Comme toutes les entreprises, les groupes bancaires procèdent régulièrement à des exercices de planification stratégique permettant d’actualiser leurs perspectives sur l’environnement et de fixer des objectifs opérationnels et financiers. Ces plans sont à la fois un outil de pilotage et de mobilisation pour l’entreprise, et un élément de référence pour la communication financière et les échanges avec les superviseurs.
Depuis 2007, les banques traversent un contexte exceptionnel. Après la phase de gestion de crise, elles ont dû apprendre à naviguer dans un environnement économique et réglementaire radicalement différent et très instable. Elles ont intégré ces contraintes dans leurs travaux de planification, ce qui les a conduites à faire évoluer leurs méthodes et à adopter des stratégies globalement défensives.
Depuis 2007, planifier dans le brouillard
Le travail de planification à moyen terme conduit à analyser l’environnement économique et concurrentiel de l’entreprise, à identifier des opportunités de développement, à en déduire une orientation stratégique prenant en compte ressources et contraintes et à décliner cette orientation en plans d’actions opérationnels et en objectifs chiffrés.
L’étape du « cadrage » est très importante puisqu’elle consiste à donner à tous les acteurs de l’entreprise (responsables de métiers, de pays, de fonctions) un jeu d’hypothèses communes et de contraintes collectives qui permet à chacun de travailler de manière cohérente.
Parmi les inputs externes, on trouve :
- les hypothèses macroéconomiques qui intègrent a minima des prévisions de croissance du PIB, de taux d’intérêt (niveau et courbe), de taux de change et d’évolution des principaux indices boursiers, et ce, pour les différentes zones de présence. Ces prévisions impactent les anticipations sur la demande de crédit et de produits d’épargne, les prix et les marges, et l’évolution du coût du risque ;
- les évolutions connues ou possibles du cadre réglementaire, et en particulier des normes prudentielles, qui influencent la consommation absolue et relative de capital des différentes activités.
À cela peuvent s’ajouter des éléments de cadrage interne posés par la direction générale comme :
- quelques priorités posées ex ante, en termes de marchés ou de géographies prioritaires, ou de niveau minimum de rentabilité à moyen terme exigé pour chaque activité ;
- la cible de notation du groupe, qui peut impacter le profil de risque acceptable et le niveau des fonds propres requis ;
- le volume d’endettement externe autorisé pour le groupe, différencié par maturité, et qui sera mis à la disposition des différentes activités ;
- éventuellement un précadrage des enveloppes de capital et/ou de liquidité allouées aux différents métiers pour financer leur développement.
En principe, un environnement externe prévisible permet de se donner un horizon long de planification, d’envisager des investissements de long terme et de disposer de marges de manœuvre suffisantes pour permettre aux métiers de proposer leurs projets de développement. Depuis 2007, le secteur bancaire européen est dans la situation inverse. Il fait face à un triple bouleversement : une crise financière, puis économique, amplifiée en Europe par la crise de la dette souveraine de 2011, une vague massive de re-réglementation du secteur qui est toujours en cours, et un impact croissant du digital sur la consommation de services financiers.
Le secteur bancaire est peu préparé à affronter de tels bouleversements, compte tenu de son caractère fortement régulé, de business models largement assis sur des logiques de stock (épargne et crédit), d’effets d’échelle et de coûts fixes importants. Les stratégies y sont souvent conduites de manière incrémentale plutôt qu’en rupture. La banque se différencie en cela d’autres industries qui répondent à des cycles d’exploitation ou d’innovation plus courts, ou qui, confrontées à une compétition à l’échelle globale, se sont habituées à plus de flexibilité stratégique.
Face à cette accumulation de chocs, les plans à moyen terme conçus par les grandes banques entre 2007 et 2011 ont été rapidement dépassés et mis de côté, sur fond de sauvetage bancaire par les États et de renouvellement des équipes de management. Entre 2011 et 2013, le regain de tensions lié à la crise des dettes souveraines a rendu illusoire toute tentative de planification pour la plupart des banques européennes : il s’agissait de naviguer en évitant les écueils immédiats et d’accélérer le travail de « réparation » des bilans bancaires déjà engagé. L’évolution de l’indice Itraxx, qui mesure la prime de risque sur la dette émise, donne une bonne illustration de l’ampleur du stress auquel a été soumis le secteur financier européen ces dernières années.
Ce n’est qu’à partir de 2013 que la plupart des groupes bancaires européens, notamment français, ont considéré qu’il redevenait réaliste de lancer un effort de planification à moyen terme. Or, en 2013, on pouvait constater non seulement qu’un grand nombre de repères traditionnels avaient été bouleversés, mais aussi que ce bouleversement était loin d'être achevé. Voici quatre illustrations des difficultés posées au planificateur.
Un reparamétrage massif et continu du cadre réglementaire
Le cadre réglementaire européen a subi depuis le début de la crise une « réinitialisation » générale et son reparamétrage n’est toujours pas achevé. La réforme Bâle III constitue certainement le cœur de l’onde de choc réglementaire. Sans revenir sur le contenu de cette réforme, il faut mesurer à quel point ses effets remettent en cause les schémas antérieurs de fonctionnement du secteur, comme par exemple :
- la désincitation à porter les engagements dans les bilans des banques, compte tenu des nouvelles règles d’encadrement de liquidité, de solvabilité et de levier bancaire ;
- l’incitation corrélative à utiliser des outils de marché pour financer les dettes (sans pour autant qu’un marché européen de substitution n’ait eu le temps d’émerger pour toutes les classes d’emprunteurs) ;
- la désincitation au recours à la transformation bancaire, qui était pourtant une fonction historique des banques ;
- l’abattement structurel sur la rentabilité du secteur liée à la hausse des exigences de fonds propres toutes choses égales par ailleurs, abattement amplifié pour les acteurs de grande taille (exigences supplémentaires pour les institutions financières dites « systémiques ») ;
- la modification des hiérarchies traditionnelles en termes de profitabilité des activités bancaires ou de profitabilité des segments de clientèle, liée à la révision générale des consommations d’emplois pondérés, d’une part, et à la nécessité de maîtriser la consommation de liquidité, d’autre part. Les exemples les plus notables sont la banque de financement et d’investissement, durement impactée par Bâle III, et les activités de crédit non adossées à une base de dépôts comme les services financiers spécialisés ;
- la déformation des avantages comparatifs au profit d’acteurs mieux préparés au nouvel environnement réglementaire (banques américaines) ou relativement moins régulés (shadow banking).
L’adaptation à cet environnement mouvant doit se faire à marche forcée, sans visibilité sur le point d’arrivée puisque les paramètres de la réforme n’ont cessé d'être complétés et renforcés depuis l’origine. Ainsi, par exemple, le calcul des emplois pondérés en fonction du type d’engagement décisif pour l’équation économique faisait encore l’objet de propositions de la part du Comité de Bâle à la fin de 2014.
Sans cadre stable, il est difficile pour les banques de reconstruire de nouveaux business models viables et robustes en environnement Bâle III. Si l’on prend l’exemple de la banque de financement et d’investissement, il est probable que seule une partie du chemin réglementaire ait été franchie et qu’il faille s’attendre à d’autres étapes d’ajustement. Le retour sur fonds propres moyens du secteur aurait été réduit de 15 % en 2010 à 11 % en 2013 et il resterait un aléa sur 3 à 7 points d’impact défavorable supplémentaire pouvant encore intervenir d’ici à 2016 du seul fait des évolutions réglementaires1.
À Bâle III s’ajoutent de nouveaux enjeux liés à la création de l’union bancaire européenne et de nouveaux mécanismes de résolution :
- de nouvelles contraintes financières émergent comme les mécanismes de dette bail-inable, qui présentent des coûts de financement supplémentaires, ou encore les contributions aux nouveaux mécanismes de garantie européens ;
- les équilibres définis par les régulateurs nationaux pourraient être revus dans le cadre du régime de supervision unique conduit depuis Francfort. Un exemple emblématique est celui du traitement prudentiel de la bancassurance, qui fait pour l’instant l’objet d’un traitement favorable dans les textes communautaires (« compromis danois »), mais dont la pérennité reste incertaine ;
- la question de la structure des groupes bancaires est aussi ouverte, autour de la préférence éventuelle du régulateur pour des structures à holding permettant d’isoler les activités opérationnelles « saines » en cas de défaut, ou du débat récurrent sur la séparation des activités bancaires traditionnelles et des activités de marché. Les décisions prises dans ce domaine auront évidemment de lourdes conséquences pour les acteurs du secteur.
Il faut aussi compter sur l’intensification de la réglementation consumériste à l’échelle européenne ou nationale : cette vague s’applique à un champ large d’activités, du crédit à la consommation aux opérations de banque au quotidien ou aux différentes conditions de distribution des produits d’épargne ou d’assurance. Ce mouvement de fond peut se poursuivre avec une intensité difficile à anticiper.
Pour des groupes de dimension mondiale, cette complexité est multipliée par le nombre de pays de présence, dont chacun durcit son cadre réglementaire sans nécessairement se coordonner. Cela au point que la question de l’intérêt de la diversification géographique et de la réalité des effets d’échelle au sein des banques globales peut se poser pour leurs actionnaires. Des banques européennes essentiellement domestiques ont ainsi pu afficher une performance boursière supérieure à celle du secteur ou de certains acteurs globaux dans la période récente.
Un cadre macroéconomique instable
Les conditions très atypiques et très laborieuses de sortie de la grande crise de 2007, le long processus de désendettement des économies, qui n’a fait que démarrer, la tendance générale au vieillissement de la population et le ralentissement des gains de productivité dans les économies occidentales rendent difficile la formalisation d’un nouveau cadre économique de référence à moyen-long terme.
Le point le plus délicat pour la planification bancaire concerne les prévisions de taux d’intérêt à court et moyen terme. Elles impactent directement les prévisions de demande, de coût de la liquidité, de valorisation des actifs et, in fine, les perspectives de revenus futurs. Ces prévisions ont été très difficiles à établir dans la période récente et elles ont été régulièrement déjouées du fait de l’action sans précédent des banques centrales pour faire face à la crise, et notamment de leur recours à des outils non conventionnels de politique monétaire. Dans le cas de la zone euro, la difficulté de prévision est encore renforcée par le caractère évolutif du cadre d’action de la Banque centrale européenne (BCE), dont l’arsenal s’est progressivement élargi au gré des évolutions de la conjoncture et des équilibres politiques. Au final, l’aléa macroéconomique restera très élevé pour les banques tant que les conditions d’exercice de la politique monétaire ne seront pas normalisées.
À cela s’est ajouté un aléa de nature plus politique portant sur la solidité de la zone euro. La crise des pays périphériques de la zone euro a montré en 2011-2012 la vulnérabilité des acteurs financiers à un choc sur des titres souverains européens réputés sans risque. La crise grecque a en outre pris à contre-pied les acteurs qui avaient parié sur le caractère irréversible de l’union monétaire pour se développer hors de leurs frontières en y transférant des liquidités importantes. Le Crédit agricole s’est ainsi, par exemple, retrouvé exposé au double risque d’un bank run et d’un risque de change imminent sur ses activités locales dès le moment où la sortie de la Grèce de l’euro devenait une hypothèse plausible pour le marché et les déposants. Une telle expérience n’est pas sans effet sur la manière de réfléchir au développement futur de l’activité bancaire en zone euro et aux risques associés. Le regain de tensions sur la Grèce depuis les élections de janvier 2015 montre que la question du risque souverain en zone euro n’est pas réglée. Dans un tel contexte, la circulation transfrontalière de la liquidité au sein d’un groupe bancaire européen reste un sujet de préoccupation pour les banques et les investisseurs, lorsqu’elle n’est pas tout simplement découragée par les régulateurs nationaux. Cela constitue un frein évident à une allocation efficace de l’épargne au sein de la zone euro et au développement d’acteurs de dimension européenne en banque de détail.
Des points de repère à redéfinir dans le cadrage financier
La cible de rentabilité à moyen terme
Le choix d’une cible de rentabilité à moyen terme est un élément structurant pour un plan à moyen terme, en particulier dans un contexte où le niveau élevé d’incertitude et le faible dynamisme de l’économie conduisent les investisseurs à privilégier le rendement. En principe, il s’agit de viser une rentabilité dépassant le coût du capital. Mais quelle référence choisir ? Le coût du capital utilisé par les analystes de marché pour les banques européennes a été usuellement de 10 % à 12 % sur la période 2012-2014, reflétant une prime de risque en recul par rapport au pic de la crise, mais encore très élevée (de l’ordre de 8 % à 9 %), compte tenu à la fois de la baisse continue du taux sans risque et du renforcement de la base de capital accompli par le secteur bancaire.
Le management doit ainsi prendre position sur le niveau de rentabilité cible qu’il assigne à son portefeuille de métiers : peut-il assumer de fixer une cible de rentabilité plus cohérente avec le nouveau contexte (par exemple, dans la zone 8 %-10 %) quitte à décevoir les marchés ?
Le management doit aussi décider s’il prend pour référence la rentabilité sur le total des fonds propres historiquement investis (rentabilité « comptable ») ou s’il ne cherche qu’à rentabiliser les « fonds propres tangibles », c’est-à-dire net des goodwills accumulés à l’occasion d’opérations de croissance externe. Les analystes ont tendance à ne valoriser les sociétés que sur la base des fonds propres tangibles. Le retour sur fonds propres tangibles sert alors de référence. Les investisseurs de long terme auront tendance à regarder le ROE (return on equity) comptable et à attendre de la société qu’elle rentabilise les goodwills investis. Pour les banques qui ont eu des politiques de croissance externe actives dans le passé, l’écart entre les deux normes de rentabilité peut être de l’ordre de 2 points.
Le cadrage de la politique d’endettement
Ce paramètre a pris une importance nouvelle dans le cadrage stratégique. La crise de 2011 a montré aux banques européennes leur grande vulnérabilité en cas d’endettement de marché excessif, en particulier s’agissant de la dette à court terme ou en devises étrangères. À cela s’ajoutent les nouveaux ratios de liquidité bâlois et la pression des agences de notation qui contraignent fortement la politique de gestion financière. Les directions financières doivent désormais cadrer de manière plus « régalienne » les orientations de la politique d’endettement à moyen terme (quel est le plafond d’endettement global acceptable ? pour quelles maturités ? avec quelle diversification des instruments de dette compte tenu de leur coût et de leurs propriétés prudentielles respectives ?). Ce cadrage a évidemment des répercussions sur la quantité et le prix de la ressource disponible pour les métiers.
La difficulté d’apprécier le comportement des consommateurs bancaires en environnement digital
À ces différentes incertitudes réglementaires et financières s’ajoute la modification des préférences des clients dans les modes d’interaction avec leur banque, à mesure de la pénétration des outils digitaux dans la vie quotidienne. Là encore, l’intensité et la vitesse du phénomène sont difficiles à appréhender. Le choix des hypothèses retenues est lourd d’implications car il oriente la réponse à des questions essentielles. Quelle transformation du modèle relationnel entre le client et sa banque ? Quelle évolution du modèle de distribution bancaire ? Pour quels types de clients ? À quelle vitesse changer sans prendre le risque de déstabiliser le fonds de commerce ? Faut-il investir dans la promesse du big data de construire à terme une « hyperpersonnalisation » de l’offre ? Quels types de nouveaux concurrents sont susceptibles d’émerger et de se saisir avec succès de ces nouvelles approches ? Faut-il les devancer ? Avec quel risque de cannibalisation et de déstabilisation des processus commerciaux et des organisations en place, notamment les réseaux d’agences ?
À travers ces différents exemples, on voit la difficulté du travail de cadrage stratégique dans la période actuelle. Cette difficulté conduit à un risque additionnel : l’attention tend à se focaliser sur l’analyse des aléas et des enjeux immédiats et à renvoyer au second plan l’intégration de tendances de plus long terme pourtant observables qu’il s’agisse, par exemple, du vieillissement de la population en Europe, des enjeux environnementaux, ou du déplacement des centres de gravité économiques vers d’autres régions du monde.
Un repli nécessaire sur des stratégies défensives
Dans le contexte d’incertitudes ainsi décrit, le travail de planification consiste à traiter les contraintes immédiates et à préparer l’entreprise à faire face à des scénarios adverses. Cela conduit à des stratégies essentiellement défensives et relativement similaires entre banques si l’on compare les plans publiés depuis 2013.
Les grandes lignes de ces stratégies sont les suivantes :
- traiter prioritairement la gestion des nouveaux ratios prudentiels : les marchés et les agences de notation ne donnent pas aux banques le bénéfice des périodes de transition prévues par les textes. Il est très dangereux de se laisser distancer par le peloton des banques européennes dans ce domaine car cela attire l’attention du marché et déclenche des mouvements spéculatifs très difficiles à contenir. La gestion des ratios est ainsi devenue le « premier commandement » de la stratégie bancaire, bien avant le choix des priorités commerciales ;
- adapter la voilure au nouveau contexte économique et réglementaire : réduction du volume d’endettement de marché et du ratio « crédit/dépôt », réduction du besoin en capital, réduction générale des coûts (cf. graphique 4) pour maintenir la rentabilité à un niveau acceptable. Toutes les banques se sont engagées dans de tels plans, au prix d’une réduction du poids direct et indirect du secteur financier dans l’économie et dans l’emploi ;
- conduire le recentrage stratégique : consolidation du cœur de métier, développement des synergies, élimination des activités à taille sous-critique ou dont la rentabilité est durablement menacée ;
- reporter les paris les plus risqués (expansion géographique, nouvelles activités, offensives commerciales ou tarifaires) ;
- renoncer explicitement à la croissance externe sauf pour des cas limités et bien définis ;
- augmenter la distribution de dividendes aux actionnaires et en particulier de la part versée en cash.
En ce qui concerne les grandes banques françaises, on retrouve des objectifs proches dans les plans publiés en 2013 : cible de rentabilité à moyen terme sur actifs tangibles dans la zone des 10 %-12 %, niveau de dividende élevé, progression modérée des emplois pondérés, préservation des trois piliers du modèle de banque universelle à la française (banque de détail, banque de financement et d’investissement, métiers d’épargne et d’assurance), avec néanmoins une déformation marginale de la répartition du capital entre grands blocs de métiers. À un niveau plus granulaire, métier par métier, des différences d’approche stratégique continuent évidemment d'être observées.
Un conservatisme stratégique qui pourrait être appelé à évoluer à tout moment
De nouvelles ruptures dans l’environnement pourraient conduire les banques à des réponses stratégiques plus marquées. Avec une perspective datant de la fin de 2014, on peut imaginer différentes hypothèses à plus ou moins long terme, comme par exemple :
- une reprise de l’attaque réglementaire contre le modèle de banque universelle sous différentes facettes (séparation des activités de banque de détail et de banques commerciales incluant les activités de marché nécessaires au service des grandes entreprises, séparation forcée des activités de production et de distribution notamment dans le domaine de l’épargne et de l’assurance) ;
- une nouvelle crise souveraine en zone euro, couplée à une remontée brutale des taux d’intérêt qui déstabiliserait les bilans des banques et des compagnies d’assurance-vie ;
- la prolongation sur une longue période d’un environnement de taux et de croissance très faibles impactant défavorablement la banque de détail et les métiers de l’épargne (scénario « à la japonaise ») ;
- un nouvel épisode de crise financière liée à la déstabilisation de certaines classes d’actifs artificiellement soutenues par un contexte de politique monétaire ultra-expansionniste, ou encore par la recherche à tout prix d’actifs à rendement de la part des investisseurs dans un contexte de taux faible sans prise en compte du risque ;
- l’irruption d’un ou plusieurs acteurs globaux de l’Internet dans la banque de détail ;
- dans un sens plus positif, le franchissement d’une étape supplémentaire de l’union bancaire en zone euro conduisant progressivement à un marché bancaire et de l’épargne unifié, favorisant l’émergence de groupes bancaires réellement européens.
En toute hypothèse, les planificateurs devront continuer à tester les fondements des business models bancaires actuels, comme par exemple :
- la valeur réelle des actifs industriels dont la banque dispose dans un environnement digital : capital humain disponible, infrastructures physiques, données bancaires, fonds de commerce, savoir-faire propriétaires, etc. ;
- la capacité de la banque traditionnelle à préserver durablement une position centrale dans la distribution de produits et de services financiers ;
- la réalité des économies d’échelle, du point de vue à la fois des coûts et de la consommation de capital et de liquidité ;
- la pertinence des approches commerciales ou tarifaires fondées sur des subventions croisées entre produits ;
- le potentiel de synergies commerciales entre métiers au sein de groupes diversifiés ;
- l’intérêt d’un portage direct du risque par rapport à une logique d’intermédiation.
Un environnement qui pousse à améliorer les méthodes de planification
La nécessité d’une planification financière plus sophistiquée
Dans les années 2000, il était possible de construire un business plan bancaire à partir d’un compte de résultat projeté et d’une estimation de la croissance des emplois pondérés, le tout permettant de projeter la trajectoire de capital et de solvabilité.
Le mérite des évolutions actuelles est de forcer l’entreprise à entrer dans une compréhension plus fine des mécanismes de création de valeur.
À présent, les banques doivent être en mesure de projeter leurs ratios de liquidité et de levier, ce qui suppose une projection des différents postes de bilan aussi bien à l’actif qu’au passif, intégrant les choix en matière d’instruments de financement et d’hypothèses sur leur coût respectif. Ces outils doivent être disponibles au niveau consolidé comme de chaque métier.
D’autre part, la nécessité de « deleverager » les bilans bancaires a fait sentir concrètement la nécessité de procéder à des allocations de ressources rares entre métiers qui ne se limitent pas au capital, mais qui intègrent la répartition de la liquidité, en volume et en maturité. Ces nouvelles contraintes conduisent à une contractualisation beaucoup plus forte des relations financières entre les métiers, d’une part, et la direction générale et la direction financière du groupe, d’autre part.
Il est alors nécessaire de se doter de critères supplémentaires d’évaluation des plans proposés par les métiers et de filtrage des initiatives nouvelles. Traditionnellement, on pouvait opter pour une combinaison de critères qualitatifs mesurant l’intérêt stratégique et une mesure de la rentabilité intégrant la consommation de capital économique ou réglementaire (RAROC – risk-adjusted return on capital). Il faut désormais ajouter dans la balance le « retour sur liquidité » et l’emprise du projet envisagé sur le ratio de levier. L’analyse se complique si l’on prend en compte l’éligibilité des actifs concernés à un refinancement en banque centrale, ou leur caractère titrisable, et plus encore si l’on décide de ne pas mesurer leur contribution en « solo », mais d’intégrer tout l’effet d’entraînement commercial qui peut être généré (exemple du crédit immobilier en France, traditionnellement considéré comme produit d’appel pour toute la relation bancaire).
Dans le domaine de l’épargne, ces approches peuvent avoir des conséquences importantes dans les choix de construction de l’offre de produits sous forme bilantielle ou non bilantielle. Dans le domaine du crédit, la mesure de la rentabilité de l’activité doit être révisée. Cela peut conduire à des politiques différentes entre acteurs mutualistes et non mutualistes, les premiers pouvant choisir de subordonner l’objectif de profitabilité à leur vocation de financement des territoires.
Une articulation à rechercher avec la construction des nouveaux plans de redressement et de résolution
La réglementation impose désormais aux banques de construire des plans de redressement et de résolution. Cette nouvelle forme de planification « pour le pire » renvoie elle aussi à un questionnement de type stratégique.
Le choix des actions de redressement revient à identifier les activités qui ont en principe le moins de valeur stratégique et que l’on est prêt à céder ou arrêter en premier. Cela force à un effort de hiérarchisation stratégique et de préparation de réponses opérationnelles face à différentes configurations de crise, ce qui conduit potentiellement à plus de créativité que lors d’un exercice « classique » de planification stratégique.
Le travail sur la localisation des fonctions critiques pour la survie du groupe et la structure de résolution la plus adaptée (single point of entry ou multiple point of entry) a également une dimension stratégique car il a des implications sur l’organisation générale du groupe, les rôles et les responsabilités de la société-mère et des filiales, et le mode de pilotage.
Dans le prolongement de ces approches, il serait possible d’imaginer une planification dont le cadrage reposerait sur l'« appétit au risque » de la banque, dans l’esprit de ce que la réglementation Solvabilité II demande désormais aux assureurs de définir. Cela conduirait à définir le niveau de risque commercial et financier que l’entreprise est prête à prendre dans sa gestion, à le répercuter dans les orientations données à chaque métier. Le niveau de consommation de capital et la marge de sécurité permettant de couvrir les contraintes prudentielles seraient adaptés en conséquence, de même que l’organisation de l’entreprise, le choix d’un profil de risque élevé pouvant suggérer une plus forte étanchéité entre les activités.
On voit que ces différentes formes de planification sont appelées à être construites de façon cohérente et coordonnée. Elles créent de nouvelles passerelles entre les équipes en charge des risques, des finances et de la stratégie.
Conclusion
Sauf choc supplémentaire, l’environnement actuel conduit mécaniquement et sans doute pour quelque temps encore les banques européennes à des stratégies défensives. Cette situation n’est pas optimale pour le secteur bancaire et pour sa contribution au financement de l’économie : l’impératif de conformité financière prime sur le développement ; le secteur est moins attractif pour les investisseurs ; l’investissement et l’innovation sont ralentis ; les barrières à l’entrée dans le secteur bancaire sont en réalité maintenues et sans doute renforcées ; l’activité se reporte sur d’autres acteurs de la sphère financière moins régulés…
Une stabilisation du cadre réglementaire, ne serait-ce que pour permettre aux banques de tirer toutes les conséquences industrielles des réformes actées, et une normalisation de l’environnement macroéconomique sont des préalables au retour à des logiques de planification plus dynamiques et à des stratégies plus variées.