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 Union bancaire et évolution du modèle des banques universelles


Jean-Baptiste BELLON Analyste financier, Trapeza. Contact : jbb@trapeza.fr
Georges PAUGET Président, société de conseil Économie, finance et stratégie. Contact : gpauget@efsstrategie.fr
Le modèle de banque le plus répandu en Europe, celui de la banque universelle, est mis à l’épreuve par les choix des régulateurs pour sortir de la crise et construire un environnement financier et bancaire plus résilient. Dans un premier temps, les banques ont adapté leurs dispositifs pour compenser l’impact du durcissement des ratios de fonds propres et de l’introduction des ratios de levier et de liquidité. Les banques ont réduit ou contenu leurs coûts et arbitré les activités pour diminuer le poids des métiers les plus consommateurs de capital et de coussins réglementaires. Hors litiges et exceptions, les RoE des principales banques sont revenus en 2014 à des niveaux proches du coût du capital (8 %). Cependant, les banques doivent envisager des évolutions et des ruptures plus radicales pour s’insérer dans un environnement de croissance molle en Europe. Elles doivent à la fois rechercher dans les marchés européens une plus grande efficience qui est en partie permise par la taille et limiter l’empreinte too big to fail des établissements. Cette recherche nécessite des arbitrages complexes sur les métiers de marchés et de financement d’entreprise, alors même que la contribution de la banque de détail s’amenuise dans un environnement de taux bas. Demain, dans une Europe de l’Union bancaire, les banques universelles ne suivront plus le modèle des banques à tout faire, mais des modèles diversifiés où elles se concentreront sur les activités qu’elles auront choisies.

Comme l’a rappelé Lord Hill dans ses premières déclarations, l’union bancaire en Europe est une réalité alors que l’union des marchés financiers reste à faire. Depuis près de vingt-cinq ans, les banques européennes évoluent dans le cadre de directives communes fondées sur l’application des règles du Comité de Bâle. Elles disposent depuis plus de quinze ans d’une monnaie commune, l’euro, pour les deux tiers des pays de la zone. Au cours de ces deux périodes, le secteur bancaire européen a été marqué par de grandes vagues de fusions domestiques ou transfrontières.

Le paysage bancaire s’est ainsi trouvé profondément modifié, mais la façon d’exercer les activités bancaires et financières a moins évolué. La mise en œuvre d’une supervision unique au sein de la zone euro, garante d’une application homogène de la réglementation, la coordination de la définition de ces mêmes règles pour l’Union européenne par l’Autorité bancaire européenne (ABE) et la création d’un dispositif commun de gestion des banques en difficulté et, si nécessaire, de gestion des faillites ouvrent une période nouvelle. Cette révolution réglementaire remet en cause les modèles et les organisations des groupes bancaires européens qui, au cours des huit dernières années, ont traversé deux crises financières à caractère systémique et se trouvent aujourd’hui confrontés à une sortie de crise caractérisée notamment par une très faible croissance économique. Cette conjoncture incertaine et cette avalanche réglementaire modifient profondément les conditions d’exercice des activités bancaires. Quels sont, en particulier, les impacts d’un tel environnement sur le modèle le plus répandu en Europe, la banque universelle ?

Le concept de banque universelle recouvre des réalités différentes. Le point commun est que la banque de détail représente plus de 50 % du produit net bancaire. Ce taux peut toutefois être sensiblement différent d’un établissement à l’autre et aller de 50 % à 70 %. Si l’on ajoute à cela que les activités hors banque de détail peuvent être différentes ou avoir des poids différents, on comprend qu’il existe une grande diversité de modèles de banque universelle et qu’ils réagissent différemment aux évolutions de l’environnement.

Pour apprécier ces changements dans les modèles, on distinguera les adaptations à court terme des changements qui devraient être plus marqués sur une longue période.

Les tendances à court terme

Les banques ont eu à gérer simultanément deux chocs qui ont résulté des deux crises financières successives auxquelles elles se sont trouvées confrontées : un choc réglementaire et un choc économique.

L’impact des modifications de l’environnement économique et réglementaire

Ces deux chocs conduisent à une modification de la structure des bilans des banques et, par suite, à une modification de leurs conditions d’exploitation.

La transformation des bilans est à relier directement aux nouveaux ratios de solvabilité, de liquidité, de levier, ainsi qu’aux dispositions applicables aux établissements systémiques. Les conséquences principales en sont : une hausse des fonds propres, une limitation de la taille des établissements, une incitation à la collecte des dépôts bancaires et la nécessité de disposer d’un endettement d’une durée plus longue.

Tirant les leçons de la crise, les régulateurs ont adopté une définition plus stricte et plus facilement contrôlable des fonds propres en les limitant au capital et aux résultats conservés. Dans le même temps, le mode de calcul des fonds propres destinés à couvrir les risques de marché a été durci pour mieux tenir compte de la volatilité. Ainsi assiste-t-on à un double mouvement : une augmentation des fonds propres essentiellement grâce à la conservation des résultats et une diminution des actifs pondérés résultant d’un arbitrage des portefeuilles qui tient compte du nouveau coût des fonds propres. Ces deux mouvements ont été d’importance équivalente, mais le second a pour caractéristique de révéler les choix stratégiques des différentes banques. Les actifs cédés l’ont été dans des activités ou dans des pays dans lesquels la part de marché ou la présence des banques était limitée et sans perspective de développement. Si quelques arbitrages ont été réalisés dans les financements spécialisés comme le crédit à la consommation, globalement, la banque de détail n’a pas vu son allocation de capital réduite et, au contraire, son poids dans l’ensemble des activités s’est accru. Ce sont les activités de marché qui ont été réduites, d’autant plus que les marchés de taux comme ceux des actions étaient peu porteurs (BCE, 2014). Ces différents effets conjugués expliquent que la rentabilité de ces activités est restée médiocre en 2013 et 2014 et n’a pas assuré la couverture du coût des fonds propres.

Les ratios de liquidité conduisent à une transformation de l’actif et du passif des bilans. À l’actif, ces ratios poussent à la titrisation. Mais celle-ci a été bloquée depuis la crise, et elle commence à reprendre progressivement comme en témoignent quelques initiatives récentes de grands établissements. Dans l’intervalle, la faible demande de crédit due à l’atonie de la conjoncture a permis aux banques de satisfaire à ces ratios. Au passif, l’incitation à la collecte des dépôts est nette. L’augmentation récente et relativement importante des dépôts dans les banques, de l’ordre de 5 % à 6 %, en est l’illustration. Les ratios de liquidité conduisent aussi les banques à accroître la durée de leurs ressources. Là encore, la grande liquidité qui caractérise aujourd’hui les marchés constitue un élément facilitant et a permis aux banques d’allonger leur passif. Le ratio de levier et l’examen annuel des banques qualifiées de « systémiques » conduisent dans les faits à une limitation de la croissance des bilans. La course à la taille qui a pu être observée dans le passé n’est donc plus d’actualité, les banques devront en tenir compte lors de la définition de leur stratégie.

Les transformations de bilan, jointes à des taux d’intérêt historiquement bas et à une faible demande de crédit, modifient également la structure et les évolutions des revenus des banques. Les revenus de la banque de détail en France progressent peu ou stagnent. Pour les six grandes banques françaises, les revenus de la banque de détail en France et à l’international ont été compris entre 70 Md€ et 71 Md€ entre 2010 et 2012 pour se situer à 72 Md€ en 2013-2014. Ils représentent plus de 50 % des revenus globaux. Les revenus de la banque de finance et d’investissement (BFI) qui avoisinaient, pour ces mêmes banques, 30 Md€ en 2010 sont désormais de 23 Md€. Dans le même temps, les revenus de la gestion d’actifs qui étaient de 15 Md€ à 16 Md€ se situent désormais à 19 Md€. Au total, cependant, les revenus totaux des banques ont baissé de 9 Md€ entre 2010 et 2014, même s’ils sont à un niveau supérieur à celui observé avant la crise. L’impact de la crise de l’euro et des réglementations postérieures à la crise est donc très net.

Les modifications tant de la réglementation que de l’environnement économique et financier conduisent à des adaptations des modèles des banques. Mais ces adaptations restent, pour le moment, d’une ampleur limitée (Pauget, 2014).

Les adaptations des modèles économiques des banques

Deux études récentes, l’une de la Banque des règlements internationaux (Roenpitya et al., 2014) et l’autre du Centre d’étude et de prospective stratégique (Ayadi et de Groen, 2014), permettent de qualifier les évolutions des modèles économiques globaux. Les choix opérés par les banques européennes convergent vers trois grands types de modèles. Le premier est qualifié de « dominante banque de détail », le deuxième de « modèle équilibré entre les métiers globaux et locaux » et le troisième est caractérisé par une « dominante des métiers globaux ». Ces études font ressortir le fait que les arbitrages se sont faits au bénéfice de la banque de détail et au détriment de la banque de marché. Elles montrent aussi que les établissements qui ont le mieux performé récemment sont ceux qui se refinancent pour une large part sur le marché, ce qui s’explique par la baisse des taux observée sur la période. Mais le bénéfice de cette évolution est désormais épuisé. Ces études trouvent toutefois leurs limites dans le fait que le lien entre ces modèles et la structure des revenus ne peut être réalisé. Cela paraît être lié au caractère très global des modèles utilisés. Ce n’est en effet que par l’intermédiaire d’une analyse détaillée des revenus des activités qu’il est possible de mettre en évidence les changements de modèles.

Deux points complémentaires à ceux évoqués précédemment méritent d'être présentés. Le premier point tient à l’évolution prévisible de l’asset management en France. La baisse des taux conduit en effet à une baisse des marges, l’impact est d’autant plus marqué que la part des produits obligataires est importante dans les actifs gérés. Ce phénomène auquel s’ajoute une faible croissance des volumes explique les fusions observées entre établissements de taille moyenne. Les acteurs les plus performants sont soit des entreprises spécialisées sur des niches et qui ont de bonnes performances, soit de grands acteurs qui compensent la faiblesse du marché français par un développement à l’international. Le second point concerne le corporate banking. Une étude récente (BCG, 2015) a montré la faible rentabilité actuelle de ce métier. À cela s’ajoute le fait que les perspectives de développement sont essentiellement localisées dans certaines économies émergentes. De nouveaux arbitrages sont donc à prévoir dans cette activité.

Les évolutions de modèles observées à ce jour relèvent plus de stratégies d’adaptation que de stratégies de rupture qui anticiperaient les transformations des métiers sur une moyenne période. Il semble dès lors utile de s’interroger sur ce que pourraient être les changements de modèles dus à la poursuite des changements réglementaires et aux évolutions de l’environnement économique.

Les tendances à moyen terme : vers de nouveaux modèles bancaires

La banque universelle devrait connaître une véritable révolution industrielle dans la décennie à venir. Cela tient au rythme de croissance prévisible des économies européennes, à la poursuite des évolutions réglementaires, mais aussi à l’apparition ou au déploiement de nouvelles technologies. L’ensemble de ces changements serait de nature à modifier les termes de la concurrence.

L’impact de la croissance économique

Le rythme de croissance de l’économie a un impact direct sur les activités bancaires, ce qui est particulièrement vrai pour la banque de détail dont on a pu vérifier que le produit net bancaire était corrélé au PIB (Bellon et Pauget, 2012). La croissance devrait dans les années à venir être un peu moins rapide qu’avant la crise. Les taux de croissance devraient aussi être plus différenciés suivant les zones géographiques qu’ils ne l’ont été, en particulier en Europe. Les prévisions de croissance pour 2016 semblent confirmer une telle trajectoire avec un taux de 4,7 % pour les pays émergents et 2,4 % pour les économies développées (FMI, 2015). La conséquence de cette situation est que les choix par les groupes bancaires de leurs implantations géographiques ou de leurs marchés prioritaires sont entachés d’une plus grande incertitude. L’instabilité économique ou politique de certains pays conduit à revoir, de plus en plus souvent et dans des délais courts, les choix d’investissement. Il en résulte un besoin de flexibilité dans les stratégies et dans les organisations qui les mettent en œuvre.

De plus, les deux crises financières qui se sont succédé ont modifié l’équilibre qui existait entre grandes banques internationales. Les banques asiatiques et chinoises deviennent des acteurs incontournables, et ce, d’autant plus que l’internationalisation de leurs activités va en s’accélérant. Après avoir rétrogradé dans les classements mondiaux à l’issue de la crise des subprimes, les grandes banques américaines ont repris une position de leader. Les banques européennes ont beaucoup souffert de la crise de l’euro, leurs BFI ont perdu des parts de marché et peinent à atteindre la taille critique.

Au total, l’impact conjugué des crises et des perspectives de croissance des différentes zones géographiques modifie les termes de la compétition entre grandes banques internationales.

Les nouvelles technologies transforment les activités bancaires et sont source de différenciation entre établissements

Les écarts qui apparaissent entre banques ont deux origines.

La première source d’écarts entre banques est évidemment liée à la qualité de la veille technologique, à la diffusion des innovations au sein des banques, à leur appropriation et à leur expérimentation par les unités opérationnelles au contact des clients. Ce processus suppose que toute l’organisation soit ouverte à ces évolutions. Observons toutefois que les grandes organisations ont, du fait de leur taille et de leur complexité, de réelles difficultés de coordination interne. De plus, elles ont tendance à limiter les investissements et les risques dans les technologies émergentes. L’innovation provient, en effet, le plus souvent d’entreprises récentes ; celles-ci peuvent ensuite être rachetées par les grands groupes, comme cela est fréquent dans le secteur industriel. Les banques sont en train de suivre en cela les mêmes évolutions que celles observées dans l’industrie. Elles ont eu jusqu’ici tendance à intégrer tous les métiers pour capter le maximum de valeur et assurer la sécurité des opérations. L’innovation pourrait conduire à une remise en cause de ce schéma traditionnel. Comme cela s’observe dès à présent dans le domaine des paiements ou dans celui de l’asset management, une certaine spécialisation suivant les différents maillons de la chaîne de valeur pourrait apparaître. Dans les paiements, les établissements spécialisés ont tendance à pénétrer rapidement certains segments de marché. Dans l’asset management, la pression sur les marges et les changements dans les modes de distribution liés aux nouvelles technologies conduisent à faire émerger de petites entreprises à caractère entrepreneurial. L’économie de la banque traditionnelle peut dès lors s’en trouver modifiée. Pour rester compétitives, les banques devront non seulement savoir sous-traiter aux opérateurs les plus performants, mais aussi intégrer leurs services dans les offres de telle sorte que cela reste d’un usage simple pour les clients.

La deuxième source d’écarts entre banques tient à la profondeur et à la capacité contributive des marchés auxquels elles s’adressent. De ce point de vue, force est de constater que disposer d’un marché de grande taille permet de mettre en œuvre des économies d’échelle. Cela se vérifie dans les activités qui ont une dimension internationale comme l’asset management ou la BFI. Disposer d’un marché domestique important constitue aussi un réel avantage comparatif : les banques américaines ou chinoises disposent d’un tel avantage. Les banques européennes n’en disposeront que s’il y a une réelle intégration du marché européen. On en est loin, la crise de l’euro a poussé, au contraire, à une fragmentation de ce marché. L’union bancaire pourrait théoriquement inverser cette tendance, à moins que les multiples réglementations auxquelles les banques sont assujetties n’agissent en sens contraire.

L’impact de la réglementation bancaire s’accentue

Les dispositions arrêtées jusqu’en 2014 vont continuer à produire leurs effets, mais deux autres règlements en cours d’étude ou de finalisation vont venir accentuer la pression sur le rendement des fonds propres et limiter la taille des bilans. Le net stable funding ratio (NSFR) définira les limites de la transformation réalisée par les banques ; c’est là une donnée majeure pour les banques universelles européennes dont c’est le cœur de métier. Suivant la définition retenue, les banques devront de nouveau adapter la structure de leur bilan. L’adaptation à réaliser dépendra aussi de la volonté du régulateur européen d’adapter cette règle au contexte européen (Hill, 2015). Les établissements systémiques devraient se voir également appliquer la règle du total loss absorbency capacity ratio qui portera leurs exigences de fonds propres entre 16 % et 20 % de leurs actifs pondérés. Ils devront donc émettre de la dette subordonnée pour respecter ce nouveau ratio. La volonté des régulateurs est claire : il s’agit de limiter la taille des banques et d’éviter qu’elles ne soient too big to fail. C’est donc vers la recherche d’une plus grande valeur dans les activités qu’elles développent que les banques vont devoir s’orienter.

Les banques françaises ont un handicap supplémentaire dans ce contexte qui tient à la politique de l’épargne suivie depuis de nombreuses années et qui s’avère être en contradiction avec Bâle III et qui, de plus, n’assure pas un financement optimal de l’économie. Les flux nouveaux d’épargne s’orientent en effet vers des placements à faible risque et hors des bilans bancaires tels que les livrets défiscalisés ou l’assurance-vie en euros. Cette orientation a un double effet. D’une part, cette épargne ne finance que très peu les entreprises françaises et, d’autre part, les banques françaises ne peuvent offrir, à la différence de leurs consœurs européennes, des produits d’épargne bancaires à moyen terme attractifs. Elles recourent donc d’autant plus au financement par le marché, ce qui est de nature à affecter leur compétitivité et les coûts de financement des PME.

La réglementation a de multiples sources et de multiples champs – concurrence, taux d’intérêt, fiscalité des produits, protection des consommateurs – qui viennent s’ajouter à la réglementation bancaire stricto sensu, mais qui font que le marché européen est, suivant les domaines, unifié ou, au contraire, fragmenté. Or il n’existe pas aujourd’hui d’établissement couvrant l’ensemble des pays de la zone euro sur tous les grands métiers qui figurent habituellement dans le modèle de la banque universelle. En particulier, la banque de détail se limite, y compris pour les plus grands groupes, à un petit nombre de pays. L’enjeu d’un marché bancaire unique est donc considérable et la forme actuelle de l’union bancaire ne permet pas d’aller vers un tel objectif.

De même, la fragmentation actuelle des marchés européens ne permet pas d’assurer un financement optimal des banques comme des entreprises. La Commission européenne fait certes de ce dossier une priorité, mais nul doute que le chemin vers l’intégration sera long.

Les frontières de la banque se déplacent et deviennent plus floues

Les opérations bancaires comme les entreprises habilitées à les exercer font l’objet de définitions précises inscrites dans les lois ou les règlements, elles contribuent à définir le monopole des activités bancaires (de Vauplane, 2015). En pratique, ce monopole tend à se réduire sous l’effet de l’innovation, de la concurrence et des comportements des consommateurs. Le shadow banking system réduit de façon significative le champ de l’intermédiation régulée, au point qu’il peut représenter, dans les économies développées, le tiers des financements bancaires (FSB, 2014). Dans le domaine des paiements, le monopole bancaire est remis en cause, au moins partiellement, par les établissements de paiement et par des opérateurs localisés en dehors de l’Union européenne. Enfin, les financements directs via le crowdfunding se développent rapidement même si leur importance est encore limitée. Plus généralement, les phénomènes de communauté peuvent conduire à la multiplication des circuits de financements et de paiements hors des circuits bancaires traditionnels. Les frontières de la banque deviennent ainsi plus floues et plus mouvantes. Leur apport au système financier qui demeure est, d’une part, la garantie des dépôts et son corollaire, l’accès à la liquidité de la banque centrale, et, d’autre part, les financements qui ne peuvent être assurés par le marché au premier rang desquels figure le financement des très petites entreprises (TPE) et des PME.

Conclusion

Dans l’immédiat, les banques sont conduites à améliorer leur compétitivité, essentiellement grâce à une baisse de leurs charges. Mais cet ajustement, pour nécessaire qu’il soit, ne peut être une option de moyen terme. Une redéfinition des stratégies s’impose. Elle implique que chaque groupe bancaire concentre ses moyens sur un nombre plus réduit d’activités. La banque universelle ne peut pas être la banque à tout faire. Les banques seront conduites à faire des choix qui tiendront compte de leur savoir-faire, de leur position sur leurs marchés domestiques ou internationaux, mais aussi du capital qu’elles seront en mesure d’allouer aux différents métiers.

Même si, sur un horizon de trois ou quatre ans, les perspectives de rentabilité de la banque de détail restent limitées et si cette activité contribue moins que par le passé au financement du développement des autres activités des groupes bancaires, la banque de détail restera durablement le noyau central de la banque universelle, en raison notamment de sa grande stabilité et de sa prévisibilité. C’est donc sur les autres activités, à commencer par les activités de marché, que les choix les plus drastiques devront s’exercer. Nul doute que les groupes dont le savoir-faire en matière de distribution constitue un avantage comparatif continueront à se renforcer dans le crédit à la consommation ou l’asset management.

L’un des principaux clivages auquel on peut s’attendre concerne le financement des entreprises. Le financement des grandes entreprises ne peut s’appréhender à partir du seul marché domestique, il suppose un réseau et une capacité de placement reconnus à l’échelle internationale. C’est vraisemblablement sur ce critère que se fera la sélection entre établissements. Reste le financement des PME et des TPE. Même si des progrès sont enregistrés dans le financement des PME par le marché, on peut anticiper que le financement de ces entreprises comme celui des TPE sera, pour l’essentiel, réalisé par les banques. De ce point de vue, les banques qui disposent d’une forte présence sur leur marché domestique et qui ne seront pas trop contraintes en capital ont vocation à être les leaders de ce marché.

Ainsi devraient se dessiner deux grands types de banques universelles. Leur point commun restera l’importance de la banque de détail. Certaines banques donneront la priorité aux activités d’entreprise et de marché et, ce faisant, entreront en compétition directe avec les grands acteurs internationaux américains ou asiatiques. D’autres banques feront le choix des PME, donneront la priorité à leur marché domestique et s’attacheront à imiter ce même modèle dans un nombre limité de pays européens.


Bibliographies

Ayadi R. et de Groen W. P. (2014), Banking Business Models Monitor 2014: Europe, Centre d’étude et de prospective stratégique, 14 octobre.
Banque mondiale (2015), Global Economic Prospect, 3 janvier.
BCE (Banque centrale européenne) (2014), Banking Structures Report 2014, octobre, https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/bankingstructuresreport201410.en.pdf.
BCG (Boston Consulting Group) (2015), « Global Corporate Banking 2015: the Look of a Winner », mars.
Bellon J.-B. et Pauget G. (2012), « Quelle résilience pour la banque de détail ? », Revue Banque, n° 752, septembre.
De Vauplane (2015), « La Fintech bouleverse le business model des banques », Revue Banque, janvier.
FMI (Fonds monétaire international) (2015), World Economic Outlook, janvier.
FSB (Financial Stability Board) (2014), Global Shadow Banking Monitoring Report, novembre.
Hill J. (2015), 6e convention des banques coopératives européennes, 3 mars, cité par Revue Banque, n° 783, 27 mars.
Pauget G. (2014), « Plans à moyen terme des banques françaises : la prudence l’emporte », Revue Banque, mai.
Roenpitya R., Tarashev N. et Tsaronis K. (2014), « Bank Business Models », Banque des règlements internationaux, Quarterly Review, 7 décembre, pp. 55-65.
Schwarz J., Baumgärtner C., Casale G., Creyghton A., Dany O., Massi M., Tang T., van den Berg P. et Halliday K. (2015), Global Corporate Banking 2015: the Look of the Winner, Boston Consulting Group.

Annexe

ANNEXE 1 - LES REVENUS DES SIX GROUPES BANCAIRES FRANÇAIS

Les six principaux groupes bancaires français (BNP Paribas, Crédit agricole, Banque populaire Caisses d’épargne – BPCE –, Société générale, Crédit mutuel et La Banque postale) ont dégagé des revenus quasi stables entre 2011 et 2014 à 140 Md€.

Le poids des activités de banque de détail domestique s’est accru avec les acquisitions en Belgique (BNP Paribas en 2009), en Italie (BNP Paribas en 2006 et Crédit agricole en 2010) et en Allemagne (Crédit mutuel en 2009), la partie purement française étant assez stable aux alentours de 50 Md€ pour ces six groupes. Le chiffre d’affaires des activités de BFI qui ont fortement reculé en 2007 et 2008 est revenu au niveau constaté en 2006.

Les groupes bancaires français qui présentaient des profils assez diversifiés avant la crise se sont différenciés sur la période 2008-2014. Les répartitions de revenus font apparaître deux profils de banque universelle, l’un avec des activités toujours diversifiées et des revenus de BFI importants (BNP Paribas et Société générale) et l’autre avec une forte prédominance des activités de banque de réseau domestique (BPCE, Crédit agricole et Crédit mutuel).

Graphique 1 - Revenus des six groupes bancaires français (en Md€)
Sources : rapport des sociétés ; calculs des auteurs.
Graphique 2 - Revenus du groupe BNP Paribas (en M€)
BDD : banque de détail ; AM : asset management.
Sources : rapport des sociétés ; calculs des auteurs.
Graphique 3 - Revenus du groupe BPCE (en M€)
Sources : rapport des sociétés ; calculs des auteurs.

ANNEXE 2 - Les revenus de trading

Les revenus des activités de BFI ont plongé en 2008, surtout au quatrième trimestre, en raison de l’accentuation des pertes effectives et des dépréciations liées aux dislocations des marchés. Cependant, la rentabilité des activités s’est dans l’ensemble améliorée entre le début et la fin de la période. La rentabilité est mesurée à partir des revenus publiés des activités de marché et des bilans associés. Ces derniers sont ajustés pour les dérivés pour les banques publiant leurs comptes en normes IFRS (International Financial Reporting Standards) sur la base d’un coefficient de passage du brut au net de 10 % qui est celui que donnent en moyenne les banques américaines (qui publient en net, mais donnent le brut en annexes).

Graphique 4 - Rentabilité des activités de trading de quatre groupes : Barclays, BNPP, Deutsche Bank et Goldman Sachs - (marge de trading : revenus sur actifs ajustés)
Sources : publication des sociétés ; ajustements des auteurs.

L’amélioration de la rentabilité moyenne s’accompagne aussi d’un resserrement des performances, les trois banques européennes qui obtenaient des performances nettement inférieures à celles de Goldman Sachs avant la crise sont pratiquement au même niveau à compter de 2011. Les banques ont en effet été sous une forte pression réglementaire à compter de la crise et ont abandonné les activités les moins rentables.

Cependant, la rentabilité nette de ces activités rapportée aux fonds propres employés n’a pas suivi cette tendance car les besoins de fonds propres des activités de trading qui avaient été très sous-estimés avant la crise ont en moyenne été multipliés par trois.