuli climatiques). En outre, la question des rejets néfastes (GES, sel, chaleur, polluants, etc.) peut également être posée. Par exemple, un projet urbain amené à accroître ses rejets de chaleur lors d'épisodes caniculaires amplifierait le phénomène d'îlot de chaleur urbaine, conduisant à une boucle de rétroaction positive (amplification du phénomène participant à la cause qui a rendu nécessaire l'action initiale).
La dépendance structurelle correspond à la dépendance aux divers réseaux (transport, énergie, eau, TIC) et permet d'intégrer les questions de flexibilité, de diversification et de redondance. Les capacités de report (d'un réseau vers un autre) et de stockage sont donc valorisées à travers cette dimension.
Enfin, l'exposition aux aléas doit être considérée. Elle doit essentiellement prendre en compte les forêts (recrudescence du risque de feu liée au changement climatique), les zones littorales à basse altitude (montée du niveau de la mer et modification du trait de côte) et les zones inondables (qui resteront inondables malgré la baisse globale des précipitations).
Il est à noter que pour l'eau et l'énergie, il est plus important de savoir si leurs consommations seront amenées à croître du fait du changement climatique et si la tendance locale de la ressource est à la baisse, que de savoir si les volumes consommés sont significatifs. Ainsi, un projet ayant une consommation d'eau ou d'énergie corrélée avec la hausse des températures ou la baisse des précipitations et dont la région d'implantation connaît effectivement l'un de ces deux cas (d'après les projections régionalisées) peut être estimé comme tendant vers la maladaptation. Celle-ci est donc dépendante de la zone d'implantation.
Cet outil pourrait prendre la forme d'un questionnaire articulé autour des quatre thèmes principaux, visant à évaluer les tendances de consommation et de dépendance, dans le cas d'un climat plus chaud et plus sec. Puis, en croisant les réponses avec les projections climatiques régionalisées, un score final serait attribué au projet.
Cette étude permettrait d'identifier un potentiel d'amélioration de la résilience climatique grâce à la ventilation du score entre les quatre thèmes la composant, et le score après croisement avec l'exposition permettrait de juger si le projet est adapté ou non à la région. La hiérarchisation et la comparaison de plusieurs projets sur la base de leur adaptation aux climats futurs sont également possibles.
Conclusion
Le changement climatique aura des conséquences sur les différents secteurs de l'économie, de manière directe pour les activités dépendant des variables météorologiques (agriculture, foresterie, hydroélectricité, etc.) et de manière indirecte sur le reste du système socio-économique. Ainsi, la limitation du phénomène menant à ces conséquences est nécessaire, mais non suffisante. Il est également important de modifier le système socio-économique afin de limiter les conséquences, il s'agit de l'adaptation.
L'adaptation peut être vue comme le processus dynamique d'évolution de la relation Homme/environnement. Dans cette relation, la culture joue un rôle crucial, puisqu'elle conditionne le lien entre l'Homme et la Nature, qui est une partie de son environnement. Dans les cultures où les sphères de la Nature et de la Culture sont largement séparées, les sociétés peuvent se rendre vulnérables, notamment au climat.
D'après la littérature dédiée, la maladaptation d'un système correspondrait aux facteurs internes de ce dernier qui entravent la réponse à une tension ou à une contrainte et qui perturbent ses capacités homéostatiques. Ces facteurs peuvent être structurels (surspécialisation, perte de flexibilité, manque d'autonomie, perte de régulation par la centralisation) ou culturels.
En ce qui concerne la maladaptation au changement climatique, on la définit souvent comme une mesure visant l'adaptation, mais qui, au lieu d'aboutir à une réduction, entraîne une augmentation de la vulnérabilité. Plus largement, l'ensemble des mesures conduisant à l'augmentation de la vulnérabilité devraient constituer de la maladaptation, que nous pourrions alors nommer « inadaptation ». Ainsi, viser la résilience climatique est une manière de réduire le risque de maladaptation au maximum.
Dans la pratique, plusieurs stratégies existent pour favoriser la résilience des systèmes socio-économiques, laquelle peut être caractérisée par la flexibilité, l'homéostasie (qui requiert l'information et le rapprochement entre la décision et l'action), la diversification, la redondance et des éléments d'absorption des chocs (stockage, amortisseurs sociaux, etc.). À l'inverse, les solutions qui sont inflexibles ou irréversibles, inéquitables, qui accroissent le changement climatique ou qui réduisent l'incitation à l'adaptation (par la modification culturelle) seraient mal adaptées. En particulier, les solutions technologiques ont un risque important de se retrouver dans cette catégorie.
Dans le cadre du financement d'infrastructures de long terme, en particulier en période de rigueur économique, il semble essentiel de s'interroger sur la maladaptation des projets d'investissement aux climats futurs. Cette réflexion pourrait être davantage approfondie dans le cadre du FEIS (Fonds européen pour les investissements stratégiques) ou de la proposition de règlement européen sur les FEILT (fonds européens d'investissement de long terme), afin d'éviter le gaspillage d'argent public et privé. Comme l'a rappelé la Commission européenne en décembre 2014, les investissements nécessaires à l'horizon de 2020 pour les infrastructures transfrontalières représentent, pour les seuls secteurs du transport et de l'énergie, 750 Md€. Par ailleurs, les ambitions en matière de politique énergétique et climatique de l'UE nécessiteront des investissements d'environ 205 Md€ par an entre 2015 et 2030. Dans ce contexte, ne pas anticiper les changements climatiques et les adaptations (des systèmes socio-économiques, notamment) qui auront lieu fait courir le risque de rendre la société européenne davantage vulnérable aux aléas climatiques, tout en réduisant les ressources disponibles à l'adaptation.
Un outil d'évaluation du risque de maladaptation d'un projet aux climats futurs pourrait être mis à disposition des acteurs socio-économiques et des décideurs de l'UE. Il pourrait être basé sur l'évaluation de la résilience climatique à travers quatre thèmes majeurs (l'eau, l'énergie, la dépendance fonctionnelle et la dépendance structurelle), laquelle serait croisée avec des informations sur l'exposition aux aléas climatiques pour aboutir à une estimation de la vulnérabilité climatique. Outre les résultats apportés par l'outil lui-même et leur analyse, la démarche permet, en elle-même, de sensibiliser les acteurs économiques et de recentrer la réflexion sur leur propre intérêt, à savoir maximiser la rentabilité (ou éviter la réduction de rentabilité) d'un projet en fonction des changements climatiques futurs.